Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La République, le soldat et la défense de l'Occident

par Abdelhak Benelhadj

Devisement du chef d'état-major des armées françaises devant des marchands d'armes.

Une crise internationale multiforme s'est manifestée au début des années 2008-2010, conséquence des excès antérieurs après 1990.1 La crise pandémique de 2020 et surtout le conflit ukrainien l'ont approfondie et ouverte sur des périls inconnus depuis la dernière guerre mondiale. Sa gravité est variable selon les pays. L'Europe est menacée par une fracture majeure et la France est aux premières loges, ainsi observée de manière attentive par ses partenaires de l'Union.

Il est fréquent que les crises, que ce soit à l'échelle nationale ou internationale (c'est encore plus vrai lorsque les deux se conjuguent), amènent les gouvernants à confier aux militaires la solution aux problèmes. C'est un peu logique dans la mesure où les crises, quelles qu'en soient les causes, agitent et mobilisent les foules, débordent les forces de l'ordre et génèrent des désordres à résorber, même si une large partie de ces perturbations est le produit d'erreurs politiques qui recourent à la force pour conforter et préserver les pouvoirs en place.

Le chef d'état-major des armées françaises a pris la parole ce mardi 27 août pour prononcer un discours singulier à au moins deux titres. Plus encore que le salut de la France, le général Thierry Burkhard est préoccupé par un péril qui pèserait sur tout l'Occident dont il avertit ses concitoyens. «Il faut se préparer à des temps assez durs, sinon très durs, pour l'Occident», a-t-il estimé devant un parterre de dirigeants d'entreprises, alors que se renforce la «récusation du modèle occidental».

Ses propos sont courts, mais chaque phrase, chaque mot pèse d'une gravité qui mériterait une écoute attentive et un élargissement du débat pour mesurer la portée de la pensée du général.

1.- La tradition républicaine enjoint à la «Grande Muette» de s'en tenir à la plus extrême réserve en matière d'intervention publique et donc politique2.

2- Placer la mission d'un chef d'état-major à la hauteur d'une cause civilisationnelle, aussi imprécise, aussi floue soit-elle, pose de nombreuses questions

De la neutralité de l'armée en République et en démocratie

1- Le chef d'état-major des armées français n'a modestement en charge que la sécurité de son pays. Lourde charge, mais constitutionnellement et strictement circonscrite et limitée.

La «Grande muette» a une vertu : elle est privée de parole et plus précisément de parole politique publique. Sa mission et son unique «honneur» (régulièrement lancé à la face des citoyens) est de servir.

Mandat est dévolu aux élus de la nation pour exprimer, définir et conduire les affaires de la République. Les seuls, devant lesquels le chef d'état-major des armées est habilité à s'exprimer, à rendre compte et à donner un avis lorsqu'il est sollicité.

2.- Conformément à la loi, la légalité et la légitimité de son existence tient au pouvoir du Président de la République qui lui confie les missions qui sont les siennes, le format de ses obligations, dans le cadre du domaine de compétence qui est le sien.

3.- Lorsque dans l'histoire des militaires s'arrogent le droit de se mêler de la politique de leur pays, ce n'est pas toujours très heureux. Surtout quand il leur prend de le faire au nom de causes philosophiques, politiques, religieuses ou civilisationnelles. Quelques exemples, qui ne préjugent en rien de la pertinence des acteurs et de leurs causes :

Le loyalisme et la neutralité de l'armée, ainsi que sa soumission au pouvoir élu, sujets très complexes, ont habité à diverses époques l'histoire de France. Pour s'en tenir à la période récente :

3.1.- Condamné à mort par contumace en août 1940, le général de Gaulle avait déserté une politique qu'il avait jugé contraire aux intérêts de son pays mais non le front d'une guerre qu'il voulait continuer. Il avait alors cessé irréversiblement d'être un soldat pour assumer un destin politique.3

3.2.- Le 21 avril 1961 à Alger un «quarteron de généraux» déclenche un putsch soutenu par un colonat effrayé par le résultat du référendum favorable à plus de 75% à l'autodétermination en janvier 1961. Que certains soldats aient été abusés, croyant sincèrement guerroyer pour leur patrie ne change rien à l'essentiel. Sans doute, les putschistes ont-ils été aussi abusés par le titre d'un Président-général qu'ils croyaient spontanément de leur côté alors qu'il ne se préoccupait que des intérêts de son pays.

