Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les cadres et la continuité de l'expérience collective

par Derguini Arezki

L'on soutiendra dans ce texte que la tribu est la forme d'organisation sociale en mesure d'assurer la continuité de l'expérience collective et de transformer l'égalité de droit en égalité de fait. L'égalité des droits, l'égalité des chances ne garantit pas l'égalité réelle, même lorsque le droit suit le fait et ne le précède pas. Tout dépend de la capacité de l'organisation sociale à transformer l'égalité de droit en égalité de fait, et du point de vue de la dynamique de la différenciation sociale, à transformer l'inégalité en égalité. Cette transformation ne peut s'effectuer sans une dynamique continue de l'expérience collective.

La thèse que j'essayerai donc d'étayer, c'est qu'au contraire de la société qui s'efforce de se stabiliser au travers d'une structure de classes héréditaires, la tribu, ou plus exactement la société qui s'efforce de se construire sur les ruines de la tribu, est l'organisation à même de réaliser la performance d'une société égalitaire. À ne pas confondre donc avec une société égalitariste. À condition que la tribu s'effectue tel un « parlement des « choses »», autrement dit, retrouve l'unité avec son milieu, accepte une définition qui n'exclut pas les non-humains et ne se construise pas sur un rapport de subordination dichotomique. On pourrait parler de « démocratie tribale », qui serait à la fois démocratie sociale, économique et politique. Elle serait l'organisation qui résulterait d'un agencement équitable et soutenable des humains et des non humains (naturels et non naturels). On ne dira donc pas ce qu'est une « démocratie tribale » à priori, après avoir défini la tribu à priori, mais comment cette démocratie peut être et ce qui peut la rendre possible. Sa définition ne peut être que l'œuvre d'une expérimentation réussie, il s'agit de la construction d'une société sur les ruines de la société tribale qui ne soit pas de classes héréditaires.

La stabilité de la société

Les trois étages de l'économie. La stabilité d'une société dépend essentiellement de l'unité de l'économie et de la société, du rapport entre ce que Fernand Braudel appelle les trois étages de l'économie. Soit une base non marchande de l'économie, une société marchande et ses différentes formes de capitaux et un sommet de la société marchande avec son capital financier. La société capitaliste est une société dominée par la hiérarchie de l'argent à l'égard de laquelle l'État manifeste une certaine complaisance au contraire de la société socialiste de marché. Seul l'Occident confond dans son histoire marché et capitalisme (F. Braudel).

L'instabilité d'une société renvoie à la désolidarisation des trois étages de la vie sociale et matérielle : surexploitation et destruction de la vie matérielle et sociale non marchande par la vie marchande, du capital naturel et social en particulier (tout à un prix, mais qui ne recouvre pas le coût de production non-humain); surexploitation et destruction de la vie marchande par le capitalisme, ou autrement dit, vampirisation des différentes formes du capital par le capital financier. Les hiérarchies sociales soumises à celle de l'argent décollent de leur base, la solidarité sociale se rompt.

La stabilité d'une société, comme il transparait au travers de la vie sociale et matérielle, dépend de la légitimité de ses hiérarchies. Cette légitimité dépend de la complémentarité et de la substituabilité de la base et du sommet des hiérarchies, ou comme on pourrait le dire, quand sa base (la société) est dans son sommet et son sommet dans sa base. Quand la base est ouverte à toute la société, quand le sommet est accessible à la base, quand base et sommet s'échangent les positions, se complètent et ne se séparent pas l'un de l'autre. Il y a dictature quand le sommet se retourne contre la base. Les classes sociales héréditaires, comme dans le capitalisme et le féodalisme, capturent le sommet des hiérarchies. La société de classes héréditaires conquérante a réalisé une solidarité de classes qu'elle ne peut plus soutenir avec le vieillissement de sa population et la décolonisation du monde. Les classes dominantes ont perdu leur aiguillon. Mais l'idéologie libérale oppose à la lutte de classes portée par l'industrie devenue atone, la lutte des producteurs contre leurs parasites, ceux du bas (chômeurs, immigrés et marginaux) et ceux du haut (financiers, artistes, intellectuels et bureaucrates)[1] pour faire face à la nouvelle classe ouvrière issue des services.

On effectuera une mise à plat de la société et de ses échanges, l'on considèrera qu'elle forme une grande famille composée de tribus et de familles d'espèces différentes, d'hommes et de femmes, mais aussi d'agents non-humains. Elle n'est pas une société d'individus qui serait uniquement composée d'humains et qui se protègeraient d'un État à la propension absolutiste. Notre société n'a pas engendré de classes sociales, une classe dominée atomisée et un État au service d'une classe dominante, dont la classe dominée aurait eu le besoin et le pouvoir de limiter le pouvoir de l'État. Dans la société segmentaire ou tribale, la famille et la société sont sur un même plan d'immanence, la famille est dans la société par la médiation de la tribu, et la société dans la famille par le moyen de la tribu. Elles constituent les deux pôles du mouvement social, le social passant dans la famille, le familial dans la société, la tribu étant dans l'une et l'autre. Pas de discontinuité radicale entre famille et organisation sociale. On peut alors s'interroger sur la complémentarité et la substituabilité des différents agents et sur ce qu'elles peuvent devenir étant donné la nouvelle conjoncture climatique et technologique, sobriété choisie ou sobriété subie[2]. On soutiendra aussi que seule l'autorité de l'expérience est en mesure de donner lieu à une réelle expérience collective impliquant l'ensemble des agents humains et non humains. Une mise à plat de la société ira donc de pair avec une mise à plat des cadres qui structurent l'expérience collective. On peut constater que pour l'heure, une telle intention n'est pas dans l'ordre social existant.

La tribu, les femmes et le parlement des « choses»

Les droits des femmes ont été portés par les forces du marché. Cela n'est pas particulier aux sociétés postcoloniales[3], mais cela y est particulièrement patent. Les luttes féminines ont principalement consisté à saisir l'opportunité de l'école pour sortir d'une économie domestique réduite à sa plus simple expression et accéder au marché de l'emploi, national d'abord, international ensuite avec le chômage des diplômés. Une telle sortie étant astreinte par la réduction du champ de l'économie domestique, elle apparut alors aux familles comme seule alternative conséquente à l'enfermement des femmes dans un espace qui ne pouvait les occuper et les contenir. Les catégories urbaines ont été les premières concernées. Les luttes ont donc été portées par une conjoncture d'urbanisation et de dévalorisation de l'économie domestique. Elles ont été d'un caractère privé, individuel plutôt que collectif, urbain plutôt que rural. Elles s'inscrivent dans une biopolitique particulière, nataliste, caractérisée par une pression démographique due à la baisse de la mortalité infantile et par une politique d'importation des biens de subsistance favorisant l'urbanisation. Ce qui aura pour conséquence un développement rapide du salariat, mais une désolidarisation durable de l'économie non marchande et de l'économie marchande aux conséquences négatives.

