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La
France vit une expérience unique qui excite la curiosité de ses voisins proches
et lointains. La « surprise » du second tour des élections législatives (07
juillet), propulsant au premier rang le Nouveau Front Populaire, a fait l'effet
d'une bombe en France et en Europe. Tous les observateurs bienveillants et
déçus attendaient l'arrivée de Bardella à Matignon.
Pourtant, depuis des années, un matraquage en règle faisait de Mélenchon l'ennemi public numéro un : Antisémite, immigrationniste, anticapitaliste compulsif, eurosceptique infantile, incorrigible antiaméricain primaire... Les principaux médias dirigés par des milliardaires dont certains sont notoirement xénophobes, sionistes et atlantistes ont mis le paquet. Rien n'y a fait. Une part importante du peuple de France a donné crédit à des huluberlus fantaisistes, des romantiques immodérés, des sans-culottes incurables. Tout le monde politique français « raisonnable » s'accommodait de l'idée d'un triomphe du Rassemblement National, annoncé depuis longtemps (auquel F. Mitterrand avait déroulé le tapis rouge), et avait préparé des passerelles et des consensus autour de l'« essentiel ». Les électeurs, de plus en plus nombreux, pas seulement du RN, ont été convaincus que leur quiétude, leur prospérité, leur sécurité... et même la pureté de leur destin individuel et collectif héréditaire et séculaire étaient menacés par des vagues de barbares miséreux, méchants et envieux, entassés à leurs frontières, et que, seul, le RN était à même de les préserver du chaos. Il est hors de question de voir la France gouvernée par un Syriza ou un Podemos. On ne va tout de même pas confier la Patrie des Droits de l'homme, le Panthéon et les clés de l'Hôtel Matignon et du Palais de Versailles à un Tsípras, à un Varoufakis ou à un Iglesias... Pour se sortir de ce piège et tenter de briser les liens entre les membres du NFP, les spins doctor de l'Elysée ont sorti de leur chapeau une idée simple : les partis qui gravitent autour de Jupiter (qui ont tout perdu aux élections européennes et aux législatives) seraient disposés à accepter de former une large coalition avec les socialistes, les verts et même avec ce qui reste des communistes français. A une seule condition : qu'ils se débarrassent de leurs liens avec les LFI. Tout est fait alors pour tenter d'utiliser les « éléphants » sortis de la naphtaline socialiste pour tenter (jusque-là sans effet) d'opérer un coup d'Etat interne au PS pour en éliminer Olivier Faure et ses compagnons favorables à leur alliance au sein du NFP. L'alternative est le suicide. Le PS n'évitera sans doute pas ce naufrage dès la trahison de juillet 1983 confirmée successivement depuis, pressé aujourd'hui par le soldat Macron aux abois, quelle que soit la tournure des événements à venir.1 En attendant, aux prochaines élections (les municipales en 2025), les socialistes et les Verts qui prendraient le risque de rejoindre le macronisme en perdition partageraient le sort des espèces éteintes, en compagnie des diplodocus et des australopithèques qui ont perdu l'usage de la station droite. Aux Européennes, les Verts ont été vampirisés par un opportuniste qui s'est fait passer pour un socialiste. Inutile d'évoquer le cas du corbillard communiste. C'est pourquoi le NFP est resté sourd et inoxydable, imputrescible et imperméable. Les LFI, les autres membres du NFP, ont pris acte de ce que ni le Président, ni les autres partis du Centre n'accepteront de membres de LFI au sein d'un éventuel gouvernement NFP.2 C'est dans ces conditions que Mélenchon va sortir un atout-maître de sa manche et bousculer le Landerneau des cloportes. Il prend à contre-pied ses opposants et, puisque le taulier de l'Elysée ne veut pas entendre parler d'un gouvernement « pollué » par les Insoumis, il propose dimanche 25 août de retirer son parti d'un gouvernement dirigé par Castets. Les partis du président accepteraient-ils alors de ne pas censurer un gouvernement ? Un coup de maître qui plonge l'Elysée et tous les autres partis dans l'embarras le plus profond, même ceux qui ne