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![]() ![]() ![]() Sommet de la Ligue arabe : assistera-t-on à un sursaut ?
par Mustapha Aggoun ![]() Mesdames
et Messieurs les dirigeants de la Ligue arabe, le 27 février 2025 ne sera pas
un sommet comme les autres, ce ne sera pas une de ces rencontres où l'on aligne
des formules convenues, où l'on se salue, où l'on débat mollement avant de se
disperser en laissant les choses suivre leur cours. Non, cette fois, vous êtes
face à un basculement, face à une infamie si brutale qu'elle vous contraint à sortir
du flou, à briser l'ambiguïté, à cesser de jouer avec les mots et les
faux-semblants. Cette fois, il ne s'agit pas de marchandages, d'accords, de
compromis ou de résolutions creuses, il s'agit d'un peuple qu'on veut
déraciner, d'une terre qu'on veut vider, d'une histoire qu'on veut effacer sous
vos yeux, avec votre silence, votre passivité, votre fatigue.
Il aura fallu cet électrochoc pour que vous soyez contraints de prendre position, pour que vous n'ayez plus d'autre choix que de dire «non». Mais ce «non» sera-t-il un cri sincère, ou juste une posture pour apaiser vos peuples ? Depuis trop longtemps, vous avez laissé la Palestine devenir un dossier parmi d'autres, une question qu'on gère, une variable d'ajustement dans vos relations avec les puissants de ce monde. Depuis Camp David, Oslo, Wadi Araba et Abraham, la Cause palestinienne s'effiloche, se dissout dans les négociations, s'efface dans les concessions, se réduit à un slogan que l'on brandit sans y croire vraiment. Vous avez laissé les fissures se creuser, vous avez accepté la normalisation, l'humiliation, la compromission, vous avez regardé certains d'entre vous serrer la main de ceux qui massacrent et expulsent, vous avez laissé la peur guider vos décisions, la prudence étrangler vos élans, le réalisme étouffer la dignité. Mais Trump est allé trop loin, il vous met au pied du mur, il vous oblige à vous regarder dans un miroir sans fard, il vous force à choisir entre l'infamie ou l'honneur. Car il ne s'agit plus seulement de dénoncer, de s'opposer en paroles, il s'agit de savoir si vous avez encore un poids dans l'Histoire, si vous avez encore la capacité d'agir, si ce sommet sera un tournant ou juste un théâtre où l'on feint de s'indigner avant de reprendre le cours normal de l'impuissance. Car l'impuissance, Mesdames et Messieurs, vous en avez fait une tradition. Depuis votre création en 1945, vous n'avez cessé de cumuler les échecs, de vous enfoncer dans des querelles intestines, de vous saborder vous-mêmes. 1948, première guerre israélo-arabe : vos armées s'avancent en ordre dispersé, mal préparées, désorganisées, et c'est la Nakba, l'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens, la naissance d'un État sioniste sur les ruines de leurs maisons et de leurs champs. 1967, la guerre des Six Jours : une humiliation éclaire, Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza, le Golan, le Sinaï perdus en quelques jours, un effondrement militaire suivi de décennies d'atermoiements. 1979, les accords de Camp David : l'Égypte, pays pivot du monde arabe, signe la paix avec Israël et brise ce qui restait d'unité dans le Front arabe. 1991, la guerre du Golfe : l'Irak envahit le Koweït, et au lieu de régler la crise en interne, certains d'entre vous ouvrent la porte à l'intervention occidentale, transformant la région en champ de bataille pour des décennies. 2003, l'invasion américaine de l'Irak : aucun plan, aucune action concertée, aucune réaction autre que des communiqués stériles alors qu'un pays arabe est détruit sous vos yeux. 2011, les soulèvements arabes : désunion totale, soutien hypocrite ou aveuglement volontaire face aux aspirations populaires, et voilà le monde arabe plongé dans le chaos, des guerres civiles, des interventions étrangères, des États effondrés. Et la Palestine dans tout cela ? Toujours le même cycle : indignation, réunions, promesses, puis l'oubli, le silence, l'inaction. Depuis 1973, jamais vous n'aviez réussi à formuler une position commune qui ait du poids, jamais vous n'aviez osé aller plus loin que la rhétorique, jamais vous n'aviez su dépasser vos désaccords pour imposer une ligne claire. Mais cette fois-ci, vos peuples vous regardent, l'histoire vous scrute, la Palestine vous attend. Allez-vous une fois de plus vous réfugier derrière des formules vagues, des condamnations prudentes, des déclarations vidées de leur substance ? Allez-vous vous disperser après ce sommet en laissant encore une fois l'occupant et ses alliés dicter la suite des événements ? Ou allez-vous, enfin, rompre le cycle de la soumission et dire, avec force, avec courage, avec dignité, que cette fois-ci, non, ça ne passera pas, que cette fois-ci, la Palestine n'est pas seule, que cette fois-ci, les Arabes n'accepteront pas l'inacceptable ? L'heure n'est plus aux postures, l'heure n'est plus aux faux-semblants, l'heure est venue de faire face à l'Histoire. Et cette Histoire retiendra votre réponse. |
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