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PALESTINE ASSASSINÉE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Au pied du mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967). Essai de Vincent Lemire. Éditions Barzakh, Algérie 2024, 395 pages, 1200 da



«Parce qu'il a servi de laboratoire et de terrain d'expérimentation pour différentes stratégies politiques et géopolitiques, le microcosme du quartier maghrébin se révèle ainsi être un excellent laboratoire de l'histoire du Proche-Orient et de la Méditerranée» (p. 23). Mais qui se souvient (et se soucie encore) de ce que fut le quartier maghrébin. Un quartier fondé par le fils de Saladin, destiné à l'accueil des pèlerins originaires du Maghreb, devenu rapidement un lieu de vie ouvert sur la Méditerranée, traversé pendant huit siècles par des milliers de voyageurs. Un waqf dont l'acte de fondation a été rédigé à Jérusalem par un arrière-petit-fils de Sidi Abou Mediene, en langue arabe, le 29e jour du mois de Ramadan de l'an 720, c'est-à-dire le 2 novembre 1320 selon le calendrier grégorien. Chateaubriand l'a visité et décrit en octobre 1806, et Yasser Arafat enfant, à la mort de sa mère, alors âgé de quatre ans, y a habité avec son frère, chez un oncle. Car, il était, non un quartier isolé et relégué aux marges de la Ville sainte mais au cœur de la collectivité citadine de Jérusalem. Déjà en 1959, on y recensait alors 40 familles marocaines, 30 algériennes et 15 tunisiennes... sans compter les pèlerins de passage et bien des sans-abris, toujours pris en chargé par les habitants. Ainsi que 130 maisons. Ainsi que la mosquée al-Burak, construite alors sur le site «où le cheval du prophète Mohammed (Qsssl) est monté au ciel».

Hélas, la sanctuarisation du Mur occidental par les communautés juives de Jérusalem (le quartier était à proximité immédiate de l'esplanade du temple, «fondé, selon la tradition biblique, vers -1000 par Salomon) à partir du XVIe siècle puis son intégration progressive au sein de l'horizon politique sioniste à partir de la fin du XIXe siècle (à partir des années 1910 avec, entre autres, plusieurs tentatives de rachat) ont été deux processus historiques ayant entraîné sa destruction totale par l‘armée d'occupation sioniste, dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 juin 1967, après l'instauration du cessez-le-feu qui met fin à la «guerre des Six jours»... 650 habitants expulsés brutalement et 135 maisons détruites (c'était non pas un agrégat de taudis mais il faisait partie intégrante de l'espace urbain, ses rues étaient entretenues et ses infrastructures régulièrement modernisées). Dans un certain silence international. Sous la pression des partisans du sionisme religieux (de plus en plus agressif et insensible aux réactions d'une communauté internationale en bonne partie complice), ce sera suivi, presque deux ans jour pour jour, le dimanche 15 juin 1969, par la destruction du pâté de maison du Dar Abu Saud, situé au sud de la nouvelle esplanade. Il est vrai que déjà depuis le 1er avril 1963, les Maghrébins de Jérusalem s'étaient retrouvés totalement isolés. Déjà privés d'une grande partie de leurs revenus financiers depuis 1948, ils s''étaient retrouvés privés de toute protection juridique et diplomatique. Un quartier en sursis !

Le grand drame, c'est que la «destruction physique» a été accompagnée par une «disparition documentaire», comme si le quartier et ses habitants devenaient littéralement «invisibles» aux yeux de l'historien... et du monde arabo-musulman.

L'Auteur : Enseignant à l'Université Paris-Est/Gustave Eiffel. Il a dirigé le Centre de recherche français à Jérusalem (Cnrs-Meae) et le projet «Open Jerusalem». Plusieurs publications dont une Bd, «Histoire de Jérusalem» (2022).

