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        LE ROI EST MORT. VIVE LA REINE ! Par-delà les mythologies américaines

par Abdelhak BENELHADJ

Les élections sont une des dimensions majeures de la démocratie représentative. Le peuple souverain choisissant ses représentants en conflit policé et créatif dans une enceinte au-dessus de laquelle plane l'esprit de la Constitution et son représentant suprême le chef de la nation. Cette image sympathique et idyllique est malheureusement très loin des réalités politiques de la démocratie réelle. Il faut se résoudre à constater la neutralisation du principal moteur de la démocratie : l'administration intelligente de la parole opposée.

Dans certaines « démocraties » occidentales, les pays sont gouvernés par des coalitions gérant les affaires de la nation dans la plus grande discrétion, à l'abri des électeurs. Dans d'autres, elles alternent majorités et oppositions sans qu'à aucun moment les citoyens ne constatent de réels changements dans leurs conditions.

Les élections américaines en font une éclatante démonstration, aussi bien en matière de politique intérieure qu'en matière de politique internationale.

*****

Les présidentielles américaines s'acheminaient tout doucement vers l'élection inéluctable de D. Trump en novembre prochain. Tous les sondages le confirmaient de manière quasi-unanime. Le « narratif » : « Chassé injustement du pouvoir, Zorro va faire son retour par la grande porte pour remettre l'Amérique dans le glorieux destin de son mythe ».

Les mêmes invectives et les arguments échangés entre les deux candidats se répétaient sans cesse depuis des mois. Trois événements impromptus vont bouleverser cette routine.

- Samedi 13 juillet 2024 au cours d'un meeting en plein air de D. Trump à Butler en Pennsylvanie. Une fusillade a blessé Donald Trump à l'oreille, tué un participant et en a blessé un autre1. Le tireur présumé, Thomas Crooks, aide-soignant de 20 ans, a été tué par les forces de l'ordre.

La balle qui a raté D. Trump va atteindre de plein fouet un président en perdition qui a enfin très vite compris qu'il n'avait plus aucune chance de l'emporter. Face à un D. Trump placé sous la protection du Seigneur, J. Biden s'est résolu à rendre les armes. On ne lutte pas contre la Providence. « Ils l'ont transformé en martyr et l'ont laissé en vie. Maintenant, il est plus puissant que jamais. » « Ce dont nous avons été témoins samedi dernier est un miracle », a estimé auprès de l'AFP Edward Young, 64 ans et 81 meetings de Donald Trump au compteur. (AFP, dimanche 21 juillet 2024).

- Dans une lettre adressée à ses compatriotes, J. Biden se décide à se retirer et ne sera pas candidat en novembre prochain. Il se contentera d'achever son mandat : « Je pense qu'il est dans l'intérêt de mon parti et du pays que je me retire et que je me concentre uniquement sur l'exercice de mes fonctions de président » (idem)

- Le lendemain, lundi 21 juillet, dans la foulée de son retrait, le président choisit la vice-présidente K. Harris pour lui succéder et exhorte les démocrates à lui apporter leurs suffrages.

Théodémocratie yankee :

Dieu vote Trump !

Vendredi 19 juillet D. Trump a été consacré par la Convention républicaine de Milwaukee. Ce genre d'intronisation au Etats-Unis prend presque toujours l'allure d'une grande messe qui fusionne le politique et le théologique en un alliage qu'entretient ce pays avec délectation. Mais c'est l'attentat raté contre lui qui va donner à sa candidature une dimension transcendantale. Une grande vague de spiritualité chaleureuse et fraternelle envahit l'espace électoral républicain.

Dimanche 21 juillet. 12 000 supporters serrés dans une salle fermée et pleine à craquer de Grand Rapids, dans l'Etat du Michigan, la ferveur messianique s'est répandue dès qu'une prière a été dite pour le candidat républicain. Le miraculé se pavane sans connaître les événements qui vont suivre à peine quelques heures plus tard.

« J'ai pris une balle, la semaine dernière, pour la démocratie » lance D. Trump pour son premier meeting. Profitant de la présence spirituelle du télévangéliste Franklin Graham, il s'emporte et déclare à la foule « Je ne me tiens devant vous que par la grâce de Dieu tout-puissant ». « Je ne devrais pas être ici en ce moment, mais il s'est passé quelque chose de très spécial », ajoute-t-il.

