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Pour une réforme fiscale urgente en Algérie

par Nabil Mati*

L'Algérie, le plus grand pays d'Afrique et le dixième au monde par sa superficie, dispose d'un important potentiel démographique et économique. Comptant 46 millions d'habitants, le pays affiche un taux de fécondité de 2,89 enfants par femme, le plus élevé de la région, devant le Maroc et la Tunisie. Avec une population jeune, dont l'âge médian est de 28 ans, l'Algérie présente des atouts favorables à son développement. De plus, l'espérance de vie a considérablement progressé, passant de 40 ans en 1960 à 76,3 ans en 2021 (1). Cependant, le véritable enjeu consiste à exploiter ces potentiels de manière à assurer une croissance durable et inclusive, d'autant plus que les revenus tirés du pétrole, bien que conséquents, ne pourront pas éternellement soutenir l'économie nationale.

Pourtant, malgré une augmentation significative des recettes hors hydrocarbures, en hausse de 28% en 2023, ce potentiel demeure largement inexploité. Les politiques économiques et fiscales en vigueur manquent de cohésion, et la gestion des ressources, que ce soit au niveau local ou national, reste insuffisante pour relever les défis du développement et positionner l'Algérie aux standards internationaux.

Certes, des efforts significatifs ont été entrepris par le président Abdelmadjid Tebboune, accompagnés de directives claires concernant, mais beaucoup reste à accomplir, notamment en raison de le manque d'une véritable politique fiscale cohérente de la part du ministère des Finances et d'une gestion inadéquate des ressources, tant au niveau local que national.

En dépit de cette situation, le pays continue de subir un manque à gagner important dans sa trésorerie publique. Pour y remédier, il est essentiel de s'attaquer aux niches fiscales, de renforcer la collecte de la taxe foncière, de réduire l'utilisation du cash sur le marché parallèle et d'encourager les commerçants à effectuer leurs transactions via les banques. La taxation des entreprises doit également être appliquée avec rigueur, en assurant un suivi strict des dossiers fiscaux.

Lors d'une enquête menée à El Harrach, en banlieue d'Alger, où de nombreux magasins se consacrent à la vente en gros de téléphones mobiles, un grossiste nous a confié que peu de ces commerces s'acquittent correctement de leurs impôts. La majorité parvient encore à échapper au contrôle du ministère des Finances : «Ils se déclarent comme détaillants auprès des autorités fiscales, alors qu'ils opèrent en réalité en tant que grossistes, ce qui leur permet de payer moins de taxes et d'impôts», a-t-il expliqué.

Pour exploiter pleinement son potentiel économique, l'Algérie doit non seulement réformer sa politique fiscale en profondeur, mais aussi renforcer les contrôles et appliquer des sanctions exemplaires pour lutter contre l'évasion fiscale. En mobilisant tous les moyens disponibles et en utilisant la force du droit, la «peur du gendarme» demeure l'un des outils les plus efficaces pour combattre ce phénomène.

Le manque à gagner constitue un obstacle majeur à la gestion efficace des ressources locales. Ce déficit prive les collectivités locales des financements nécessaires pour améliorer les infrastructures, comme les routes et les hôpitaux, moderniser les services publics et promouvoir le développement local.

En l'absence de cette contribution essentielle, les collectivités ne disposent pas des ressources indispensables pour mener à bien leurs projets de développement.

Un appel à la responsabilité citoyenne

Cette politique fiscale efficace doit aller au-delà de la simple collecte d'impôts ; elle doit également servir d'équilibre entre l'État et ses citoyens. Pour sortir de la politique de l'assistanat, il est crucial d'encourager la participation active des citoyens dans le développement du pays par une contribution fiscale juste et transparente. Cela impliquerait de renforcer la culture de la responsabilité citoyenne, où chaque contribuable voit sa participation comme un investissement dans l'avenir de l'Algérie.

Une telle approche encouragerait les Algériens à jouer un rôle plus actif dans la construction de leur pays, tout en aidant à diversifier les sources de revenus de l'État et à réduire la dépendance excessive aux hydrocarbures.

Accélérer la numérisation pour une fiscalité efficace

Pour atteindre ces objectifs, il est impératif d'accélérer la politique de numérisation. La modernisation des outils fiscaux, par l'adoption de technologies numériques, permettrait d'améliorer la transparence et l'efficacité du système de collecte des impôts. La numérisation faciliterait la gestion des taxes foncières, réduirait les risques de corruption, et renforcerait la confiance des investisseurs et des citoyens dans le système fiscal.

Une fiscalité modernisée et numérisée garantirait également une meilleure répartition des ressources et une gestion plus efficace des fonds publics. En facilitant le suivi des paiements et la gestion des recettes fiscales, elle offrirait aux autorités locales les moyens d'investir dans les infrastructures et les services publics nécessaires pour soutenir la croissance économique.

Dans un avenir où l'Algérie ne pourra plus compter sur des revenus pétroliers significatifs, le pays devra exploiter pleinement ses autres ressources pour compenser la perte de cette rente, à l'instar de nombreux pays à travers le monde. Pour y parvenir, il est essentiel d'anticiper et de mettre en place une politique fiscale solide, transparente et efficace qui encourage l'engagement des citoyens et leur participation active au développement national. En adoptant cette approche, l'Algérie pourra créer les conditions d'une croissance durable et inclusive, transformer son potentiel économique en réalité pour l'ensemble de sa population, et s'affirmer comme une nation émergente sur la scène internationale.

*L'École des Hautes Études des Sciences Sociales de Paris

(1) https://fr.statista.com/