L'égalité hommes femmes postulée et revendiquée concerne le haut de la société féminine, elle ne comprend pas l'égalité entre femmes. Le droit devient discriminant, il divise la société selon l'accès qu'on en a. L'égalité concerne une partie de la société marchande et salariale. La dynamique de transformation de l'inégalité en égalité est aussi large que le permet la dynamique du marché. L'égalité de droit des hommes et des femmes légitimait l'inégalité réelle des hommes et des femmes, avec une inégalité entre les femmes plus accentuée. L'intention politique disculpait la réalité des faits, la minorité ayant accès à l'égalité pouvait avoir bonne conscience. On s'attache plus à la progression du droit que de celle de l'égalité de fait. Le discours juridico-philosophique chasse le discours historico-politique[4]. L'égalité de droit ne fabrique pas l'égalité, elle légitime l'inégalité de fait qu'elle promet de résorber ; le fait fabriquera le droit, le droit sera dans le fait, mais celui d'une minorité.

Or ce que le discours de l'égalité des droits humains tend à occulter c'est la force qui peut contribuer à transformer l'inégalité en égalité. C'est la force que peut constituer la société féminine s'organisant sur le principe de l'égalité des femmes en vis-à-vis de la force que peut constituer la société masculine s'organisant sur le principe de l'égalité des hommes. Car, c'est la société féminine refusant d'être divisée par le salariat qui peut peser sur le rapport de forces entre le féminin et le masculin ainsi que sur le rapport de forces entre le travail salarié et le travail domestique. Une société qui s'organise en sous-société de femmes avec pour principe l'égalité des femmes et en sous-société d'hommes avec pour principe l'égalité des hommes, comme une tribu avec une sous-tribu de femmes et une sous-tribu d'hommes, avec le principe une personne, une voix, une telle société serait en meilleure capacité de réaliser une société des égaux, en meilleure mesure de définir la substituabilité dans la complémentarité des agents. La division marchande du travail n'élimine pas la division sexuée du travail, elle divise la société féminine en brouillant le rapport de l'économie domestique et de l'économie marchande. Ou divise l'humanité féminine : l'Italie, le pays le plus vieillissant d'Europe, recourt massivement au travail informel des femmes de l'Europe de l'Est[5].

La division du travail en travail domestique (salarié et non-salarié) et en travail marchand non domestique pourrait recevoir une autre valorisation sociale de la part d'un parlement des « choses ». Un autre rapport entre la vie matérielle non marchande et la vie marchande pourrait être envisagé. Mais quelles sont les femmes qui accepteraient que les autres femmes soient leur égale en même temps qu'elles seraient les égales des hommes ? Comment les femmes européennes regardent-elles les étrangères qui ont pris leur place dans l'économie domestique en s'occupant de leurs parents ? Dans leur sillage, les femmes postcoloniales qui ont accédé à l'économie marchande sont-elles promptes à rejeter la tribu et ses mauvais souvenirs. On ne peut pas confondre l'ancienne tribu avec la nouvelle. Cette dernière devrait réaliser la condition qu'une femme puisse être l'égale d'une autre en même temps que l'égale de l'homme. Complémentarité et substituabilité des hommes et des femmes. On l'a déjà soutenu ailleurs, la tribu n'a pas besoin de rester dans l'indifférenciation sociale, elle offre seulement le cadre qui permet de mieux réaliser la transformation du droit en fait. Une société où serait représenté hommes, femmes et non humains, serait ensuite en mesure d'assurer de manière plus équitable et plus efficiente la complémentarité et la substituabilité de ses membres. Le marché libre est au service du pouvoir d'achat, il remet le pouvoir aux riches qui ne se gênent pas pour ruiner les pauvres et la planète. Le marché de la tribu n'abandonnerait pas l'offre et la demande à la seule définition des riches. La tribu permet de remettre la démocratie dans le marché. La nation et le marché sans la tribu ne font pas la société démocratique. Ils font des producteurs et des consommateurs séparés, vulnérables aux forces supérieures. Le marché n'englobe pas la société et le marché crée des riches qui persistent à se faire servir par des pauvres. Parce que ces deux instances ne pourront pas faire démocratie et société de classes dans les post-colonies ; parce que ces dernières échoueront à donner, ce que l'histoire sociale ne veut pas donner, des élites de classes au monde. La société sous l'hégémonie culturelle des riches est ensorcelée par le pouvoir d'achat. Or, l'histoire qui vient ne sera plus celle du pauvre qui veut devenir riche, mais celle du pauvre qui sait ce que lui prépare l'histoire.

Avec l'essoufflement de la vie marchande, la part de la production non marchande devrait s'accroitre si elle en a les capacités. Avec la crise écologique, un rapport d'entretien et de régénération de la vie non marchande devrait se substituer, s'il le peut, au rapport actuel de destruction. Ce n'est plus une progression de l'économie marchande humaine sur l'économie non marchande humaine à laquelle on va assister, mais à l'inverse, là où l'économie non marchande non humaine aura été préservée. Ce n'est pas d'un partage du travail domestique entre hommes et femmes que l'on devrait se préoccuper en priorité, mais du travail en général et du rapport du travail marchand et non marchand. La continuelle dévaluation du travail non marchand ne sera plus au service du progrès social, mais d'une régression subie. C'est dans l'exploitation du travail non marchand par le travail marchand capitaliste que loge l'opposition du travail domestique et du travail marchand. Le travail non marchand ne peut plus être subordonné au travail marchand. Celui non-humain est en révolte durable, celui humain commence à prendre conscience de sa force. Le pouvoir de commander ne peut plus se résumer au pouvoir d'acheter.

On dénonce la violence faite aux femmes, mais on ne pense pas d'abord à la violence, à ce que cette violence particulière est à la violence en général, et à ce qui les produisent. On occulte ce qui l'a rendue possible et ce qui maintient la force qui peut s'en défendre dans l'inorganisation et l'incapacité de se défendre. Ainsi, on ne pense pas à la violence faite aux travailleuses de l'informel. On oublie les cadres dans lesquels se produit cette violence, les structures qui la produisent, les rapports de division et de subordination dans lesquelles elle s'exerce. On préfèrera faire avancer le droit de disposer de soi (d'une minorité qui a le droit et est en mesure de se défendre) et la subordination à la machine (au capital) qui n'abuse pas de son pouvoir en substituant de la mécanique automatique à l'humain. La division de la société féminine est une excellente affaire pour le capitalisme. La crise sanitaire a révélé l'importance de ses travailleuses de l'entretien comme force de la société. La classe ouvrière dont il faut tenir compte n'est plus portée par l'industrie, mais par l'entretien de la machine sociale, de sa partie marchande, mécanisée et automatisée. Classe qui tient la machine sociale dans sa partie immergée. Classe ouvrière qui peut se substituer à l'ancienne qui s'efface, en nombre et en qualité, si elle parvient à se former.