« Dieu l'a entouré d'une haie protectrice », assure Renee White. « M. Trump a un travail et une mission à accomplir, comme Noé et Moïse dans la Bible », ajoute-t-elle, casquette bleue « Make America Great Again » (rendre à l'Amérique sa grandeur) vissée sur la tête. « Il prend des flèches pour nous tous », assure-t-elle.

Des casquettes rouges produites rapidement et vendues en grand nombre affichant : « Jésus est mon sauveur, Trump est mon président ».Un habitant du Michigan, pense que Donald Trump est devenu « plus croyant » après cette tentative d'assassinat ratée. « Je pense que cela l'a rapproché de Dieu. » L'homme ne perd pas cependant le sens des affaires. Il a aussi annoncé un partenariat pour vendre des bibles, au prix unitaire de 60 dollars. Quand les hommes d'affaires et de pouvoir se rapprochent de Dieu, les marchands du Temple ne sont pas loin.2

Dans la foulée de l'attaque de samedi, il avait déchiré son discours d'investiture au profit d'une adresse au ton plus unificateur en jouant sur la corde familiale, entouré durant la convention par son clan.

« En tant qu'Américains, nous sommes liés par un destin unique et commun. » « Je me présente pour être le président de toute l'Amérique, pas de la moitié de l'Amérique ». « Ensemble, nous allons lancer une nouvelle ère de sécurité, de prospérité et de liberté pour les citoyens de toutes les races, couleurs et religions », a-t-il promis. « La discorde et la division de notre société doivent être pansées. »3

Du Joe Biden, le « pire président de l'histoire », D. Trump se transfigure en prophète.

Réunissant sous une même mitre et le même képi « travail, famille et patrie », un ancien maréchal de France a tenté d'éprouver la solidité d'un tel pari. Cela ne lui a guère réussi...

Tactique : « Bonnet blanc-blanc bonnet »

K. Harris a beaucoup de handicaps à surmonter, mais elle a pour elle ces quelques avantages.

1.- « Une rupture dans la continuité » d'un mandat qu'elle a partagé avec J. Biden qui la désigne dans la suite de sa présidence.

2.- Elle crée une novation, une rupture de continuité dans une campagne monotone et simpliste, conforme par ailleurs à la mercatique politique du pays. En sorte que le temps imparti à K. Harris pour mettre en place sa stratégie (jugé à son désavantage) s'impose dans les mêmes termes à D. Trump pour en changer.

3.- C'est une femme. Et l'idée de l'accession d'une femme pour la première dans l'histoire des Etats-Unis à la Maison Blanche (et pas seulement à titre de « Première Dame » ou de vice-présidente) n'est pas plus inimaginable que la consécration sur deux mandats de 2009 et 2014, d'un afro-américain (fils d'un Kényan et d'une Américaine du Kansas, né dans le Pacifique) comme B. Obama.4

La première vice-présidente de l'histoire des Etats-Unis devenant leur première Présidente. Du jamais-vu. Cela choque les diplodocus, les cow-boys évangéliques des Etats du Sud, mais peut-être pas la majorité des Américains.

3.- « L'Amérique vous présente ses vieux. » K. Harris est une femme. Elle aussi « jeune ». L'image est inversée et se retourne contre celui qui en a imprudemment joué. Le « vieux », c'est désormais D. Trump, près de vingt ans de plus qu'elle, le candidat à la fonction le plus vieux de l'histoire du pays.5

4.- Une américaine de couleur. La mixité de ses origines (afro-américaine et asiatique) brasse un électorat large. La réussite de ses parents (père professeur émérite à Stanford et mère spécialiste en oncologie) et la sienne, ex-procureure générale de Californie témoigne de l'accomplissement du rêve américain qui prend à contre-pied l'idéologie xénophobe trumpiste.6

5.- Le nouveau scénario oblige les Républicains à changer de logiciel jusque-là entièrement voué à prendre pour cible J. Biden et à le déprécier ; « vieux », « malade », « incompétent »…

6.- Le sort de l'élection devient imprévisible. Les arguments rationnels pèsent de peu de poids devant les images, les slogans, les caricatures… L'émotion, ponctuellement, l'emporte sur la raison qui est chez l'observateur distancié, pas toujours chez l'acteur pressé par sa condition.

