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La
première école pour un enfant, où l'initiation aux valeurs de la vie prend ses
racines, n'est autre que la maison familiale. (Jean Pierre Szymaniak).
Des rassemblements d'élèves devant les établissements scolaires et les directions de l'éducation ont été observées, ces jours passés, dans quelques points du territoire national. L'allègement des programmes, la réduction du volume horaire, l'instauration du seuil des cours qui seront concernées par les examens de fin d'année (bac) et l'annulation de la décision d'interdire les cours particuliers seraientà l'origine de la grogne des élèves des lycées:»Ils disent subir une grande pression et un rythme de travail insupportable en raison de la surcharge des programmes avec comme corollaire un volume horaire contraignant.» La tutelle, par un communiqué porté à la connaissance de l'opinion, s'est engagée à apporter les réponses adéquates. Mais, si toute cette grogne n'avait pour point de départ outre la surcharge des programmes, la monotonie que ressentent bon nombre d'élèves excédés par la routine de leur quotidien. A la question, justement, de savoir si l'on s'ennuyait à l'école, tout le monde s'est senti concerné, avait quelque chose à dire et, surtout, tous avaient trouvé la question légitime, ce qui était, déjà, un élément de réponse ! Mais qui, parmi nous, n'a pas été frappé en pénétrant dans un quelconque collège de notre vaste Algérie, de la mine maussade, éteinte, ennuyée d'un grand nombre de nos jeunes apprenants ? Qui ne les a pas aperçus dans la classe subir les leçons comme une corvée monotone, sans que leur visage ne s'animât, sans que le moindre tressaillement nevint annoncer que le cœur prenne part à l'effort d'intelligence ? Qui ne sait pas que leur cursus éducatif terminé, un grand nombre d'entre eux se hâtent d'oublier une époque de leur vie qui, par leur faute ou par celle de leurs enseignants, ne leur apparaît que comme un temps de labeur ingrat et ennuyeux? L'ennui aurait-il envahi les institutions éducatives du primaire, en passant par le collège et jusqu'au lycée? Il n'est, nullement, comme certains pourraient le croire, un phénomène nouveau ; il a toujours fait partie de notre quotidien à l'époque où nous-mêmes fréquentions les bancs de l'école; mais, ce qui a changé aujourd'hui, c'est que l'on assiste à un ennui qui s'étale dans le temps, ostensiblement, avec une arrogance insupportable qui pose problème tant aux parents qu'aux enseignants. Pire, l'ennui va jusqu'à menacer l'équilibre de l'école, n'aurait été l'intervention des parents de ces élèves d'une wilaya, qu'on ne nommera pas, qui avaient décidé de faire grève au motif que le calendrier des vacances d'hiver aurait été écourté ; les parents excédés par tant d'outrance les ont ramenés « manu militari» dans leur collège, mettant fin ainsi à cette rébellion dont on devine la cause ! Mais pourquoi donc nos potaches s'ennuieraient à l'école ? 1. Certains, dit-on, parce que ce qu'on leur demandait de faire était trop simple pour eux ; ils avaient terminé les exercices en cinq secondes avec l'impression que tout était évident ; ils se sont ennuyés, ensuite, à chaque fois que l'enseignant réexpliquait quelque chose à un autre élève qui l'avait mal compris ; on s'ennuie quand ça ne va pas assez vite et, aussi, quand c'est trop facile ! 2. D'autres, au contraire, s'ennuient quand c'est trop difficile. Ils deviennent imperméables à toute compréhension. Ils ne posent pas de questions. Et dans ce cas là, les heures filent lentement. Péniblement. 3. Il y a, aussi, ceux qui s'ennuient à cause du prof : barbant et soporifique disent-ils. Il faut admettre cette réalité ! Ce n'est pas parce qu'on maîtrise son domaine qu'on est capable d'intéresser les élèves ! . Autre cas de figure enfin, quand on est enfant ou ado, on a vite fait de laisser tomber une matière parce que la tête du prof ne nous revient pas ! l'affect, c'est vrai, à un rôle prépondérant dans l'apprentissage, disent les pédagogues. Il y a aussi cette autre question que les parents posent tout le temps et qui énerve les enfants parce qu'ils n'ont rien à dire, c'est« comment s'est passée ta journée ? Normale, la routine, l'ennui ! Arrêtez de me poser cette question, on était en cours, on a parlé, on a ri, on a travaillé un peu, il n'y a rien à rajouter et