Or gauche et droite complotent contre la formation d'une telle classe, chacune à sa façon ; la gauche par sa défense du pouvoir d'achat de la classe moyenne, la droite, pour la liberté d'accumuler et de disposer de soi et de son capital. Il appartient aux femmes de la société marchande de rejoindre cette classe ouvrière de l'économie de reproduction au lieu de s'en détacher, pour qu'une égalité hommes femmes puisse progresser malgré la contraction de l'économie marchande. Ce ne sont pas les travailleurs d'une industrie qui peut passer en fonctionnement automatique qui peuvent décider du fonctionnement de la machine sociale, mais les travailleurs de l'entretien, les agents de l'économie non marchande, qui peuvent perturber et perturbent déjà son fonctionnement automatique. La place, dans la société, des agents de la production non marchande comptera autant que celle qu'occupent les agents de la production marchande dans la société. Les agents des deux productions doivent être d'égale dignité si l'on veut éviter des fluctuations de grande ampleur. C'est dans cette classe que peuvent s'envisager d'autres rapports de complémentarité et de substituabilité des humains et des non humains. C'est cette classe qui peut porter la classe écologique dont parle Bruno Latour[6]. Et ceux que l'idéologie néolibérale veut mettre au pas, ce sont bien ces agents du rez-de-chaussée de la vie matérielle, ce sont bien ces nouveaux agencements entre humains et non humains, entre nature et société, capital et travail qu'elle veut empêcher. Elle veut combattre la formation de cette classe ouvrière, humaine et non humaine, assistée en cela par l'idéologie de l'émancipation de la gauche toujours attachée à la croissance et à la défense du pouvoir d'achat de la classe moyenne. La place du racisme est précisément de contenir la formation de cette classe et d'empêcher sa reconnaissance par la société, en divisant cette société de femmes et de non humains qui peut mettre fin à l'exploitation des rapports de subordination.

La classe ouvrière ne surclassera pas pour autant la « race ». Elle n'englobera pas l'humanité et l'humanité ne cessera pas de se différencier en « races ». L'humanité se divise en « races » et les « races » en classes, des races supérieures et des races inférieures ; des classes supérieures et des classes inférieures ; classes supérieures et inférieures de même race ou de races différentes. Il arrive souvent que la division de « races » recoupe la division de classes dans un processus de colonisation (les Normands et les Saxons en Angleterre, les germains et les Gallo-Romains en France lors de la période féodale ; les colons et les indigènes en Algérie coloniale). Cette division de « races » donne plus aisément à la division de classes son caractère héréditaire. Dans ces sociétés, la dynamique de différenciation sociale pourra subsumer la différenciation de « races » lorsque la classe dominante pourra triompher dans la compétition mondiale d'autres « races ». Le cas de l'Angleterre, mais pas de l'Algérie coloniale. La notion de nation chasse la notion de « race » du discours dominant et laisse croire que la différenciation de classes est le résultat d'un processus de différenciation interne à la « race ». La classe subsume la « race » en interne et projette la nation en « race » à l'extérieur. On ne définira pas la « race» à priori, elle se définit dans le processus de différenciation de l'humanité. La classe quant à elle se définit dans le processus de différenciation d'une société. Celle qui réussit à faire nation et exploite les différences de « races » humaines subsume ses différences de « races » internes. Elle réussit à faire unité de « race ». Dans les sociétés ethniquement homogènes, la différenciation de classes sera endogène et plus cohérente. La « race » unira plus aisément les classes.

Dans les sociétés postcoloniales, la destruction de la tribu a été la condition de leur aliénation, leur différenciation et leur cohésion ont été pulvérisées pour soumettre leurs ressources au pillage, leur dynamique marchande aux lois du marché mondial. C'est par la classe, la race et la tribu que s'effectue la cohésion d'une société. Le colonialisme et le néo-colonialisme sont des guerres des « races » que le capitalisme a pu exploiter. Dans les anciennes sociétés industrielles, la classe capitaliste surclassera la « race », qu'elle domine ou dont elle fait partie, et asservira son énergie. Il n'y aura pas d'internationale de ces nouvelles classes ouvrières. Mais des sociétés qui se diviseront en « races », les unes réussissant, les autres échouant à soumettre la classe à la tribu ou la tribu à la classe. Et parmi celles qui ne seront pas divisées par les « races », celles qui sauront stabiliser la place de cette classe et celles qui en seront distraites par leur focalisation sur l'économie de marché, sur le pouvoir d'achat des classes moyennes. Il faudra distinguer des sociétés où les classes moyennes moins soucieuses d'ascension que de stabilité de la structure sociale sauront réinvestir le rez-de-chaussée de leur vie matérielle, de celles qui continueront à le surexploiter et qui exploseront en vol. La tribu se soumettant la classe peut redonner une cohésion aux trois étages de l'économie des sociétés postcoloniales. La proto-classe qui se soumettrait la «tribu» soumettra la société au monde et à sa division en « races ».

Dans un parlement des « choses »[7], où humains et non humains, hommes et femmes seraient également représentés, la société n'étant plus considérée comme l'unité des humains, mais de tous ses agents, la société féminine y aurait un poids particulier si elle se constituait en tant que telle et en faisant place à ses deux composantes salariée et non-salariée. La classe ouvrière n'est plus dans l'industrie et le salariat, mais dans les services salariés et non-salariés. Et le travail n'est pas seulement humain, car si nous supprimons l'énergie fossile et la photosynthèse, par exemple, que reste-t-il du travail humain ? Réserver la classe ouvrière à la seule partie des travailleurs salariés est une mystification institutionnalisée. Une telle mystification a pu prendre formellement grâce à une notion figée de la classe ouvrière, son abstraction du processus de différenciation sociale (substantification). Pratiquement, grâce au mythe du plein emploi (salarié), mythe qui soumet en vérité le monde au pouvoir d'achat d'une minorité de l'humanité. Maintenant que cet idéal s'éloigne[8], on ne peut plus ignorer cette partie de la société qui reste en dehors du salariat ou qui vit dans la précarité. Cette classe ouvrière habite et forme le rez-de-chaussée de la vie matérielle (F. Braudel), rez-de-chaussée marchand et non marchand, sans lequel il n'y a ni premier étage (économie de marché et compétition) ni second (capitalisme et monopoles). En vérité, la classe ouvrière, tout comme la société, est composée d'humains et de non-humains, les uns fonctionnant à l'énergie humaine, les autres à des énergies non humaines. Il appartient au rez-de-chaussée de la vie matérielle de se réapproprier ses étages supérieurs, de rétablir une coopération des humains et des non-humains que le capitalisme a opposés.

La crise sanitaire a mis à nu ce rez-de-chaussée de la vie matérielle, sans lequel la vie marchande ne saurait subsister. Et c'est peut-être la conscience de la dépendance à une population d'origine étrangère qui peuple ce rez-de-chaussée qui a activé la xénophobie dans certaines sociétés européennes. La « race » ici s'efforce d'englober la classe et de se substituer à elle pour refaire la cohésion sociale d'une société qui se croit menacée.

La catastrophe prévisible

Nous aurions pu aller vers un parlement des « choses » si les humains s'étaient écoutés, avaient écouté les plaintes des femmes et des non-humains. Il ne s'agit plus seulement d'accueillir officiellement ce qui existe officieusement, comme l'envisageait Bruno Latour. Et non plus d'instituer un parlement, car les agents ne demandent plus de droit d'entrée et n'expriment plus le désir de parlementer. Dans les lieux où les humains et les non-humains se rencontreront, ils ne se mettront pas à parlementer, mais à s'entrechoquer, à se combattre. Les « choses » (les intempéries, les machines de guerre, les migrants de différente nature) envahissent violemment le monde des sociétés humaines, elles ne demandent pas leur avis. La crise climatique a fait sortir les non-humains de la nature pour les faire entrer dans la société, les humains racisés de leur race. La violence exercée sur la nature par les humains se retourne contre eux. Le cantonnement des non-humains dans la « nature » et leur manipulation autoritaire a fait rompre les digues. Pour les humains et les non-humains, la guerre fera des vainqueurs et des vaincus, certains seront contraints de parlementer sous un nouveau rapport de forces. Avec les fluctuations sociales et environnementales, l'optimalité n'est plus l'objectif du système économique, mais la résilience, la capacité d'adaptation et de transformation[9].

