|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
L'arrestation
de Boualem Sansal et le
tumulte médiatique qui l'entoure ne doivent pas nous faire perdre de vue l'essentiel
: les objectifs stratégiques de certains de ses soutiens, notamment l'extrême
droite française et ses relais et jusqu'au cœur de l'État français. Leur
ambition est limpide : affaiblir la souveraineté algérienne en contestant son
histoire et son lien légitime avec sa terre.
Ce discours, relayé par diverses figures politiques et intellectuelles, ne vise pas seulement à justifier à posteriori la colonisation. Il s'agit d'un projet bien plus insidieux : miner notre légitimité historique, afin de préparer le terrain à de futures agressions. L'exemple de certains mouvements sionistes, qui s'appuient sur des textes religieux multimillénaires pour revendiquer la Palestine montre combien ce type d'arguments peut trouver un écho dangereux. La tactique employée consiste à saper notre mémoire, en la présentant comme une construction artificielle ou une simple « rente mémorielle » exploitée à des fins politiques. Les déclarations de Boualem Sansal s'inscrivent parfaitement dans cette stratégie/ : décrire l'Algérie comme un « petit truc qui n'appartenait à personne », tout en glorifiant, au mépris des faits historiques, le Maroc comme un État séculaire que la France n'aurait pu coloniser. Une telle rhétorique vise à délégitimer notre propre histoire, à semer le doute sur notre souveraineté et à fragiliser notre identité collective. Dans ce cadre, Boualem Sansal n'est qu'un rouage d'un dispositif idéologique et géopolitique plus vaste, qui dépasse largement sa personne. Il est instrumentalisé dans une guerre subtile mais acharnée contre les fondements mêmes de notre nation. Notre réponse, dès lors, ne doit pas se limiter à des réactions personnelles ou émotionnelles. Elle doit s'ancrer dans une défense rigoureuse et lucide de notre mémoire collective et dans une consolidation proactive de notre récit national afin d'affirmer avec clarté notre droit historique et légitime sur cette terre. La mémoire comme rempart Pour ceux qui ont vécu la guerre d'indépendance, la mémoire n'est pas une abstraction figée dans les livres d'histoire, mais une réalité profondément vécue, enracinée dans les sacrifices de ceux qui ont donné leur vie pour la liberté. Les 1,5 million de martyrs, figures lumineuses de la lutte, demeurent au cœur de notre identité nationale. Certes, cette mémoire a parfois été fragilisée par des insuffisances internes - sur les plans démocratique, socio-économique ou institutionnel - mais elle reste un socle fondateur, un pont entre le passé et l'avenir. Elle incarne notre dignité, notre résilience et notre souveraineté. Aujourd'hui, certains s'efforcent de distancier les nouvelles générations de cet héritage. Des voix, comme celle de Kamel Daoud, dénoncent ce qu'ils appellent une «/ hypermnésie/ », une prétendue obsession autour de la lutte anticoloniale qu'ils décrivent comme un mythe exagéré. Ces critiques, enveloppées d'un vernis de modernité, servent en réalité les intérêts de ceux qui veulent fragiliser les fondements de notre unité nationale. Ils cherchent à réécrire l'histoire, à dissocier les jeunes de cet héritage qui, pourtant, leur offre des clés pour comprendre leur identité et leur responsabilité. Préserver cette mémoire n'est pas un simple acte de célébration du passé. C'est un devoir essentiel pour défendre l'âme même de notre pays. Renouveler la transmission mémorielle Longtemps, la mémoire nationale s'est concentrée sur la période 1954-1962, marquée par le sacrifice des 1,5 million de martyrs, sans toujours offrir une contextualisation historique plus large. Plus récemment, l'intégration de la violence coloniale dès 1830, avec les exterminations de masse qui ont ciblé des tribus entières femmes et enfants inclus telles que les enfumades du Dahra (1844-1845) ou les massacres de Laghouat, a permis d'élargir cette mémoire collective. Ces actes, systématiquement dirigés contre des populations civiles sans