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Tripartite Gouvernement-UGTA-Patronat

par Cherif Ali

Le «oui-mais» du Président Tebboune !



S'inspirant de ce qui se faisait ailleurs, le Président Liamine Zeroual, en son temps, et en accord avec le défunt Abdelhak Benhamouda, secrétaire général de l'UGTA de l'époque, avaient recouru à la fameuse « table triangulaire » appelée depuis «tripartite», pour lui fixer des «compromis» nécessaires à la paix sociale.

Au fil du temps, cette tripartite était apparue comme un rituel médiatique où les acteurs, à la fin, étaient là pour parachever un document préparé à l'avance, en «haut lieu», et rédigé dans le plus pur style de langue de bois, que d'aucuns, parce qu'ils avaient un intérêt certain, n'avaient pas hésité à présenter comme un succès:

1. Le syndicat, s'était approprié l'abrogation de l'article 87 bis

2. Le patronat avait profité de l'allégement fiscal, de l'accès au crédit et du foncier

3. Le gouvernement avait bénéficié d'un « sursis «, pensant qu'il avait tout fait pour apaiser le front social.

En réalité, et nul ne l'ignorait depuis 1991, date de la tenue de la première tripartite qui s'était déroulée dans des conditions économiques et politiques particulières, les tripartites suivantes avaient été organisées pour donner l'impression que chaque corporation, autant celle des patrons que celle des travailleurs, avait voix au chapitre et que les acquis étaient le fruit de négociations ardues.

Pourtant, et c'était un secret de Polichinelle, les décisions étaient prises d'avance, ou sous la pression, pour ce qui était, par exemple, de la tripartite de 1991, du Fond monétaire international (FMI).

Et à chaque rencontre, l'inamovible Secrétaire Général de l'UGTA, s'appropriait le premier rôle, faisait son show, tel le directeur du cirque «Barnum», pour éblouir des travailleurs exsangues, mais néanmoins, sensibles au moindre dinar d'augmentation agité sous leur nez.

Il faudrait dire à ce propos que même si le Salaire national minimum garanti (SNMG) avait triplé depuis 12 ans, passant de 6000 dinars à 18000 dinars, il était loin de confier aux travailleurs un pouvoir d'achat conséquent, en rapport avec l'inflation à deux chiffres que connaissait le pays.

Et aussi rappeler que la seule fois où les choses avaient été prises en compte, sérieusement, c'était le 28 mai 2011 où avait été organisée une session spéciale consacrée «à la recherche des voies et moyens pour soutenir le développement de l'entreprise économique et améliorer le climat des affaires».

Discours redondant et sans effets, malheureusement, sinon comment expliquer que depuis des décennies que l'on parlait d'entreprise et aussi de «la nécessité de favoriser la production nationale et de la diversifier», on était loin, très loin même des performances des pays voisins, dont on n'arrivait même pas à exploiter les difficultés conjoncturelles qu'ils rencontraient, comme par exemple dans le secteur touristique.

Pourquoi en ces temps-là n'arrivait-on pas à mettre en place des politiques économiques viables ?

Fallait-il, pour autant, revenir au bon ministère de la planification, pour mettre de l'ordre dans ce «désordre» ?

Si les investissements algériens ne trouvaient pas intérêt à aller vers la production nationale, vers la création de l'emploi, il ne fallait pas s'étonner, encore moins, s'attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu'il y ait la règle du 51/49%, ou même l'inverse, fassent preuve de plus d'engagement ! L'entreprise, paradoxalement, restait au cœur de tous les discours politiques, elle était conjuguée à tous les temps, mais de mesures positives sur le terrain, point. Entre-temps, les conflits à l'intérieur de l'entreprise s'intensifiaient et ils étaient toujours perçus négativement alors qu'ils portaient, en général, sur des revendications socioprofessionnelles, avérées.