Les parlements du monde n'accueilleront ni une parité de représentation des humains et des non-humains, avec les scientifiques comme porte-parole des non-humains, ni une parité des hommes et des femmes, ni une parité des « races » avec les humains des nations prolétaires. Ceux humains existants vont être débordés par la masse des humains qui en ont été exclus et par des agents de la nature qui de passifs deviennent agressifs. Les scientifiques ont beau se faire les porte-paroles des non-humains et alerter les humains du déchaînement de leurs mandants, les nations prolétaires ont beau se défaire et menacer d'envahir celles riches, tout cela n'est pas entendu, pris en compte. Des forteresses sont élevées pour préserver des rapports entre humains et non humains qui ont moins de forces pour tenir.

Que des parlements des « choses » puissent voir le jour, avec une parité des humains et des non-humains, des hommes et des femmes, sur certains points de l'humanité, c'est de leur capacité à déteindre sur le reste du monde que pourra se décider un nouvel ordre du monde, une pauvreté, mais pas une précarité. Si l'ingratitude et l'arrogance qui a caractérisé les hommes persistent, la catastrophe ne pourra pas être évitée. Les humains ont pris à la nature et n'en ont pas pris soin, ils ont exploité leurs semblables et ne s'en sont pas repentis.

Les idéologues occidentaux, ceux de gauche en particulier, ont rejeté massivement la théorie du choc des civilisations de Huntington, mais ils y vont les yeux fermés, l'esprit obnubilé par la croissance. La dépendance au sentier colonial et postcolonial est forte. L'Occident est pris dans sa trajectoire coloniale. Les postcoloniaux commencent à s'en déprendre, peu avec succès. La « droitisation » de l'Occident, l'acharnement d'Israël, la politisation (weaponization) de l'économie (sanctions économiques) en donnent les signes. Le choc des civilisations s'inscrit dans le prolongement du colonialisme et du néo-colonialisme. Le monde est victime de la dépendance au chemin que l'Occident lui a fait emprunter. Les crises climatique et économique vont multiplier les crises sociales. L'Occident s'expose à redoubler de violence au lieu de se soustraire au cycle de la violence qu'il a lui-même initié et entretenu.

La philosophie pessimiste de l'histoire de Walter Benjamin quant à l'avenir du monde issu du monde européen, revient au goût du jour : « Pessimisme sur toute la ligne. Oui, certes, et totalement. Méfiance quant au destin de la littérature, méfiance quant au destin de la liberté, méfiance quant au destin de l'homme européen, mais surtout trois fois méfiance en face de tout accommodement : entre les class¬es, entres les peuples, entre les individus. ... » [10] Rejetant le culte moderne de la Déesse Progrès, Benjamin met au centre de sa philosophie de l'his¬toire le concept de catastrophe. Dans une des notes préparatoires aux Thèses de 1940, il observe : «La catastrophe est le progrès, le progrès est la catastrophe. La catastrophe est le continuum de l'histoire.»[11] L'assimilation entre progrès et catastrophe a tout d'abord une signification historique : le passé n'est, du point de vue des opprimés, qu'une série interminable de défaites catastrophiques. Benjamin conçoit la révolution comme l'interruption d'une évolution historique conduisant à la catastrophe[12].

Avec la perspective de la catastrophe, celle de la crise de l'hégémonie culturelle bourgeoise, une transformation radicale des croyances est la seule alternative au chaos. L'époque de la croissance du pouvoir d'achat, de l'extension du marché, est révolue. Le processus de substitution du capital au travail ne fera plus le progrès de l'humanité[13]. Ce qui n'ira pas sans luttes autour de la distribution du capital. Le tout est de savoir comment cette époque finira, que durera l'agonie de l'hégémonie culturelle bourgeoise, quels dégâts causera-t-elle et sur quelles ruines émergeront les nouvelles croyances et les nouveaux comportements. L'hégémonie culturelle ne prendra pas fin avec des coups d'État ou des révolutions armées, sa fin dépendra des dispositifs de pouvoir mis en place pour définir les nouvelles complémentarités et substituabilités des agents de la société. Antagoniques jusqu'à quel point, le travail mort détruisant ou régénérant le travail vivant (humain et non humain) ? La production marchande ne se nourrissant pas de la destruction, mais de l'amélioration de la vie sociale et matérielle, c'est d'une véritable conversion des pratiques et des croyances qu'il s'agit.

La tribu, l'expérience collective et l'autorité

La société de classes a sacralisé l'individu et la propriété privée après avoir divinisé le monarque et en avoir fait le propriétaire éminent. Elle a adopté le marché des droits individuels. La tribu a consacré le groupe, la propriété collective et la possession individuelle. La société de classes a vaincu les sociétés tribales. Le modernisme a poursuivi le combat contre la tribu, il voulait détruire ce que la société pouvait prendre comme appui pour se différencier de manière cohérente, pour accorder le milieu (non-humains) et les humains, les hommes et les femmes. La classe ne pourra ni donner une cohésion à la société postcoloniale ni permettre à la tribu de se dissoudre dans la classe. Au sein de la crise de l'hégémonie occidentale, renaissent dans le désordre des tribus fantômes.

La défaite de la tribu. La thèse que je veux soutenir ici est qu'en nous révoltant contre nos supérieurs, nos parents d'abord, nous nous sommes désunis.

C'était au début des années soixante-dix, j'avais refusé de me faire marier, de travailler pour la famille à la sortie du lycée. J'avais fait l'internat au collège et au lycée, puis je suis parti à l'université contre l'avis de mon père, puis pour travailler loin de ma famille. Je me suis ensuite marié sans cérémonie avec une amie de l'université. Je suis sorti du rang, je me suis séparé de ma famille, la désunion s'est mise en marche. L'aîné n'a pas soutenu son père, ne s'est pas occupé de ses frères et sœurs qui avaient été laissés en arrière, à la montagne. Il s'est occupé de lui-même, la tête pleine d'une idéologie de la libération, emporté par le salariat et le tourbillon de la vie.

Il est vrai qu'entre les enseignements de l'école et celle de nos parents le fossé était trop large, elle était bavarde, ils étaient silencieux. La langue de l'école nous avait appris à mettre des mots sur plein de choses, à penser avec elle, mais pas vraiment avec nous-mêmes de nous-mêmes. Mon professeur de collège était communiste, j'en pris plein la tête. Ma famille parlait une langue, il en parlait une autre. Nous apprîmes à parler dans une autre langue, mais pas à penser dans deux langues. On n'avait pas eu le temps d'apprendre à penser dans notre langue maternelle et nous ne nous rendions pas compte que nous étions pensés par la langue de l'école plutôt que l'inverse. Penser entre les deux langues, user des ressources des deux langues, comment cela pouvait-il être quand nous n'étions pas en mesure de penser dans chacune ?

