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Sous la loupe !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Algérie. Les crises au quotidien. Ouvrage collectif/Essais. Coordonné par Mohamed Mebtoul. Koukou Editions, Cheraga Banlieue/Alger 2024. 197 pages,1.200 dinars



Un ouvrage issu d'un colloque international «Les crises au quotidien» organisé conjointement par l'Université d'Oran 2, l'Unité de recherche en sciences sociales et santé d'Oran 2, l'Université de Tlemcen et l'Institut français d'Algérie (Oran). On a donc eu des sociologues, des politologues, des sociolinguistes, des économistes et des juristes. Ce qui donne donc un résultat (les contributions) en apparence assez hétérogène, cependant tout à fait normal dans l'analyse d'un champ traversé de crises multiples.

Une crise au quotidien, c'est quoi, au juste ? Ce sont les multiples incertitudes concrètes, les drames invisibles, les injustices, les détournements constants pour survivre, les contre-violences pour s'affirmer socialement devenant parfois la seule modalité sociale pour dire «j'existe». Toujours selon M. Mebtoul, le quotidien est enfin marqué par les résistances tenaces des personnes à un ordre social anachronique dominé par le flou socio-organisationnel, producteur d'un égalitarisme fictif, réducteur et médiocre. On se souvient tous de cette fameuse mais malheureuse phrase émise publiquement par un recteur d'Université, la plus importante du pays : «L'Algérie n'a pas besoin d'un prix Nobel». C'est une façon perverse d'effacer les multiples savoirs mobilisés par certains acteurs sociaux qui opèrent dans la non-reconnaissance sociale, l'invisibilité et l'indifférence de l'Autre.

Plusieurs pans, mais pas tous, hélas, sont abordés dans l'ouvrage. Certains de façon très, très théorique (mais instructifs), d'autres assez proches des terrains. Ici, on en signale deux : celle de Larbi Mehdi qui étudie «les crises relationnelles dans le monde professionnel...». Au sein d'une grande entreprise algérienne où l'on y voit un vécu quotidien du personnel reflétant chez certains le désarroi, l'anxiété et le mal-être. Celle, aussi, de M. Mebtoul qui a tenté d'appréhender le couple citoyenneté -non citoyenneté à partir de ses recherches socio-anthropologiques sur les maladies chroniques, les médecins, les jeunes, la «hogra», l'éducation et la violence de l'argent, etc...

Les Auteurs : Aicha Benabed (Sociologue)/Tawfiq Belfadel (Ecrivain)/Haya Imen Boudjemaa (Sciences du langage)/ Mohamed Chaouki Zine (Philosophe) /Kamel Chikhi (Economiste)/ Eric Hamraoui (Philosophe) /Karim Khaled (Sociologue) /Mehdi Larbi (Sociologue) /Nahas M. Mahieddin (Juriste) / Daniel Migairou (Philosophe) / Mohamed Mebtoul (Sociologue) /Ouassila Salemi (Sociologue) /Rabeh Sebaa (Sociolinguiste)

Sommaire : Introduction : Mohamed Mebtoul)/ Première partie : Travail, santé et migrations. 6 chapitres)/ Deuxième partie : Langues, familles et citoyenneté (7 chapitres)

Extraits : «Au sein de Sonatrach, une profonde division sociale imprègne la vie quotidienne des employés et influe sur la dynamique organisationnelle. Cette division se manifeste à travers des barrières physiques et symboliques, créant des clivages entre différentes catégories socioprofessionnelles» (Larbi Mehdi, p 42), «C'est la dimension d'être parlants, dimension fondatrice de l'humain, qui se voit aujourd'hui soumise au travail, à de lourdes injonctions, à un traitement qui, insidieusement, au jour le jour, l'affecte au plus profond de ce qui le fonde, avec des conséquences tangibles sur le plan du politique et sur le plan de psychique «Daniel Migairou, pp 45-46), «Ettâarib est un masdar qui signifie rendre arabe ce qui ne l'est pas.

Par conséquent, arabiser la société algérienne, c'est reconnaître officiellement qu'elle n‘est pas arabe. Par la suite, et à cause de cette «inadéquation», la notion d'arabisation a été remplacée par généralisation de la langue arabe» (Rabeh Sebaa, p 98), «L'observation du déploiement du chant sur la scène contestataire propre au hirak a permis le repérage de trois catégories de chants : le chant-slogan, le chant-poésie et le chant-reprise» (Hayat Imene Boudjemaa, p172)

Avis - Complexité et diversité des crises au quotidien... Regards croisés multiples... Compréhension difficile... pour les lecteurs... en crise(s)

Citations : «Nœud» précédant le dénouement, révélation d'une tension et cause de bouleversements, la crise constitue, dans son principe même, le moment décisif, un changement majeur dans le cours d'événements ou de processus de nature politique, historique ou pathologique» (Eric Hamraoui, p 27), «Penser les situations passe par un effort d'analyse de ce qui les constitue, et pour cela par la possibilité de les appréhender» (Daniel Migairou, p47). L'exil est un monde «psychique invisible». Il est vécu mais difficile à décrire.

