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Enquete: Tensions entre l'Algérie et la France: Comment la diaspora algérienne réagit-elle ?

par Enquête De Nabil Mati *

Depuis des décennies, les relations entre l'Algérie et la France sont ponctuées de cycles de tensions récurrentes, fluctuants entre méfiance diplomatique et contentieux historiques persistants. Cependant, ces derniers mois, ces rapports déjà fragiles ont atteint un niveau de détérioration sans précédent.

L'arrestation de Boualem Sansal par les autorités algériennes, naturalisé récemment par la France, a cristallisé ces tensions. En réaction, la France, sous l'impulsion de son ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, encore plus provocateur que son prédécesseur Gérald Darmanin, a exacerbé la situation par de nombreuses déclarations polémiques et en ordonnant l'arrestation de plusieurs TikTokeurs algériens, accusés, selon ses dires, d'avoir menacé la France. Pour certains observateurs, ces actions s'apparentent à des représailles ciblées contre les autorités algériennes.

Dans ce climat, pour le moins électrique, les autorités algériennes semblent privilégier une approche plus mesurée et diplomatique, évitant l'escalade verbale alimentée par la droite dure et l'extrême droite française, tout en réaffirmant fermement leurs positions.

Dans ce contexte, une voix semble étonnamment absente du débat public : celle de la diaspora algérienne en France, ancienne et ancrée, forte de plusieurs millions de personnes (résidents et détenteurs de la double nationalité). Cette communauté, vivant à la croisée des deux cultures et des deux nations, est pourtant directement impactée par ces tensions diplomatiques. Alors que ses membres aspirent avant tout au respect et à une reconnaissance de leur double appartenance, ils se trouvent pris dans un climat de suspicion et de stigmatisation.

Une question essentielle se pose alors : ces tensions répétitives, voire stratégiques, qui s'intensifient avec le temps, visent-elles spécifiquement la diaspora algérienne en raison, peut-être, de sa présence croissante dans des secteurs clés tels que la recherche, l'économie et d'autres domaines en France, ou sont-elles motivées par d'autres raisons ? Cette influence grandissante dérange-t-elle certains lobbies au point de susciter des tensions, de possibles tentatives de déstabilisation, et de provoquer un sentiment de dégoût au sein de cette diaspora, poussant ainsi ses membres à envisager de quitter la France ?

Dans ce contexte tendu, nous avons choisi de diffuser, via nos canaux de communication associatifs, et les réseaux sociaux, un questionnaire destiné exclusivement à la diaspora algérienne résidant en France. L'objectif était de recueillir leurs impressions, préoccupations et points de vue sur cette crise diplomatique. Bien que cette initiative ne revendique pas une rigueur scientifique exhaustive – elle ne saurait refléter la totalité des catégories sociales, des générations ou des régions au sein de la diaspora –, elle offre néanmoins un aperçu significatif des sentiments qui traversent cette communauté.

Un sentiment de malaise en France

Dans le cadre de notre enquête, nous avons diffusé un questionnaire composé de sept questions, en invitant la diaspora à s'exprimer sur la question suivante : « Comment percevez-vous les tensions diplomatiques actuelles entre l'Algérie et la France ?» Les réponses recueillies sont variées, mais révèlent néanmoins des tendances significatives. Tout d'abord, en ce qui concerne la perception des tensions, plus de 61,6 % des répondants estiment que la situation est très préoccupante et constitue une source de stress dans leur quotidien.

Ce chiffre souligne l'attention particulière que la diaspora accorde à l'évolution de ces événements. Ainsi, leur silence apparent ne saurait être interprété comme de l'indifférence ; bien au contraire, il reflète un silence attentif et observateur, marqué par une vigilance accrue face à la détérioration des relations diplomatiques entre les deux pays. Cette situation est perçue par beaucoup d'Algériens comme une menace potentielle pour leur avenir en France, ainsi que pour celui de leurs enfants, alimentant un sentiment d'incertitude et d'inquiétude au sein de la communauté. Cette inquiétude se confirme à travers les réponses à la question suivante : «Selon vous, ces tensions ont-elles un impact sur les Algériens résidant en France ? » Près de 48% des répondants estiment que ces tensions ont un impact direct sur eux, tandis que 40,3 % ressentent un impact modéré. En revanche, seuls 11 % des participants considèrent que cette situation n'a aucun effet sur leur quotidien. Ces résultats illustrent clairement le climat de malaise et de préoccupation qui règne au sein de la diaspora algérienne face à l'évolution des relations entre les deux pays. En ce qui concerne leur positionnement face à cette crise, les résultats sont tout aussi révélateurs : 63 % des personnes interrogées se déclarent proches de la position algérienne, tandis que seulement 2,9 % soutiennent la position de la France. Une proportion non négligeable, soit 32,9 %, adopte une attitude neutre, refusant de prendre parti dans ce conflit. Ce choix de neutralité semble refléter, pour certains, la volonté d'attendre l'évolution de la situation avant de se prononcer. Pour d'autres, il pourrait s'expliquer par la complexité de leur double appartenance culturelle : leur histoire personnelle, mêlant des racines algériennes et françaises, rend difficile une prise de position tranchée, car ils se sentent liés aux deux pays. Le sentiment perçu dépasse le simple malaise. Il se reflète dans les réponses recueillies, révélant une peur profonde que ces conflits diplomatiques puissent compromettre les perspectives d'intégration, d'éducation et de bien-être des futures générations de la diaspora en France. Cette inquiétude met en lumière une crainte que ces tensions n'affectent durablement l'avenir des enfants, en fragilisant leur place au sein de la société française. Ces propos font écho à ceux d'un étudiant d'origine algérienne, inscrit dans une prestigieuse école d'administration française, que nous avons rencontré. Il a exprimé son profond dégoût face à l'escalade des tensions, déclarant : «Avec les tensions actuelles, nous serons bientôt considérés, dans les plus hautes sphères de l'administration française, comme des personnes indésirables, à l'image des Russes après le début de la guerre en Ukraine.» La diaspora algérienne en France perçoit l'attitude de l'État français envers l'Algérie comme humiliante. Elle estime que 80 % des polémiques politico-médiatiques actuelles résultent de provocations délibérées, dont 71 % seraient imputables à l'influence de l'extrême droite française et des lobbies médiatico-politiques.