sont pas concernés par ses propos (à savoir LR et RN). Et dans une certaine mesure (pour ceux qui savent lire) les communistes, les socialistes et les Verts. La réponse ne s'est pas fait attendre et confirme les véritables raisons de ses opposants. E. Macron a pris soin de ne pas réagir à chaud et a laissé à d'autres le soin de le faire pour lui, avec la collaboration active de la plupart des médias pour brouiller les cartes et entretenir l'amnésie très régulièrement sollicitée des électeurs. A l'unanimité des perdants C'est en effet bel et bien le programme et pas seulement le NFP qui pose problème. Ce faisant, il fait l'impasse sur le suffrage de millions de Français qui ont placé le NFP en tête. Oubliant de plus, au passage, que le retrait du NFP au second tour des législatives a permis l'élection de nombreux députés LR et des partis qui gravitent autour de l'Elysée quand ils se sont retrouvés face à des candidats RN. L'inconséquence macronienne n'a ni mémoire ni décence. « Les partis politiques de gouvernement ne doivent pas oublier les circonstances exceptionnelles d'élection de leurs députés au second tour des législatives. Ce vote les oblige », communique l'Elysée. 86 députés oublieux et ingrats doivent leur survie au Front Républicain.3 C'est démocratique ça ? LFI fait ainsi l'unanimité contre lui : Droite républicaine ex-LR, la galaxie macronienne défaite le 07 juillet et leur allié caché à l'extrême France. Même le patronat réuni en conclave à Longchamp ce lundi 26 août, s'inquiète de l'arrivée prochaine des « Bolchéviks » à Matignon. Le patron du MEDEF a même eu un mot de compassion pour le RN et « a regretté qu'[il] n'ait aucun poste de responsabilité à l'Assemblée nationale : « on pense ce que l'on veut du RN, il n'y en a pas moins 11 millions de nos concitoyens qui ont voté en sa faveur, ça mérite de l'intérêt, de la considération ». (AFP, mardi 27 août 2024) Au mot près, tous ces partis donnent les mêmes raisons pour s'opposer à l'idée que le NFP puisse accéder à Matignon et diriger le pays, fût-ce le temps d'une séance à l'Assemblée Nationale. A la sortie de l'Elysée, invitée par le Président pour consultation, Marine Le Pen déclare ce que le Président voulait lui faire dire, et affirme hautement avec ses quelques dizaines de députés, que son parti voterait « une motion de censure à l'égard d'un gouvernement du Nouveau Front populaire ». Un gouvernement sans ministre insoumis « ça ne change strictement rien », car le NFP « est dirigé par la France Insoumise, (...) le plus brutal, le plus violent, le plus excessif, le plus outrancier est celui qui impose sa loi ».4 N'y avait-il pas d'autres sujets plus importants que le parti qui prétend au gouvernement de la France se devait de soumettre au chef de l'Etat, que de s'occuper du sort d'un parti rival et comploter à l'insu de ses électeurs, pour le vilipender et l'exclure du corps politique ? Du haut de son Olympe, Jupiter contemple le chaos qu'il a provoqué Puisque tous les partis et coalitions sont minoritaires, puisqu'aucun parti n'est majoritaire et qu'aucun d'entre eux ne peut prétendre à une gouvernance stable, menacée à tout moment par une motion de censure, il ne reste plus qu'une solution : déclarer Macron vainqueur unique par défaut et continuer, seul, à gouverner la France. Cela présente beaucoup d'avantages. La France, sous contrainte budgétaire, fera de substantielles économies de gestion : plus de salaires à distribuer à des ministres. Le gouvernement de la France n'aura pas besoin de débats et de délibérations. Le président, toujours seul, n'aura besoin de personne pour prendre des décisions. Plus de bureaucratie, plus de réunionite chronophage et dispendieuse, plus de contradictions. Ce sera rapide, cohérent et surtout économique. Mais s'agira-t-il toujours d'une démocratie ? A la recherche du mouton à cinq pattes De toute cette confusion, de toutes ces combinaziones, de toutes ces acrobaties, le pantin élyséen, à défaut d'une majorité législative, croyant sauver ses donneurs d'ordres, est parti à la recherche d'un homme providentiel, avec un profil à la fois neutre et