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On
attribue à Moscou le projet que la campagne d'Ukraine devait être courte et conclure
aussitôt que V. Poutine avait platement échoué. Kiev est toujours debout et V. Zelensky quotidiennement rivé à son micro et inlassablement
planté devant sa caméra.
Le problème est que cet argument peut aussi se retourner contre ses auteurs. La guerre russe en Ukraine, précisément parce qu'elle aurait échoué, devait rapidement entraîner des problèmes économiques, sociaux et politiques, la révolte des oligarques, le mécontentement de la «rue»... et donc provoquer la chute du régime poutinien. Or, ce ne fut pas le cas. Poutine semble avoir bien manœuvré, bien préparé son coup, bien réagi aux déconvenues des opérations militaires sur le terrain (pour partie en sous-estimant l'engagement occidental résolu aux côtés de Kiev)... et a finalement a été réélu en mars 2024 dans un fauteuil. Ses ennemis ont beau se rabattre sur des hypothèses invraisemblables, en suggérant par exemple que les sanctions et la durée de la guerre sont un «poison lent» qui finira par produire ses effets, le fait est que les forces ukrainiennes battent en retraite, les stocks occidentaux se vident, «l'arrière» se dérobe, l'opinion publique en Ukraine comme chez ses «alliés» ne soutient plus, les désertions se multiplient, les forces russes irrésistiblement avancent, l'opération de Koursk a lamentablement échoué... et c'est le front ukrainien qui menace de lâcher. A Kiev, V. Zelenski toujours aussi volubile, commence à douter. Mardi 05 novembre 2024. D. Trump est élu président des Etats-Unis. Tout le monde en Europe et en Ukraine prévoyait, souhaitait, priait... pour que K. Harris remplace J. Biden. Hélas ! La cause ukrainienne a assisté à la réalisation de son pire cauchemar. Revoilà le cow-boy que toute l'Europe désunie redoutait de revoir. Fantasque, imprévisible, outrancier, vulgaire, malhonnête... un D. Trump au plus haut de sa puissance arrive à la tête d'une légion de milliardaires, de la Grande Amérique à laquelle le «Vieux continent» a confié son destin. La question qui brûlait la langue des médias et des politiques étrangers a été de savoir quelle sera la position du nouveau président américain à l'égard du conflit ukrainien. Va-t-il ou non reconduire la politique de son prédécesseur ? Cette option n'est pas à écarter dans la mesure où la politique étrangère des Etats-Unis ne dépend pas, sinon aux marges, de la couleur politique du président. On a même vu des Démocrates pratiquer une politique réputée conservatrice et républicaine et inversement. Depuis longtemps, plus personne ne se demande sérieusement au juste en quoi consiste une politique républicaine ou démocrate. Même la «personnalité» des politiques, régulièrement mise en avant par les médias, ne saurait servir de repère pour anticiper les décisions américaines. Le plus rapide serait de consulter le complexe militaro-industriel, les transnationales du pétrole ou Wall Street. Va-t-il, comme le craignent les Européens qui sont les plus médiatiquement bruyants et les Ukrainiens, prendre langue avec son homologue russe et convenir de la fin du conflit par-dessus l'avis de ses «alliés» ? Plusieurs hypothèses sont alors à considérer : 1- Négociations ? La question de savoir s'il va ou non avoir des négociations de paix est en réalité sans objet. Le 22 octobre dernier Volodymyr Zelensky déclarait sa conviction que la réponse dépendait du résultat des élections présidentielles américaines, sous-entendant qu'il n'y aurait pas négociations si c'était K. Harris qui les remportait. «A mon avis, cela dépend au premier ordre des élections aux Etats-Unis» disait-il (Le Monde, mardi 22 octobre 2024) V. Zelenski avait tort. La question était sans objet parce qu'aux Etats-Unis, qu'il ait pu s'agir de D. Trump ou de K. Harris, étant donné l'état du front, des réserves occidentales, du nombre disponible de combattants ukrainiens... il était entendu que négociations il devait y avoir. La vraie et unique question importante était : quel