Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Fidélité au peuple, trahison à soi-même: Leçon de Kateb Yacine

par Salah Lakoues

Le Renégat des lettres. Il était une fois, dans un pays riche de son histoire et de ses luttes, un homme nommé Kobus. Né après la guerre de Libération, il avait grandi dans l'ombre des héros qui avaient donné leur vie pour la liberté.

Malgré son jeune âge, il se nourrissait des récits de courage et d'abnégation, mais au lieu de s'en inspirer, Kobus développait une étrange amertume. Grâce à l'éducation gratuite offerte par ce pays qui sortait à peine des cendres du colonialisme, Kobus gravit rapidement les échelons de l'enseignement. Brillant étudiant, il bénéficia de toutes les opportunités que la jeune nation pouvait offrir : des bourses, des stages prestigieux, et même une carrière prometteuse. Cependant, dans son cœur, une frustration grandissait. Kobus avait une passion dévorante pour l'écriture. Il se voyait déjà en grand romancier, lu et admiré de par le monde. Pourtant, ses œuvres, bien que techniquement bien écrites, manquaient d'âme et de substance. Il rêvait de reconnaissance internationale, mais son talent ne suffisait pas à lui ouvrir les portes des cercles littéraires étrangers. À chaque refus, sa rancune envers son pays natal s'intensifiait. Un jour, Kobus se heurta au plafond de verre de son ambition. Convoitant un poste prestigieux qu'il estimait mériter, il fut écarté au profit d'un autre, plus compétent et apprécié. Ce fut pour lui l'ultime trahison. Dès lors, il décida de tourner son stylo contre ceux qui l'avaient soutenu et contre la terre qui l'avait nourri.

Dans ses écrits, il dépeignait son pays comme une terre aride, incapable de produire autre chose que la médiocrité. Il s'attaquait à ses compatriotes, les qualifiant d'arriérés et d'incapables. Il reniait son héritage et crachait sur la mémoire des martyrs qui avaient libéré cette nation. Sa plume, autrefois porteuse d'espoir, devint une arme de dénigrement. Kobus commença à fréquenter les cercles intellectuels occidentaux, où il se plaisait à jouer le rôle de l'exilé incompris. Il aimait flatter ses interlocuteurs étrangers en leur confirmant leurs préjugés sur son pays d'origine. En échange de quelques flatteries et d'une reconnaissance illusoire, il vendit son honneur et son intégrité. Mais la gloire qu'il recherchait tant ne vint jamais. Pour les cercles qu'il courtisait, il n'était qu'un parmi d'autres renégats, interchangeable et sans réel éclat. Et pour son peuple, il était devenu un étranger, un homme sans racines ni valeurs. Avec le temps, la colère de Kobus se mua en solitude. Il passa ses dernières années à écrire des pamphlets amers que personne ne lisait plus. Loin de sa terre natale, il erra dans les rues d'une grande capitale étrangère, méprisé par ceux qu'il avait essayé de séduire et oublié par ceux qu'il avait trahis. Ainsi, l'homme qui rêvait de devenir un grand écrivain finit par être un symbole de l'oubli. Son histoire devint un avertissement : renier ses origines et mépriser son peuple, c'est se condamner à errer sans identité ni légitimité.

