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Réflexion sur les inondations d'Aïn Sefra: Leçons et stratégies pour une résilience climatique

par Boutkhil Beghdadi*

Notre réflexion portera sur le cas du centre-ville d'Aïn Sefra dont une grande partie a été inondée provoquant une catastrophe le 8 septembre 2024.

Quelles leçons en tirer et comment faire face aux changements climatiques et à leur impact notamment les inondations.

Sur la base des phénomènes observés sur les changements climatiques d'une part et sur l'urbanisation d'autre part, nous proposerons un programme visant à renforcer la résilience des espaces urbains et ruraux.

L'histoire de l'oued d'Aïn Sefra se caractérise par la répétition : les inondations sont cycliques et les catastrophes aussi. Cependant le problème reste toujours posé malgré d'énormes dépenses publiques relatives aux réalisations des infrastructures consacrées à son traitement limité à la protection des berges et à la réalisation d'ouvrages d'art. Ce phénomène se manifeste tous les dix à quinze ans et les tentatives de le maîtriser se sont avérées vaines ; le problème n'est pas résolu certainement à cause de l'approche ponctuelle entrainant des solutions coûteuses et inefficientes.

Les deux oueds Breidj et Tirkount du sous bassin hydraulique de oued Namous des Monts de Ksour confluent à l'entrée du centre-ville d'Aïn Sefra, juste au niveau du pont qui relie la caserne et le ksar au centre-ville (voir carte du réseau hydrographique). Ces deux oueds forment à partir de cet ouvrage l'oued Aïn Sefra qui ira alimenter avec d'autres affluents, Oued Namous.

Cette fois-ci, lors des crues de septembre 2024, ces deux oueds‘'se sont donnés le mot d'ordre'' pour se rencontrer à l'entrée du centre-ville pour aller inondertrois quartiers en sortant du lit habituel.

Le déferlement a été rapide et surprenant ; il était trèspuissant et a frappé par surprise le matin à l'heure du petit déjeuner. ‘'Il est venu à 8h30 tel un tsunami chargé de sable défonçant portes et murs et raclant commerces et habitations laissant aux aguets tout le monde'' s'exclamait un commerçant ;puis il a continué son chemin inondant deux autres quartiers Moulay El Hachemi et Aïn Ercheg, déposant au passage des tonnes de sable dunaire dont la hauteur a pu atteindre jusqu'à deux mètres par endroit.

On déplore cette fois-ci un mort. Plusieurs personnes, notamment parmi les plus âgées, ont été sauvées de justesse ; le bilan aurait été bien plus lourd si les jeunes riverains et la protection civile n'avaient pas intervenu à temps ; il aurait été encore bien macabre s'il était survenu la nuit ou à l'heure où les écoliers sont en classe.

Une telle puissance est le résultat deprécipitations exceptionnellesavec des orages violents : il est tombé en douze heures plus de 120 mm, soit 60% de ce qu'il tombe en une année, la moyenne annuelle des précipitations étant de 200 mm/an (station de météo d'Aïn Sefra). Cette puissance est due également à l'importance de la dimension des bassins versants et au caractère abrupt des pentes des monts des ksour ainsi qu'à à la charge de sable qui, augmentant la densité du fluide, a renforcé la force de l'inondation.

Les changements climatiques aggravent la situation ; ils se manifestent par l'allongement de la période sèche et l'augmentation de la moyenne des températures (presque de 2 degrésselon les prévisions du GIEC), par une diminution du taux d'humidité et par l'augmentation des fréquences du vent de sable.

De mémoire et de visu, voilà plus de trente années que le paysage a commencé à changer particulièrement dans la région sud-ouest de l'Algérie. Un tel changement est marqué par des prolongations de périodes de sécheresse, par des vents de sable fréquents et persistants, par une dégradation avancée du couvert végétal, par des rabattements des nappes phréatiques et par des accumulations dunaires partout sur le plateau, sur les vallées et sur les lits d'oued comme sur les talwegs et flancs de montagne.

Ces changements s'inscrivent dans la durée et indiquent la nécessité de s'attaquer au problème en profondeur. Les solutions quant à la zone inondable sont dans le traitement des bassins versants des deux confluents avec comme objectifs :

- Les corrections torrentielles pour att énuer les crues

- Le reboisement et les plantations dunaires pour atténuer le vent de sable et protéger les berges

- La création de retenues collinaires en amont

- La création et la maintenance de bassins de retenue sur les lits d'oued(ceux de l'oued Breidj existaient jadis) en vue de maintenir le microclimat et réalimenter les nappes phréatiques au niveau de Dzira et autres lieux où se trouve une activité agraire

- Le curage régulier de l'oued et l'enlèvement systématique du sable et autres dépôts identifiés comme contraintes à l'écoulement

- Le programme de réhabilitation, de rénovation ou d'éradication des ouvrages d'art

- Le programme de protection des berges.

Autrement dit, il s'agit d'initier une étude globale et exhaustivedont l'objectif est la définition d'un programme d'actions détaillé avec un échéancier réaliste et une estimation des coûts de mise en œuvre. Celle-ci aura à statuer sur le devenir de la zone inondable en termes d'affectation des sols et émettra des directives à l'intention du plan d'urbanisme pour un règlement d'usage et les restrictions éventuelles nécessaires en matière de droits à construire dans les parties attenantes aux oueds.

Ces dispositions devraient être complétées par l'élaboration du plan général de préventiondes inondations prévu par la loi 24-04.