Mes parents avaient eu tout un village pour faire leur éducation, notre village avait été détruit par l'aviation coloniale, il avait été aboli dans le centre de regroupement. L'individu n'était plus sous le contrôle social, il ne se reconnaissait pas d'autorité évidente. Il obéissait à la contrainte coloniale. Nous ne recevions plus notre éducation première que de nos mères, rarement de nos grands-mères. L'école et la famille se trouvaient face à face, la famille ne pouvait disputer à l'école l'éducation de l'enfant, elle n'en avait ni l'habitude ni les moyens. Plus de village et de son maître d'école. L'école revêtue d'une nouvelle autorité ira à l'État postcolonial, qui continuera de disputer l'autorité à la famille, s'occupera de la citoyenneté, mais pas de l'éducation réelle. Il prendra les maîtres qu'il pourra.

Fils d'émigré, ma première école fut la France, de retour en Algérie à la fin de la guerre, je retrouvais la France au collège. Alors que j'avais rejeté la compétition scolaire en France, en Algérie, mon bagage culturel et mes camarades me la rendirent séduisante. J'étais bien armé pour mon époque, le lycée et l'université furent une promenade, jusqu'à ce que j'arrive au troisième cycle dans les années quatre-vingt pour entrer dans une nouvelle époque. Je me rendais compte alors qu'au-delà du collège, je n'avais pas eu de maîtres à penser. Je ne quittais pas l'université, mais y restais pour enseigner. C'est ce que j'ai toujours voulu faire, j'avais une vocation, peut-on laisser dire. En fait, j'aimais la scène, je savais chanter et parler, un peu de charisme aussi ? J'aimais bien quand même penser par moi-même, faire mon chemin, ce qui ne s'avéra pas si simple.

Mes parents, enfants, avaient mené une vie tout autre que la mienne. La vie qui se présentait à eux avec nous était inédite. On n'était plus dans la répétition et l'innovation incrémentale, mais dans des ruptures en série. Mon père de retour de France, finit par retourner à la montagne où il n'y avait plus de village. Seuls deux émigrés y étaient retournés pour construire leur maison. Le divorce entre nos deux générations était comme inévitable. Dans l'espace et dans le temps. Nos parents ne savaient pas comment entrer dans la nouvelle époque, on s'y jetait à corps perdu. Il n'y avait pas de famille exemplaire pour faire tenir l'ancien et le nouveau, déteindre sur l'école et sur les familles. Pas de famille, où père et fils pouvaient faire preuve de compréhension mutuelle et d'expérimentation collective. On déserta la famille, garçons et filles, pour ceux qui le pouvaient. Pour ceux qui ne le pouvaient pas, les conflits se chargeaient de la défaire. Et cela continue. On se rend compte que le déclassement de la famille en faveur de l'État finit par déposséder l'État lui-même de son autorité. Nous sommes devenus « exigeants » face à l'autorité, qui ne sait pas nous parler. De l'expérience collective, il reste la fibre nationaliste que certains ressentent menacée, mais pas davantage. Le constat vient tard, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Il faut y croire. L'autorité ne peut renaître que de l'expérience collective, elle seule peut faire l'économie de l'autoritarisme.

Autorité et expérience collective. Nous avons refusé de compter sur nos expériences, de travailler sur celles de ceux qui nous avaient précédés dans l'expérience des mondes ancien et moderne. La continuité de l'expérience collective n'était pas le chemin emprunté. Le souci des nouvelles autorités n'était pas de demander et d'obtenir obéissance volontaire. Elles crurent plus facile de l'imposer. Elles ne surent pas faire de leur autorité, qui est d'abord de faire respecter l'expérience collective, il en résulta une société dirigeante autoritaire, d'autant plus autoritaire qu'ignorante de l'expérience collective, elle se croyait savoir. L'autorité du nouvel État indépendant n'a pas été utilisée pour refaire collectif, expérience collective, et pacifier les débats. On a hérité de l'ordre colonial qui avait détruit les collectifs et ne pouvait autoriser le débat. La seule instance collective qui pouvait être à la hauteur de la tâche dans un tel état de désagrégation, le parti unique, ne s'engagea pas à remettre en cause l'ordre institutionnel qui excluait la possibilité des débats, les collectifs qui la rendaient possible. Il finit par être l'objet de luttes d'influence, se corrompu et dégénéra. Le pluripartisme qui lui succéda ne fit que brouiller davantage la partition réelle de la société qui, sourde et muette, n'en resta pas moins active. Structurer la société, organiser les débats, pacifier la société pour conduire l'expérience collective était pourtant la tâche politique fondamentale. On croyait la société incapable de défrayer la complexité des situations, de s'accorder sur les changements nécessaires. On prit l'état existant de la société, qu'il fallait pourtant changer, comme justificatif. On ne retrouva pas nos bases. On aurait appris à discuter entre générations, à refaire l'unité des gens instruits et non instruits dans le respect des aînés. Les générations de l'indépendance n'ont pas pu gagner la confiance des générations précédentes. L'école leur avait appris que les civils ne devaient pas aimer les militaires, que les civils devaient disputer l'autorité aux militaires et les soumettre. Il n'y avait pas meilleure manière d'échouer que celle de vouloir soumettre le fort au faible. Elles ne marchèrent pas dans les pas de leurs aînés, elles ne s'associèrent pas dans l'expérimentation et l'innovation. Il y a eu ainsi rupture au lieu d'une continuité dans l'expérience collective. La société est une école où le maître ne dicte pas à l'élève, ou s'il dicte, c'est qu'il a déjà fait ses preuves, et il discute ensuite de ce qui peut et doit être retenu. Autrement que pourrait-il savoir du sort de son enseignement ? Le maître doit continuellement faire ses preuves. L'autorité se gagne dans la classe et la famille, par l'accumulation du savoir et du pouvoir qu'elle rend possible.

Désaccumulation du capital culturel. Nous nous sommes révoltés contre nos aînés alors qu'il nous fallait les comprendre et être compris d'eux. Alors qu'il fallait gagner leur confiance. Comprendre et être compris, ainsi s'entend l'unité d'une famille, d'une société, petites ou grandes. C'est là, la condition de l'acceptation de l'expérimentation, de l'innovation. C'est ainsi que ces dernières ne nous désolidarisent pas. Nous n'avions qu'un tel ordre possible (comprendre et être compris), nous n'avons pas fait avec. Nous avons opposé à l'autorité de nos supérieurs, qui commencent avec celle de nos aînés, une autorité extérieure, prétendument savante souvent, mais pas savante de nos expériences, qui furent alors non pas complémentaires et concurrentes, mais antagoniques. Nous avons opposé au capital culturel de la société segmentaire, le capital culturel d'une société de classes. Nos aînés de leur expérience sociale de société faiblement différenciée étaient autoritaires, autorité que ne justifiait plus l'expérience sociale. Puisqu'elle visait la reproduction de leur expérience qui ne se pouvait apparemment plus. Savoir (de l'expérience d'une société de classes) et expérience (d'une société segmentaire) se sont retrouvés juxtaposés et inadaptés. À une asymétrie de savoir théorique a répondu une asymétrie d'expérience, de savoir pratique. Nous parlions à partir des livres, ils parlaient d'expérience sans avoir les ressources d'en parler comme dans les livres. Le déclassement du capital culturel segmentaire par celui de classes ne produira pas la formation et l'accumulation d'un capital culturel autochtone.

Injustice systémique.