3.3.- Le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées entre 2014 et 2017 a été, en divergence avec E. Macron, contraint à la démission en juillet 2017, peu importe les raisons de leurs divergences. Le chef d'état-major a cédé, comme il se doit, devant le chef de l'Etat.

3.4.- En avril 2021, à l'initiative de Jean-Pierre Fabre-Bernadac4, officier de carrière et responsable du site «Place d'Armes», l'hebdomadaire Valeurs actuelles, publie un appel qui alerte en proclamant «la France est en péril», «notre honneur aujourd'hui tient dans la dénonciation du délitement qui frappe notre patrie». Cet appel est signé par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d'un millier d'autres militaires.

«J'ai été choqué d'y lire un appel à l'armée d'active : ça me révulse absolument» a immédiatement réagi le chef d'état-major des Armées d'alors, le général François Lecointre. Ce ne fut pas l'avis de Marine Le Pen qui engage les signataires à «rejoindre son action».

De la défense de la France à la défense de l'Occident

Qui a mandaté ce général pour se préoccuper de la sécurité de «l'Occident» ? A supposer que quelqu'un ait proposé une définition rigoureuse universellement partagée de cette entité lexicologique floue qui chevauche des catégories géographiques, politiques, culturelles, historiques... Et à supposer que les autres pays qui appartiendraient à cet ensemble l'ait désigné pour en parler.

La notion d'«Occident» est en débat au moins depuis le XIXème siècle. Mais les hostilités européennes qui vont peu à peu servir à la préciser, ont commencé il y a des siècles. On peut les faire remonter aux Croisades, à la chute de Constantinople (1453) et à ses deux principales conséquences, la chute de Grenade (janvier 1492 et à la découverte de l'Amérique (octobre 1492)5.

L'Occident ne cesse de se poser en victime pourchassée par tout ce que le monde compte de satrapes vindicatifs, résolus à sa déchéance sinon à son «déclin».6

Aujourd'hui, on aurait de la peine à comprendre comment le général Burkhard pourrait justifier par exemple l'appartenance du Japon (bouddhiste et shintoïste)7 ou de la Corée du Sud, en dehors des bases militaires américaines imposés à ces deux pays depuis 1945 et 1950, à un ensemble culturel et civilisationnel, spécifiquement européen et qui ne se cache pas de le revendiquer.

Il ne s'est cependant pas trompé, lorsqu'il déclare :

Cet ordre international «a été fondé sur le droit, construit par le monde occidental et on nous reproche de l'avoir construit pour le monde occidental», a-t-il ajouté, décrivant «en parallèle la montée d'un ordre alternatif (...) qui veut nous pousser dehors».

Avec ces précisions :

1- Il a raison lorsqu'il dit, à mots couverts, que le monde occidental s'est construit un monde dont il a exclu tout le reste, c'est-à-dire la majorité de l'humanité dont il a effacé culture et nature pour les asservir à un processus qui aboutit à des risques de destruction générale de toute la biosphère.

2- Se construit en effet un «ordre alternatif», mais cet ordre n'exclut personne. Au reste, la crise climatique exige des efforts coordonnés à l'échelle mondiale. Qui songerait à en exclure les principaux responsables ?

Bien au contraire. Ce sont les pays occidentaux qui s'excluent en s'entourant de «Murs» de plus en plus nombreux, de plus en plus hauts, de la Scandinavie au Nouveau-Mexique, de la Méditerranée de Frontex à la Turquie. Même Israël trouve avantage à s'improviser occidental en s'isolant hermétiquement de ses voisins pour lesquels il est une menace mortelle. Cette entité étrangère de fait à la région est un kyste monolithique, réfractaire à toute altérité.

Cet ordre alternatif remet l'Occident à sa place, une place parmi d'autres. Ses inquiétudes de «fragmentation de l'ordre international» ne sont à considérer que sous une hypothèse, qu'il s'agisse de l'ordre universellement imposé par l'Occident à tous.

Lorsqu'il dit : «Le recours à la force est désinhibé et apparaît comme la manière la plus forte d'imposer sa volonté et de résoudre les différends», il fait sans doute référence à la crise ukrainienne et à la «menace» chinoise sur Taïwan. Il en oublie les causes initiales et leur aggravation par les Etats-Unis qui jettent de l'huile sur le feu, croyant maintenir leur hégémonie par des enchères devant affaiblir leurs adversaires. La réédition du «collapsus» de l'URSS en 1990 est une illusion de plus.

