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Entre 100 000 et 200 000 serait le total
abominable de victimes de la «décennie noire» qui endeuilla l'Algérie. Cet épisode
terrible de notre histoire a été peu à peu retiré de nos souvenirs. Pire, si on
laisse de côté tout ce qui été écrit à charge avec le procès perpétuel fait à
l'histoire («on vous avait bien dit qu'ils se mangeraient entre eux si on leur
donnait' leur indépendance...»), aucune analyse, aucune commémoration, aucun
«retour sur expérience tragique» n'a été sereinement entamé et aucune
conclusion n'a été tirée à la hauteur qui convient.
Un voile discret a été jeté sur des événements peu à peu effacés. Une nation se grandit à se souvenir. Et à se souvenir surtout de ses errements. Ne serait-ce que pour éviter que catastrophe semblable se reproduise. Savoir se regarder sereinement dans le miroir de l'histoire, n'est pas un exercice d'automutilation ou d'auto-mortification. On ne construit sérieusement l'avenir que sur la base d'un bilan circonstancié et exact de nos réussites et surtout de nos erreurs. Avec une planification non moins exacte des chemins à rationnellement délibérer et à emprunter. Cela demande courage, lucidité et compétence. Fortuitement, j'ai redécouvert un papier publié il y a près de 20 ans dans Le Quotidien d'Oran. Il ne parle pas que du passé. A sa manière, il entretient du présent en ce qu'une part importante des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui y sont liés, une séquence de notre histoire que ne nous devrions pas mettre entre parenthèses. Comprendre c'est établir un lien de causalité. Le mode d'existence de la communication instrumentalisée par la quincaillerie technologique actuelle, a une conséquence fâcheuse. Elle nous prive de la satisfaction d'un principe essentiel à la compréhension du monde et de notre monde : l'établissement d'un lien rationnellement réfutable entre causes et conséquences. Ce n'est plus seulement d'histoire dont il s'agit (laissons-la aux historiens), mais de culture historique collectivement partagée et d'un retour salutaire, généalogique à notre engendrement. Ni gouvernants ni gouvernés ne peuvent s'affranchir et éluder cette question redoutable : qu'avons-nous donc fait de notre liberté et de l'héritage de ceux qui ne sont plus là ? Cela porte un nom, inscrit au fronton de notre devise nationale, la démocratie qui prescrit aux gouvernants de rendre des comptes et de livrer un bilan régulier aux citoyens sur le pouvoir qui leur a été confié. Cependant, ce serait se fourvoyer que de retirer au peuple la responsabilité qu'il partage avec ceux qui dirigent son destin. Il ne s'agit pas ici de démocratie formelle représentative qui dissout la légitimité politique dans les protocoles électoraux et les mandatures. Par-delà les politiques, les élus, les ministres, les présidents... qui se sont succédés (au moins depuis 1980), nous sommes tous collectivement, politiquement et historiquement responsables de ce qui nous est arrivé. L'histoire est impitoyable avec les nations amnésiques. L'article ci-dessous n'est plus accessible dans les archives en ligne. Il a pour ainsi dire complètement disparu. Deux décennies après, je le soumets à nouveau à nos lecteurs. Je n'en retire pas une virgule. |