Nous n'avons pas su penser dans nos langues maternelles et les langues écrites que nous avons adoptées. Nos langues écrites ne sont pas issues de nos langues maternelles. Elles n'en ont pas développé les ressources. Nous avons opposé une langue aux faibles ressources à des langues qui avaient accumulé des ressources depuis des siècles, la communication avec nos parents qui ne disposaient pas des ressources de ces langues a été victime d'une injustice herméneutique. Nous avons accumulé des ressources dans une langue autre que la nôtre.

Selon Miranda Fricker, il existe deux types fondamentaux d'injustice épistémique, à savoir l'injustice distributive et l'injustice discriminatoire. Les cas d'injustice épistémique purement distributive sont extrêmement importants. Les inégalités injustes dans la distribution des biens épistémiques - l'éducation, l'information - sont une forme très importante d'injustice. Mais lorsque l'injustice épistémique prend cette forme, elle n'a rien de très épistémique, car le fait que le bien en question puisse être caractérisé comme un bien épistémique semble largement accessoire. En revanche, la forme d'injustice épistémique discriminatoire est distinctivement épistémique, elle consiste fondamentalement en un tort fait à quelqu'un en sa qualité spécifique de connaisseur. Nous n'avons pas fait preuve de grande injustice distributive, mais de grande injustice discriminatoire.

Dans l'espèce d'injustice discriminatoire, Miranda Fricker distingue la forme testimoniale de celle herméneutique. L'injustice testimoniale se produit chaque fois qu'un préjugé de la part d'un auditeur l'amène à attribuer un niveau de crédibilité insuffisant à la parole d'un locuteur. Les nouvelles générations ont été victimes de cette injustice testimoniale. Le deuxième type d'injustice épistémique n'est pas tout à fait lié à la crédibilité, mais plutôt à l'intelligibilité, elle est dite injustice herméneutique. Les anciennes générations en ont été victimes. En effet, elle est liée à notre pouvoir d'interprétation du monde social et, en particulier, à l'interprétation de nos propres expériences sociales. L'injustice herméneutique est différente de l'injustice testimoniale dans le sens où l'injustice testimoniale a un auteur. Si quelqu'un souffre d'une injustice testimoniale, c'est parce que quelqu'un lui a fait subir cette injustice. Mais si quelqu'un souffre d'injustice herméneutique, ce n'est pas parce que quelqu'un en (256) particulier le lui a fait ; il s'agit plutôt d'un phénomène structurel. Il se produit lorsqu'un certain groupe est marginalisé sur le plan herméneutique, c'est-à-dire que ses membres n'ont pas la possibilité de participer pleinement aux processus sociaux d'élaboration du sens par lesquels des concepts et des modes d'interprétation partagés sont formés pour que nous puissions les utiliser dans l'interprétation du monde social. L'injustice testimoniale ou herméneutique peut être systématique ou fortuite. [14] Les nouvelles générations ont été injustes à l'encontre des anciennes générations (injustice herméneutique), les anciennes générations ont été injustes à l'égard des nouvelles (injustice testimoniale), quel dialogue entre elles peut-il être possible ?

Se mettre à la place de l'autre. Nous n'aurions pas dû contester l'autorité de nos aînés, mais la protéger contre elle-même, l'accommoder à des hypothèses nouvelles. Autrement dit, il aurait fallu d'abord ne pas mépriser leur savoir, théoriser leur expérience, non pas donc à partir de nos livres pour leur dicter notre interprétation, mais pour en avoir une compréhension commune. Il nous aurait fallu entrer dans leur expérience, chercher avec eux les mots et les concepts qui pouvaient la rendre compréhensible. Mais nous avons refusé de soumettre le savoir à l'épreuve de l'expérience. Armés de la Science, nous avons fait preuve de suffisance, les supérieurs que la guerre de libération nationale a distingués ont alors réagi par de la dénégation, les dirigeants d'entre eux, par un autoritarisme du pouvoir. Nous nous sommes retrouvés dans la situation où ceux qui prétendent savoir ne peuvent pas et ceux qui prétendent pouvoir ne savent pas. Conséquemment, notre expérience collective ne put s'enrichir de l'expérience du monde, notre savoir du savoir du monde.

« ... Le bon joueur est celui qui épouse le schéma corporel de l'autre, sinon il ne peut pas anticiper. ... Beaucoup de joueurs amateurs sont seulement eux-mêmes, tout entiers tendus dans la volonté d'écraser l'adversaire. Cela ne suffit pas, parce qu'il faut avoir suffisamment d'intérêt pour l'autre pour être un peu lui. Et du coup on peut jouer. »[15]

Et ce point de vue qui permet comme de renverser le jeu de l'adversaire contre lui-même, après « s'être mis à sa place », ne concerne pas que l'individu, mais la société entière, les deux camps qu'oppose toujours la compétition sociale. De tels renversements font partie de la dynamique progressive du jeu. Importe le jeu, autant la défaite que la victoire. Le camp vaincu a perdu la bataille, il est démuni et peut-être dispersé, mais n'est pas anéanti, il peut se recomposer et en apprenant à son tour du jeu du vainqueur, le jeu peut aller plus loin et s'améliorer. Il a conduit l'expérience un premier temps, le vainqueur la conduit ensuite. On voit ici comment le jeu continue l'expérience collective et comment les joueurs jouent le jeu en vue de son développement continu.

L'inférieur et le supérieur ne se sont pas mis à la place l'un de l'autre, comme dans la société de classes héréditaires. Et c'est cela qui les a dressés l'un contre l'autre, jusqu'à l'affrontement et au divorce. Celui qui ne sait pas d'expérience et prétend savoir de Science ne s'est pas mis à la place de celui qui sait d'expérience, mais ne sait pas en parler. On a appris à parler, mais pas à parler d'expérience. L'un prétend savoir des livres, ou d'un Livre, l'autre de l'expérience. Ils débattent rationnellement, mais ne parlant pas le même langage, le débat tourne court. Le supérieur veut alors dicter la conduite, il a le pouvoir de contraindre, quand il ne l'a pas, l'inférieur qui croit savoir déserte la relation. L'hégémonie culturelle bourgeoise qui sépare celui qui sait de celui qui ne sait pas au nom de la Science, fait partie de l'ordre colonial hérité. Seule l'expérience en partage devrait séparer celui qui sait de celui qui ne sait pas. Le Livre ou la Science n'éclairent l'expérience que si l'expérience elle-même éclaire le Livre ou la Science. Car on ne peut comprendre qu'à partir de son expérience. Autrement, Livre et Science parlent, mais ne font pas faire. Ils décervèlent, forment des perroquets et des porte-voix. Nombreux sont ceux qui portent une voix qu'ils ignorent.

Exemples à suivre.

