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Le BRICS, initialement perçu comme un potentiel contrepoids
aux puissances occidentales, fait aujourd'hui face à des défis internes qui
mettent en doute sa capacité à constituer un véritable bloc antioccidental,
unifié et efficace. Créé avec l'ambition de devenir un moteur économique pour
le Sud global, le groupe regroupe des nations aux ambitions et intérêts
divergents, limitant sa cohésion et sa capacité à se poser en alternative
crédible sur la scène mondiale. Dès ses débuts, l'objectif affiché du BRICS était
de contester l'hégémonie économique et politique de l'Occident, mais la réalité
révèle une dynamique bien plus nuancée.
L'Inde, un pilier important de cette alliance, est un exemple frappant des contradictions internes du BRICS. En dépit de ses relations historiques avec la Russie et de son poids dans le groupe, elle continue d'entretenir des liens économiques robustes avec l'Occident. Le commerce et les investissements avec les États-Unis et l'Europe jouent un rôle central dans son économie en expansion, rendant difficile un engagement ferme envers la dédollarisation ou une rupture avec les systèmes financiers dominés par l'Occident. Les initiatives américaines visant à contrer l'influence de la Chine en Asie du Sud ajoutent un autre niveau de complexité : l'Inde se trouve ainsi tiraillée entre son intérêt pour une indépendance économique accrue et la nécessité de maintenir une position stratégique vis-à-vis des puissances occidentales. Cette dualité pourrait limiter son engagement dans les projets collectifs du BRICS visant à réduire la dépendance globale envers le dollar. Le Brésil illustre également cette difficulté à concilier les intérêts nationaux avec ceux du groupe. Bien que le président Lula da Silva ait renforcé ses liens avec la Russie dans un élan de solidarité économique et politique, le Brésil reste profondément intégré dans le système économique de l'Amérique du Sud, marqué par une interdépendance avec les États-Unis. Proche géographiquement, Washington demeure un partenaire économique et commercial clé pour Brasilia. Toute tentative de rompre ces liens risquerait de nuire à son économie, surtout dans des secteurs sensibles comme l'agriculture, où les États-Unis constituent un marché majeur pour ses exportations. Cette réalité limite considérablement la marge de manœuvre du Brésil au sein du BRICS et freine son potentiel à contribuer de manière décisive à la construction d'un bloc cohérent et antioccidental. La Chine, pour sa part, adopte une position nuancée, cherchant à équilibrer son partenariat stratégique avec la Russie tout en conservant son accès aux marchés occidentaux. En matière de politique étrangère, Pékin voit Moscou comme un allié de poids dans la lutte contre l'influence américaine, mais d'un point de vue économique, la Chine dépend bien plus de ses échanges avec les États-Unis et l'Europe. La stabilité de ces relations commerciales est cruciale pour le modèle économique chinois, qui repose sur des exportations massives vers les pays occidentaux. Les ambitions de Pékin au sein du BRICS se heurtent donc à des impératifs économiques qui limitent sa capacité à engager une rupture franche avec l'Occident. La Chine doit jongler avec des intérêts multiples et parfois contradictoires, cherchant à affirmer sa puissance tout en assurant la prospérité de son économie. Cette ambivalence affaiblit la position du BRICS comme bloc unifié face aux puissances occidentales. L'élargissement du BRICS pour inclure des membres tels que les Émirats arabes unis, l'Éthiopie et l'Égypte introduit de nouvelles complexités. Chacun de ces pays est influencé, de manière plus ou moins marquée, par les États-Unis et Israël, ce qui réduit leur capacité à se démarquer des intérêts occidentaux. Les Émirats arabes unis, entretiennent des relations économiques profondes avec les pays occidentaux et jouent un rôle important dans la finance mondiale, en grande partie intégré dans des réseaux occidentaux. Leurs intérêts économiques et diplomatiques les conduisent à une certaine neutralité et pragmatisme, ce qui pourrait limiter leur engagement envers des initiatives du BRICS perçues comme antioccidentales. De leur côté, l'Égypte et l'Éthiopie, bien que confrontées à des défis régionaux, restent dépendantes de l'aide financière et des soutiens militaires des États-Unis, ce qui réduit leur marge de manœuvre dans un contexte international polarisé. La réunion du BRICS en octobre 2024 en Russie a illustré ces faiblesses structurelles. Si Vladimir Poutine a pu utiliser cet événement pour afficher une position de défiance vis-à-vis de l'Occident, il est difficile de voir en quoi cette rencontre a renforcé la position du BRICS en tant qu'alternative mondiale crédible. Les tensions géopolitiques actuelles, exacerbées par la guerre en Ukraine, poussent Moscou à se tourner vers ses alliés du BRICS pour échapper aux sanctions occidentales, mais les autres membres ne partagent pas nécessairement cette urgence ni cette ligne politique radicale. Cela met en lumière une discordance fondamentale : la Russie voit dans le BRICS un outil de résistance face aux pressions occidentales, tandis que les autres membres, davantage motivés par des intérêts économiques que par une opposition idéologique, adoptent une approche plus pragmatique. De plus, les actions individuelles des membres du BRICS, telles que la présence de la société paramilitaire Wagner dans le Sahel, l'influence des Émirats arabes unis dans les affaires africaines et le soutien de l'Égypte au maréchal Haftar en Libye, illustrent des agendas divergents, parfois en contradiction avec les valeurs de solidarité et de développement propres au Sud global. Ces initiatives, loin de favoriser une unité au sein du BRICS, soulignent au contraire les disparités d'intérêts et l'absence d'une vision commune pour le groupe. Certains de ces engagements rappellent davantage les politiques de puissances néocoloniales que celles d'un bloc uni en faveur de l'émancipation des pays en développement. En conclusion, le BRICS, par sa diversité d'intérêts et son hétérogénéité croissante, semble encore loin de concrétiser les aspirations d'un Sud global autonome et influent. Ses membres, qui ont des intérêts nationaux et des priorités stratégiques souvent en contradiction, peinent à s'accorder sur une ligne directrice commune capable de défier l'influence occidentale de manière crédible. La logique de groupe qui devait permettre de rééquilibrer les relations de pouvoir mondiales apparaît aujourd'hui fragilisée par les différences internes et les ambitions individuelles. En l'absence d'une cohésion forte et d'une vision partagée, le BRICS risque de demeurer un ensemble symbolique, sans capacité réelle à instaurer une nouvelle polarité mondiale. |
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