3- Cela signifie que c'en est fini d'un monde occidental exclusivement voué à la prédation unilatérale de la majorité (y compris en Occident) par une minorité de «naturalistes» hobbesiens avec une voracité, une cupidité qui ne peut plus durer.

Un exemple le montre.

De fait, l'Europe s'est retirée unilatéralement d'Afrique où sont restées ses bases militaires fermées les unes après les autres, comme au Sahel, parce qu'elles étaient destinées à perpétuer un système qui s'est substitué à la décolonisation politique formelle. Les relations avec la Chine et la Russie se sont peu à peu substituées à celles entretenues avec les anciens empires coloniaux européens.

Pékin accueille du lundi 02 au vendredi 06 septembre un Sommet du Forum de la coopération Chine-Afrique où sont attendus des dizaines de dirigeants et de délégations du continent africain. (AFP, L. 02/09/2024)

C'est la conséquence de tout l'intérêt que la Chine a accordé depuis deux décennies à l'Afrique où se sont rendus des centaines de milliers d'ouvriers et d'ingénieurs pour construire de grands et de nombreuses infrastructures destinées à doper la croissance africaine (voies ferrées, ports, routes...). Elle a gagné en contrepartie un accès privilégié aux vastes ressources naturelles, contournant ainsi les transnationales occidentales qui tiraient des profits substantiels des échanges dans lesquels ni l'Europe, ni l'Amérique ne sont impliquées.

La Chine est ainsi devenue le premier partenaire commercial de l'Afrique. Le commerce bilatéral a atteint 167,8 milliards de dollars au premier semestre 2024 (ibidem).

Les entreprises chinoises ont signé des contrats d'une valeur cumulée de plus de 700 milliards de dollars entre 2013 et 2023, selon le ministère chinois du Commerce.

Ce même 02 septembre, le Nicaragua accorde à la Chine une quatrième concession minière lui permettant ainsi de continuer à s'affranchir des médiateurs occidentaux.

4- Ce que le monde serait devenu s'il avait été dominé par une puissance non-occidentale est une spéculation indémontrable, reposant sur la conception d'une «nature» humaine au service de l'occidentalisation du monde. Rappeler régulièrement que l'Occident ne fut pas la seule civilisation esclavagiste est une escroquerie politique et historique qui cherche à relativiser ses œuvres monstrueuses parfaitement explicables par ailleurs.

Que les promesses des indépendances n'aient pas été toujours satisfaites et que les nouveaux régimes (dans de nombreux cas soutenus par les anciennes puissances coloniales) ne se sont pas acquittés de leurs obligations envers leurs peuples n'invalide pas leur légitime quête de souveraineté.

5- A rebours, la désoccidentalisation du monde au sens d'une réinitialisation amnésique de toute son histoire est une autre illusion. L'œuvre occidentale participe de l'état du monde tel qu'il est. Vouloir tout effacer pour revenir à des conditions initiales indiscernables est une perte de temps déséconomique. Les pays décolonisés se sont gardés sagement de cet errement. Leurs frontières, leurs institutions (pour une large part), leurs territoires, l'organisation de leur géographie urbaine... et même leurs «butins de guerre» habitent leur passé et leur présent.

En 1962, les Algériens n'ont pas cherché à récupérer le pays que la France s'est appropriée en 1830. On ne remonte pas le temps et on n'efface pas d'un trait de plume les conséquences irréversiblement inscrites dans l'histoire des nations.

Les Turcs ont découvert très vite qu'il ne suffit pas de changer les caractères de leur langue pour devenir européens, même si la géographie place 3% de leur territoire et 14% de leur population de l'autre côté du Bosphore. Le retour fantasmatique à l'Empire Ottoman ou à la République européenne imaginée par Mustapha Kemal Atatürk sont des culs-de-sac historiques.

Les Turcs vouent un culte mémoriel à Mehmet II, à Soliman II”³ et au «père de la république», mais se tournent vers l'Asie Centrale et les anciennes républiques socialistes soviétiques où ils retrouvent leurs racines millénaires et leurs intérêts. Mardi 03 septembre 2024, Ankara demande son adhésion aux BRICS.8

Les Iraniens se sont préservés, à raison, de tels égarements.