puis je suis fatigué ! » répond leur rejeton ! Les pédagogues le disent : au primaire, l'ennui se confond souvent avec la fatigue ; à l'adolescence, c'est une manière de refuser le monde des adultes. L'ennui en soi n'est pas très grave prétendent les mêmes experts : qui a trouvé de l'intérêt à apprendre des tables de multiplication ? A en croire le récit d'une pédagogue qui a fait partie de ceux, nombreux, qui s'ennuyaient en classe et qui s'énervaient de ces heures grises à attendre que ça se passe, sans plus oser prendre la parole : « trop peur de passer pour un intello, dit-elle, de passer pour une imbécile dans son lycée de bons élèves ; en classe, pour elle, les minutes se mettaient à ralentir, à se prendre les pieds dans le temps!» Mais l'ennui ne vient pas uniquement de l'enseignement de l'enseignant dont le talent d'animateur laisse à désirer ; il vient aussi des élèves:«il serait heureux qu'ils s'intéressent à quelque chose, disent les profs ! Il faudrait aussi vérifier qu'ils ne s'ennuient pas de la même manière ailleurs ! Dans la rue, avant d'entrer en classe, devant la télé, avec leurs frères et sœurs!». Si ça ne va pas dans nos écoles, c'est peut-être aussi et, surtout, la façon d'enseigner qui est, sans doute, trop théorique ; elle n'entraîne que passivité, bâillements voire du chahut. Pour mieux comprendre ce pertinent constat concernant l'école algérienne, il y a lieu de prendre des exemples significatifs. Prenons celui du recrutement des enseignants. Depuis quatre décennies, les ENS forment annuellement environ 10% des besoins du secteur quantité nettement insuffisante - l'écrasante majorité provenant du recrutement quasi annuel de milliers d'enseignants.* Dans la réalité et pour des raisons restées jusque là obscures, ni les enseignants recrutés ne reçoivent de formation initiale appropriée, ni les ENS ne forment selon les vrais besoins du métier, notamment dans les Sciences citées ci-dessus. Plus grave, les ENS ne dispensent pas suffisamment de modules de pédagogie pratique. Elles mettent l'accent quasi exclusivement sur la formation académique. Or, former de bons mathématiciens ne signifie pas former de bons enseignants en mathématiques - pour ne citer que cette spécialité. Quant aux milliers d'enseignants recrutés sur concours chaque année, ils feront face aux difficiles exigences du métier avec pour seul viatique, un remake des chantiers d'été initiées au lendemain de l'indépendance pour former à la va-vite les moniteurs et instructeurs dont le pays a urgemment besoin. Les quinze jours de«formation accélérée» dont ils bénéficieront sont une atteinte à la noblesse de ce métier d'enseignant. Et pourtant l'Algérie peut s'enorgueillir de posséder une cinquantaine d'Instituts de formation d'enseignants dont la mission originelle était... la formation initiale !* Et si les profs sont chahutés, ce serait la faute aux programmes scolaires jugés trop longs, trop lourds. Et pour boucler la boucle, il y a aussi toutes ces coquilles qui, bon an mal an, ont infesté le manuel scolaire, ce qui a ajouté à la pagaille régnante ! A coup sûr, les enseignants ou du moins une partie d'entre eux, sont conscients du spleen qui ondule comme un brouillard sur la tête de leurs élèves. Et aussi sur leur esprit. Ils n'échappent guère aux critiques et parfois, ils sont eux-mêmes victimes de violences. Le collège qui devait être un«sanctuaire», est-il devenu un univers morne et sans normes ? Les médias glosent sur les flambées de violence dans les rues, mais les collégiens, eux, parlent plutôt de la violence au quotidien, comme d'un eczéma : une plaie dont on s'accommode sans vraiment l'accepter. Une violence faite d'ennui, d'insultes, de bousculades, de bagarres et aussi de drogue qui a réussi à franchir le portail du sanctuaire. Conscients, élèves et enseignants ne cessent de réclamer de l'autorité pendant les cours et des repères à chaque coin de cour. A les écouter, l'école ne serait plus sûre. Un exemple ? La cigarette dont l'usage est, pourtant, interdit dans l'enceinte de tout établissement scolaire. Tout se passe en fait-et ce sont les collégiens qui l'affirment- comme si le dernier lieu toléré pour fumer était les toilettes du collège ; ou même la cour pour les plus téméraires. Et ce, avec la lâche approbation des « adultes-surveillants » qui ferment les yeux ou se bouchent