Des événements de dernière minute peuvent bousculer les certitudes les plus ancrées chez de nombreux électeurs et provoquer ces différences qui font et défont les votes.

Le président américain n'est pas élu au suffrage universel direct, mais seulement via de « grands électeurs ». Ce sont les Etats qui comptent et non les voix totales obtenues. Certains Etats (les « swing state »), pèsent plus que d'autres7. C'est le cas de la Pennsylvanie où D. Trump a failli laisser la vie.

Certains électeurs républicains, déçus par D. Trump, pourraient se tourner vers elle. Mais ce sont surtout les abstentionnistes (les minorités pauvres…) qui ne se retrouvaient pas dans la politique de J. Biden que K. Harris pourrait espérer conquérir ou remobiliser.

Les femmes privées d'IVG dans certains Etats (confortés par la Cour Suprême dominée par les Républicains), les migrants sans-papiers, les Américains pro-palestiniens déçus par l'indifférence de J. Biden devant les dizaines de milliers de victimes ghazaouis… reprendront peut-être le chemin du Parti démocrate et voter pour K. Harris…

Aussitôt que J. Biden l'a choisie, elle a reçu le soutien de Bill et Hillary Clinton, mais aussi celui de plusieurs gouverneurs importants.

Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il qu'elle remporte le suffrage d'au moins 1 969 des 3 936 délégués démocrates pour être investie officiellement. D'après un décompte officieux réalisé par la chaîne CNN, K. Harris a dépassé la majorité des 1 976 voix de délégués démocrates requise (Reuters, mardi 23 juillet 2024).8

Le pouvoir ça se prend et ça ne se lâche pas.

Ce n'est pas de gaité de cœur que J. Biden s'est retiré. Comme une moule à son rocher, il était resté accroché de toutes ses forces à son siège et ne l'a cédé que parce que de très nombreux donateurs se sont retirés et l'ont privé des ressources nécessaires à poursuite de sa campagne.

Son retrait, dimanche 21 juillet, a rapporté gros aux démocrates, qui se sont félicités de la plus grande collecte de fonds en une seule journée pour la présidentielle : 81 millions de dollars, un record, tous partis confondus. (Reuters, L. 22 juillet 2024).

G. Clooney, qui avait retiré son soutien à J. Biden quelques jours plus tôt, l'a aussitôt accordé à K. Harris. Il en fut de même de l'AFL-CIO, le principal groupement de syndicats américains.

L'hypertrophie des différences est à la base des techniques de ventes modernes et de la commedia dell'arte. Les citoyens américains s'épuisent dans une compétition-spectacle qui les éloignent des vrais enjeux de leur pays. La politique des Etats-Unis ne relève que très marginalement de l'élection de K. Harris ou de D. Trump, ni même de l'élection d'un président américain.9

Au reste, on peut s'interroger sur ce spectacle extrêmement coûteux d'un pays qui se prétend démocratique (qui parle de République américaine ?) et qui, « en même temps », exclut tous les candidats qui ne disposent pas de fortune personnelle et du soutien de mécènes milliardaires.10

Ce qui est vrai de la politique intérieure l'est tout autant de la politique internationale qui ne dépend ni des républicains ni des démocrates. Lesquels ne se distinguent pas, à quelques nuances près, sur la plupart des dossiers.

Cette question demanderait de longs développements que nous avions esquissés dans des articles précédents11. Quelques exemples suffisent à le démontrer.

Stratégie. « Blanc bonnet - bonnet blanc ».

« Eté comme hiver, c'est toujours l'hiver » devisait le poète.

J. Biden, tout en prétendant le contraire, a suivi scrupuleusement la politique menée par D. Trump au cours de son mandat. Sur les principaux dossiers et conflits, y compris la politique migratoire (toujours aussi « rigoureuse »), la position américaine est, moyennant une communication adaptée à chaque contexte, une constante : maintenir l'hégémonie des Etats-Unis, conforter ses dividendes de la dernière guerre, sans céder le moindre pouce de terrain à quiconque et se défendre pied à pied sur tous les fronts où cette hégémonie est disputée.