L'identité est une fiction dangereuse pour ceux qui songent à l'essentialiser. La colonisation fait partie intégrale de l'histoire et aussi de l'avenir des nations en interférence sans rien concéder de leur souveraineté.

La décolonisation n'est pas la fin de la libération, n'est pas un état définitif, tout cela est bien connu et reconnu, mais un processus renouvelé qui interroge continûment la capacité d'une nation à s'affranchir de ses contraintes intérieures et extérieures.

Qu'auraient été sa langue, sa religion, ses villes, ses réseaux de transport, son ingénierie hydraulique, son droit, sa musique, son théâtre... et même sa cuisine, si la France n'avait pas été colonisée par Rome. Inutile de revenir à ce que ce pays doit à la Renaissance italienne.

C'est, quoi qu'on dise, un empereur italien qui trône aux Invalides, institution édifiée par Louis XIV, lequel n'aurait peut-être pas eu le destin et la gloire qu'il a eus sans un cardinal italien qui s'est chargé de son éducation politique.

D'une certaine manière, il est heureux que des «barbares» celtes aient été défaits à Alesia. La France y a beaucoup gagné. Le Marchal et le Régime de Vichy se sont fourvoyé avec leur francisque et leur gauloiseries anachroniques.

Ce qui nous ramène aux propos du général Burkhard et au contexte dans lequel il intervient.

Le chef d'état-major et le complexe militaro-industriel

Le général intervenait à Paris lors d'une cérémonie de lancement du partenariat ProMilès entre des entreprises et l'armée. Il exprime son point de vue sur ces questions devant «un parterre de chefs d'entreprises» (les responsables du Medef et des grands groupes français du domaine militaire, mais aussi la Société Générale, Michelin, Schneider Electric...).

Lorsqu'il justifie une collaboration militaire public-privé par, entre autres, la défense d'une civilisation, certains seraient fondés à se demander si ce général n'outrepasse pas l'espace de ses prérogatives.

Le partenariat ProMilès a été élaboré sous forme de manifeste en août 2022 par l'état-major des armées et le MEDEF (le patronat français). Ce manifeste a pour but d'élargir le cercle des entreprises accompagnant les armées. Il permet notamment de faire émerger des partenariats et s'adresse à toutes les entreprises volontaires, souhaitant manifester leur soutien aux armées.9

A l'occasion de la REF, l'université d'été du Medef, 10 grands groupes ont signé la convention «ProMilès», portée par le patronat et le ministère des Armées. Il s'agit de Airbus, AXA, Dassault Aviation, Eiffage, KNDS, Michelin, Naval Group, Schneider Electric, Société générale et Thales. Tous sont producteurs et marchands d'armes. (L'Opinion du 28 août 2024)

Depuis le début de la crise ukrainienne en février 2022, des officiers supérieurs à la retraite défilent sur les plateaux de télévision, ne s'embarrassent d'aucune réserve qui leur est imposée même s'ils ne sont plus en responsabilité opérationnelle, sous les drapeaux.10 Ils analysent, estiment, jugent, conseillent, critiquent... et quelques fois invectivent, sans précautions et sans la retenue qui leur sied, les politiques de leurs pays et des pays voisins, alliés et ennemis.

Dans une émission sur LCI jeudi 29 août 2024, consacrée à l'intervention du chef d'état-major, le général Vincent Desportes, ancien directeur de l'école de guerre, approuve dans le fond et dans la forme des propos qu'il aurait gagné à en méditer la portée. Tous les journalistes présents sur le plateau approuvent et argumentent.

Pas un poil qui dépasse, pas un dissentiment, pas une nuance.

L'unanimité habituelle.

Le problème ne vient pas de ce que l'industrie soit sollicitée par un Etat pour lui fournir les instruments nécessaires à sa défense, sans compter les inextricables relations entre les activités civiles et les activités militaires et leur contribution à l'innovation technologique.

Le souci est multiple.

Il dérive de la privatisation totale (et progressive de celles qui ne le sont pas encore) des entreprises de production d'armements et l'intrusion insidieuse des intérêts militaires privés dans l'espace de la décision publique chargée de la protection collective.

La guerre et la paix pourraient alors échapper aux citoyens et à leurs élus et ce qui remettrait en cause les fondements même de l'ordre politique.