La grandeur véritable réside dans l'humilité et l'amour pour la terre qui nous a portés, non dans les flatteries des étrangers. Le Déserteur de la Mémoire Kobus , jadis considéré comme un intellectuel prometteur, avait poussé sa dérive à l'extrême. Non content de tourner le dos à son pays et à son peuple, il avait adopté une posture qui frôlait le grotesque : il niait désormais jusqu'à l'existence de sa patrie. Selon lui, cette nation, forgée par le sang et les sacrifices, n'était qu'une illusion fabriquée par l'ancien colonisateur. Dans ses discours et ses écrits, il déformait l'histoire à un point tel qu'il ne reconnaissait plus les résistants comme des héros, mais comme des opportunistes. Il qualifiait la lutte pour la libération nationale d'« erreur tragique », osant même dire que le pays aurait prospéré sous la domination coloniale. Ces propos, qui choquaient jusque dans les rangs de ses anciens admirateurs, trouvaient toutefois un écho chez une audience particulière : l'extrême droite française. Kobus, en quête de reconnaissance à tout prix, se mit à fréquenter des cercles idéologiques qui glorifiaient le colonialisme et dénigraient les luttes de libération. Il participait à des conférences où il répétait, avec zèle, les discours les plus révisionnistes. Il affirmait que les résistants avaient trahi l'histoire et que la colonisation avait été un mal nécessaire, voire un bienfait.

Dans un article particulièrement controversé, il déclara que son pays n'avait jamais eu d'identité propre avant la colonisation et que tout son héritage était une invention. Ces mots, repris par certains médias de la droite française, furent salués par des figures publiques qui y voyaient une « vérité courageuse » venant d'un fils prétendument lucide. Mais pour les siens, Kobus était devenu un traître, un homme qui avait vendu son âme pour quelques applaudissements hypocrites. Lorsqu'il fut interrogé sur ses motivations, Kobus tenta de justifier son alignement avec l'extrême droite en invoquant un prétendu pragmatisme : « Ce sont les seuls à avoir compris que l'histoire ne doit pas être idéalisée. » En réalité, il cherchait désespérément à exister dans des cercles où il n'était perçu que comme un pion, un outil commode pour conforter des discours réactionnaires. Le tournant le plus sinistre de sa trajectoire fut atteint lorsqu'il participa à une émission télévisée où il qualifia les luttes de libération nationale de « terrorisme ». Ce jour-là, Kobus franchit une ligne irréversible. Sa famille, autrefois fière de ses réussites, le renia publiquement. Dans son village natal, son nom devint synonyme de honte et de déshonneur. Mais l'extrême droite qu'il courtisait tant n'avait aucun respect pour lui. À leurs yeux, Kobus n'était qu'un témoin utile, un « indigène ingrat » prêt à piétiner sa propre histoire pour une reconnaissance de façade. Lorsqu'il cessa de servir leur agenda, il fut relégué aux oubliettes, comme tant d'autres renégats avant lui. Kobus termina ses jours dans une solitude amère, exilé dans un petit appartement à la périphérie de Paris. Il passait ses journées à écrire des lettres à des éditeurs qui ne répondaient jamais et à ressasser ses choix.

Il mourut sans gloire, entouré des pages jaunies de ses manuscrits oubliés. Son histoire fut vite reléguée au passé, mais les générations suivantes la rappelaient parfois comme une leçon : quiconque renie sa terre et son peuple finit par être rejeté par tous, n'étant plus ni d'un camp ni de l'autre. La mémoire d'un peuple est un trésor qu'on ne peut souiller impunément, car elle survit toujours aux renégats. « Le renégat en quête du prix ‘RETOURNEMENT' : la récompense de son mercenariat » Effectivement, l'histoire de Kobus. Prend une autre dimension lorsqu'on examine les motivations plus personnelles et moins avouables qui sous-tendaient ses actes. Derrière ses discours enflammés et ses postures idéologiques, il y avait une quête d'assouvissement de désirs profondément égoïstes : l'obsession de séduire, d'impressionner, et d'amasser des richesses. Kobus, malgré son allure intellectuelle et ses discours prétendument « éclairés », était avant tout un homme consumé par sa propre vanité. Dans les cercles mondains qu'il fréquentait, il ne cachait pas son désir de plaire aux femmes qu'il considérait comme le symbole ultime de la reconnaissance sociale. Il multipliait les anecdotes où il se mettait en avant, exagérant ses exploits imaginaires et dénigrant son propre pays pour paraître « différent », « supérieur ». Sa rhétorique antifrançaise des débuts, qui avait trouvé un certain écho chez les jeunes étudiants de son pays, s'était lentement transformée au gré des opportunités. Lorsqu'il comprit que les cercles occidentaux qu'il cherchait à intégrer valorisaient des figures critiques envers leurs propres origines, Kobus fit un virage à 180 degrés. Il devint l'homme qui, pour se faire une place, ne recula devant aucune compromission, reniant tout ce qu'il avait pu défendre auparavant. Son obsession de briller socialement ne s'arrêtait pas là. Il espérait que cette posture lui ouvrirait des portes vers des cercles plus influents, lui permettant d'accéder à des contrats lucratifs, des subventions, et des collaborations éditoriales bien rémunérées. Tout cela, pensait-il, compenserait le manque de reconnaissance dans son pays natal. Le problème, c'est que ces motivations superficielles étaient évidentes pour tous. Les femmes qu'il courtisait voyaient en lui un homme plus préoccupé par son reflet dans leurs yeux que par des convictions sincères.