- Le 20 octobre 2018, D. Trump, président, annonce son intention de retirer les États-Unis du traité FNI (traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire). Le retrait américain est officiel le 02 août 2019. Jamais J. Biden ne remet en cause la décision de son prédécesseur. Il a exprimé de vagues intentions, sans lendemains, de lancer un traité New-Start.

- La Chine est toujours l'ennemie des Etats-Unis, avec ou sans D. Trump, stratégie déjà mise en place sous B. Obama, lorsque Washington s'est rendu compte que le bénéfice tiré de l'entrée de la Chine dans l'OMC (décembre 2001), profitant de ses avantages salariaux, sociaux, environnementaux… ne couvrait pas les dangers (imprévus à l'époque) pour les pays occidentaux.

La Chine est excédentaire avec les Etats-Unis. Elle l'est aussi avec l'Europe (300 Md$)

Désormais, Pékin dépasse technologiquement les Etats-Unis. La Chine est devenue première dans les domaines suivants (ce qui donne un aperçu des changements intervenus depuis 2001) :

- Production industrielle

- Exportations chinoises 3 380 Md$ (Banque Mondiale)

- Excédents chinois avec les Etats-Unis : 427 Md$ (2023)

- Energies vertes : 2/3 des nouvelles capacités solaires et éoliennes construites en 2024 dans le monde sont chinoises (Global Energy Monitor)

- Nouvelles technologies (défense, espace, robotique, biotechnologies, IA) 37 sur 44 technologies critiques pour l'avenir (ASPI)

Et réalise des prouesses en astronautique.

Ce qui explique une politique de sanctions systématiques à l'égard de Pékin. Ces rétorsions ne sont pas toujours heureuses. Elles augmentent le coût des importations, incompressibles dans de nombreux domaines. De plus, les transnationales américaines ne peuvent pas toujours changer la géoéconomie de leurs IDE. L'Inde ou le Viêt-Nam, par exemple, ne présentent pas des avantages comparatifs décisifs. Sans oublier que ces deux pays, participant d'une géopolitique alternative (associant les Brics en phase d'élargissement depuis janvier 2024), savent ce qu'il en est de leurs intérêts et ne sont pas si facilement disposés à être instrumentalisés.

Le commerce russo-chinois, lui, a explosé passant du simple au double à 280 Md$ en 2023.

- La politique à l'égard de la Palestine est constamment en faveur d'Israël depuis 1948. Les Palestiniens n'ont rien gagné à signer les accords d'Oslo. Leur situation s'est même tragiquement aggravée depuis.

* Mercredi 06 décembre 2017, D. Trump, violant les Résolutions des Nations Unies, reconnaît Jérusalem comme capitale d'Israël « unifiée, « unique » « éternelle »… et déménage l'ambassade américaine installée jusque-là Tel Aviv,.

* Depuis le 08 octobre 2024, des dizaines de milliers de civils sans défense sont exterminés à Ghaza dans un silence abyssal de Washington et de l'Europe.

Le Premier ministre israélien doit s'adresser au Congrès ce mercredi 24 juillet 2024. Avec cette certitude inaltérable :

« Je dirai à mes amis (...) que, quel que soit le prochain président choisi par le peuple américain, Israël restera l'allié indispensable et solide de l'Amérique au Proche-Orient », a-t-il déclaré à des journalistes avant le décollage de son appareil. « En cette période de guerre et d'incertitude, il est important que les ennemis d'Israël sachent que l'Amérique et Israël sont solidaires aujourd'hui, demain et toujours », a-t-il ajouté. (Reuters, L. 22 juillet 2024)

D'où lui viendrait donc cette conviction ? De deux constats élémentaires :

1.- Israël se pose comme garant des intérêts des Etats-Unis au Proche-Orient : routes commerciales maritime, contrôle tri-continental et sécurité énergétique…

Un kyste fortifié, une gigantesque caserne à même de mobiliser tous les moyens nécessaires pour intervenir dans cette région du monde. Du moins les Israéliens tiennent-ils à en persuader leurs « amis » américains.