L'étude historique de la formation de l'agglomération permet d'illustrer les dispositions prises par le pouvoir colonial à l'égard de l'oued Aïn Sefra et de la zone inondable pour son urbanisation. Les fonctions urbaines ont été disposées avec ordre en prenant en compte les contraintes naturelles dans une vision prospective et stratégique ; les choix de terrain opérés dès la pénétration en 1881, sont à l'abri de la zone inondable excepté le village. La garnison en premier lieu est située sur un replat au-delà de l'oued et en contrebas du ksar sur un site défensif et à proximité de l'eau potable; côté nord, la gare de chemin de fer a été positionnée au-delà de l'oued et bien au-delà de la zone inondable. Cependant, bien qu'il ait pris ces égards, il construira tout de même le village sur la partie inondable non perçue jusqu'alors comme zone à risque (Voir plan de la ville) ce qui démontre le mauvais choix de terrain du village et laisse penser également au mauvais choix du site de la gare en cul-de-sac. Le pouvoir n'avait plus d'autres choix que de se prémunir des inondations par la réalisation et l'entretien d'ouvrages de protection dans un premier temps puis d'ouvrages d'art par la suite et de bassins de retenue en amont. La zone du souk sera désormais une zone non aedificandi.

Après l'indépendance, le risque d'inondation qui était limité parla maitrise de l'urbanisation s'aggrave avec les aménagements urbains opérés. Ainsi, des constructions seront édifiées sur toute l'étendue de la zone non aedificandi suivies de la réalisation d'un pont à l'endroit du cassis avec atteinte aux ouvrages de protection des berges.De nouvelles pratiques préjudiciables à l'environnement suivront : extension-appropriation du foncier agricole d'une part et pollution de l'oued avec rejet de déchets inertes et de déchets de bergerie. Plus grave encore est l'extension vers l'Est de l'agglomération, le long de l'oued, sans identifier lors de l'élaboration des différents plans d'urbanisme, les risques d'inondation et sans définir de périmètre de protection. Pourtant ces crues sont récurrentes, notamment celles décennales, dont les dommages demeurent inscrits dans la mémoire de la ville et de ses habitants.

La spécificitéde l'inondation du 8 septembre 2024

C'est une crue centennale selon toute vraisemblance qui se distingue par son intensité, ses dommages et son apport solide particulier. La masse de sable drainée a été déposée au centre-ville devenu par la force des choses, son exutoire. Le sable a fait l'évènement. Il a couvert toute la zone inondable avec une hauteur moyenne de 1,2 m allant jusqu'à 2 m par endroit. Ses effets dévastateurs ont paralysé l'activité ; on compte un mort, une cinquante de maison démolies, de nombreux dommages matériels, des parcelles de jardins emportées.

Dorénavant, l'oued est à considérer comme dangereux et l'ensablement comme un risque majeur. Cela veut dire qu'il est nécessaire de repenser les interactions sable-eau pour réduire la vulnérabilité urbaine et rurale. Il s'agit de préparer la ville aux évènements climatiques extrêmes tels que celui-ci (restrictions éventuelles des droits à construire, reboisement, plantations, protection...). Cela veut dire aussi qu'il faut préparer les acteurs et les citadins à affronter le problème, les former au milieu. Mais il s'agit surtout d'aller chercher les solutions en profondeur au niveau du bassin versant et traiter le problème à ce niveau. Là il y aura à rechercher les causes de cet apport de sable et comment y remédier. Il y aura aussi à rechercher comment affaiblir la crue et comment assurer la réalimentation des nappes phréatiques et maintenir le microclimat. A défaut de maitriser l'oued, on pourra toujours l'infléchir. Mais à laisser faire ou à ne rien faire, il restera toujours imprévisible avec plus d'intensité, plus de sable et une zone inondable fatalement élargie. Ainsi, en programmant des actions intelligentes d'aménagement et en donnant de la considération à la chose collective, on aura créé les conditions d'une résilience urbaine et rurale.

Le risque d'ensablement

L'ensablement est devenu un aléa certain puisqu'en tant qu'événement il peut causer des dommages désastreux allant de la perte d'homme et de matériels à l'interruption du fonctionnement de la cité. De plus, les éléments impactés sont de grande envergure ; jardin d'oasis et zones urbanisées sont des éléments soumis à la catastrophe.

En ce sens l'ensablement doit devenirun objet de recherche pour le reconsidérer et l'intégrer dans la nomenclature des risques. Aussi, la surcharge phénoménale de l'eau par le sable fait la nouvelle force de l'oued ; elle gagnerait à être réévaluée en tant que paramètre utilisé dans les calculs des ouvrages. L'eau n'est certainement plus à considérer comme un fluide simplement.

Réconcilier l'homme avec la nature

La résilience ne saurait être effective qu'à la condition que chacun prenne conscience de la vulnérabilité du milieu où il vit et s'implique dans les actions, programmes d'intervention et de prévention à l'égard du risque. Chacun aura un rôle à jouer et les responsabilités sont partagées entre l'État, la commune et le citoyen. Il va falloir réapprendre à vivre avec l'oued, apprendre à le connaître, à le respecter et à en prendre soin. Pour cela, il faut se mobiliser et s'organiser et veiller au grain à l'échelle de tout le bassin. Il s'agit de changer de comportement, d'apprendre à construire licitement (en respectant les normes d'urbanisme et de constructionétablies sur la base d'études rigoureusement menées) et apprendre à construire autrement et se préparer en conséquence.

Il est toujours bon de rappeler combien nos aïeux savaient respecter la nature et avaient toujours pris soin du bien collectif.

La naissance du ksar d'Aïn Sefra au 15ème siècle en est un exemple. Sa localisation était due à la présence d'une source au pied de la dune et auxterres potentiellement agricoles le long des berges de l'oued Breidj. Le ksar à été implanté en dehors de la zone inondable, il n'a pas souffert de l'inondation. Nos aïeux en ont fait un excellent terroir et l'oued était devenu source de vie.

*Ingénieur en urbanisme et géographe