Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Des sous-marins à Oran

par Sid Lakhdar Boumediene

Les énigmes font très souvent naître des légendes. Il en est une qui a été particulièrement significative de la sympathique faconde des Oranais. Ils ne mentent pas, ils subliment la vérité en la maquillant pour la beauté de la ville qu'ils aiment tant. Ils s'enivrent de légendes mais ne sont pas dupes et connaissent la vérité. Ils veulent seulement honorer ce soleil qui fracasse les têtes par des discussions et chuchotements sans lesquels les soucis prendraient le dessus.

C'était le cas de l'une des légendes anciennes oranaise. L'histoire débute avec le vrombissement du vieux Saviem de la SOTAC qui démarrait en laissant place à la pétarade qui nous ne quittera plus jusqu'à la fin du trajet. Les adultes nous disaient toujours que lorsqu'il s'éveille, on l'entend jusqu'au Petit lac. Dire simplement qu'il fait un grand bruit n'est pas aussi poétique que de prétendre qu'on l'entend jusqu'au bout de la ville.

Puis l'aventure débute par un tunnel comme pour indiquer que sa sortie symbolisait un autre monde lointain de la ville. Et l'énigme commence car à chaque fois les mêmes questionnements. Un autre tunnel apparaissait à flanc de montagne. Alors que le premier était ouvert à la lumière et laissait passer la route sous sa voute, celui-là était grillagé. Puis un autre, un autre et encore un autre. Que faisaient là ces tunnels qui s'enfonçaient dans la montagne et que cachaient-ils ? Personne ne l'avait jamais su comme personne n'a vraiment jamais voulu le savoir.

La vérité aurait tué la légende et redonnerait à cette montagne la banalité que sa vue inspirait car ce n'était pas le bon côté de la vision de sa beauté comme celui de Santa Cruz. «On dit que c'est un endroit secret » dit l'un, une légende qui ressemblait à celle de l'aiguille creuse d'Étretat, cachette du cambrioleur gentlemen, Arsène Lupin, dans le roman de Maurice Le Blanc.

Mais le second répliquait «vous ne réfléchissez pas, on aurait vu depuis longtemps des véhicules sortir, or personne n'en n'a vu». «Des entrepôts de fruits et légumes » disait un troisième auquel il lui est répondu qu'ils seraient dégradés puisqu'ils ne sortent jamais d'un endroit sombre, chaud et humide. Puis vient le tour de celui qui dévoile enfin ce que tout le monde attendait, «on m'a dit que c'était une base de sous-marins ». Voilà l'ultime légende sur ces tunnels que beaucoup murmuraient.

Le raisonnement n'était pas si invraisemblable à priori. Il y avait la base navale de Mers El-kébir et les sous-marins pourraient bien passer directement par la mer. Des milliers d'Oranais ont dû avoir cette pensée lorsqu'ils passaient devant ces tunnels où les yeux se retournaient instinctivement pour les voir. Mais pourquoi les Oranais passent-ils des heures à se poser des questions lorsqu'ils savent tous que la dernière réponse était connue d'avance de tous et qu'ils feignaient ne pas la connaître ? Souvent dans le même café, pendant de nombreuses années et avec la même marque de cigarettes, la même scène. Il m'a fallu beaucoup de temps et de maturité pour en avoir la réponse. C'était en fait une excuse car en réalité ce qu'ils recherchaient tous, était le plaisir de partager un bon moment avec des révélations que, bien entendu... personne ne connaissait.

Les tunnels sont-ils toujours là et ont-ils, enfin, levé le mystère qu'ils s'étaient toujours refusé à dévoiler ?

Au fond, qu'importe car une ville qui n'a pas de légendes est une ville qui n'a pas de vie et d'histoire.