On peut en effet se demander jusqu'à point le coût (économique, financier, militaire, diplomatique…) de cette « collaboration amicale » n'est pas démesuré pour les Américains qui disposent sur place de part et d'autre de la région, de deux « flottes » surarmées (la Vème, côté Golfe arabo-persique et la VIème, côté méditerranéen).

C'est pour cela que, s'ils en doutaient, il y a un second point que le Premier ministre israélien s'attache à expliquer à ses interlocuteurs américains. De puissants réseaux sionistes contrôlent le Congrès et donc la politique étrangère de la Maison Blanche. Le Premier ministre israélien s'était rendu aux Etats-Unis en mars 2015 sans en informer officiellement le président américain, et même – lorsque la visite a été rendue publique – la maintient contre son avis. B. Netanyahu s'était adressé au Congrès et en a recueilli des standing ovations, sans passer par la Maison Blanche.12

Ce qu'exigeait et prévoyait de faire D. Trump, c'est J. Biden qui l'a réalisé. Et derrière les présidents américains, c'est Netanyahu qui décide ce que doit faire et décider la puissante Amérique. L'objet principal de sa visite au Congrès en mars 2015, c'était d'obliger Obama à rompre ses négociations avec l'Iran.

- Le 14 juillet 2015 un accord (« 5+1 ») est signé à Vienne, en Autriche, réglant ainsi le problème du nucléaire iranien soupçonné de dérives militaires. Mais le 08 mai 2018, D. Trump, sans consulter personne, dénonce le traité unilatéralement13.

Jamais J. Biden n'a songé à revenir sur cette décision. Ni même à tenter d'esquisser une réelle volonté de paix. Israël et son Premier ministre, via un Congrès docile, veille à ce que jamais cette idée ne soit suivie d'effets.

- Décembre 2019, D. Trump signe la loi imposant des sanctions contre le gazoduc qui doit relier la Russie et l'Allemagne et impose des sanctions aux entreprises associées à la construction de l'ouvrage.

- 26 septembre 2022, sous la présidence Biden, les gazoducs Nord Stream 1 et 2 sont sabotés14

Objectifs :

* Réduire la dépendance énergétique de l'Europe (et en l'occurrence de l'Allemagne qui a été principalement visée)

* Réduire les revenus de la Russie et provoquer à terme un collapsus politique, similaire à celui des 1989.

* Augmenter les exportations américaines de gaz (GNL) et de pétrole de schiste.

Toutes ces confrontations aboutissent aux résultats inverses que l'Amérique cherchait à obtenir.

* La Russie non seulement n'est plus dépendante de ses importations de céréales, mais est devenue le premier exportateur mondial de blé. Elle pourrait cette année contrôler à elle seule un quart du commerce mondial de blé. Les sanctions placent les pays qui en sont victimes devant l'obligation de substituer autant qu'ils le peuvent la production à l'importation.

Les multiples sanctions prises contre Moscou, l'obligation faite aux entreprises étrangères de quitter ce pays lui donné une grande liberté de s'affranchir de ses dépendances à l'égard des pays occidentaux, tout en infligeant des pénalités inutiles aux entreprises dont beaucoup ont préféré rester. La théorie du « poison lent » est un argument de communicateur, pas de stratège responsable, proche du terrain.

Certes, le complexe militaro-industriel américain y a trouvé son compte (60% des achats d'armes européennes se font en Amérique).

Avec quelques chutes de tables pour les industries européennes. Avec une précision : A l'exception de la Grèce (toujours lourdement endettée et mise sous tutelle), aucun pays européen n'a acheté de Rafale français… Tous les Européens s'équipent en F35 et accroissent leur dépendance extérieure au nom de la liberté.

* Les sanctions contre la Chine poussent celle-ci à accélérer ses investissements technologiques de pointes (notamment dans les semi-conducteurs) et à se rapprocher davantage de la Russie soumise à des sanctions similaires depuis le début des années 2010, 2014 et encore plus sévèrement depuis février 2022.

Nous avons listé plus haut les domaines technologiques critiques dont la Chine possède désormais la maîtrise.

Ces décisions contreproductives, ces boomerangs peuvent être listés à l'infini.

* Le commerce mondial échappe peu à peu au monde occidental dont les Etats-Unis assurent la conduite.