Les mécènes et éditeurs qu'il sollicitait reconnaissaient un opportuniste prêt à tout pour quelques billets, mais sans le talent ou l'intégrité pour durer. Le paradoxe de Kobus résidait dans le fait qu'il avait cherché à s'élever en écrasant les fondations mêmes qui l'avaient soutenu. En reniant son pays, il croyait s'acheter une place dans un monde qui ne respectait que la fidélité et la profondeur. En sacrifiant son intégrité sur l'autel de la reconnaissance et des intérêts financiers, il perdit à la fois l'estime de son peuple et celle des étrangers. Lorsqu'il fut confronté à l'échec de ses ambitions, ses problèmes personnels prirent le dessus. Sans la gloire qu'il avait tant espérée, il sombra dans une amertume qu'il tentait de dissimuler derrière une façade arrogante. Ceux qui l'avaient un temps soutenu l'abandonnèrent, et les quelques avantages financiers qu'il avait pu amasser fondirent rapidement, laissant derrière lui une vie creuse et marquée par le regret. L'histoire de Kobus est ainsi celle d'un homme qui, incapable d'aimer véritablement ni son pays ni lui-même, perdit tout dans sa quête égoïste. Ses écrits, qui avaient pourtant promis une grande carrière, ne furent jamais autre chose qu'un miroir de ses insécurités et de son désir insatiable d'être adoré, mais jamais respecté. La lecture est une arme à double tranchant. Elle peut illuminer l'esprit, l'élever vers des sommets de compréhension et d'humanisme, ou, au contraire, nourrir les travers de l'âme lorsqu'elle est utilisée de manière biaisée ou pour des fins destructrices. Dans le cas de Kobus, la lecture, qui aurait pu être une planche de salut est devenue le combustible de sa dérive. Kobus, enfant de la révolution, avait grandi entouré de livres. Mais au lieu de s'en nourrir pour approfondir sa connaissance de l'histoire et de son rôle dans la société, il avait détourné cette richesse pour servir ses propres frustrations. Il lisait non pour apprendre, mais pour confirmer ses préjugés ou construire un arsenal d'arguments contre son propre peuple. Il dévorait des ouvrages révisionnistes qui réécrivaient l'histoire sous un prisme colonial, puis les regurgitait dans ses propres écrits comme une vérité universelle. Pour Kobus, la lecture n'était pas une quête de vérité, mais un outil pour se construire un personnage. Il sélectionnait avec soin les textes qui servaient ses intérêts, ignorant ceux qui contredisaient ses thèses.

