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Croyances, force et pertinence

par Derguini Arezki

La croyance dans une croissance permanente relève des croyances de la civilisation thermo-industrielle. Il est très difficile de se défaire des habitudes qui lui sont associées. On peut soutenir que seuls des chocs extérieurs répétés affectant sérieusement leur reproduction peuvent les faire perdre. L'humanité ne peut envisager d'entrer volontairement en décroissance. Elle ne veut pas voir qu'elle y est déjà au moment même où le désir de croissance est général. Dans une compétition globalisée, elle s'engage dans une concentration des ressources mondiales. Elle a pris goût à la multiplication de ses esclaves mécaniques. Dans les esprits, nous sommes encore loin d'envisager une nécessaire substitution du capital par le travail. Plutôt que de célébrer la supériorité des machines, il faut mettre en avant leur avantage principal, c'est-à-dire l'amélioration et l'élargissement des capacités humaines, plaide, dans une tribune l'économiste Daron Acemoglu[1]. Les ressorts guerriers de la civilisation occidentale se tendent, malgré le pouvoir non productif, destructeur de ses guerres. Le concept de société globale n'a pas encore émergé alors qu'un temps du monde [2]a gagné toute la planète. La compétition mondiale a débordé le cadre du système interétatique, elle n'est plus simplement internationale, elle a gagné les sociétés.

De la nature bienfaisante à la nature malfaisante.

Le mythe d'une humanité maîtresse de son destin, plus précisément d'une humanité occidentale maîtresse du monde, s'effrite. Elle commence à s'interroger sur les mérites qu'elle s'est attribués. La civilisation thermo-industrielle a multiplié les esclaves mécaniques, libérant une partie de l'humanité de l'esclavage de la nécessité. Mais le rapport du maître et de l'esclave est comme en train de s'inverser et la bénédiction de la richesse naturelle de se retourner en malédiction. Le travail de la nature reprend ses droits sur le travail humain et replonge dans l'esclavage une partie de l'humanité. Après avoir permis une multiplication considérable de l'humanité, voilà la nature qui retient ses dons et avance ses dommages. Elle interpelle l'humanité et la défie : « tu as trop longtemps compté sur mes dons sans me les reconnaitre, c'est maintenant que tu dois prouver que tu peux compter sur toi-même ! ». D'avoir voulu pouvoir substituer complètement du travail mort au travail vivant, le capitalisme a détruit le substrat naturel du travail humain et le rapport du travail humain au travail de la nature n'étant plus complémentaire, leur cours est en train de s'inverser. Et par les guerres, s'accélère la transformation. C'est désormais au travail humain de s'adapter au travail de la nature qui de bienfaisant se fait malfaisant.

La partie la plus compétitive de l'humanité continuera de se battre pour la croissance, cela sera à qui perdra le moins, accélérant par-là la concentration des richesses et l'avènement de chocs mondiaux entre humains d'une part et entre humains et non-humains d'autre part. Mais elle devra faire face aux tsunamis qu'elle a occasionnés. Tsunamis sociaux et naturels. C'est à de tels chocs, que l'humanité a provoqués et ne veut pas éviter, que les populations doivent se préparer. Les populations les plus démunies qui resteront attachées à la course pour la croissance ne feront qu'accroitre leur dénuement. Elles iront se briser sur les remparts des riches sociétés. Le cri des populations qui n'ont rien provoqué, mais subissent les conséquences de ce qui a été provoqué, n'est pas audible auprès des populations responsables. Les premières à avoir été touchées par les crises mondiales peuvent être les premières à en sortir. C'est là que le nouveau paradigme du développement peut prendre souche, si le monde y consent. Car c'est par la bande que le monde change. Alors que dans le même temps, l'écart entre justice internationale et droit du plus fort continuera de se creuser avant que dans un horizon lointain le monde ne trouve un nouvel équilibre pour se stabiliser.

Rapports de production et forces productives

Il y a dans la distinction entre les rapports de production et les forces productives, une affaire qui est de l'ordre du rapport de deux contraires : la force à l'état de repos et la force en action, la force sédimentée et la force vivante, le statique et le dynamique, le travail mort et le travail vivant. Cette opposition peut être prise de manière non dichotomique : la force est dans le rapport et le rapport est dans la force. Tout dépend de leur complémentarité. Quand le statique l'emporte sur le dynamique, on a un état différent du rapport de celui où le dynamique l'emporte sur le statique. Tout processus de structuration met en œuvre ces deux moments. Dans le premier état, on tend comme à la stabilisation de rapports, à la formation d'une structure, dans le second comme à une remise en mouvement des rapports, la déformation d'une ancienne structure et la genèse d'une nouvelle. Bref, les rapports, rapports de forces, se stabilisent, se fixent, changent et évoluent. Quand les deux moments se complètent, se substituent et alternent, le processus de structuration qui évolue reste cohérent. Quand ils se substituent l'un à l'autre sans se compléter, s'excluent, le processus de structuration se polarise, ses moments ne peuvent alterner, il a de plus en plus de difficultés à se reproduire, il stagne puis se défait. Nous sommes dans une phase mondiale où le statique entrave le dynamique après que les rapports capitalistes d'appropriation et de propriété aient gagné l'ensemble des forces productives : les rapports de production, rapports de propriété concentrés, étouffent le processus de développement des forces productives, ils ont appauvri la biosphère et le travail humain. La destruction créatrice de Schumpeter devient destruction sans création, il faut redonner à la nature et à l'humain après leur avoir longtemps pris sans leur rendre, leur place dans la dynamique d'accumulation pour redynamiser le processus de création. Dans la civilisation thermo-industrielle, la force productive principale n'est pas celle que l'on croyait, elle est celle que les économistes ont exclue de leur fonction de production.