Les deux cartes ci-après le montrent à l'évidence.

Certes, le poids du dollar (dans les transactions et les réserves), les innovations et leurs applications, notamment dans les marchés financiers, les normes technologiques, comptables, culturelles… américains possèdent des parts encore significatives dans les relations internationales qu'il serait absurde et irresponsable de nier.

*****

Sous le poids de telles contraintes, il est peu probable que K. Harris pratique une politique internationale bien différente de celle de ses prédécesseurs quelle que soit leur couleur politique.

Et cela pour des raisons d'une extrême simplicité dont la compréhension est accessible à l'intelligence élémentaire d'un enfant.

La fable de l'isolationnisme américain

Cette idée vient du début du XIXème siècle (doctrine Monroe) que W. Wilson et à sa suite F. D. Roosevelt ont repris fidèlement à leur compte à l'attention des benêts notamment européens inquiets que l'Amérique les abandonne. Il est vrai que les populations réprouvées d'Amérique n'avaient nulle envie de venir au secours du « vieux monde » dont avaient été chassées.

Qu'ils se rassurent, personne ne songe à les abandonner. L'idée d'un « Otan en état de ‘ mort cérébrale' » relève des spéculations acrobatiques de Emmanuel Macron (AFP, V. 08 novembre 2019). L'Amérique n'est pas et ne cessera jamais son interventionnisme dans les affaires du monde. Les intérêts de ses transnationales mondialisées l'y contraignent. Le mode de vie américain fortement dissipateur d'énergie et de ressources a besoin d'une exploitation généralisée de la planète et de ses habitants.

L'Europe, à un degré moindre est dans la même logique, le même engrenage.

Les Etats-Unis ont une balance des paiements courants15 structurellement déficitaire, autour 1 000 milliards de dollars, comme sa balance commerciale, comme tous les autres comptes publics et privés. Cela signifie que les Etats-Unis sont une pompe à euro-dollars pour continuer à financer leurs achats à bons prix dans le monde et perpétuer ces messes électorales donnant l'impression au bon peuple américain qu'il est maître de sa destinée.

Cela veut dire que les Etats-Unis ont besoin de « leur » monde pour équilibrer leurs comptes.

L'IRA, lancée par J. Biden en 2023, a précisément pour objet d'attirer des IDE étrangers (prioritairement européens) s'ils veulent accéder aux marchés américains pour fabriquer des biens industriels. La lutte contre l'inflation et la protection de l'environnement ne sont que prétextes.

La balle qui a raté D. Trump a ainsi fait de nombreuses victimes.

Mais le plus grand perdant, avec l'Union Européenne, est sans nul doute l'Ukraine dont le président (ainsi que l'équipe qui l'entoure issue de la « révolution de Maïdan », 2014), très avisé, a sûrement anticipé un repli salutaire, là où ses concitoyens ne viendraient pas lui demander des comptes sur la politique qu'il a menée au cours des très longues années mortifères qui ont détruit leur pays.

Mme K. Harris pourrait trouver une inspiration heureuse à tenter de vraiment répondre à la mission qui lui a été confiée par J. Biden. A savoir réfléchir aux raisons profondes et tenter d'y trouver solution, aux dizaines de millions de Sud-américains qui se dirigent inlassablement vers le Mur que D. Trump a jugé utile d'ériger.

Comme la plupart des observateurs l'ont noté et déploré, un peu partout sur la planète se multiplient ces murs dont l'inhumanité et l'infécondité le dispute à l'inutilité. Aucun mur ne suffira à étouffer la question posée à l'Occident depuis 1492 sur ses responsabilités dans les désordres mondiaux.

Notes :

1 Personne ne semble avoir été intéressé par la vie de jeune homme, son histoire et ce qui a justifié son geste. L'assassin est bien moins important que sa balle. Classés premiers très loin devant tous les autres pays, 88,8% de la population aux États-Unis est armée. Selon le Congressional Research Service, il y a environ deux fois plus d'armes à feu par habitant aux États-Unis d'Amérique qu'il n'y en avait en 1968 : plus de 300 millions d'armes à feu au total (05 janvier 2016). Selon Wikipedia, la Serbie vient deuxième position avec 58,21%.