C'est ainsi que, manipulé par ses propres lectures, il devint manipulateur à son tour. Chaque mot écrit devenait une arme qu'il pointait contre son pays, ses compatriotes, et, finalement, contre lui-même. Mais il y avait une autre lecture possible. Si Kobus avait lu les récits de la lutte pour la libération avec un cœur ouvert, s'il avait écouté les poètes qui chantaient l'amour pour leur terre et les philosophes qui prônaient la dignité, peut-être aurait-il trouvé la paix intérieure qu'il cherchait désespérément. Peut-être aurait-il compris que la véritable grandeur ne réside pas dans la recherche de l'approbation des autres, mais dans l'acceptation et l'amour de soi et de ses origines. La lecture peut tuer, comme elle peut sauver. Elle tue lorsqu'elle nourrit l'orgueil et l'ignorance déguisée en savoir. Elle sauve lorsqu'elle éclaire les ténèbres de l'âme et ouvre des perspectives nouvelles. Kobus avait choisi la première voie, mais d'autres, face aux mêmes défis, choisiront peut-être la seconde. Kateb Yacine, cet immense écrivain algérien, nous a effectivement offert une leçon magistrale sur la place et le rôle de l'intellectuel dans une société en quête de libération et de dignité. Pour lui, l'intellectuel ne devait jamais s'isoler dans une tour d'ivoire ni se couper de son peuple, même lorsqu'il est confronté à ses contradictions. Il affirmait avec force que l'écrivain, en particulier dans le contexte postcolonial, devait être un témoin engagé, un porteur de mémoire, mais aussi un acteur de la transformation sociale. Le peuple comme source de vérité Kateb Yacine considérait que toute réflexion intellectuelle devait s'enraciner dans la réalité des masses populaires. Il disait : « J'écris en français, mais c'est pour dire aux Français que je ne suis pas français. » Cette phrase résume bien son attachement indéfectible à son identité algérienne et à la cause de son peuple, tout en utilisant la langue de l'ancien colonisateur pour inverser la domination culturelle. Pour Kateb, l'intellectuel n'a de légitimité que s'il reste fidèle à ses racines et à ceux qui l'ont forgé.

Un intellectuel au service de l'histoire À travers son œuvre majeure, ‘Nedjma', il a offert une réflexion sur l'identité algérienne et les cicatrices laissées par le colonialisme. Mais il ne s'est jamais contenté de dénoncer passivement. Il utilisait son écriture pour poser des questions fondamentales sur la mémoire, la lutte, et l'avenir. Contrairement à ceux qui tournent le dos à leur peuple ou exploitent leur position pour des gains personnels, Kateb voyait son rôle comme un devoir : éclairer, sensibiliser et lutter avec les opprimés. Le rejet du carriérisme intellectuel Kateb Yacine avait une profonde aversion pour les intellectuels qui utilisent leur savoir pour se placer au-dessus des autres, ou pire, pour trahir les luttes populaires. Pour lui, ces individus, souvent en quête de reconnaissance internationale ou de privilèges, étaient les véritables ennemis des peuples.

Il dénonçait le fait que certains intellectuels adoptent une posture de « neutralité » ou se laissent séduire par les sirènes du pouvoir ou de l'idéologie dominante, oubliant leur mission première. Une leçon d'humilité Kateb nous apprend aussi que l'intellectuel ne doit pas prétendre tout savoir. Il doit apprendre de son peuple, de ses luttes, de ses souffrances, et être prêt à évoluer. Il disait que son inspiration venait des femmes et des hommes anonymes qui avaient porté la révolution sur leurs épaules. C'est pourquoi il est resté proche du peuple, préférant parfois le théâtre populaire à la publication de grands romans, pour atteindre ceux qui n'avaient pas accès à la littérature classique. Un appel intemporel. En définitive, Kateb Yacine nous enseigne que l'intellectuel authentique est celui qui reste fidèle à sa terre, à son histoire et à son peuple. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer, mais aussi de construire, de tendre la main et de rêver avec ceux qui espèrent un avenir meilleur. Ceux qui, comme Kobus, renient leur pays ou trahissent leurs origines, ne sont que des ombres passagères. Mais les leçons de Kateb Yacine, elles, résonnent encore aujourd'hui, comme un appel à la lucidité et à l'engagement.