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Les contingents de l'histoire: L'Europe, une «inhumanité dans l'Humanité» (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed*

A peine le premier conflit mondial terminé que les événements en Europe vont se précipitaient comme si tout courait sur cette Europe pour sa destruction. C'est ainsi qu'après un premier contingent allait suivre une deuxième contingent - la crise de 1929 - et après ce deuxième, un troisième contingent - le Deuxième conflit mondial -, probablement le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité. Pourquoi ce deuxième conflit mondial ?

L'hypothèse que les grandes puissances «étaient tout simplement entrées par mégarde» comme cela fut pour le Premier conflit mondial ne tenait plus la route. L'Europe est entrée dans la guerre de façon que l'on pourrait dire «préméditée». Tout semblait souffler dans cette thèse, compte tenu des séquelles du Premier conflit mondial. Le Deuxième conflit mondial déclenché par l'Allemagne en 1939 était inéluctable par son «essence». Selon la dialectique hégélienne, les «contradictions du monde» personnifiées par l'Europe et son emprise sur les trois-quarts de l'humanité, en tant que centre de décision du monde, se sont résolues une première fois par un Premier conflit mondial. Mais les contradictions n'étant pas épuisées, de nouvelles crises surviendront pour mettre un point final à une longue histoire de domination de l'Europe sur le monde. La «crise en 1929» suivie à la «Grande dépression des années 1930», et celle-ci au «deuxième conflit mondial» ont constitué des «contingents» qui devaient se succéder suivant un ordre logique déterminé par la marche de l'histoire.

Ceci témoigne de la puissance de la «Raison» dans l'Histoire. Un principe immanent de la «Raison dans l'Histoire» qui utilise la liberté humaine pour parvenir à un futur imprévisible modifiant brusquement le «but pensé» par cette liberté. Si la FED a choisi une politique monétaire expansive au milieu des années 1920 pour éviter à l'économie américaine une récession, la finalité visée s'était déjà transformée en ce qu'on pourrait appeler au sens sartrien une «contre-finalité». Un «contingent» qui n'était pas du tout «pensé» dans les projections économiques et monétaires de la banque centrale américaine mais entrait dans l'ordre transcendant de la «Raison». Par les événements qu'ils ont provoqués, on peut dire que les «contingents» dans l'Histoire sont venus au secours du monde colonisé.

Ainsi 1939 a été l'instant critique pour le monde riche. Des millions de chômeurs par le monde transformés en millions de soldats pour aller se combattre dans la guerre par le monde. L'ordre du monde, n'étant plus «viable», devait disparaître pour laisser place à un ordre plus viable. Selon la dialectique de Hegel, ce monde devait être surmonté en passant de l'affirmation d'un monde en crise (cloisonné en zones monétaires après la crise de 1929) à la négation de ce monde (un monde entré dans une seconde guerre mondiale) et de cette négation à la négation de la négation (le monde d'aujourd'hui depuis 1945 à nos jours).

Et cette négation s'est comptée en pertes humaines sans rapport avec le premier conflit mondial : plus de cinquante millions de morts en cinq années et demie. Surtout dans le camp occidental. Et comme par miracle, devant tant de désastre, tant de ruines, tant de sacrifices humains, l'avènement de l' «arme absolue» et son utilisation en 1945 va mettre définitivement fin aux guerres mondiales entre les grandes puissances. Comment ? En leur «promettant simplement l'apocalypse», i.e. leur destruction instantanée. Le monde, depuis les trois grands contingents de l'histoire, est désormais sous la surveillance du «feu des armes nucléaires disséminées à travers le globe». Dans les silos, dans les grands vecteurs sous-marins et aériens porteurs de vecteurs nucléaires.

Ironie de l'histoire, ce ne sont pas les hommes qui arrêteront définitivement les guerres entre les grandes puissances mais la puissance de forces inanimées, des «forces de la Nature découvertes par l'homme et pour l'homme» qui, tel une épée de Damoclès, non seulement dissuaderont toute velléité de guerre mais pendront en permanence par leur existence sur l'existence des hommes. Les forces de la «Nature» s'érigeront non seulement comme rempart à la «folie des hommes» mais «pacifieront progressivement les hommes».

Le miracle de l'Europe - Le Dasein du monde ou le «monde en soi là»

Ce que l'on pourrait dire est qu'il y a un «Dasein» quelque part de Heidegger [L'Être dans le Temps] dans le monde, ou encore un «monde en soi là» au-dessus de la volonté des hommes dans l'évolution de l'humanité. L'humanité ne va pas à sa perte comme le clament beaucoup d'intellectuels occidentaux, qu'il n'y a pas de «déconstruction du monde», mais plutôt une «déconstruction-reconstruction du monde». Ce qui signifie que la négation engendre la négation de la négation, termes chers à Hegel. Donc une «positivité» dans le Dasein heideggérien. L'Homme comme les peuples sont «ces Êtres dans le Temps», et seront «dans les Temps à venir» autres ce qu'ils sont aujourd'hui.