La paix mondiale n'est pas menacée seulement par la recherche effrénée de profits opportunistes tirés de la vente d'armes, mais surtout par des tentatives désespérées de conservation d'une hégémonie incompatible avec une société des nations qui exige de nouvelles institutions et nouveaux partages de décisions.

La paralysie des institutions ses Nations Unies, vouées à la régulation des conflits dans leur format actuel, souligne leur obsolescence.

Cette interrogation n'est pas une spéculation théorique formelle loin des réalités. Elle ne procède pas d'un esprit de système ou d'une prévenance idéologique ou doctrinale antimilitariste, hostile aux intérêts privés dont nul ne contesterait la légitimité. C'est d'autant plus préoccupant que les positions des uns et des autres se radicalisent avec une relance d'une course aux armements généralisée.

Elle est fondée sur des faits historiquement attestés et déplorés.

Les doutes de Eisenhower.

L'allocution du plus haut gradé de l'armée en ce contexte devant une théorie de chefs d'entreprises majoritairement privés, dont beaucoup d'industriels de l'armement, renvoie aux recommandations express, d'une sagesse politique infinie, exprimés par le général D. Eisenhower, alors président des Etats-Unis, prononcées le 17 janvier 1961, tout à la fin de son mandat.

«Dans les assemblées du gouvernement, nous devons nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble.»

Le président américain n'avait évidemment pas oublié le rôle joué par les marchands d'armes qui, derrière W. Wilson, avaient poussé les Etats-Unis à entrer en guerre en Europe en avril 1917 (400 000 victimes américaines).

A peine arrivé au pouvoir, F. Roosevelt a permis que tous ces industriels soient traduits devant les tribunaux en 1934.

Les nations devraient tirer utilement et avantageusement parti des leçons de l'histoire et consacrer leurs ressources, de plus en plus rares, à des domaines infiniment plus cruciaux (l'environnement, la santé, l'éducation...), plutôt que de multiplier des dépenses militaires sans limites, au service d'une hyperpuissance mondialisée et très peu soucieuse des intérêts du reste du monde.11

Les Etats-Unis, première puissance militaire de la planète (la moitié des dépenses dans le monde), sont endettés à des hauteurs astronomiques, périlleuses pour la stabilité financière internationale12, exploite des atouts tirés des deux grandes guerres mondiales que les Européens ont imaginés pour la prospérité de leurs intérêts. On peut en citer quelques-uns brièvement : les marchés financiers, les marchés de change, de l'énergie, des brevets... le contrôle des exportations13 via l'extra-territorialisation de leur droit et de leur justice...14

On sait, depuis le début des années 1960 (à Nassau), que le Royaume Unis n'a pas le libre usage de son armement atomique, au moins pour des raisons technologiques (cf. les missiles Polaris).

On sait aussi, même si l'on admet (une relative) autonomie de la France en cette matière, qu'après avoir rejoint l'OTAN en 2008, il serait bien difficile pour les autorités françaises de prendre la moindre initiative stratégique en dehors d'un système dirigé par les Etats-Unis.

Comment, en ces circonstances, un responsable de la sécurité à la hauteur de sa charge d'un grand pays comme la France, sans aucun doute informé de ce qui précède, peut-il envisager de placer sa défense entre les mains de groupes d'intérêts transnationaux dominés par le complexe militaro-industriel américain ?

Fut-ce pour assurer la protection de cet ensemble civilisationnel indiscernable qu'est l'«Occident» ?

Notes :

1. Le développement de ces questions est incompatible avec l'espace de cet article. Se reporter aux analyse s entamé e s dans des articles anté rieurs que j'ai publié s dans le Quotidien d'Oran.

2. Comme la II è me Ré publique, la III è me Ré publique de Gambetta, en juillet 1872, l'a privé e ses membres de droit de vote que l'ordonnance du 17 aoû t 1945 a ré tabli par le gouvernement p rovisoire (1944-1946).

3. Le titre de «gé né ral» dont on le gratifiait par la suite n'avait plus rien à voir avec sa carriè re militaire. Jouant la carte de militaires plus accommodant (Darlan, Girault...), le pré sident F. Roosevelt a mis beaucoup de temps à reconnaî tre la «lé gitimité» de C. de Gaulle et de son «gouvernement provisoire» et à le tenir pour un interlocuteur politique acceptable. Il est vrai que «l'opération Attila» lancé e par l'Allemagne, en 1942, privant Vichy de pans entiers de sa souveraineté, a facilité dans une certaine mesure le rapprochement.

