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Les carreaux de la misère

par Abdou BENABBOU

Si plus de 33 millions de Nigérians ne pourront pas manger à leur faim dans la nouvelle année qui s'annonce, cela pose un sérieux questionnement sur un pays censé être une grande puissance africaine. L'étonnement est d'autant plus grand lorsque le Nigéria, écouté et respecté, occupe une place non négligeable dans le concert diplomatique régional.

Sa monnaie s'effrite et s'effondre, l'inflation y est galopante, le sud de son territoire est malmené par la piraterie et le brigandage et son nord est livré au terrorisme. Se demander par quoi son blason et son étendard sont ternis relève du mystère lorsqu'il est prétendument qualifié de première puissance économique africaine. Mettre en cause encore une fois le dérèglement climatique avec le pendant de la sécheresse et des inondations tient peu la route. A tout le moins, il ne confirme que l'avancée de la famine qui pénalisait une large partie de la population déjà mise à mal. La montée des périls s'était affirmée depuis longtemps déjà quand la corruption, le manque de vision, les télescopages violents des religions et les guerres claniques désagrégeaient un pays qui avait pourtant tout pour être heureux.

Le paradoxe n'est pas une particularité du Nigéria seul. Des puissances autrement plus importantes avancent avec des inconséquences flagrantes abandonnant de larges couches de leurs populations sur le carreau de la misère. Jamais l'aura de la nourriture des poubelles n'a été aussi démonstrative du besoin alimentaire de peuples censés loger dans les hautes sphères. Des millions d'êtres ne trouvent de provisoires saluts que dans les déchets laissés dans le côté cours de la dictature de la civilisation dominante. Le malheur actuel tend à élargir le spectre de la déshumanisation pour que les sociétés humaines ne s'agrippent plus qu'en l'espoir de l'arrivée des messies.

Leur marche à pas forcé dans la vie a le mérite de mettre à nu la grande duperie des démocraties telles qu'elles sont colorées hier et aujourd'hui. On s'étonne alors de l'envahissement de la violence et de la dominance des extrêmes.