L'évolution du monde est réellement positive. Et aujourd'hui encore, malgré les préjugés dus à l'imperfectibilité des systèmes politiques et économique du monde, elle est positive et ne peut être que positive. Au-delà même de l'histoire, si le monde tourne et emporte le monde dans cette rotation, c'est que le système mondial a certainement un sens, ce qui est une évidence même. Sans cela nous ne saurions pourquoi nous existons.

C'est ainsi que, marqué par les deux guerres mondiales et la grande crise économique de 1929, le «centre du monde qu'était l'Europe» reste encore, aujourd'hui, un «des centres du monde» qui fait marcher à la fois l'Europe économique et monétaire et le reste du monde. Quant aux «Trois-quarts de l'humanité», comme pour le Premier Conflit mondial, plus de cent nations ont émergé dans l'ordre des nations souveraines. Cependant d'autres souffrances, d'autres luttes les attendent et pour lesquels la «Nature», la «Raison dans l'Histoire», aura été une «Providence» non seulement pour leur libération de l'emprise occidentale mais aussi contre des forces négatives en leur sein. Comme pour le «Centre du monde» qui, déchargé de sa domination, aura à affronter de nouveaux enjeux, de nouveaux conflits en son sein et avec les pays du reste du monde.

Désormais d'une «inhumanité» à une «humanité», le monde colonisé a pu revendiquer sa liberté, au besoin par les armes. Un ordre nouveau aura émergé et deux superpuissances chercheront aussi à prolonger ce que les empires européens ont cherché à prolonger. Mais le «temps des empires» est bien fini. Au-delà de l'antagonisme des deux grandes puissances, les peuples «des Trois-quarts du monde» retrouvent le chemin de leurs indépendances, et combien même les États-Unis et l'Union soviétique chercheront à élargir leurs sphères d'influence, ces puissances en viendront à comprendre qu'elles doivent désormais composer avec les pays des «Trois-quarts de l'humanité» dans les affaires du monde.

Telle est l'histoire d'une Europe, transformée pendant longtemps en une humanité puis en une inhumanité du monde. Aujourd'hui, de nouveau en une humanité, l'Europe, incroyablement et au-delà de la crise économique de 2008, est devenue un véritable «eldorado» des droits de l'homme, de démocratie que nations et peuples, au-delà des préjugés, respectent voire même prennent pour modèle de gouvernance. Au point que des hommes traversent la mer au péril de leur vie pour rejoindre cet «eldorado», qui devient un «rêve» pour un grand nombre de peuples.

Et ce miracle a été obtenu, depuis la fin de la mainmise européenne sur les peuples.

Conclusion

L'auteur des lignes mentionnées supra «Philosophie de l'Histoire», Hegel, Exposition de sa doctrine, Toulouse, 1844, évoque deux vérités : «C'est surtout du temps et de sa marche tranquille qu'il faudra attendre ses développements». I.e. le devenir de l'Humanité. Et «Par philosophie de l'histoire, il ne faut pas entendre des réflexions philosophiques sur l'histoire, réflexions auxquelles la matière historique, les faits serviraient comme exemple, mais bien l'histoire elle-même»», ce qui signifie que la philosophie de l'histoire est consubstantielle à l'histoire même de l'humanité. I.e. la philosophie de l'histoire fait ressentir l' «essence même de l'histoire». En clair son «pourquoi» et son «comment» l'humanité est arrivé là [le Dasein heideggérien], et devenu ce qu'elle est aujourd'hui, et ce qu'elle pourrait être demain [le Dasein futur]. Ce qui est éminemment important pour la compréhension du monde. Et comme l'a exprimé l'auteur qui a écrit ces lignes en 1844 : «C'est déjà cependant un notable progrès que d'être arrivé à considérer l'histoire, non comme le résultat exclusif des velléités mesquines de quelques individus, mais encore comme la manifestation la plus élevée de l'intelligence infinie. Poser ce principe et développer quelques unes de ses conséquences, c'est un résultat immense dont l'époque à laquelle nous appartenons peut justement s'enorgueillir». Et précisément, nous devons nous enorgueillir du legs laissé par ces grands penseurs européens, il y a plus d'un siècle et demi. Il nous ouvre des perspectives immenses sur l'histoire de l'humanité. Et c'est dans la mémoire des résultats passés sur l'histoire que l'homme doit entreprendre à chercher, à comprendre sa destinée, en termes de passé, de présent et d'avenir.

*Chercheur