Avec la civilisation thermo-industrielle et la production de masse, la logique d'accumulation a substitué de manière constante du capital au travail (du travail mort au travail vivant), de l'énergie non humaine à l'énergie humaine. La division coloniale du monde et l'énergie fossile ont permis à cette logique de prendre son essor, elle accumule dans les métropoles en s'appropriant matières et énergies dans les colonies. La croyance en la croissance se substitue à la croyance dans les miracles. On en vient à confondre la croissance de la production avec celle de la croissance cumulative du savoir. Avec la décolonisation s'amorce un processus d'extension de cette logique aux anciennes colonies. L'occidentalisation du monde s'approfondit et la croyance en la croissance se généralise. Mais voilà qu'avec la globalisation, les centres d'accumulation se déplacent, l'ancienne division coloniale et postcoloniale du travail est mise en échec par les pays émergents. Les anciennes puissances industrielles se sont désindustrialisées pour faire du reste du monde surpeuplé leur atelier de fabrication (Chine) ou leur main-d'œuvre pour les services attachés aux personnes (Afrique et Amérique latine) et se réserver les services aux entreprises. Mais voilà que les pays émergents ne se contentent pas d'être les ateliers des superpuissances. Ils innovent. Pour se réindustrialiser et relocaliser, les anciennes puissances doivent automatiser davantage leur industrie. L'Europe découvre la dépendance de sa consommation à la production mondiale (matières premières, énergies et produits manufacturés), la souveraineté économique et la décarbonation de l'économie deviennent des sujets de préoccupation.

Mais que peut l'Europe face à une Chine et des USA agressifs ? La Chine a besoin de matières premières dont ne dispose pas l'Europe et les USA ne veulent pas d'une Europe complémentaire qui comprendrait la Russie (puissance militaire et riches en matières premières), l'Allemagne et l'Italie (puissances industrielles). Trump, le nouveau président des USA, souhaitera-t-il rendre la Russie à l'Europe pour la séparer de la Chine ? La question n'est pas posée, l'heure n'est pas favorable. Chine et USA ne désirent probablement pas d'une Europe forte et d'un monde tripolaire pacifié qu'ils considèrent invraisemblable. Les USA ne veulent pas renoncer à la suprématie, s'ils estiment qu'en divisant et appauvrissant l'Europe ils seront capables de faire face à la Chine, ils la diviseront. Les Chinois croient en la supériorité de leur civilisation, ils ne conquièrent pas le reste du monde par la force, mais par l'exemple. Ils usent de la force pour se défendre des barbares.

Le slogan rebattu selon lequel Trump est imprévisible cache un aveuglement. Trump peut mentir et bluffer le monde, mais pas le cours des choses. Certaines choses sont possibles, d'autres non. Il tiendra certainement à réussir - on lui reconnait un pragmatisme, il saura donc reconnaitre les sanctions du cours des choses. Il n'utilisera pas le levier militaire s'il le trouve coûteux et probablement enrichissant pour des entreprises qui ne le méritent pas, mais il utilisera les différents leviers de puissance à sa disposition, le dollar, arme à double tranchant, ou les sanctions économiques. Encore que la menace militaire russe ait permis aux USA de forcer la soumission allemande, d'approfondir la division européenne. Les USA ont soutenu le développement des pays émergents, mais pour obtenir le contraire de ce qu'ils souhaitaient : l'émergence d'un rival et une stagnation du pouvoir d'achat plutôt que son accroissement. Aussi croient-ils pouvoir se retourner contre ce qui a été fait. Ils ne feront qu'aggraver le sort du pouvoir d'achat américain, s'ils ne s'approprient pas de nouvelles ressources. La suprématie a un coût. N'ont-ils pas aidé l'Europe à se reconstruire, puis à priver l'Europe du gaz russe ? Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale continuent de peser sur l'Europe. Jusqu'à quand ? Là est la question. Car la Russie fait partie de l'Occident, tout comme d'autres pays d'Europe (Portugal, Espagne, France, Angleterre), elle a eu ses guerres européennes et ses empires (tsariste, socialiste), son heure de gloire et ses défaites. Mais depuis que le centre de gravité du monde a quitté l'Europe pour l'Atlantique et maintenant le Pacifique, les pays européens s'écharpent pour construire un nouvel empire, quel leader l'Allemagne, la France, la Russie ou l'Angleterre ? Pour ne pas être satellisés, ils ont construit un marché commun qui reste largement segmenté sur bien des points cruciaux (marché des capitaux, de la défense).