les narines ! De ce fait, le regard que portent les élèves sur leurs profs est sans concession. Il est aussi sévère que celui que leur portent leurs enseignants. Et les plus chahuteurs vont leur reprocher leur manque d'autorité, allant jusqu'à les défier ! On parle mal en classe, on a des notes catastrophiques, on hurle dans les couloirs ; c'est la répétition sans fin des insultes, des ricanements, le train-train du n'importe quoi ! Il y a de quoi mourir de lassitude. A ce propos, il est assez révélateur de relever qu'il n'y a plus de fou rire en classe; la pression qui permettait cette salvatrice explosion n'existe plus, a noté un psychologue. L'ennui, toutefois, n'est pas totalement négatif: «je ne me suis jamais ennuyé parce que je dessinais pendant les cours avouait un élève» ; il avait simplement profité des longues plages de vide qui découlaient de son manque d'intérêt temporaire, pour se livrer à une activité créative. En un sens, l'ennui lui a été utile ; et du dessin, il en a fait, plus tard, son métier Force est d'admettre, aujourd'hui, que lecollège est devenu une salle d'attente bruyante avent d'entrer au lycée, ou pour les décrocheurs, une filière de la formation professionnelle. Alors, les élèvent trompent l'ennui comme ils peuvent : les plus polis en zappant les cours, les plus réfractaires en zappant les profs! Le problème est que les élèves n'ont presque pas d'armes à leur disposition pour lutter contre l'ennui: Pas d'activités, pas de sport encore moins de musique, dessin, théâtre ou sorties champêtres! Et l'ennui, les collégiens ne peuvent que le perpétuer à l'infini, l'approfondir, le creuser, ce qui est assez vertigineux. On dit pourtant que l'ennui fait partie de l'expérience de la vie. Certes, affirme un psychologue, mais lorsqu'il crée un dégoût de l'école, il pose problème ! Il faut des moments d'attention flottante, des passages à vide qui peuvent, parfois, permettre des associations d'idées et suggérer de la créativité, précise le même psy ; mais, attention: cela n'est vrai que pour les élèves qui ont un bagage culturel et sont capables, par exemple, de reconstituer la trame du cours à partir de quelques éléments enregistrés par leur cerveau. Les autres vont, inévitablement, décrocher et leur ennui va se transformer en agitation et en échec. Faut-il alors s'ennuyer pour apprendre ? Paradoxalement, l'ennui peut être propice au développement de l'imaginaire des enfants. Il serait source de créativité répètent à l'envi psychologues et psychothérapeutes qui nous vantent les bienfaits de l'ennui à l'école :«au moins, disent-ils, peut-on suggérer aux parents et aux maitres de ne pas craindre l'ennui ; de cesser d'en faire l'emblème de l'échec, celui de leur éducation pour les premiers, de leur enseignement pour les seconds ; d'abandonner la tâche écrasante et chimérique de faire advenir un monde sans ennui !». Les responsables du secteur de l'éducation doivent réfléchir rapidement sur les réponses à apporter à l'allègement des programmes, la réduction du volume horaire, l'instauration du seuil des cours qui seront concernées par les examens de fin d'année (bac) et l'ennui et à tous ces problèmes de violence larvée et d'incivilité qui en découlent. On le sait, sur les bancs de nos écoles, on apprend beaucoup plus qu'on ne comprend ! Sans doute faudrait-il, pour cela, donner aux enseignants les moyens - matériels et de formation- pour inventer, susciter et développer d'autres méthodes d'enseignement et de suivi des élèves... sans oublier la pratique du sport et les loisirs ! L'ennui est un test, une sanction. Pas seulement de la qualité de l'enseignant, mais de l'ambition de l'enseignement. Un enseignement ambitieux est un enseignement qui se renouvelle constamment, qui s'interroge, qui fonctionne par la méthode des essais et des erreurs. C'est-à-dire, qui est attentif à l'attention des élèves, lesquels ne sont pas des oies qu'on gave, mais partie de cet enseignement même. Ce genre de polémique nous fait perdre du temps, nous ralentit, baisse le niveau de l'exercice. Au demeurant, à l'ennui de l'élève répond celui du maître, et réciproquement. Une école où les enfants s'ennuient est une école où les enseignants s'ennuient. Autrement dit, une école médiocre et somnolente *Ahmed Tessa (Pédagogue et auteur) |
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