défense, peuvent être analysés, à la lumière des normes juridiques internationales actuelles, comme de véritables crimes contre l'humanité. Cependant, cet élargissement de la mémoire requiert un effort pédagogique. Pour une jeunesse qui n'a pas vécu ces épreuves, il ne suffit pas d'accumuler des chiffres/ : il faut rendre ces faits tangibles, compréhensibles et significatifs à travers des récits vivants et des images symboliques. Des images qui parlent Au-delà des chiffres, certaines figures et épisodes incarnent cette mémoire et captivent l'imagination des jeunes générations : Ahmed Zabana, guillotiné en 1956, dont les derniers instants recréés dans La Bataille d'Alger (G. Pontecorvo, 1966) résonnent encore. Son cri, «/ Tahia El Djazaïr/ », repris dans les couloirs sombres de la prison, symbolise l'espoir et la résistance. Ali La Pointe, Hassiba Ben Bouali et le Petit Omar, retranchés dans une cache d'Alger, conscients que leur refuge sera pulvérisé d'un moment à l'autre, incarnent le courage et la dignité face à l'oppresseur. Les résistances du XIXe siècle, menées par El Mokrani, Cheikh Bouamama et d'autres, rappellent une lutte multiséculaire. Réprimées dans le sang, elles se sont prolongées dans les exils forcés vers des bagnes lointains, tels que la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. L'Émir Abdelkader, défenseur de l'identité et de la souveraineté, humaniste trahi et emprisonné, a élevé son combat à une dimension universelle. Il a transformé sa lutte en un message d'humanité et de dialogue entre civilisations, faisant de lui une figure intemporelle. Pour garantir la transmission de cet héritage, il est indispensable de renouveler nos méthodes pédagogiques et de replacer ces figures emblématiques dans un récit cohérent, adapté aux générations futures. La mémoire nationale ne doit pas se limiter à des commémorations/ : elle doit devenir un outil éducatif, culturel et citoyen, pour que la flamme de la résistance continue de briller à travers les siècles. Un récit national aux racines millénaires Notre histoire ne commence ni en 1830, ni en 1954, ni avec l'arrivée de l'islam/ : elle puise ses racines aux origines mêmes de l'humanité. Les découvertes archéologiques à Aïn Boucherit, dans la wilaya de Sétif (datées de 2,4 millions d'années) (Sahnouni et al., Science, 2018), témoignent de l'ancienneté de la présence humaine sur cette terre. À Tighennif, près de Mascara (700.000 ans), des Homo erectus vivaient déjà, démontrant l'importance de l'Afrique du Nord dans les premières étapes de l'évolution humaine. La civilisation amazighe : un pilier de la Méditerranée Au cœur de ce récit, la civilisation amazighe se distingue par son rôle central dans l'histoire méditerranéenne. Des figures comme Massinissa et Jugurtha (IIII et III siècles av. J.-C.), rois numides, ont façonné une Afrique du Nord unifiée et résistante face aux ambitions extérieures. L'héritage intellectuel de cette époque est tout aussi remarquable/ : Apulée (III siècle apr. J.-C.), précurseur de la littérature latine, et Saint Augustin (IVI siècle), penseur majeur du christianisme, ont forgé une tradition intellectuelle universelle. Ces grandes figures illustrent la richesse de la culture amazighe, qui s'est étendue bien au-delà des frontières de l'Afrique du Nord. Au VIII siècle, des héros tels que Dihya, la Kahina, et Koceïla, incarnent une résistance farouche face aux invasions étrangères, notamment contre l'avancée politique et militaire des Omeyyades. Il est crucial de rappeler que leur combat s'opposait à la domination étrangère et non à l'islam en tant que religion. Ces patriotes ont défendu la souveraineté et l'autonomie de leur peuple, ancrant une tradition de lutte qui perdure à travers les siècles. Au VIIII siècle, Tariq Ibn Ziyad, originaire de Khenchela dans les Aurès, mène la conquête de l'Andalousie, un événement marquant dans l'histoire de la Méditerranée et de la civilisation islamique. Cette épopée témoigne de l'influence des Amazighes au-delà des frontières de l'Afrique du Nord. Des dynasties comme les