Compétition généralisée, changement par les marges

Cette logique d'accumulation qui sépare l'énergie sociale et le savoir-faire du travail social vivant, leur substitue travail mort et énergie fossile, était soutenue par la croyance dans la croissance comme un procès sans fin. Mais voilà que la croissance du travail mort multiplie et bute des « populations inutiles » qui déracinées, bousculent les séparations ; voilà qu'elle bute sur des limites naturelles : matières et énergies n'abondent plus ; qui outrepassées, réagissent : populations, matières et énergies sont malfaisantes. Voilà qu'elle ne délivre plus ses fruits habituels : le sentiment de bien-être décroit, la création nette d'emplois est négative et les inégalités croissent. Elle génère au contraire des effets sociaux et naturels négatifs (« externalités négatives »).

La production mondiale ne cessera pourtant pas de s'accroitre si poussée par des besoins humains fondamentaux non satisfaits, elle persiste dans la même distribution. Une partie de l'humanité (8,5 %) vit sous le seuil de la pauvreté et la même proportion du revenu mondial (8.5 %) est partagée par la moitié de l'humanité alors que 10 % des plus riches s'en partagent la moitié (52 %). Tout le monde veut être riche, s'efforce de ne pas être pauvre. Jusqu'à quand tiendra cette course à la richesse, à la croissance ? Une guerre pointe entre riches et pauvres sous l'insoutenable répartition des richesses et des besoins. Les riches atomiseront les pauvres pour les pulvériser s'ils peuvent continuer à les diviser. Mais face à un tel nombre de pauvres, comment cela se faire se peut ?

Le changement s'effectue par les marges. Ibn Khaldoun en a été le premier théoricien. Les pauvres doivent être les premiers et non les derniers à renoncer à la richesse, s'ils ne veulent pas trop en souffrir. La pauvreté se vit, elle ne se mesure pas, dit quelque part le philosophe et économiste Amartya SEN. Il y a pauvreté subie et pauvreté choisie, ajoute l'ingénieur Jean Marc Jancovici.

La distinction entre centre et périphérie ne rend pas compte de leur interpénétration sous-jacente, leurs connexions ne sont pas seulement externes. Il y a une résonance d'ensemble, elle n'est pas dichotomique. Cette distinction semble indiquer deux mondes séparés, ce qui n'est pas le cas. Elle est de l'ordre de la représentation et de la volonté. Ils sont distincts, mais non séparés, car l'un est dans l'autre. Il forme un monde dont la structuration ne cesse d'évoluer. Du monde, ont émergé des centres avec la passion de l'ordonner . À l'exemple de la passion chrétienne qui dans une doctrine de la découverte découpe le monde en terres souveraines et terres soumises.

« Les juristes et théologiens développent en particulier une doctrine, la doctrine de la découverte, affirmée par la bulle pontificale Romanus pontifex de 1455. Cette doctrine consacre le principe selon lequel tout monarque chrétien qui découvre des terres non chrétiennes a le droit de les proclamer siennes, car elles n'appartiennent à personne (concept de terra nullius).

Cette bulle, initialement délivrée à la requête du Portugal, premier pays à s'engager dans la colonisation, autorise ce dernier à : « envahir, explorer, capturer, vaincre, et soumettre tous les Sarrasins [musulmans] et païens quels qu'ils soient, et les autres ennemis du Christ où qu'ils soient, et les royaumes, duchés, principautés, domaines, possessions, et s'approprier tous les biens meubles et immeubles tenus et possédés par eux de quelque manière que ce soit, et de réduire ces personnes à l'esclavage perpétuel, d'appliquer et de s'approprier pour lui et ses successeurs les royaumes, duchés, comtés, principautés, domaines, possessions, biens, et de les convertir pour son usage et profit... [et ainsi de] posséder, ces îles, ces terres, ces ports, et ces mers, de droit ». »[3]

Mais le monde ne cesse pas de déplacer ces centres. Le monde est certainement segmenté, mais ses segments ne sont pas vides les uns des autres, ils ne sont pas seulement juxtaposés, ils sortent l'un de l'autre et se contaminent. Le changement avance d'un point à un autre, il étend comme son territoire. Après avoir avancé du centre européen vers le reste du monde, voilà que le mouvement s'inverse. Le changement s'est étendu dans les siècles passés de l'Europe au reste du monde, l'Europe s'est approprié le travail et les ressources du monde, le voilà qui s'étend maintenant du monde non occidental vers le monde occidental, le monde non occidental se réapproprie le travail et les ressources du monde. Une partie du monde non occidental s'est approprié du travail mondial et de la production mondiale en important le travail occidental et lui substituant le sien, s'incorporant du travail mondial, une autre s'est approprié de la production mondiale sans s'approprier du travail mondial. Pour consommer, elle s'est vidée de ses ressources humaines et naturelles. La première a produit une société de « travailleurs producteurs » (travailleurs qui ont étendu leur production) qui importent (s'approprient, s'incorporent) du travail mondial et exportent les produits, marchandises et capitaux ; la seconde a produit une société de « travailleurs sans travail » (après avoir dissocié travail et production, elle dissocie le travailleur du travail) qui importe sa consommation et exporte ses ressources naturelles et ses travailleurs sans travail.

