Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Chronique d'un psychodrame franco-français

par Mustapha Aggoun

Il y a des passions qui ne s'éteignent jamais. Certaines sont belles et nobles, comme l'amour de la littérature ou le respect des œuvres d'art. D'autres, en revanche, sont plus troubles, comme l'obsession maladive qu'entretient une certaine élite politique française pour l'Algérie. Il faut dire que l'Algérie, pour cette caste, n'est pas un pays réel. Non, c'est un concept, une hantise, un totem électoral, un paillasson sur lequel on s'essuie dès que l'opinion publique commence à se lasser des gesticulations hexagonales.

Et voilà que, comme une horloge suisse réglée sur la bêtise, Emmanuel Macron et son fidèle exécutant Bruno Retailleau, soutenus en chœur par une extrême droite en roue libre, remettent une pièce dans la machine du ressentiment. Leur dernière trouvaille ? Associer insidieusement le début du Ramadhan à une supposée menace terroriste, histoire d'ajouter une touche d'angoisse à l'islamophobie ordinaire. Un classique du genre, un film que l'on a déjà vu, mais qui continue d'être projeté en boucle dans les salles obscures du débat public.

Ainsi donc, à trois jours du début du mois de jeûne musulman, le ministre de l'Intérieur a décidé de se fendre d'une note adressée aux préfets, les enjoignant à faire preuve de « vigilance » en raison d'une « menace terroriste qui continue de peser » sur le pays. Évidemment, on ne précise pas que cette vigilance s'applique aussi bien aux lieux de culte musulmans qu'aux églises et synagogues, qui font régulièrement l'objet de menaces. Non, ici, le message subliminal est clair: Ramadhan = danger.

Dans l'esprit retors de certains communicants gouvernementaux, il s'agit d'une stratégie à double effet. D'un côté, on fait frémir le bon peuple en agitant le spectre du terrorisme islamiste. De l'autre, on flatte cette droite dure et revancharde qui rêve d'un pays où le simple fait d'être musulman constituerait une présomption de culpabilité.

On croirait entendre les vieilles rengaines de l'extrême droite, mais non: cette fois, c'est bien le pouvoir en place qui les reprend à son compte, avec cette hypocrisie caractéristique qui consiste à se donner des airs de modéré tout en soufflant sur les braises du racisme ordinaire. Emmanuel Macron, on le sait, aime jouer sur plusieurs tableaux. Un jour, il invite Tebboune à Paris, lui fait les yeux doux et parle de réconciliation mémorielle. Le lendemain, il laisse Retailleau, ce grand défenseur du « roman national », marteler que l'Algérie est une menace, un foyer de ressentiment et un pourvoyeur de délinquance. Il y a quelque chose de fascinant dans cette capacité à dire tout et son contraire avec le même aplomb.

Quant à Retailleau, il incarne à merveille cette droite étriquée qui se rêve en dernier rempart contre l'invasion fantasmée. Son discours est un savant mélange de colonialisme mal digéré, de fictions historiques et de slogans sécuritaires, le tout enrobé d'un mépris à peine dissimulé pour tout ce qui ne correspond pas à sa vision étriquée de la France. Mais l'Algérie, contrairement à ce que pensent ces stratèges de pacotille, ne vit pas suspendue aux déclarations des politiciens français. Elle avance, avec ses contradictions, ses ambitions et ses défis. Ce pays n'a pas besoin de la France pour exister, et c'est bien ce qui rend fous ceux qui, ici, ne se sont jamais remis de l'indépendance.

Cette campagne anti-algérienne n'est pas seulement une démonstration de cynisme, c'est aussi un écran de fumée. Car pendant que l'on agite le spectre du péril islamiste, que l'on désigne l'Algérie comme le grand Satan, la situation en France continue de se dégrader. Les services publics sont à l'agonie, les agriculteurs crient famine, le pouvoir d'achat fond comme neige au soleil, et la grogne sociale s'intensifie. Mais plutôt que de s'attaquer à ces problèmes concrets, les dirigeants préfèrent détourner l'attention avec des polémiques stériles. C'est la grande magie de la politique spectacle, au lieu de répondre aux vraies préoccupations de leurs citoyens, on leur vend des ennemis imaginaires. On leur fait croire que la sécurité de la France dépend de la vigilance face au Ramadhan, que le pays serait plus prospère s'il arrêtait d'accueillir des migrants, et que tout irait mieux si l'on pouvait enfin solder « l'héritage algérien ».

En réalité, cette croisade absurde contre l'Algérie et les musulmans de France ne fait qu'illustrer l'impasse intellectuelle dans laquelle se trouvent ceux qui prétendent gouverner la France. Incapables de proposer un projet de société cohérent, ils se contentent d'agiter les peurs, de souffler sur les braises du ressentiment et de flatter les plus bas instincts d'une partie de l'électorat. Mais à force de jouer avec le feu, ils finiront par se brûler. L'histoire nous a montré que ces stratégies de division finissent toujours par se retourner contre leurs auteurs. En attendant, le carnaval continue, avec Macron et Retailleau en chefs d'orchestre, et une extrême droite hilare qui observe le spectacle, ravie de voir ses idées normalisées.