2 Lire : « Dieu est américain : De la théodémocratie aux Etats-Unis. » de Jean-François Colosimo. Ed. Fayard, 2006, 234 p.

3 Tous les jours une prière spéciale est adressée à Sai Baba, un gourou du XIXe siècle dans le village natal de la famille de l'épouse (d'origine indienne) du candidat à la vice-présidence aux côtés de D. Trump (AFP, mercredi 24 juillet 2024). Tous les dieux sont ainsi convoqués pour bénir le virtuel locataire républicain de la Maison Blanche. Question naïve : cela ne gêne-t-il pas les « alliés » français de l'Amérique dont les valeurs laïques et républicaines sont portées très haut, au point d'être très pointilleux, aux limites de l'intégrisme, sur l'accoutrement des jeunes femmes, d'être si étroitement liés à un pays si imbu de religiosité ?

4 La série « La diplomate » (Netflix, 2023) un thriller politique à succès, s'est révélée bien plus qu'une fiction télévisuelle.

5 … qui était en compétition avec le président le plus âgé de l'histoire des Etats-Unis. Réalisons : K. Harris est presque sexagénaire. Il y a peu, cet âge annonçait la fin proche d'un cycle de vie. C'est encore le cas de beaucoup d'êtres humains sur Terre où l'espérance de vie à la naissance est encore plus faible. Le troisième âge a laissé la place à un quatrième… en bonne santé.

6 Après deux mandats de procureure à San Francisco (2004-2011), elle a été élue, deux fois, procureure générale de Californie (2011-2017), devenant alors la première femme et la première personne noire à diriger les services judiciaires de l'Etat le plus peuplé du pays. (AFP, L. 22 juillet 2024)

7 48 États américains ont opté pour le système dit du winner-takes-all (« le vainqueur prend tout ») qui attribue l'ensemble des grands électeurs de l'État au candidat ayant reçu le plus grand nombre de suffrages. La voix des électeurs ne compte que pour le parti qui obtient la majorité et rafle ainsi tous les sièges et rien pour son adversaire quel que soit le nombre des citoyens qui a voté pour lui.

Je recommande le film « Miss Sloane » (J. Madden, 2016) qui traite à la fois de la question des armes, librement accessibles aux Etats-Unis, et de la question du vote et de ses modalités à la sauce démocratique américaine. K. Harris y est à son avantage.

8 Un autre sondage réalisé par l'agence de presse américaine Associated Press (AP), la vice-présidente américaine a réuni en sa faveur 2 579 délégués. (Le Monde, mercredi 23 juillet 2024)

9 Je recommande chaleureusement la lecture d'une nouvelle d'Isaac Asimov, pétillante de subtilité et de malice dont l'actualité n'a pas perdu une ride. « A voté ». 1955, Le passager clandestin, 51 p.

10 Lors des présidentielles de 2020, Joe Biden aura dépensé près de 1,3 milliard d'euros pour sa campagne, un peu plus qu'Hillary Clinton en 2016. Même somme pour Donald Trump, mais en 2020 déjà, c'était un tiers de plus que quatre ans plus tôt. (France Télévision, lundi 02 novembre 2020).

11 A. Benelhadj : « ‘La nation indispensable'. D. Trump rappelle qui est le « patron du monde libre » (Le Quotidien d'Oran, 15 février 2024).

12 A. Benelhadj : « HYPERPUISSANCE » ISRAÉLIENNE. Le Quotidien d'Oran, 19 mars 2015

13 A. Benelhadj : « D. Trump dénonce le Traite 5+1 » Le Quotidien d'Oran, 17 mai 2017.

Non seulement les Américains ne respectent pas leur signature, et imitent les israéliens en assassinant le général iranien Qassem Soleimani au moyen d'un drone en janvier 2020. Cf. A. Benelhadj : « L'Amérique, de l'unilatéralisme au terrorisme d'Etat : l'hyperpuissance s'affranchit du droit et de la raison. » Le Quotidien d'Oran, 09 janvier 2020.

14 A. Benelhadj : « Crise Ukrainienne : LA GUERRE DU GAZ. » Le Quotidien d'Oran, 14 juillet 2022.

15 Bilan de ses opérations commerciales et financières avec le reste du monde.