Table : Introduction. Un lieu pour l'histoire/ Prologue. L'assise juridique d'un quartier de Jérusalem : l'acte de fondation du waqf Abou Mediene/Chapitre I. Dans l'Empire des sultans : gestion et consolidation à l'époque ottomane/ Chapitre II. Dans le tumulte de la guerre et du mandat : un quartier convoité et fragilisé (1912-1936)/Chapitre III. Protection et ambition impériale : la France au pied du Mur (1948-1954)/ Chapitre IV. Contradictions coloniales et basculements géopolitiques : les orphelins de l'Empire (1955-1962)/ Chapitre V. Expulser et détruire : histoire d'une décision politique (juin 1967)/ Chapitre VI. Après la catastrophe : collecter les traces, documenter la disparition/Epilogue. Les archives du sol : apparition, disparition/ Conclusion. Un mur de silence/ Notes/ Bibliographie/Index des noms de personnes/Index des noms de lieux/Index des noms d'institutions/Remerciements/Table et crédits des illustrations.

Extraits : «Le quartier maghrébin n'a pas seulement été détruit dans la nuit du 10 au 11 juin 1967 : il a été littéralement effacé de toute mémoire et de toute narration» (p 219), «L'histoire post mortem du quartier maghrébin, celle qui se poursuit après le 11 juin 1967 -de manière délocalisée, dispersée, diffractée-, relève donc à la fois de la trace et de l'aura, de l'empreinte et du halo, du vestige et de l'écho : des documents et des discours, des procédures et des récits, des restes de bâtiments et des bribes de légendes» (p 249), «On est saisis encore davantage par ce vertigineux paradoxe : c'est la disparition du quartier qui a provoqué son apparition aux yeux de l'historien, c'est sa destruction brutale qui a permis sa documentation (...).Paradoxe en apparence seulement puisque l'histoire se nourrit sans cesse de documents produits par la disparition même de ce dont ils témoignent, que ce soit sous la forme de traces écrites ou de, vestiges matériels» (p277), «Bien souvent, la catastrophe, la mort, la disparition des personnes et des biens produisent en même temps leur documentation, ou plutôt leur transformation en documents, c'est-à-dire leur conservation paradoxale, non plus désormais à l'usage des vivants mais au seul profit des historiens et de leurs lecteurs» (p 278).

Avis - Pour découvrir comment une «violence d'Etat» (sioniste et colonialiste... aujourd'hui génocidaire) se double d'un «mensonge d'Etat» délibérément organisé pour dissimuler les responsabilités politiques d'une opération de destruction... l'auteur faisant le parallèle avec les massacres, à Paris, des Algériens, le 17 octobre 1961.

Citations : «A Jérusalem, un «glissement de terre» s'accompagne presque toujours d'une glissement de temps» (p12), «L'historien n'est pas un pourvoyeur de certificats d'authenticité, il doit résolument se refuser à cette fonction qu'on veut trop souvent lui assigner» (p18), «La structure des archives est toujours signifiante, pour peu qu'on prenne le temps de s'attarder sur leurs contenants avant de se précipiter sur leurs contenus» (p 115), «Le rôle de l'historien consiste parfois simplement à rendre visibles des continuités discrètes, là où des récits épiques ne veulent voir que des ruptures fracassantes» (p 203), «La trace est l'apparition d'une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l a laissée. L'aura est l'apparition d'un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l'évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l'aura, c'est elle qui se rend maîtresse de nous» (p 248. Walter Benjamin cité, in Paris, capitale du XIXe siècle. Ed. du Cerf, Paris 1989).



Les matins de Jénine. Roman de Susan Abulhawa (traduit de l'américain par Michèle Valencia).Editions Media-Plus, Constantine, 2008 (Usa : 2006, France : 2008), 422 pages, 1 050 dinars*



Préface de l'auteur. Extraits : « Bien que les personnages de ce roman soient imaginaires, la Palestine elle, ne l'est pas. Pas plus que les événements et personnages qui apparaissent au fil du récit...», «L'affection et les encouragements de mes amis m'ont aidée plus d'une fois à surmonter mes périodes de doute, surtout lorsque les dettes et les refus de publication s'accumulaient»...