pouvait en être l'objet et dans quelle mesure Kiev (et, accessoirement, ses soutiens européens) aurait droit au chapitre ? Pour Zelenski il n'y a aucun problème : c'est son plan rendu public en novembre 2022 qui devait servir de base et d'objectif. Ce qui n'est pas le cas de la Russie et des Etats-Unis. La Russie, de son côté, semble tenir à deux principes indiscutables : conserver tous les territoires annexés, y compris la Crimée, et neutraliser géopolitiquement et militairement l'Ukraine. Resterait, pour Moscou, à convenir du cadre de sécurité qui sera réservé à une Ukraine qui ne serait membre ni de l'OTAN, ni de l'Union Européenne (à supposer, malgré quelques gestes symboliques, que l'UE en difficulté financière et budgétaire, soit tentée de l'intégrer). Cette solution fera deux cocus : l'Ukraine et, dans une certaine mesure, l'Europe, systématiquement chargée de la vaisselle lorsque l'Amérique s'occupe de la cuisine. 2- Stratégie américaine. L'autre question sera de calculer le coût-bénéfice de l'opération pour Washington. Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis, à l'Organisation des Nations Unies et en Israël, est convaincu que la Russie ne compte pas pour les Américains (LCI, V. 08 novembre 2024). Il s'agit d'une puissance régionale qui doit faire l'objet d'une approche régionale. Leur principal rival stratégique est la Chine Il se trompe car il ne semble pas s'être aperçu que la stratégie globale des Etats-Unis voulait dès le départ, au moins après la fin de la première décennie 2000, casser un axe eurasiatique en formation qui menace dangereusement son hégémonie mondiale. Cet axe va de Berlin à Pékin via Moscou. Pour les relations entre Berlin (l'UE) et Moscou, la mission est accomplie. Mais le pacte Moscou Pékin, lui, s'est renforcé. La Chine a très tôt compris que son lien avec la Russie est un garant structurel de sa sécurité. La question revient dans ces conditions à se demander dans quelle mesure la crise ukrainienne, ainsi considérée, a atteint tout ou partie de ses objectifs. A l'évidence, elle ne peut l'atteindre et laisser la porte à un rétablissement des relations germano-russes. Toute l'affaire ukrainienne avait été entreprise précisément pour l'annihiler, sauf en cas de changement de régime à Moscou dont le collapsus était le véritable but très loin d'être atteint après trois ans d'efforts infructueux. Sauf à s'engager encore plus directement dans le conflit que J. Biden a été contraint de le faire. Téléréalité. Zelenski, l'acteur et le comédien Un acteur est par définition un opérateur actif doté d'une autonomie de décision qui s'adapte et transforme son environnement selon des objectifs qu'il se donne et mobilise les moyens nécessaires à cette fin. V. Zelenski est un excellent comédien apte à donner le change et à simuler de manière parfaite et fictive un personnage. Un peu comme Chaplin dans «le Dictateur». Un peu comme à la télé lorsqu'il jouait avec conviction avant de devenir président. Mais Zelenski n'est pas un acteur maître de son destin, apte à agir sur son monde et son environnement. Les moyens ne lui appartiennent pas. Ses objectifs lui ont été fixés par ceux qui lui ont fourni les moyens propres à les atteindre. Il le reconnaît d'ailleurs bien volontiers. Sans l'Amérique, l'Ukraine n'existe pas. Le 16 novembre dernier, Zelenski déclamait haut et fort, dans son rôle de président sur Visegrad24 (radio ukrainienne) : «Les Etats-Unis ne peuvent pas nous forcer à nous asseoir à une table de négociation. Nous sommes un pays indépendant.» Le lendemain, Elon Musk hilare lui répond sur X : «Son sens de l'humour est incroyable.» La réaction de Trump Jr. fut pire. Larbinisme européen D. Trump poussa l'outrance jusqu'à menacer d'annexer le Canada et même de reprendre le Canal de Panama ou de débaptiser le Golfe du Mexique. Cela déclencha un scandale à Ottawa où Justin Trudeau a présenté sa démission et au Danemark dont Trump menace de le priver du Groenland alors que son pays y est déjà militairement installé. Ces réactions sont factices. Mettre la main sur