4. Le di scours de l'ex-capitaine de gendarmerie du 13 mai 2023 à P aris ( au Café du Rendez-vous) ne cache aucun de ses partis pris qu'il achè ve avec une promesse, «Nous ré cidiverons».

5. La bulle pontificale «Inter Cæ tera» (publié e le 4 mai 1493 par le pape Alexandre VI ), arbitrant les diffé rends entre les rois catholiques Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille le roi de Portugal Jean II, inaugurera le dé but d'une pré dation mondialisé e qui fera des millions de victimes.

6. Sans remonter à la III è me République, à J. Ferry, à l'organiciste O. Spengler jusqu'à E. Todd, on peut signaler d eux exemples ré cents, pris au hasard, parmi une multitude de titres. - COLOSIMO Jean-François (2024) : «Occident, ennemi mondial n°1». Albin Michel, 256 p. - «Tous unis contre l'Occident. La confré rie mondiale des autocrates». Le Nouvel é conomiste n° 2 231 - Du 09 au 15 aoû t 2024, p.4.

7. Cf. SOUYRI Pierre-Franç ois (2016) : Moderne sans ê tre occidental. Aux origines du Japon d'aujourd'hui. Gallimard, 488 p.

8. Avec plus de cré dit que la malheureuse candidature algé rienne, pré cipité e et insuffisamment préparée. L'Algé rie ne peut plus continuer à ré pé ter depuis de plus de 20 ans au moins d'ê tre victime du «syndrome hollandais». La crise ukrainienne est une externalité positive qui ne durera pas. Tô t ou tard, il sera né cessaire de se doter des institutions a pproprié s pour la maî trise du temps longs et d'une identité qui ne repose ni sur les richesses naturelles ni sur une rente historique dont le pré sent n e s'est pas convenablement acquitté.

9. Pour le gé né ral de corps d'armé e Laurent Michon, officier gé né ral de la zone de dé fense et de sé curité Ouest (OGZDS-O) : «la convention PROMILES participe activement au renforcement de l'esprit de dé fense au sein du monde é conomique, en concré tisant le soutien apporté par les entreprises au profit des forces armé es». ( https://www.defense.gouv.fr/ema/actualites/manifeste-promiles-nouer-liens-entre-entreprises-armees )

10. Mê me l e gé né ral de Villiers, sans rien c é der sur ses convictions, respecte cette ré serve (au moins dans la forme) et limite ses interventions à l'é criture et à la fré quentation de salons discrets.

11. Cf. A. Benelhadj : «La nation ‘indispensable'». Le Quotidien d'Oran, 15 fé vrier 2024.

12. L'é con omie amé ricaine compense ses dé ficits (publics et privé s) par un recyclage sans bornes de l'épargne mondiale. Le taux d'é pargne des mé nages amé ricains (rapporté au revenu disponible -dé falqué des pré lè vements obligatoires-), est infé rieur à 3%, alors qu'i l est de 17.9% en France, autour de 20% en Allemagne, 8% en Italie (en augmentation ce semestre).

13. Pour endiguer la fuite de technologies sensibles vers les pays communistes, le CoCOM (coordination pour un contrô le multilaté ral des exportations) a é té créé en 1949, aprè s l'explosion en aoû t de la premiè re bombe atomique russe et la naissance en octobre de la Chine populaire. Son contournement fré quent a é té notamment facilité par la cupidité des entreprises occidentales seulement guidé es par leur quê te de p rofits. L'institution avait é té installé e au sein de l'ambassade amé ricaine à Paris. A proximité immé diate de l'Elysé e... A la suite de l'effondrement l'URSS, le Cocom, a é té dissous le 31 mars 1994 et remplacé par l'«Arrangement de Wassenaar» né en 1996 a ssociant 42 pays. Les technologies à double usage offre un large spectre de contrô les, aux limites de l'arbitraire, tant il est difficile de distinguer entre les usages civils et militaires en raison mê me de leur incessante et impré visible é volution.

14. L'exemple de Alstom est é difiant. Lire, PIERUCCI Fré dé ric (avec Mathieu Aron) (2019 : «Le piè ge amé ricain.» J.-C. Lattè s, 394 p.