C'est un état d'âme relatif selon les conditions et la structure d'habitus de chaque individu» (Karim Khaled, p65), «La stratégie est une planification en amont et un agenda qui liste les tâches et les décisions à prendre. En revanche, la tactique étant de nature instantanée (...), elle est foncièrement de type «kairique», kairos étant le moment opportun (Mohamed-Chaouki Zine, p 139), «Lors des crises et face aux crises, les acteurs et actrices sociaux agissent et réagissent par le discours» (Hayat Imene Boudjemaa, p 181), «La citoyenneté est souvent confondue à tort avec les termes de nationalité (...). La citoyenneté renvoie au contraire à la possibilité d'agir (agentivité) activement et librement dans une communauté politique organisée (Mohamed Mebtoul, p 186), «La crise au quotidien efface toute citoyenneté quand la frontière est poreuse entre ce qui est de l'ordre du formel et de l'informel» (Mohamed Mebtoul, p 194)



Le projet Algérie.* Brève histoire politique d'un pays en chantier. Essai (politique) de Ahmed Cheniki. Editions Frantz Fanon, Alger 2018, 800 dinars, 290 pages



Un titre qui n' «accroche» pas tellement et un sous-titre qui l'est encore moins... Pourquoi ? Tout d'abord, ce n'est pas le «projet» Algérie qui est présenté et disséqué. En fait, c'est l'Algérie d'aujourd'hui. (... )

De quoi il retourne ? Tout en sachant que l'auteur part du principe que «toute analyse d'une pratique culturelle et politique est travaillée par l'Histoire et les différentes ruptures caractérisant le discours colonial»...et, de ce fait, ce n'est pas sans raison que les dirigeants algériens d'après 1962 (avec ceux d'aujourd'hui, en tant que «dignes» héritiers) ne réussissent pas, malgré leurs efforts, à rompre radicalement avec les formes de structuration coloniale, empruntant le mode de fonctionnement jacobin... et l'Etat est, donc, saisi dans sa fonction répressive, autoritaire, dirigé par des équipes s'autoproclamant uniques sauveurs du pays et n'admettant aucune parole différente...

Donc, d'abord, «les pratiques politiques» et Dieu sait s'il y a, en notre bas monde, de bien «tordues» (l'ouvrage a été édité, hélas, juste avant le désormais fameux «cadenassage» de la porte d'entrée de l'APN et l' «éviction» de son président) Tout y passe : l'Etat (...), les mythes, la fabulation, les zaouïate, les réseaux, le président, le FLN, l'armée, le pouvoir les partis, le civil, le syndicat (et ses combats douteux)... Ajoutez-y les usages sociaux : les mots volubiles du discours politique algérien, les «émeutes», «les journées obscures» d'octobre 88, la corruption (et «ses ruelles ordinaires»), l'Histoire, les mémoires (souvent prétextes à des règlements de compte politiques et au déterrement d'inimitiés anciennes ) et les traficotages...

Ensuite, la presse passée à la moulinette de l'observation critique de quelqu'un qui l'a pratiqué (et continue de la pratiquer à travers des contributions) de l'intérieur (...)

Enfin, l'universitaire qu'il est ne manque pas de se pencher sur l'Institution scolaire et universitaire... Pour lui, le diagnostic est sans appel : Une Ecole en déshérence et une université baignant dans une grande illusion !

Conclusion : «Dans le contexte actuel de corruption et de mauvaise gestion, l'entreprise est délicate, difficile, les périls futurs sont grands, les tensions et les crises continueront à secouer la société algérienne encore prisonnière du schéma colonial d'organisation et d'une privatisation de l'Etat».

L'Auteur : Né à Collo (W. de Skikda), ancien journaliste s'occupant des questions culturelles («Algérie Actualités», entre autres), chercheur, actuellement, et depuis longtemps, professeur à l'Université de Annaba et professeur invité dans plusieurs universités étrangères, arabes et européennes. Auteur de plusieurs ouvrages pour la plupart sur le théâtre dont il est un des plus grands spécialistes algériens.

Extraits : «Dans le cas des pays colonisés comme l'Algérie, le droit ne constitue nullement un élément primordial, privilégiant les relations personnelles et les logiques de domination ponctuées par la puissance des gouvernants obtenue en dehors des urnes. Le droit n'est valable que pour arbitrer les petits conflits des gens du «peuple» entre eux ou pour abattre un adversaire politique» (p 13), «Moins de 10% d'Algériens avaient fréquenté le système scolaire avant l'indépendance de l'Algérie. L'idée selon laquelle la France avait fondamentalement déculturé les Algériens est un non-sens, ne résistant pas à une fine analyse des réalités» (p 234)

Avis - Un «essai» réussi. Assez (Trop ?) sévère, il est vrai. Il est vrai que «trop, c'est trop» ! Politiciens en herbe (ceux en activité étant, pour la plupart, irrécupérables) ou à l'écart, enseignants, étudiants... un régal. Attention à votre tension ! Des vérités dures à avaler tant les réalités sont amères. À lire et à faire lire absolument...

Citations : «Jusqu'à présent, tout pouvoir est perçu comme un espace de contrainte et de répression» (p 20), «L'Algérie a toujours fonctionné avec deux structures : l'une formelle, celle des structures de l'Etat et l'autre, informelle, celle de la société concrète, c'est-à-dire une construction de résidus de tribus, de clans et d'intérêts» (p 53), «Le cousin est le lieu central de la république» (p 4), «Si dans les années soixante-dix et quatre- vingt, malgré toutes les contraintes, il existait à l'université des voix intellectuelles écoutées, aujourd'hui, nous avons affaire à des reproducteurs du savoir» (p 274), «L'image de nous-mêmes est façonnée ailleurs et reproduite par nous-mêmes. L'Autre reste fascinant» (p 279)



*(Fiche de lecture déjà publiée, fin octobre 2018. Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/vie politique/bibliotheque dalmanach)