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Littératures arc-en-ciel

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Afrique du Sud. Histoire et littérature. Essai de Benaouda Lebdaï. Casbah Editions, Alger 2023, 285 pages, 1200 dinars.



Le 10 mai 1994, après 342 ans de colonisation, l'Afrique du Sud gagnait son indépendance et devenait une nouvelle Afrique du Sud, avec à sa tête un nouveau président, le sud-africain noir, Nelson Mandela. Le pays a donc connu deux indépendances, la sortie de l'horreur au quotidien pour les Noirs et la création d'un pays multiple grâce à la réconciliation, Nelson Mandela ayant mis en place, en 1996, la Commission Vérité et Réconciliation, sous la présidence de l'archevêque Desmond Tutu. Une Nation porteuse d'espoir, de tolérance et de pardon était née !

Auparavant, Nelson Mandela et Frederik De Klerk reçurent, en 1992, le prix Nobel de la Paix pour leurs actions positives et leur esprit d'endurance.

Depuis 1994, l'Afrique du Sud est devenue une nation admirée, mais très observée, car elle s'est montrée capable d'éliminer tout esprit de vengeance et d'accepter que le pays appartienne aussi aux Blancs qui étaient arrivés sur cette terre au XVIe siècle. Et, ce malgré tant d'inégalités toujours présentes.

Deux actes fondamentaux ont permis tout cela : tout d'abord le fait que l'Anc (African National Congress/Congrès national africain) qui avait commencé à lutter le 8 janvier 1912, avait inscrit dans sa Charte, en 1955, l'égalité entre Noirs et Blancs. C'est seulement que bien plus tard, au vu de la violence de plus en plus discriminatoire du gouvernement de Pretoria, que l'Anc (avec Nelson Mandela) renonça à la non-violence. Mais, toujours pour une démocratie non raciale et le refus de toute politique qui séparait les races.

Ensuite, il y a l'émergence et le développement d'une littérature progressiste anti-apartheid, avec des écrivains blancs noirs, blancs ou métis : Romans, nouvelles, poèmes et autobiographies foisonnèrent dénonçant la souffrance des colonisés, presque toujours dans la clandestinité, en exil et parfois de prison (face à des écrivains afrikaners pro-apartheid qui évitaient tout sujet polémique et qui ne publiaient que des romans à l'eau de rose ou des romans à la gloire des Afrikaners conquérants et racistes), puis dénonçant les manquements aux promesses d'une vie meilleure pour les Noirs et les Métis à la fin de l'apartheid.

Que de noms lumineux dont plusieurs ont été traduits en plusieurs langues et à découvrir (pour mieux saisir le sens des autres combats encore à mener à travers le monde contre le racisme et l'exploitation coloniale ouverte ou déguisée... en Afrique, en Palestine...) : Thomas Mofolo, Dennis Brutus, Alex La Guma, Bessie Head, André Brink, Alan Paton,Athol Fugard, Lewis Nkosi, David Medalie, Miriam Tlali, Lauretta Ngcobo, Zoë Wicomb, J.M.Cœtzee, Nadine Gordimer, Steve Biko, Winnie Madikizela Mandela, Nelson Mandela, Njabulo Ndebele, Sipho Sepamla, Mike Nicol, Zakes Mda... et bien d'autres... presque tous au style réaliste et au réalisme magique.

L'Auteur : Professeur aux universités (Le Mans, Alger 2), spécialiste de littérature comparée (littératures coloniales et postcoloniales). Auteur de plusieurs ouvrages dont une biographie de Winnie Mandela. «Africaniste comparatiste», collaborateur (chroniques littéraires) de plusieurs organes de presse et de revues spécialisées.

Table des matières : Introduction/ Partie I : Histoire et mémoire culturelle/ Partie II : Engagement «fanonien»/ Partie III : Littérature du trauma/ Partie IV : Perspectives politiques et artistiques post-apartheid/ Partie V : Paroles de romanciers sud-africains/Bibliographie (Romans, Etudes critiques, Filmographie/Ouvrages publiés par l'auteur).

Extraits : «La volonté de revisiter le passé afin d'instruire le présent et construire l'avenir n'est pas qu'une simple formule lapidaire dans le cas de l'Afrique du Sud» (p 15), «Dans ce contexte des années 1960, l'Afrique du Sud devint le seul pays au monde à instaurer un racisme d'Etat» (p 23), «Chaka incarne l'archétype du héros anticolonial, à l‘image de l'émir Abdelkader en Algérie, du roi Béhanzin au Bénin ou du roi Soundiata Keita au Mali» (p 51), «L'intégration de la culture africaine par les Blancs est essentielle psychologiquement pour pouvoir sortir de l'apartheid et dépasser les traumas, car les ressentiments de la terre perdue peuvent devenir obsessionnels comme ce fut le cas pour les Noirs dépossédés de leur terre» (p161), «Le cinéma (note : afrikaner) puisait dans un conservatisme idéaliste, chantant le passé glorieux des pionniers du Grand Trek, glorifiant la pureté raciale et la langue afrikaans. Dans ce cinéma, lorsque les Noirs apparaissaient, ils étaient représentés comme des démons, ce qui explique son succès commercial auprès des populations blanches sud-africaines» (p229), «Pour moi, Albert Camus est algérien et français et un être humain qui appartient au monde. Il n'aurait pas existé en tant que tel sans l'Algérie. Il n'aurait pas existé sans la langue française» (André Brink, écrivain sud- africain blanc, cité in entretien cité, p 246).