ces territoires présente un intérêt mineur pour une raison très simple. Ces pays sont déjà sous stricte domination et total contrôle américain. Ce fut le cas de l'entrée bruyamment festoyée de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN, prétendument pour se placer sous protectorat américain, face à une Russie belliqueuse. Ces pays étaient en réalité déjà intégrés avec armes et bagages depuis de très nombreuses années. Pour s'y être opposé, Olof Palme l'a payé de sa vie en février 1986. Ce qui enrage les Européens ce n'est pas que Trump profère des contrevérités ou dévoile la subordination structurelle des alliés à l'égard de l'Amérique. C'est de notoriété publique. Il n'est pas nécessaire de remonter à la guerre française au Viêt-Nam (1946-1954) sous les ordres de Washington et avec son soutien logistique (surtout à partir de 1950), qui s'est terminée de manière humiliante à Dien-Bien-Phu et entraîné en Algérie, la même année, le début de la fin de la présence coloniale dans ce pays. Rien d'important n'a été entrepris par l'Europe depuis 1945 qui n'ait pas été strictement orchestré à partir de Washington contre les ennemis de l'Amérique et de son hégémonie mondiale.1 Non. Ce qui irrite les dirigeants de ces pays dominés, c'est de le proclamer sur tous les toits. Mais contrairement à ce que supputent les médias qui dressent une galerie anachronique des monstres pour expliquer l'histoire aux nigauds, ces annonces ne relèvent pas d'un travers caractériel. Trump n'est ni un pitre ni un psychopathe. Sans doute assure-t-il le spectacle pour conforter une image de puissance auprès de son opinion publique (la seule qui compte) puissamment travaillée par Hollywood et les médias qui gravitent autour du pouvoir à Washington, New York et Los Angeles. Si D. Trump, comme il le fait régulièrement et de manière plus impérative ce lundi 06 janvier, somme les Européens d'augmenter leurs budgets militaires et de les porter à 5% de leurs PIB, ce n'est pas parce qu'il se préoccupe de leur défense. Cette augmentation réclamée ne permettra pas aux Européens d'être ni mieux ni moins bien défendus. Et, en tout état de cause, c'est l'Amérique qui en décide. Ce qui importe est que des commandes affluent sur l'autre rive de l'Atlantique et que le complexe militaro-industriel américain y trouve son compte. Pour le reste, Washington décide quand, comment, pourquoi... et dans les circonstances qui lui conviennent de la défense de l'Union Européenne, sans avoir à s'en expliquer. Des armements atomiques sont stationnés dans des pays européens à l'exclusive libre disposition des Etats-Unis d'Amérique qui pourrait déclencher un conflit majeur sans avoir à rendre des comptes à quiconque. La plupart des présidents américains, comme J. Carter ou B. Obama, sauvent les apparences et ne cherchent pas à humilier leurs «alliés», des pleutres qui ignorent la station droite. Ce n'est pas le cas des Nixon, Reagan ou Trump qui font peu de cas des supplétifs et le déclament haut et fort, quelques fois dans un langage ordurier. Il est vraisemblable que D. Trump soit celui qui aura le moins d'égard pour les lavettes et ne prendra aucun gant pour les traiter pour ce qu'ils sont. Bien avant le 20 janvier, la plupart des chefs d'Etat européens se traînent à Mar-a-Lago (Résidence des Trump en Floride) pour y mendier une photo ou un mot charitable du maître de céans. Le problème est ailleurs L'Amérique continue de cumuler un endettement et des déficits «jumeaux» (budgétaire et commercial) abyssaux. Et personne à Washington ne s'en inquiète, comme Paris en crise sous injonction péremptoire des marchés et de Bruxelles. Au Mexique, à Panama et ailleurs en Europe, la Chine, discrètement, taille des croupières à la domination industrielle et commerciale américaine. Le déficit des États-Unis avec la Chine a fondu en 2023 avec la chute de 20% à 427,2 Md$ des importations en provenance de ce pays. En réalité, c'est l'évolution du commerce avec le Canada et le Mexique, qui font partie d'un accord de libre-échange avec les Etats (ACEUM), qui