Le travailleur séparé du travail et de l'emploi ne peut subsister. Séparé de l'énergie et du savoir-faire, il cherche à s'employer. Victime de l'accumulation primitive du travail et exclu du marché du travail, il doit migrer. La main-d'œuvre en excès, inemployée et bon marché dans le sud global, migre vers le marché occidental des services à la personne : l'esclavage et les guerres sur les marges autorisent l'insécurité du travailleur au centre. Insécurité relative. La segmentation du marché mondial protège les populations du centre de la compétition des populations des marges. Une telle segmentation n'est plus le fait de la constitution d'armées industrielles du travail d'un côté et d'économies de subsistance de l'autre, mais le fait de discriminations raciales qui visent à contenir la compétition des populations ne disposant plus de leur économie de subsistance. Avec la globalisation et la destruction des économies domestiques, on ne veut pas voir que le problème se pose en termes de compétition générale ; sont pris en compte les marchés, les États et leurs armées, certaines globalisations, mais pas la globalisation de la compétition, la compétition entre les populations elles-mêmes qui se battent les unes pour protéger leur bien-être et les autres pour assurer leur subsistance. Quand la segmentation du marché mondial fonctionne, qu'une partie de l'humanité peut s'incorporer le travail mondial nécessaire à sa subsistance, que la domination des populations des centres d'accumulations tient les populations des marges dans une certaine distance et dispersion, la compétition des populations des marges n'est pas perceptible, celles du centre ne ressentent pas de compétition, mais dès lors qu'une partie croissante de l'humanité n'arrive pas à s'incorporer le travail mondial nécessaire à sa subsistance, la segmentation n'est plus objectivement soutenue, les discriminations pour faire barrage se font plus dures sans se faire plus efficaces, la compétition est ressentie par les populations du centre et se présente comme une menace. Tout se passe comme si la compétition autour du travail et des ressources se déplaçait de la périphérie vers le centre. Après qu'aient été disputées aux populations de la périphérie leurs ressources et qu'ait été détruite leur économie domestique (ère coloniale et postcoloniale), c'est au tour des ressources des populations du centre d'être disputées. Il y a désormais une compétition mondiale des populations autour des ressources sous-tendues par une concentration des populations et des besoins à un pôle et des ressources à un autre.

Croyances et pouvoir discursif international

Le pouvoir discursif international algérien s'en prend à la duplicité du pouvoir occidental en s'efforçant de creuser une différence dans son discours. Il reste à l'intérieur du pouvoir discursif occidental. Il s'enferme dans une critique stérile : en critiquant et se défendant de la critique seulement, il se sclérose et mine ses soubassements sociaux et politiques. Car il ne donne pas de théorie à sa pratique. La bataille juridique qui avait porté lors de la phase coloniale la bataille idéologique à l'intérieur du camp occidental a perdu de son efficace. Dans la guerre psychologique que ne cessent de mener les médias occidentaux, il est toujours sur la défensive, s'efforçant constamment de ne pas prêter le flanc en concédant. De l'autodétermination, nous avons la théorie occidentale, que nous pratiquons sans y croire, parce qu'impuissants à produire la théorie de notre pratique. Nous n'osons pas regarder notre expérience de laquelle ne s'inspirent pas nos pratiques. Nous ne produisons pas de sujet social, de vision du monde et de stratégie de transformation des conditions mondiales et nationales. Nous n'avons pas la vision du centre rayonnant qu'il nous faut construire. Concrètement, le pouvoir discursif ne dispose pas la société à s'approprier le travail et le savoir-faire mondiaux qui assurerait sa subsistance parmi les producteurs mondiaux. La société, sortie de la nuit coloniale, du monde, s'est approprié le béton et la consommation. L'attachement aux luttes de libération nationale, à la noble cause palestinienne, vibre encore dans le monde, mais ne remue plus grand-chose. Cet attachement constitue notre rapport au monde, mais peu nourri, il reste le cri d'une génération qui se détache du monde. La société se départit de ses forces vives, ne disposant pas de son savoir-être, elle a renoncé à en faire des forces productives qui s'incorporent le savoir-faire du monde. Elle s'est abreuvée de savoir idéologique : tous ses individus veulent être des chefs, les voilà des chefs sans armée. La société s'est atomisée pour s'organiser en armée industrielle, l'échec n'a pas été assumé, l'ambition a disparu.

Les croyances résultent de la sédimentation de l'expérience en dispositions à penser et agir. Lorsqu'elles sont chevillées au corps, elles sont des prédispositions à l'action. La critique, érigée en remise en cause de l'ancien par le nouveau, ne disposant pas de base d'accumulation a fait son œuvre dissolvante, elle a dissous le rapport des croyances et de l'action au lieu de les renforcer. Le rationalisme a prétendu confier l'action à la Raison, il a relégué les croyances sociales dans la poubelle de l'Histoire et a confié l'action à la Science ... et de là à l'étranger.