Bien sûr, l'innovation qui aurait pu rendre le savoir au pouvoir et le pouvoir au savoir ne pouvait être le fait de tous, mais seulement d'une minorité. Mais les exemples auraient pu déteindre ensuite sur le reste de la société. Nous manquons cruellement d'exemples à suivre. Ce qui pousse les individus à aller chercher loin dans le temps et l'espace les exemples qu'ils auraient dû trouver près d'eux. Il aurait suffi que des institutions travaillent à centrer l'attention sociale sur les bonnes pratiques. Le régime est autoritaire comme nos aînés l'étaient, l'absence des cadres nécessaires au débat collectif bienfaisant à transformer leur autorité en autoritarisme. Nous ne pouvons que les conseiller, mais jamais chercher à les précéder, sauf quand ils nous y autorisent. Car c'est l'expérience qui doit précéder le savoir, c'est elle qui le produit et quand elle l'importe et ne le produit pas, c'est elle qui en juge et doit se l'incorporer. Nous avons encore du mal à accepter cette simple vérité. Accompagner nos aînés dans l'erreur, coûte moins que de les abandonner ou de se rebeller. Les accompagner dans l'erreur après les avoir averti, faire expérience commune nous apporte leur confiance, une meilleure écoute. Ou sinon, nous apprend ce qui n'aurait pas dû être fait en attendant que nous puissions faire à notre tour ce qu'il faudrait faire. Cela préserve l'unité de l'expérience collective et engage son approfondissement. Et chaque génération a une responsabilité particulière. Chaque génération a son heure. La nouvelle génération doit se mettre sous l'ancienne, quand cette dernière décline, l'autre prend son essor. Des forces déclinent, d'autres prennent leur essor. Et c'est de perturber un tel mouvement que se produit le gâchis.

Le premier désordre social réside dans la rupture du lien d'autorité que l'expérience confère, il résulte du laminage de l'autorité parentale. Pour transformer des croyances, il ne faut pas leur opposer d'autres croyances, il faut que l'une se substitue à l'autre dans l'expérience. Elles doivent donc faire partie de la même expérience. Les croyances se disputent alors l'autorité dans l'expérience pour conquérir la place de croyances communes. La croyance vraie qui s'impose est celle que l'expérience confirme. Elle se transforme alors en savoir commun vérifiable. Pour l'heure, les anciennes générations s'en tiennent aux croyances associées à leur expérience, les nouvelles sont livrées à des croyances diverses qu'elles ne peuvent éprouver dans une expérience collective dont elles pourraient débattre. Sans expérience commune où les croyances en compétition pourraient se départager en fausses et vraies croyances, le débat est un débat de sourds. Nous n'avons pas ainsi le même combat.

S'exécuter puis discuter, tel pourrait être le principe de l'autorité. Sans ce principe, il n'est pas possible de conduire une expérience non chahutée à son terme. Il y a autoritarisme quand il n'y a pas retour sur l'expérience, lorsqu'au terme de l'expérience, il n'y a pas discussion des résultats de l'expérience. Nos parents, nos supérieurs sont autoritaires, au sens où ils font preuve de commandement et attendent obéissance des enfants et des inférieurs. On ne devrait discuter ce qu'ils ordonnent qu'après l'avoir exécuté. Si au terme de l'expérience, on considère qu'ils ont échoué et qu'ils veulent persister dans l'erreur, c'est que leurs intentions inflexibles ont été mal comprises. Ne comptent dans les actions que les intentions, dit la sagesse. Mais les intentions ne s'attachent pas à chaque action, mais à un objectif qui ne se révèle qu'après avoir été atteint. Entre les parents et les enfants, les supérieurs et les inférieurs, un destin commun est supposé. Il peut cependant ne pas être partagé, non pas seulement parce que les intentions seraient différentes, mais surtout parce qu'aucune des intentions ne peut être validée par l'expérience et le cours des « choses». S'il est partagé, autrement dit, si l'intention des inférieurs est de seconder les intentions des supérieurs, le retour sur l'expérience informe tout le monde de ses résultats. En cas d'échec, le débat peut prendre place, une meilleure connaissance des intentions des supérieurs et du réel peut se dégager. Les intentions des supérieurs ne sont pas à la portée des inférieurs, elles ne peuvent pas entièrement transparaître dans leurs actes. Elles s'héritent, se transmettent dans l'expérience. C'est l'asymétrie de savoir et de pouvoir qui fait la différence entre le supérieur et l'inférieur. C'est cette asymétrie qui passe d'une génération à une autre, qui est reconduite à travers les générations en s'inversant progressivement. C'est par ce processus de formation et d'inversion de l'asymétrie de pouvoir et de savoir que passe l'expérience passée dans l'expérience présente, que l'expérience d'une génération qui passe entre dans celle d'une autre qui monte.

Je n'opposerai pas comme Emmanuel Todd autorité et liberté, opposition sur laquelle il fonde sa typologie familiale. Sans liberté, il n'y a pas d'autorité. C'est là le départage. L'autorité suppose la liberté de celui qui obéit, autrement elle sera pouvoir de contrainte d'un côté et imparfaite exécution ou désobéissance de l'autre. Même quand on consent à la servitude, c'est que la survie est attachée à la servitude, c'est que sans la servitude, il n'y aurait plus de vie. La servitude était attachée à une période où les souverains avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets. On comprend que la peine de mort ne peut avoir le même sens dans toutes les sociétés.

Nous avons refusé les cadres de l'expérience de nos aînés, nos aînés n'ont pas revu les cadres de l'expérience collective léguée par l'ordre colonial, nous avons ainsi rejeté l'expérience collective. Nos aînés ont alors préféré l'autoritarisme : aux inférieurs ils ont ordonné et refusé la discussion des conséquences de leurs ordres. À cette dérive en succéda une autre : chemin aidant, les circonstances leur firent oublier leur intention première, ils suivirent le nouveau guide, leur intérêt personnel. En retour, les inférieurs ont exécuté à moitié ou pas du tout. Ils n'avaient pas trouvé leurs intentions dans les intentions premières de leurs supérieurs, mais dans celles qui ont pris leur place. Mais tous n'ont pas pu accorder leurs intentions à leurs capacités réelles. Le tout entrant nécessairement en résonnance, malheur à celui qui ne pouvait y trouver son compte.

Les parents sont les premiers supérieurs de l'individu. Enfant, il n'est confronté qu'à leur autorité. Une autorité de fait qui s'impose si nécessaire par la force de se faire obéir et par la faiblesse et le besoin d'apprentissage de l'enfant, par la protection de la faiblesse et l'éducation de la force qu'ils offrent. La force de se faire obéir, par la force brute si nécessaire, mais aussi par l'autorité de celui qui sait et peut diriger dans la bonne voie. Vient ensuite l'autorité du plus grand, d'âge et de force, d'entre les enfants. Le faible obéit au fort pour être protégé et apprendre à être fort. Vient ensuite la confrontation avec les autres enfants, avec leurs parents et leurs supérieurs. Ici aussi, le faible obéit au fort pour devenir plus fort. Avec le temps, inéluctablement, le faible devient plus fort et le fort devient plus faible. De quelles forces, le faible deviendra-t-il plus fort ? Aura-t-il été protégé des forces toxiques ? Sa force aura-t-elle pu s'assimiler des forces autres que celles de ses proches ? En obéissant à nos supérieurs, non pas passivement, mais activement, nous nous efforçons de nous mettre à leur place. En réussissant à nous mettre à leur place, nous pouvons nous substituer à eux. En réussissant à nous mettre à leur place et en empruntant convenablement au monde, nous les dépassons. Nous avons refusé de nous mettre à leur place, de nous identifier à eux, prétendant en savoir plus qu'eux. Nous n'avons pas compris que sans eux nous ne saurions pas savoir emprunter au monde. La non-complémentarité des supérieurs et des inférieurs a séparé le savoir du pouvoir, a empêché leur accumulation. La société émergente n'a pu émerger. Le faible n'a pas pu devenir plus fort, le fort s'est affaibli. Pour devenir plus fort, le faible a désobéi, il a déserté la famille, le village puis la société. Le fort n'a pas pu se régénérer dans le faible de la richesse du monde.