l'explique. D. Trump avait renégocié cet accord en assurant que, grâce à cela, les produits vendus aux Etats-Unis seraient plus largement fabriqués sur le continent nord-américain. Depuis, le déficit n'en finit pas de se creuser avec le Mexique : il a atteint 150 Md$ en 2023 contre 95 Md$ sous le mandat du milliardaire républicain. Les importations (475 milliards en 2023) ont augmenté de 40%. Le Mexique a remplacé la Chine comme principal partenaire commercial des États-Unis, mais c'est toujours la Chine, passant par la porte dérobée d'Amérique Centrale où elle augmenté ses IDE et ses exportations, qui continue de vendre ses produits aux Etats-Unis.2 Les excédents européens cachent des disparités préoccupantes. Ceux de l'Allemagne ou de l'Italie sont fragiles et menacés par les conséquences, (notamment dans le domaine de l'énergie), du conflit ukrainien. 400 milliards d'euros Il s'agit du déficit commercial de l'Union européenne (UE) avec la Chine en 2022, «le plus élevé de l'Histoire». C'est aussi celui qui se creuse le plus rapidement. Il a plus que doublé en 3 ans (180 Md en 2019). Y compris avec l'économie la plus performante de l'Union : le déficit est de 58,4 Md d'euros, commercial de l'Allemagne vis-à-vis de la Chine. (Le Monde, 04 décembre 2023) Les Etats-Unis, en poussant l'UE à rompre avec son voisin russe, l'ont obligée à acheter leur gaz plus cher et plus polluant et à augmenter leurs achats en armement outre-Atlantique. Aux déficits économiques, s'ajoutent les déficits politiques. Les alternances se succèdent à la tête des Etats européens. Rien que de très démocratiques changements, argumentent les médias. Le problème ne vient pas des permutations de partis, qui pratiquent d'ailleurs souvent la même politique. Il vient de ce que ces alternances sont imposées par des crises à la tête des exécutifs et se produisent en dehors des échéances «normales». En Allemagne, en France, au Royaume-Uni, en Autriche... la gouvernance est en crise et tente de limiter les dégâts. La France est sans doute le laboratoire le plus intéressant pour l'entomologiste. Quelles solutions à la crise ukrainienne ? A Washington et à Bruxelles, à Londres, à Paris ou à Berlin, tous les petits architectes rêvaient d'une réédition de 1990, un affaissement de l'Union Soviétique avec un Gorbatchev pour tenir la chandelle. Cela ne semble pas prêt de se produire. L'alternative renvoie les protagonistes aux conditions initiales. Wall Street et les agences de rating ne connaissent que les résultats à court terme. La bourse flambe et les intérêts en jeu n'ont que faire de stratégies incertaines à long terme. Il faudra donc rétropédaler en bon ordre pour éviter (l'inévitable) correction sur des marchés qui ont beaucoup, rapidement et «déraisonnablement» enflé. Il ne faut pas en effet oublier les «effets de richesse» qui font une part majeure des revenus des ménages et entreprises américaines dopés par les marchés financiers numérisés. Hors du bavardage ordinaire des stratèges en chambre qui polluent les plateaux de télévision, à l'horizon de toutes les hypothèses, il y en a une qui pèse du poids de l'indicible. V. Poutine a toujours su qu'à ce jeu périlleux, les Occidentaux, aussi puissants soient-ils, avaient le plus à perdre. De part et d'autre de l'abomination, tout le monde le savait. N'est-ce pas en cela qu'a consisté la «réponse du faible au fort», une «marge» stratégique, initiée naguère par le général de Gaulle ? Le président russe, instruit par l'histoire de son pays, a compris l'inutilité d'une compétition dans une ruineuse «guerre des étoiles». Notes : 1. A bien y réfléchir, on peut même dater ce déclin à partir de la fin de la Première Guerre, la longue présence du président Wilson en Europe et la chute de la livre sterling en 1931. 2. Les investissements étrangers dans les pays en développement ont chuté de 9% en 2023, mais au Mexique, ils ont bondi de 21%, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. (https://www. lapresse.ca/,(J. 08 févr. 2024) |
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