Ein Hod... un village fondé en 1189 par un général de l'armée de Saladin... Plus de quarante générations ayant vécu et étant mortes dans ce village. Quarante générations de naissances, funérailles, mariages, danses, prières et genoux écorchés... de péchés et de charité, d'inimitiés et de pactes, de pluie et d' actes d'amour... de souvenirs, de secrets et de scandales gravés dans les mémoires. Une architecture, des vergers, des puits, des fleurs... Quarante générations, toutes englouties brusquement et brutalement par la notion du droit d'un autre peuple à s'installer dans un espace ainsi «libéré» et à le proclamer sien... Un autre peuple, venu d'ailleurs, composé d'étrangers juifs arrivés d'Europe, de Russie, des Etats-Unis et d'autres coins de la planète. Toute une histoire «enterrée vivante», à partir de l'année 48... une année expulsée de «la liste des années et des nations».

Ein Hod...1940-1948 : un village et une famille heureuse... celle de Hassan Abulhedja et de Dalia... avec leurs enfants, Youssef, Ismail et Amel. Une cohabitation tranquille, fraternelle entre les communautés. 12 décembre 1947 -1948 : Les sionistes arrivent. Très bien armés... le massacre va alors commencer. (...)

Puis le camp de réfugiés de Jénine... un autre «dépotoir humain» comme tant d'autres jonchant la brève histoire d'Israël... En fait des camps de prisonniers ne disant pas leur nom.

Puis, une incessante appropriation de la terre palestinienne... ce que Amal appelait «l'impérialisme centimètre par centimètre» (...) Par la suite, c'est Beyrouth... puis les massacres de Sabra et Chatila...

Le cauchemar va continuer. Amal, citoyenne américaine en visite chez son frère Youssef, à Jénine (ce qui en restait, en 2002), en compagnie de sa fille Sara, est tuée par un soldat israélien...

L'Auteure : Née en 1967 en Palestine. Parents dans un camp de réfugiés de la guerre des Six-Jours, en Jordanie et dans la partie occupée de Jérusalem-Est. Vit aux Etats-Unis.

Extraits : “Hasbi Allah wa niamal wakil. Tout comme les pays arabes qu'il maudissait, Yahya ne se porta pas au secours de ses frères attaqués. En secret, il se disait qu'Ein Hod serait épargné si les villageois ne «s'en mêlaient pas». Il croyait que l'offre de paix sincère faite par les Palestiniens aux juifs assurerait la continuité de leur vie» (p52), «N'importe quel réfugié du camp aurait pu raconter la même histoire, celle de gens que l'on avait dépossédés, dépouillés de tout ce qui faisait d'eux des être humains, puis jetés comme des ordures dans des camps dont même les rats n'auraient pas voulu. Privés de droits, de maison, de nation, tandis que le monde nous tournait le dos, ou acclamait les usurpateurs qui exultaient en proclamant la création d'un nouvel État auquel ils avaient donné le nom d'Israël» (p 115), (...)

Avis - Formidable livre : Intense, beau, puissant, brillant, émouvant, bouleversant, poignant, déchirant. A lire et à faire lire sans délai... pour que les mentalités... de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas savoir les souffrances du peuple palestinien, ceux qui doutent encore... changent. En Palestine, le cauchemar continue.

Citations : «Une semaine après le massacre de Sabra et de Chatila, le magazine Newsweek décida que le fait le plus important des sept jours écoulés était la mort de la princesse Grace de Monaco» (p 333), «La cicatrisation des blessures et la paix ne pouvaient commencer qu'une fois que l'on avait reconnu ses torts» (p 360).

*(Fiche de lecture déjà publiée le 26 novembre 2020. Extraits pour rappel seulement. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/histoire/bibliotheque dalmanach-dz.com)