Il y a chez les Algériens un esprit de résistance. Ils tenaient cet esprit de croyances et d'appétits fermes. Les croyances sont des habitudes de pensée, qui n'ont plus besoin d'être pensées, et des dispositions à l'action. Les habitudes nous conduisent à percevoir une relation là où il y a répétition et association. La répétition d'une expérience concluante installe l'habitude de pensée et la disposition à l'action pousse à reproduire l'expérience. Les expériences s'inscrivent dans un cours des choses, duquel elles ne peuvent se dissocier ni échapper à sa sanction. Elles procèdent du cours des choses, elles sont confirmées ou infirmées par le cours des choses. Les croyances sont confirmées ou infirmées par l'expérience, l'expérience est infirmée ou confirmée par le cours des choses. Dès lors que l'expérience ne produit plus le même résultat, après que le cours des choses ait changé, l'habitude de pensée et d'agir ne peut plus fonctionner, les dispositions ne sont plus pertinentes, l'expérience n'a plus de prise sur le cours des choses, le cercle d'incertitude s'élargit. L'expérience est alors disponible à de nouvelles hypothèses. Lorsque l'expérience n'émerge plus du cours des choses, autrement dit ne procède plus d'une expérience antérieure réussie, et ne trouve pas les hypothèses qui lui permettent de se réapproprier le cours des choses, elle reproduit l'échec. Elle ne pourra ni infléchir le cours des choses ni en tirer avantage, elle aura cessé de faire corps avec le cours des choses. Elle n'a pas pu se remettre dans le cours des choses, en tirer avantage, sa façon de prendre les choses, sa façon de penser et de faire ne l'ont pas permis. L'examen de ses croyances, de ses habitudes de pensée et de ses dispositions à l'action n'a pas été fructueux. La société n'a pas (re)trouvé dans ses croyances un sol ferme sur lequel relancer sa construction, accumuler savoir-être et savoir-faire. La société est alors comme en état d'aliénation, comme tombée dans une trappe (les économistes parlent communément de la trappe du revenu intermédiaire), ne disposant plus de prise sur elle-même et sur le monde. À défaut de ne pouvoir être armée de ses croyances, elles empruntent aux autres, mais sans succès. Nos croyances et dispositions sont celles qui, précoloniales, ont été confirmées par le contexte colonial. État et société postcoloniaux n'ont pas transformé leurs rapports. Derrière le bien-être matériel s'approfondit la crise des rapports sociaux.

Domination et intégration

Un maître-mot de la sociologie occidentale procédant de Max Weber est la domination, on pourrait croire qu'un autre procédant de Durkheim serait celui d'intégration. Cela aurait pu être exact si le mot d'intégration n'était pas accouplé à celui d'assimilation. Ce dernier terme soumet l'intégration à un processus de domination. Pour intégrer alors, il faut réduire la diversité des expériences du monde à une seule. Seule la domination est capable d'une telle opération. C'est en associant l'intégration à la coopération que l'intégration peut trouver une valeur indépendante de celle de la domination. Dominer le cours des choses, soumettre le cours des choses à sa volonté, être mettre de son destin, voilà la thématique d'une croyance qui a pu gonfler la poitrine de l'Occident et soutenir son arrogance durant quelques siècles. Aujourd'hui, le monde est malade d'une telle croyance partagée. Pour s'en guérir, une nécessaire réintégration de l'homme dans la nature, de la race dans l'humain est nécessaire. Et leur coopération symétrique.

Les effets de la civilisation thermo-industrielle se retournent contre elle, ses effets externes démentent ses promesses, les croyances qu'elle a animées ne sont plus entretenues par le cours des choses. La liberté, la richesse en ses centres ne s'étendent pas au-delà, elles reculent même en leur sein. Elles ne ruissèlent plus de l'Occident au reste du monde. Le rationalisme des sciences sociales refuse de voir ce divorce entre les croyances sociales et le cours de choses. L'anthropocentrisme des sciences les aveugle. L'Homme ne domine pas le monde, il ne peut le concevoir à son image. La pensée attachée à la civilisation thermo-industrielle doit se remettre en cause pour obtenir une expérience concluante. Pour cesser de produire de tels effets extérieurs négatifs, elle doit convenir que ses croyances ne s'accordent plus avec leurs promesses. Pour tirer avantage du cours des choses, l'expérience y reprendra place avec de nouvelles dispositions. Elle aura formulé de nouvelles hypothèses sur le cours des choses qui, confirmées, se transformeront en croyances.

