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Incertitude !

par Mohamed Mebtoul

L'incertitude n'est pas uniquement pertinente dans les sciences sociales. Elle s'impose dans toute activité cognitive privilégiant le questionnement pour disséquer un problème donné. L'incertitude peut être caractérisée comme une forme d'engagement scientifique et moral qui autorise la compréhension fine d'un pan de la réalité sociale. Elle est centrée sur l'Autre : quels sens attribue-t-il à un problème donné ? La quête de significations plurielles et diversifiées ancrées dans la société, impulse une éthique de la délibération. Celle-ci permet de questionner les certitudes brutales en permanence justifiées en raison de sa position sociale dominante. L'incertitude se présente comme une posture critique et autocritique vis-à-vis du régime de vérité, sacralisé à l'extrême.

Celui-ci semble opérer comme un absolutisme mordant et orgueilleux qui s'enferme sur son propre territoire. Il fait abstraction de la complexité et de la richesse des savoirs des Autres. Le savoir social et le savoir-juger des gens de peu sont pourtant essentiels pour interroger sa propre vérité. Une femme a accouché d'une fille pour la troisième fois. Elle informe le gynécologue que ses deux autres enfants ont été atteints par la jaunisse dès leur naissance. Elle précise que ce nouveau bébé subira le même sort. La certitude réapparait brutalement : « Non, madame, vous vous trompez ! », rétorque le médecin.

Deux jours après, le bébé était porteur de la jaunisse. L'incertitude s'oppose aux dénégations rapides et sûres de leur fait. C'est comme cela et pas autrement ! Ce propos s'incruste profondément dans la vie quotidienne: le plombier est armé de certitudes. « Rateck, je vais arranger cela rapidement». Le bureaucrate violente à distance le réel en l'ignorant et en le méprisant. Pourquoi donc se soucier de mieux comprendre de l'intérieur le fonctionnement au quotidien de l'institution ? Voyons donc ! Qui peut oser contester «ses» dires qui se présentent comme des sentences irrévocables !

Le doute et l'humilité intellectuelle se retrouvent à la marge de la société. Il suffit d'écouter les interactions au quotidien pour montrer la prégnance des rapports de pouvoirs. Ils se révèlent notamment dans la justification tenace, l'injonction violente, le souci de l'affirmation de sa propre certitude «Je t'ai dit que j'avais raison», le patriarcat se présentant comme une posture impériale: «Ma fille, il faut faire comme cela». L'incertitude se construit à partir d'une toute autre grammaire, celle du questionnement, de la dissuasion, de l'approfondissement critique. Elle est identifiée à une belle folie créatrice et résiduelle qui interroge les impulsions spontanées faussement perçues dans leur impérativité pour dicter des régimes de vérité inébranlables. Elles justifient avec arrogance tous les crimes de l'humanité. Il s'agit d'effacer toute attention à l'Autre, pour s'arc-bouter à « ses » propres affirmations médiatisées et publicisées violemment dans les arènes sociales dominantes. L'incertitude construit une posture modeste. Elle intègre la réfutation chère au philosophe Karl Popper. Sa thèse est de considérer que le savoir est toujours l'objet d'un dépassement critique. La réfutation contraste avec toute forme d'imposition. Celle-ci gomme tout débat approfondi au profit de l'extase de l'injonction. Pourtant, la prégnance de pratiques opaques et informelles dans la société, redonne un sens pertinent à l'incertitude.

Celle-ci devrait pourtant conduire à des investigations approfondies et de longue durée dans les milieux sociaux diversifiés, profondément sous-analysés. Mais ceci ne semble pas encore intégrer le champ du possible. Il importe de ne pas bousculer la fausse tranquillité en s'accrochant à «ses» certitudes. Les certitudes sont puissantes.

Elles s'ancrent dans l‘illusion spontanée d'avoir pu accéder au statut de messie. Rien ne peut donc perturber les forces du vent. Elles sont implacables, sûres de leur fait.

Elles balayent d'un revers de main tout questionnement distant de leurs préoccupations. Il s'agit de s'inscrire dans le faire-valoir qui se nourrit de certitudes, balayant le propos du sociologue allemand Max Weber : « le doute le plus radical est le père de la connaissance ». Mais force est de relever que le « doute» n'est qu'un mot. Le régime de vérité uniforme est trop puissant pour lui permettre une reconnaissance sociale et scientifique. Les crises environnementales, la perte de sens des personnes ne sont pas sans liens avec le totalitarisme technologique.

Celui-ci laisse peu de place à l'incertitude. Il s'infiltre brutalement dans le tissu social. La réflexion critique s'inhibe pour produire nécessairement une forme sociale d'aliénation. Le corps social est prisonnier du téléphone portable. Il ne vit qu'avec et pour lui. Il devient son compagnon intime.

Les certitudes technologiques envahissent les espaces sociaux. Elles effacent le questionnement et le doute. La pensée technicienne est totalisante. Elle opère comme un reflux de l'autonomie de la personne. La société est appréhendée comme une cruche vide qu'il s'agit de remplir de connaissances et d'attitudes. Sans plus !