Zirides et les Hammadides consolident par la suite l'identité amazighe, faisant de Béjaïa un centre intellectuel et économique rayonnant. Ces dynasties illustrent une souveraineté enracinée, affirmée face aux défis externes. Plus tard, l'Émir Abdelkader s'inscrit dans cette continuité en menant une lutte acharnée contre l'occupation française. Sa vision humaniste et sa quête d'indépendance traduisent la résilience et la capacité de renouvellement d'un peuple profondément attaché à sa liberté. L'histoire en témoigne/ : les invasions successives - romaine, vandale, byzantine, ottomane et française - ont laissé leurs empreintes, mais n'ont jamais érodé le socle amazigh. Parmi ces influences, seule la civilisation islamique et sa langue ont su s'intégrer pleinement, enrichissant la culture amazighe tout en respectant son essence. Cette symbiose entre amazighité et islamité a forgé une identité algérienne unique, solide et durable. La génétique et la signature amazighe L'ADN, qu'il soit nucléaire (hérité à parts égales de la mère et du père) ou mitochondrial (transmis exclusivement par la mère), constitue une archive exceptionnelle permettant de retracer l'histoire évolutive des populations humaines. Ces analyses génétiques révèlent les origines ethniques, les brassages historiques et les migrations géographiques qui ont façonné les civilisations. Les études génétiques sur les populations d'Afrique du Nord attestent d'une stabilité génétique remarquable et d'un enracinement ancien des Amazighs dans cette région (Henn et al., PLoSGenetics, 2012). Les comparaisons entre génomes anciens et modernes montrent une continuité remontant à l'époque épipaléolithique (environ 20.00010.000 ans avant notre ère), soulignant le lien profond entre les Amazighs et leurs terres ancestrales (van de Loosdrecht et al., Science, 2018). Les flux migratoires en provenance du Proche-Orient, d'Europe et d'Afrique subsaharienne n'ont pas effacé l'essence génétique amazighe. Au contraire, ils ont favorisé une dynamique d'assimilation culturelle. Des analyses récentes montrent que les populations nord-africaines, qu'elles parlent tamazight ou arabe, partagent une identité génétique commune, confirmant que l'arabisation a été principalement un phénomène culturel plutôt qu'un remplacement de population (Fadhlaoui-Zid et al., BMC Genomics, 2013). Ces données scientifiques fournissent une preuve irréfutable de l'ancienneté et de la continuité des Amazighs en Afrique du Nord, renforçant ainsi leur légitimité historique et culturelle. Le lien indissoluble Ce récit national, vaste et riche, constitue une mosaïque dans laquelle chaque Algérien peut puiser ses héros et ses périodes de référence. L'essentiel est de résister aux tentatives de division orchestrées par nos adversaires, qui s'efforcent d'opposer amazighité, islamité et arabité, dans une stratégie délibérée pour affaiblir notre unité nationale. L'histoire de notre nation montre au contraire une fusion unique et harmonieuse entre ces composantes. Le socle amazigh, enrichi par la langue, la religion et la civilisation islamiques, a su intégrer les influences extérieures sans jamais perdre son essence. Cette symbiose a forgé une identité algérienne profondément enracinée et durable. Les découvertes archéologiques et les études génétiques renforcent cette conviction. Elles attestent d'une continuité historique et biologique qui transcende les interprétations idéologiques ou religieuses. Elles confirment que nous sommes les descendants directs des premières populations humaines ayant foulé cette terre et que notre lien à cette région est immémorial et indissoluble. Préserver et transmettre cette mémoire est un impératif moral et une responsabilité collective. Ce n'est pas seulement honorer notre passé, mais aussi construire l'avenir. En permettant aux générations futures de s'appuyer sur un héritage clair et solide, nous leur offrons les outils nécessaires pour bâtir une Algérie fidèle à ses racines, fière de son identité, libre et souveraine. *Médecin réanimateur et Chercheur |
|