L'UGTA pendant ce temps-là se contentait d'observer les grèves, à partir du banc de touche, pendant que les syndicats, autonomes agissaient et gagnaient en crédibilité, même si, fallait-il l'admettre l'action de certains d'entreeux n'était pas dénuée d'arrière-pensée politicienne.

Quant à l'adhésion du pays à l'OMC, le discours de certains ministres était tellement contradictoire que Sellal, Premier ministre d'alors, avait dû intervenir pour mettre fin à la «cacophonie» et dire que «le pays irait à l'organisation, mais à son rythme» (sic) !

La 17ème tripartite (tout comme celles qui l'ont suivi) n'avait pas été exceptionnelle par son contenu, tel qu'annoncé à savoir la relance économique, la redéfinition du SNMG et le retour au crédit à la consommation qui avaient été annoncés depuis longtemps.

Les discussions s'étaient plutôt attardées sur le fameux article 87 bis, dont le «sort» avait été, pourtant, «décidé» et même «réglé», semblait-il, lors d'un Conseil des ministres. (A l'insu du plein gré du directeur du cirque Barnum d'alors)

Ces évaluations, disparates, illustraient on ne peut mieux la faiblesse des outils économétriques du pays, mais aussi des incertitudes qui portaient sur le cadre réglementaire relatif à l'application «pratique» de l'abrogation de l'article 87 bis, ce qui faisait dire au patron de l'UGTA que «même si les travailleurs ne profitaient pas des augmentations prévues dès le 1er janvier 2015, ils percevaient, conséquemment, un rappel depuis cette date!».

Mais les conséquences ne s'arrêtaient pas là, puisqu'en matière de réactions en chaîne, on annonçait, d'ores et déjà, une aggravation de la facture des importations et un déficit estimé entre «4 à 8 milliards de dollars» dû à l'accélération de la chute du baril de pétrole.

Pendant ce temps-là, on continuait, dans notre pays, à se rejeter la balle:

Ce n'était pas moi c'était l'autre, ou l'éternelle chicanerie du rôle de l'Etat régulateur, de la responsabilité des producteurs, de la non-maîtrise des prix des matières premières qu'on ne produisait pas, de l'anarchie de la consommation, de la faiblesse de l'agriculture, de l'industrie et de cette satanée facture alimentaire qui grimpait, etc.

On retrouvait aussi la même agitation du côté des travailleurs pour cause de pouvoir d'achat en berne, d'inflation galopante et des prix qui s'envolaient, qu'on réglait à coup de subventions, ce qui ajoutait encore au désordre social et partant contribuait à augmenter l'inflation. De ce qui précède, force est d'admettre quela tripartite restait un «faire valoir» de l'exécutif, tant qu'en haut lieu on refusait d'élargir cet «espace de concertation» au plus grand nombre d'intervenants et autres experts pour débattre de la thématique qui consistait à plancher sur «le passage d'une économie de rentre à une économie de production seule manière de réhabiliter la notion de productivité et de relier les revenus à la production»!

Et toutes ces promesses sans lendemain de tous ces défenseurs de la production nationale et à leur tête le Secrétaire général de l'UGTA pour défendre cette idée «d'offre abondante pour se substituer à l'importation» et réduire la facture de l'importation ?

Par quel artifice comptaient-ils réduire la facture alimentaire ?

Elle s'élevait à 6 milliards de dollars, qui à les entendre parler «était de la faute de la population qui n'arrivait pas à gérer son estomac», alors que, nul ne l'ignorait, le problème était à rechercher dans les facilités obtenues par tous ces profiteurs de «l'import-import» qui accédaient au matelas des devises sans problèmes ?

Est-ce à dire que la tripartite n'intéressait personne, qu'elle perdait, peu à peu, de sa crédibilité ? Non bien sûr, puisque les patrons, même dispersés, trouvaient toujours leurs comptes et pouvaient même demander davantage de facilitations et de mesures attractives, notamment, concernant le foncier.