Avis - Pour connaître la solidité du socle culturel riche et multiple d'un pays complexe politiquement qui se construit dans la diversité, formant la «nation arc en ciel» et ce grâce à la ténacité de ses intellectuels (Noirs, Blancs et/ou métis) engagés pour la justice et le droit.

Citations : «La littérature peut rétablir des vérités sur l'histoire manipulée» (p65), «On parle d'explorateurs blancs, mais force est de constater que l'Afrique ne se découvre pas sans les Africains» (p67), «Les concepts idéologiques de Frantz Fanon traversent la littérature sud-africaine engagée dans la dénonciation de l'apartheid dont les conséquences perdurent dans le pays arc-en -ciel» (p 81), «L'implicite dans le paratexte est utile quand le titre joue un rôle significatif. Il éclaire le thème de l'histoire ; il met le lecteur en condition psychologique favorable au récit annoncé» (p 104), «L'autobiographie est un genre littéraire à part entière, car le narrateur et le personnage principal ne sont qu'une seule personne et forment le «pacte autobiographique» (p 134. Philippe Lejeune cité, 1998), «Le 10 mai 1994, le président de l'Anc, Nelson Mandela, devint le Président noir, plus de trois siècles après l'arrivée des premiers colons blancs.

D'idéologie marxiste, Nelson Mandela fut pragmatique face à l'Histoire» (p188), «La malheur fait progresser les mentalités (p215), «On apprend par l'expérience, par la vie que la lutte d'un écrivain pour une véritable libération ne finit jamais. Mais dans le même temps, tout cela donne de la force pour continuer et aussi rester fidèle aux valeurs telles qu'exprimées par Albert Camus : la fidélité vis-à-vis de la vérité, de la justice et de la liberté» (André Brink, écrivain sud-africain blanc, cité in entretien cité, p 243), «A chaque fois que l'on fait un choix, ce qui n'a pas été choisi reste en vous, comme étant toujours des alternatives» (André Brink, écrivain sud-africain blanc, cité in entretien cité, p 247), «Un début d'histoire ne peut être une idée d'histoire» (Zoë Wicomb, écrivaine sud-africain métisse, citée in entretien, p 251), «Il faut «habiter» et il faut être «habité» longtemps par un roman avant de pouvoir passer à sa rédaction. Ce qui est sûr, c'est que, par maints aspects, le processus d'écriture d'un roman est différent de celui d'une nouvelle» (David Medalie, écrivain sud-africain blanc, cité in entretien cité, p 254),



L'Afrique et ses littératures ou le trauma en narration. Ouvrage collectif sous la direction de Benaouda Lebdaï. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2018,

900 dinars, 261 pages



Quinze contributeurs d'Algérie et d'ailleurs en Afrique. Tous spécialistes (ou lecteurs critiques) de la littérature africaine (et de la diaspora)... qui tentent, avec bonheur, même si les discours sont difficilement accessibles au commun des lecteurs, de «découvrir» le trauma (en tant que concept critique) dans les écrits postcoloniaux des uns et des autres.

La démarche globale est psychanalytique bien plus que clinique... nommant les traumas de l'Histoire à partir de la représentation situationnelle de ceux qui les subissent, sujets coloniaux et post -coloniaux.

D'où, des textes qui nous mènent de Salman Rushdie, Assia Djebar et Rachid Boudjedra à Bessie Head, Zoë Wicomb et Alain Mabackou en passant par J. M. Coetzee, Tierno Monenembo, Délia Jarett-Macauley...

L'Auteur : Voir plus haut

Extraits : «Le trauma est révélé par l'absence de ce qui est essentiel, qui est une manière de reconstruire l'avenir, celui d'Afrique apaisée face à son histoire» (Benaouda Lebdaï, p 11) (...)

Avis - Un ouvrage destiné principalement aux Africains (Algériens y compris) spécialistes ou intéressés... traumatisés ou non, aimant la littérature ou non.

Citations : «Trauma vient du mot grec qui signifie blessure, et que ses racine indo-européennes le lient à la trouée, la percée» (Marc Amfreville, p.18), «Être sous surveillance en continu est une souffrance, un paradoxe pour des écrivains dont le métier est d'être seuls pour réfléchir, écrire, pour des artistes et des journalistes pour qui la liberté est essentielle» (Benaouda Lebdaï, p 45)

(Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète déjà publiée le 10 avril 2019,in www.almanach-dz.com/bibliotheque dalmanach/population )



PS: Le lauréat du plus prestigieux des prix littéraires français a été proclamé ce lundi 4 novembre 2024 à 12h30 au restaurant Drouant à Paris. C'est le (franco-)Algérien Kamel Daoud qui a remporté le 122e prix Goncourt pour son livre "Houris" (éditions Gallimard) A noter que Kamel Daoud, très longtemps journaliste-chroniqueur au "Quotidien d'Oran", avait déjà remporté le prix Goncourt du premier romanavec "Meursault, contre-enquête". Il a aussi remporté récemment le Prix Landerneau des lecteurs.