De plus, plus de 82 % des membres de cette diaspora considèrent que leur engagement pourrait jouer un rôle clé dans la résolution et l'apaisement de cette crise, tout en prévenant de futures tensions dans les années à venir. Certains plaident pour une mobilisation, un renforcement du poids politique et économique de la diaspora afin de se faire entendre, convaincus que la situation actuelle est intenable et qu'un sursaut collectif de la communauté est nécessaire.

Cette mobilisation est perçue comme d'autant plus urgente face à la progression de l'extrême droite, qui pourrait accéder à l'Élysée, en 2027, et n'hésite pas à tisser des alliances avec des acteurs hostiles à l'État algérien. Certains estiment que la diaspora algérienne doit impérativement s'exprimer d'une seule voix et porter un projet commun axé sur la défense des intérêts de l'Algérie, afin de renforcer sa cohésion et son influence dans le débat public en France. Par ailleurs, 33,3 % des répondants considèrent que l'avenir des relations franco-algériennes s'annonce compliqué, révélant un pessimisme croissant au sein de la diaspora face à l'aggravation des tensions diplomatiques.

Sur la question : «Les récentes tensions médiatico-politiques entre la France et l'Algérie vous incitent-elles à envisager de quitter la France ou à rester ? », les résultats sont particulièrement révélateurs. 28,4 % des répondants affirment vouloir rester en France, tandis qu'en additionnant ceux qui envisagent sérieusement de partir et ceux qui sont en pleine réflexion, cela représente un total d'environ 74 % des personnes interrogées. Ce chiffre élevé constitue un indicateur significatif et met en lumière une perte de confiance croissante quant à leur avenir en France. Les réponses que nous avons recueillies témoignent de la vitalité de la diaspora algérienne. Son silence ne doit pas être interprété comme une absence, bien au contraire : il reflète une attitude de réflexion et de méfiance face à l'évolution de la situation. L'arrivée de Donald Trump et ses déclarations controversées sur la Colombie semblent même avoir inspiré Marine Le Pen, qui a déclaré : « Je ferais exactement ce qu'a fait Donald Trump avec la Colombie », Ce climat tendu ravive la mémoire collective d'une diaspora marquée par des violences passées. Certains évoquent notamment le sombre souvenir du 17 octobre 1961, lorsque des Algériens furent brutalement réprimés et jetés dans la Seine par la police française. Cette situation soulève une question troublante : l'histoire pourrait-elle se répéter sous une autre forme, visant à humilier des Algériens uniquement en raison de leurs origines ? Notre questionnaire met en évidence, sans aucune ambiguïté, l'efficacité de la stratégie médiatico-politique orchestrée par la droite dure et l'extrême droite françaises, avec l'aval d'Emmanuel Macron, depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy en 2007. Cette dynamique s'est intensifiée grâce au soutien de divers lobbies influents. Cette stratégie a poussé de nombreux Algériens – qu'ils soient résidents ou nés en France – à envisager de quitter massivement le pays, malgré les efforts d'intégration déployés et les liens profonds qui les unissent à la France.

Une question centrale se pose : Quitter la France est-il réellement une alternative viable face aux attaques orchestrées contre la diaspora ? Cette interrogation soulève des dilemmes profonds. Partir pourrait être perçu comme un abandon, laissant le champ libre aux forces racistes et xénophobes, et donnant l'impression que le camp de l'intolérance a remporté la victoire. Cela priverait également l'Algérie d'un atout stratégique majeur dans les relations internationales : sa diaspora.

En revanche, rester implique la nécessité de s'organiser, de persévérer et de renforcer son influence dans l'espace public français, que ce soit sur les plans politique, économique ou culturel. La diaspora a un rôle essentiel à jouer pour défendre ses droits, affirmer son identité et contribuer activement à la société française tout en préservant ses liens avec son pays d'origine.

En conclusion, les tensions actuelles entre l'Algérie et la France, bien qu'inquiétantes, peuvent devenir un catalyseur de solidarité et de mobilisation au sein de la diaspora algérienne. Comme l'a souligné Yamina Benguigui, «lorsque les Algériens sont touchés, ils ne font qu'un». Cette unité, aujourd'hui plus que jamais nécessaire, doit être consolidée et structurée pour se traduire en actions concrètes. Il est impératif que la diaspora défende ses intérêts, affirme sa place dans la société française et se prépare à relever les défis politiques à venir, notamment à l'approche des élections présidentielles de 2027, que beaucoup considèrent comme décisives, en particulier dans l'éventualité où Marine Le Pen accédait au pouvoir.

*Université Paris 8. L'École des Hautes Études des Sciences sociales de Paris