Les croyances doivent toujours s'adapter au cours des choses pour en obtenir des expériences concluantes. L'expérimentation doit se défaire de l'anthropocentrisme qui a conduit à l'Anthropocène. L'ambition du rationalisme de se soumettre le monde est en échec. Celui qui s'est institué maître de la nature s'est révélé destructeur. Il n'y a pas d'homme au-dessus de la nature, d'homme occidental au-dessus des autres humains, et au cœur de tout cela, de Dieu fait homme. L'asymétrie de pouvoir qui plaçait l'homme au-dessus de la nature se renverse. Le mythe de l'homme maître du cours des choses et de son destin s'effrite. À une prétendue domination sur la nature, à une prétendue émancipation, va succéder une soumission involontaire, alors qu'il faudra se soumettre au cours des choses pour pouvoir l'apprivoiser et en tirer avantage. Une sobriété et une pauvreté subies, une soumission forcée, se mettent en route. Les anciennes croyances ne sont plus confirmées par le cours des choses, les comportements sont en porte-à-faux, les visées de l'expérience ne sont plus réalisées. En même temps que le déni de réalité devient une caractéristique du politique, le mythe du surhomme est réactivé. L'humanité se partage déjà en populations riches qui veulent se soustraire à une sobriété subie pour laisser d'autres s'enfoncer dans la pauvreté et se mettre en guerre.

Nécessité et liberté

Avec la soumission forcée, nous retrouvons le sujet de l'opposition entre nécessité et liberté. L'opposition dichotomique n'est pas dans le cours des choses, elle a été socialement construite par la société de classes. Une classe s'est soustraite à la nécessité en lui soumettant une autre. Dans le cours des choses, la nécessité et la liberté ont tendance à se compléter et à se substituer l'une à l'autre, malgré les constructions qu'elles peuvent subir. L'une ne peut s'émanciper de l'autre. La construction finit alors par s'opposer au cours des choses. Dans l'ancien cours de la société de classes qui oppose la nécessité et la liberté dans le modèle du maître et de l'esclave (l'un ayant le choix et l'autre pas), la liberté et la nécessité ont été distribuées et fixées de manière dichotomique. Pour accroitre la liberté, il fallait d'abord la concentrer, rejeter la nécessité à un autre pôle, puis la déconcentrer, autrement dit, substituer progressivement la liberté à la nécessité. L'accroissement de la liberté s'effectuant dans un processus de concentration et de déconcentration. C'est ce processus que la société de classes s'efforcera constamment de fixer en sa faveur, même quand la classe dominante devra contrarier le mouvement de déconcentration. La liberté s'est développée en multipliant les esclaves mécaniques et en exploitant une énergie non humaine. Elle a exproprié les populations de leur savoir-être et de leur savoir-faire, elle a produit des populations inutiles. Elle prétendait éradiquer la nécessité, elle a finalement privé de liberté une masse croissante d'individus. À vouloir éradiquer son contraire, la liberté s'en est prise à elle-même. En fait, elle s'est surdéveloppée à un pôle et s'est retirée d'un autre, jusqu'à un point d'inversion que la classe dominante ne pourra pas empêcher. La nécessité s'est remise en route pour gagner l'autre pôle, la liberté s'est mise à régresser. Quels processus concrets empruntera ce processus d'inversion et où s'interrompra-t-il ? Là est la question.

Les sociétés esclavagistes ont séparé la nécessité et la liberté, le travail et le « loisir ». La barbarie des sociétés colonisatrices s'explique par la mentalité esclavagiste des colonisateurs. Pour leur liberté, elles ont soumis à la nécessité des populations étrangères. Celui qui ne parle pas la même langue est un étranger dont l'obéissance ne peut être obtenue que par la soumission totale. Pas question d'apprendre sa langue. Jusqu'à ce que le barbare parle la langue du civilisé, et que le "civilisé" se mette à parler la langue du "barbare". Un mode d'intégration esclavagiste des populations indigènes a été adopté chaque fois qu'elles pouvaient être parquées. Si Karl Marx a tort de faire progresser l'histoire en faisant succéder les modes de production esclavagistes, féodaux et capitalistes, on devrait faire procéder les derniers modes de production de celui esclavagiste. Le rapport esclavagiste est dans le rapport féodal et le rapport féodal dans le rapport capitaliste. Dans l'entreprise capitaliste et domestique subsiste le rapport féodal. Ils peuvent se succéder, mais ils se substitueront l'un à l'autre et se complèteront selon les rapports de forces. Ils coexistent séparés ou intriqués dans le temps et dans l'espace. Une intrication graduée. Ils diffèrent de par l'asymétrie de pouvoir qu'ils mettent en œuvre : on dispose de la vie de la personne ici, seulement de son travail là. En changeant de milieu, l'asymétrie a changé de pouvoir. L'asymétrie capitaliste s'est transformée en asymétrie esclavagiste en milieu dont la soumission doit être obtenue par la force. Le rapport de production féodalo-capitaliste en Europe s'est révélé esclavagiste en Afrique et en Amérique latine. Les plantations du sud des États-Unis mêlaient capitalisme, féodalisme et esclavagisme.