Il restait les déçus, c'était tous ceux qui étaient de l'autre côté du miroir et qui se réveilleraient avec la gueule de bois, conséquemment aux titres affichés par leurs quotidiens nationaux : «La tripartite avait encore une fois, accouché d'une souris», ce qui faisait dire, au plus grand nombre, à tort ou à raison peut-être que la tripartite n'était qu'un «faire valoir» de l'exécutif qui continuait à tirer les ficelles, dans l'ombre, pour domestiquer encore plus le syndicat et son chef auquel il faisait miroiter un prochain mandat et le patronat auquel il consentait le plus de largesses possibles!

Autres temps, autres mœurs !

« L'Etat, c'est l'Etat et l'argent, c'est l'argent», avait affirmé Abdelmadjid Tebboune, alors tout nouveau Premier ministre début juin. Nommé le 24 mai 2017, l'ancien ministre de l'Habitat a été qualifié par la presse algérienne de« MonsieurPropre». 80 jours plus tard, il est remplacé par« Monsieur sales besognes», selon sa propre définition, et… trois fois Premier ministre depuis 1995.

Pour la presse algérienne, Abdelmadjid Tebboune avait payé le prix fort pour avoir voulu s'en prendre à l'oligarchie.

Il avait non seulement tenté de limiter les importations, secteur très sensible détenu par une poignée de personnes, mais aussi éloigner les lobbys de la politique.

En juillet, le gouvernement avait adressé une série de mises en demeure à plusieurs grandes entreprises algériennes ou étrangères adjudicataires d'importants marchés publics d'infrastructure, jugeant les chantiers en retard et menaçant de résilier les contrats.

«Une victoire des milieux d'affaires, non pas sur Tebboune mais contre l'Etat », «Tebboune avait essayé de toucher aux intérêts de certains oligarques qui appartenaient au clan présidentiel comme Ali Haddad, le patron des patrons». Tout cela, quelques jours avant la tenue de la tripartite à Ghardaïa qui promettait d'être «révolutionnaire»sur tous les plans, mais les oligarques prédateurs et leurs complices dans les rouages du pouvoir et du syndicat-maison en avaient décider autrement ! Depuis, Abdelmadjid Tebboune avait été élu président de la République le 19 décembre 2019.

Et les évènements lui ont donné raison ! *

Et à chaque fois que l'occasion lui est donnée, il ne manque jamais de souligner l'impératif d'efficacité dans la prise de décision, pour éviter les erreurs du passé, notamment celles ayant caractérisé la « décennie de la mafia », en référence aux années antérieures à 2019 et « les discours mensongers du passé, notamment ceux évoquant l'incapacité du trésor public à régler les salaires des travailleurs, ou encore ceux évoquant un pseudo-amenuisement des réserves de change, tout en mettant en lumière la corruption qui avait gangrené tous les secteurs » !

Ces pratiques visaient en fait, à démoraliser les Algériens et à livrer le pays aux mains de l'étranger, en plaçant l'Algérie sous la tutelle du Fonds monétaire international.

Aujourd'hui, le Président Tebboune semblerait favorable à un retour de la tripartite: «C'est par le biais de l'échange des idées dans un cadre dédié que l'on peut construire, à condition que l'action soit toujours motivée par un engagement en faveur de l'intérêt national»,a-t-il dit en précisant «que la configuration ou l'appellation du mécanisme qui encadrera ce dialogue importait peu, l'essentiel est qu'il puisse contribuer à l'amélioration de la situation des travailleurs, mais également à éviter les conflits ».

De même importance, le retour à la tripartite»sous de nouveaux habits» se présente également comme une halte, un point d'ordre, pour établir les bilans des travaux des chantiers ouverts, autant sur le front économique que social, établir les feuilles de route sur les indicateurs réels et mettre en valeur et en exploitation la disposition des protagonistes de la scène socio-économique et leurs capacités à relever les défis de l'heure.

*Abdelmadjid Tebboune : les évènements ne lui ont-ils pas donné raison ? par Cherif Ali (Le Quotidien d'Oran) du 14 juillet 2019.