Pour tenir à sa tribu, à sa « race » ou à sa nation, il faut avoir tenu par-dessus tout à sa famille et son village. Tenir à sa nation sans tenir à ses ancêtres, à sa famille et son village, c'est perdre son ancrage dans le temps et dans l'espace, c'est ne pas pouvoir former nation. Tenir à sa « tribu » sans tenir à sa famille et son village, c'est s'attacher au distendu, à l'aléatoire. C'est tenir à un territoire, mais sans point d'attache. C'est commencer à se perdre dans l'espace. On peut changer de « tribu », mais pas de père et de mère. Ce que nous devons à nos parents, nous ne le devons à nul autre. Ce que nos parents doivent à nos grands-parents, ils ne le doivent à nul autre. Ce que nous devons à nos grands-parents c'est d'appartenir à une chaîne, à des généalogies croisées. Nos grands-parents forment notre première société, la petite société où se croisent et s'y allient de nombreuses lignées. Sur les alliances et les rapports de nos ancêtres repose la société que nous formons. Car les petites sociétés que nous formons ne sont pas séparées les unes des autres. L'une conduit toujours à une autre. Si nous nous séparons de la société de nos ancêtres, pourquoi resterions-nous attachés à la société présente ? Simple individu, simple électron, nous nous dissiperions parmi les galaxies.

Il y a là une conception où la société se définit comme une grande famille et la famille comme une petite société. Mais bien entendu cela n'est pas toujours le cas, de nos jours, tenir à sa petite famille n'implique pas tenir à sa grande famille. Dans une société atomisée, l'une peut aller sans l'autre, mais jusqu'où ? Parfaite autonomie de l'individu du rêve marchand, où tout est travail, s'achète et se vend. Pour durer, il faut que cette petite famille revienne dans une autre plus grande, celle que dessinent ses ancêtres et les collectifs humains et non humains dont il dépend. Autrement dit et de manière générale, une petite famille doit être comprise par une grande et une grande par une petite.

À la division du travail qui met l'une dans l'autre sans en faire la cohésion, il faut ajouter l'attachement à l'autorité qui passe de l'une à l'autre. C'est l'autorité du supérieur sur l'inférieur qui fait la cohésion, mais d'un supérieur qui est dans l'inférieur et un inférieur qui est dans le supérieur. Et c'est une division du travail qui ne va pas sans autorité, sans la mise en place d'un supérieur et d'un inférieur. Rappelons que nous utilisons le terme comprendre (com-prendre) sans les dichotomies de l'objectif et du subjectif, du matériel et du symbolique. L'objectif est dans le subjectif et le subjectif dans l'objectif. Ibidem pour le matériel et le symbolique. Comprendre, c'est prendre, embrasser. Il peut donc y avoir disjonction et conjonction, à la fois, de la petite et de la grande, donc coproduction. La destruction de l'une conduit à sa reproduction dans l'autre, le type de reproduction dépendant de facteurs favorables ou défavorables. C'est là une conception non dichotomique de la famille ou de l'individu et de la société au contraire d'une conception durkheimienne ou thatchérienne. Il faut oser penser au-delà de P. Bourdieu et d'Emmanuel Todd, qui tous deux sur le sujet ont apporté une précieuse contribution.

Penser la société comme le produit d'une certaine famille (E. Todd), comme l'unité de structures objectives et de dispositions subjectives (P. Bourdieu), comme l'unité d'humains et de non-humains (B. Latour) et l'économie comme unité tripartite composée au rez-de-chaussée d'une vie matérielle non marchande, puis au premier étage d'une économie de marché et puis au second d'un capitalisme financier (F. Braudel), nous permettrait de voir les faits sociaux d'une autre manière. Nous récusons l'autorité de nos supérieurs, après avoir récusé l'autorité de nos parents : tous incompétents disons-nous. Des livres nous avons appris à argumenter, à contredire pour convaincre. Nous n'avons pas appris à construire des expériences, à parler d'expérience. Nous avons importé des universités, des entreprises, mais pas de laboratoires. Nous avons abusé de ressources toxiques[16]. La nation ne se sera pas construite par l'industrie nationale et la main invisible (Adam Smith), comme au temps de la première nation industrielle, mais par l'expérience collective et sa mémoire. Et l'expérience collective a besoin de certaines structures sans lesquelles elle ne peut avoir lieu.

Notes :

[1] Michel Feher. Producteurs et parasites : l'imaginaire si désirable du Rassemblement national, La Découverte, 2024. https://www.youtube.com/watch?v=vEZOHY53MS4

[2] Je reprends ici la thèse de J.-M. Jancovici voir https://www.écoleshélios.com/la-sobriete/ et https://www.youtube.com/watch?v=DfFohLBPh2Y

[3] Vera Nikolsky. Féminicène. Fayard. 2023. https://www.youtube.com/watch?v=3fod-0n2Vk4

[4] M. Foucault. Défendre la société. Cours au Collège de France. https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/il-faut-defendre-la-societe

[5] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/09/12/en-italie-pays-le-plus-vieillissant-d-europe-le-role-crucial-des-badanti-symbole-de-l-insuffisance-des-services-publics_6314405_3234.html

[6] Mémo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d'elle-même. Bruno Latour, Nikolaj Schultz. Les Empêcheurs de penser en rond. 2022.

[7] « Le Parlement des choses n'est pas une invention de visionnaire à imposer par le fer et le feu contre l'état de choses existant, il prend « seulement » en compte ce qui existe déjà parmi nous (les hybrides, devenus trop nombreux pour être accommodés par les instances de purification : la science, la politique). Il s'agit de manifester officiellement ce qui existe déjà officieusement, au sein d'une enceinte où se trouvent réunis tous les porte-paroles, quelle que soit l'origine de leurs mandants. »

Bruno Latour. Esquisse d'un parlement des choses. Écologie & politique 2018/1 (N° 56), p. 47-64. http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/P-50-PARLEMENT-republication.pdf

[8] Voir par exemple P.-N. Giraud, du pain et des jeux. Une économie politique des usages du temps. Odile Jacob. 2024.

[9] Olivier Hamant. La troisième voie du vivant. Odile Jacob. 2022.

[10] W.Benjamin, «Le surréalisme», p. 312. Cité par M. Lowy

[11] W. Benjamin, G. Schriften, I, 3, p. 1244 (notes préparatoires pour les Thèses). Cité par M. Lowy

[12] Voir Michael Lowy Progrès et catastrophe. La conception de l'histoire de Walter Benjamin.

[13] Voir J.N. Giraud, le pain et les jeux. Aussi l'auteur du livre précariat.

[14] Miranda Fricker. Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing. Oxford: Oxford University Press, 2007. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Injustice_%C3%A9pist%C3%A9mique

[15] Heinz Wismann. Penser entre les langues. Albin Michel. Bibliothèque idées. 2012. J'aurais aimé trouver dans ce livre une philosophie sociale, il s'enfonce, au contraire de mon attente, dans l'histoire de la philosophie occidentale.

[16] Comme le montrent Miranda Frick et Roberto Frega avec la notion d'injustice herméneutique.