Lorsque liberté et nécessité se substituent l'une à l'autre positivement : elles se complètent, lorsqu'elles le font de manière négative : elles se fragmentent. Avec le « travailleur producteur », elles se compléteront. Le travailleur peut ajuster nécessité et liberté selon ses objectifs et les circonstances. Avec le « producteur non travailleur », la liberté prend sa plus grande extension, il se décharge de la nécessité de travailler sur le « travailleur sans travail » à qui il « donne » du travail. Il possède sa vie qui est libre de la nécessité de travailler. Avec le « travailleur sans travail », la nécessité prend sa plus grande extension, il doit se soumettre entièrement à la nécessité de travailler pour vivre. Il vit pour travailler. Dans les riches sociétés, le « travailleur sans travail » disposait d'une garantie de l'emploi et du revenu ainsi que d'une liberté de loisir et d'un pouvoir de consommer. Il travaille pour vivre. Partiellement de loisir. Dans les sociétés postcoloniales ne disposant pas de rente, la vie des « travailleurs sans travail » tient à peu de choses. Appeler le « travailleur sans travail » « travailleur libre » c'est le définir non en rapport au travail, mais en rapport à l'emploi. Il n'est pas libre de la nécessité de travailler, il ne peut vivre sans travailler. En entrant sur le marché, il a le choix de son rapport de subordination, d'une subordination limitée. À la différence du rapport esclavagiste, sa soumission n'est pas complète. Il faut noter que la servitude volontaire, à laquelle incitent le capitalisme post-fordiste et d'autres systèmes, confond nécessité et liberté, confusion qui peut se retrouver chez le travailleur producteur dans une partie de sa vie. Liberté et nécessité marchandes font alors corps.

La société de classes capitaliste est née de la séparation du travail et du capital, qui est elle-même née de la séparation féodale du travail et de son objet de travail, la terre. Le capital s'approprie le savoir-faire du travail en substituant de l'énergie fossile à l'énergie humaine. Le travail mort s'accumule en se séparant du travail vivant pour être réanimé par l'énergie fossile. La force se sépare alors du travail vivant. L'énergie fossile rend possible, sur grande échelle, la séparation du travail humain en savoir-faire et énergie, se substituant à l'énergie humaine en même temps que rendant possible l'objectivation du savoir-faire humain dans la machine qu'elle anime. La force est passée dans l'énergie non humaine et le savoir-faire s'est objectivé dans des algorithmes et des corps mécaniques. Avec la polarisation du marché du travail, le travail vivant se trouve écartelé entre les services à la personne et les services à l'entreprise (l'investissement dans le travail mort). Le travail marchand a gagné le champ domestique et les relations personnelles : travail marchand domestique, domesticité marchande. La classe capitaliste dans ce processus de séparation s'est formée dans la monopolisation du capital (travail mort), tout comme la classe des princes et seigneurs de guerre se sont formés dans le processus de séparation du travail et de son objet de travail et dans le processus de monopolisation de la terre. La compétition sociale engage la société de classes dans un processus de concentration et de monopolisation des richesses. La monopolisation cependant ne peut venir à bout de la compétition. Elle doit aussi veiller à ne pas trop la dégrader. Tant que les richesses pouvaient être multipliées, la concentration et monopolisation des richesses ne contrevenait pas à la compétition sociale. Il y en avait pour tous selon le conventionnel mérite. Mais dès lors que les richesses cessent de se multiplier et que le processus de concentration s'aggrave, que le processus de monopolisation ne permet plus la compétition, la dictature et la guerre entre riches et pauvres pointent.

Individualisation et socialisation

Une différenciation plus fondamentale, anthropologique, travaille les sociétés. C'est celle qui concerne l'imbrication de l'individuel et du collectif. Ce qu'il est possible de constater chez de nombreuses démocraties libérales, c'est une opposition entre deux tendances, celle de l'idéal libéral qui tend à se faire antidémocratique et celle de l'idéal démocratique qui tend à se faire illibéral. La démocratie libérale qui entend faire jouer de concert droits individuels et souveraineté populaire est en difficulté. Elle s'enracine moins dans les libertés individuelles et elle peine à les convertir en pouvoir de tous les citoyens. Selon cette interprétation de la crise de la démocratie libérale[4], l'individuel a poussé trop loin le déséquilibre de son rapport au collectif. L'individuel a du mal à faire collectif. Alors qu'il s'agissait dans le passé de desserrer l'emprise du collectif sur l'individuel, il s'agit maintenant de « redonner à l'individuel la puissance du collectif ». Il faut que l'individuel fasse du collectif et inversement. Ce qui n'est pas le cas pour les régimes autoritaires et les démocraties libérales actuelles. Comme pour les sociétés autoritaires qui définissent l'individu à partir du groupe, la crise est dans leur incapacité à effectuer le principe qu'elles se sont donné. Dans les deux cas, la crise est le résultat d'une boucle qui ne se boucle plus : l'individu ne fait plus collectif pour les démocraties libérales, les droits individuels ne permettent plus de faire société ; le collectif ne fait plus l'individu, les droits sociaux ne permettent plus de faire société, pour les régimes autoritaires.

Richesse et pauvreté

Les sociétés qui tiendront mieux la route dans le cours des choses marqué par la crise de la civilisation thermo-industrielle sont celles qui sauront accorder droits individuels et droits sociaux, services marchands et services non marchands. Ce seront celles qui sauront rendre l'économie à la société, remettre la compétition dans la solidarité. Ce seront celles qui perdront le moins d'argent et non celles qui en gagneront le plus. La fiction du marché a créé l'illusion qu'il pouvait « comprendre » la société, cela a conduit à la destruction de la dimension non marchande des rapports sociaux. S'est inversé le rapport d'intériorité de la société et du marché : de la marge de la société, le marché a gagné son centre avec l'ambition de l'englober. Le marché a été soustrait à l'influence de la société, on lui a donné ses propres règles, il s'est extériorisé, puis a intériorisé la société, la soumettant à ses propres règles. Les individus « libres », c'est-à-dire étrangers ne se devant rien, construisent une société basée sur la coopération et la compétition des intérêts individuels. Les sciences feront de cette coopétition leur souci majeur, qui dira domination, qui dira intégration, etc..

Dans un jeu mondial à somme nulle, les sociétés qui gagneront le plus d'argent en feront perdre l'équivalent à d'autres. Dans un jeu à somme négatif, celles qui en gagneront en feront perdre à d'autres plus qu'elles ne gagnent. C'est à qui pompera le plus chez le voisin, tous types de capitaux pour les plus puissants. Car les sociétés qui continuent à gagner de l'argent ne font que reporter la crise. Tout dépend de l'usage du temps qu'elles auront gagné. Quant à celles qui en perdent le plus, tout dépend de la façon dont elles et le monde prendront la crise. La reconstruction de la Syrie par exemple peut être une occasion de reconstruction du monde par les marges. Un test donc pour le monde et pas seulement pour la Syrie : sur quelles bases la reconstruire, comment répondre à ses besoins élémentaires ? Les anciennes bases de la civilisation thermo-industrielle ou les bases d'une nouvelle civilisation ? Il y a là pour la Chine, par exemple, une occasion pour illustrer sa capacité d'innovation.

Régime politique et bonne politique

Pour finir, il importe de ne pas confondre le régime politique avec la bonne politique, le premier n'est que l'instrument de la seconde. Instrument ou ressource d'une politique qui évolue avec son contexte. Un contexte qui évolue avec ses politiques. Une politique peut mener un régime dans une direction démocratique ou une direction autoritaire. La bonne politique est la politique concluante et la politique concluante est celle qui réussit à différencier correctement le collectif et l'individuel sans les désunir, à faire dériver le collectif de l'individuel et l'individuel du collectif. Cela doit passer l'un dans l'autre en variant selon le contexte. La démocratie doit fabriquer du consentement dans le dissentiment. Si elle ne l'obtient pas, elle s'expose à l'illibéralisme et à un éventuel régime autoritaire. Consensus et dissensus ne vont pas l'un sans l'autre, mais l'un avec l'autre, l'un vers l'autre. C'est le dissensus qui donne vie au consensus et c'est le consensus qui garde la vie au dissensus. La démocratie, qui du dissensus ne peut pas fabriquer du consensus, peut se transformer en régime autoritaire, et le régime autoritaire qui du dissensus peut fabriquer du consensus, peut se transformer en démocratie.

Le régime autoritaire est une déclinaison occidentale dans les sociétés non occidentales, il n'est pas de la nature barbare d'une société, mais d'un fonctionnement contradictoire antagonique entre l'individuel et le collectif, le consensus et le dissensus. Déclinaison occidentale, car concevant la société comme une société atomisée organisée par le haut et par une classe dominante réussissant à faire appel à l'autodétermination individuelle. Ce cas de figure n'est pas celui des sociétés postcoloniales. La bonne politique fait la bonne société où jouent convenablement l'individuel dans le collectif et le collectif dans l'individuel. S'agencent convenablement l'individuel et le collectif, créant une dynamique vertueuse où ils se renforcent mutuellement. La manière de s'agencer, de faire société, dépend de chaque société, de l'expérience historique que chaque société a du cours du monde.

En guise de conclusion. Une société charrie tout au long de son histoire de bonnes et de mauvaises dispositions, de fausses et de vraies croyances. Le colonialisme a activé les dispositions qui confortait sa domination et la dispersion sociale, il a semé des croyances qui se prenant pour universelles ont écrasés les expériences sociales. Les bonnes dispositions et les bonnes croyances sont restées en latence, par la marge et l'expérimentation, elles peuvent être activées et mises à jour. Il est fort probable que les temps qui viennent, à Dieu ne plaise, amènent une troisième guerre mondiale. Les sociétés qui ne seront pas armées de croyances fermes plongeront dans la tourmente.

Notes

[1]https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/27/daron-acemoglu-prix-nobel-d-economie-2024-le-monde-doit-uvrer-pour-une-ia-au-service-de-l-etre-humain_6469703_3232.html

[2] Celui occidental. https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001153/fernand-braudel-et-les-differents-temps-de-l-histoire.html

[3] Voir Eugénie Mérieau dans l'introduction de son livre : Géopolitique de l'état d'exception : Les mondialisations de l'état d'urgence. Le cavalier bleu. 2024

[4] Marcel Gauchet. Le nœud démocratique. Aux origines de la crise néolibérale. Gallimard. 2014