politique, expert et engagé, expérimenté et visionnaire, français et européen, hexagonal et atlantiste... enfin un homme dont la compétence a été éprouvée à divers postes en France et dans les institutions européennes pour négocier avec ses homologues la très difficile situation de son pays. Il n'en existe pas en vente, disponible en grand nombre d'exemplaires chez Amazon ou chez eBay, mais on peut songer à quelques-uns. Des Michel Barnier ou des Thierry Breton par exemple. Les caméléons, descendants d'Edgar Faure ne manquent pas dans le paysage. Il y a le cas unique, celui d'un petit malin qui passerait entre une affiche et un mur sans décoller l'affiche. Ancien ministre des Finances, ancien commissionnaire à Bruxelles, ancien socialiste (l'a-t-il été un jour ?) à la retraite, militant aussi indéfectible que discret du sionisme et de l'atlantisme, en praticien roué de la sociologie politique à l'ombre des Jospin, des Ayrault et des Hollande, vague réminiscence du fantôme de F. Mitterrand. N'est-ce pas ce génie incolore, inodore et sans saveur qui déclarait, il y a peu : « Réduire la dette n'est ni de gauche ni de droite, c'est d'intérêt général » (Les Echos, L. 15 juillet 2024) ? L'énergumène, à la colonne souple et adaptable qui serpente avec adresse entre les lois et les réglementations sait, mieux que beaucoup d'autres, remplir le vide avec le vide. De la démocratie Les Assemblées Nationales ne sont pas une machine à fabriquer du consensus autour d'un programme moyen qui convient à tous. Le conflit est le mode normal de la dynamique sociale. Il est constitutif de toute collectivité humaine précisément parce que les intérêts, la production de richesses et leur répartition oppose structurellement les uns aux autres. L'Assemblée réunit des intérêts antagonistes que le suffrage des citoyens a arbitrés. Il est le lieu où les représentants du peuple remplacent les soldats et les canons et où la parole remplace les balles et les obus. Civiliser la violence ne signifie pas la faire disparaître. La Constitution est une concaténation de règles qui en administre l'arbitrage, pas un labyrinthe procédurier pour « bavards » professionnels.5 Si la solution à la crise politique française, du fait du comportement erratique d'un président (pourquoi ne pas le dire ?) égotique, immature et incompétent, n'est pas trouvée par l'application des règles constitutionnelles ou bricolée prestement de manière pragmatique dans les tractations de couloir, il est alors possible que la France connaisse une grave « rupture démocratique », c'est-à-dire l'effondrement du mur symbolique à très haute valeur ajoutée politique qui sépare l'Assemblée des élus du peuple souverain de la rue. Rien alors n'empêchera les électeurs de répudier leurs représentants et de prendre leur destin en main. La France en a connu d'autres... Le 23 février 1981, Antonio Tejero Molina, alors le capitaine de la Garde civile espagnole, nostalgique du régime franquiste a fait une intrusion armée au sein de l'Assemblée des Cortès. Il aurait suffi de peu pour que la violence de la société fasse disparaître ce que Périclès il y a plus de 2 400 ans avait imaginé pour sauver Athènes d'elle-même et dont Socrate, lucide, avait dénoncé les perversités et en avait payé le prix de sa vie (lire le livre VII de « La République » de Platon). Nouvelle démocratie censitaire : pas de démocratie pour la « racaille » Derrière tout ce désordre institutionnel qui interroge la légitimité des gouvernants, les vrais enjeux sont cachés aux citoyens. Les conditions de la production et du partage des richesses sont au cœur de la crise politique en cours. On peut même ajouter que la France est un laboratoire expérimental en ces termes observé par toute l'Europe. A cette époque, une pensée « audacieuse et lumineuse » (imaginée par Emmanuel-Joseph Sieyès) que reprend sans le dire l'Elysée et tous les partis alignés contre le NFP, pour maintenir les représentants du capital à la direction de l'Etat et le soustraire à toute remise en cause, a été de supprimer le suffrage universel et de lui substituer un suffrage censitaire par lequel seuls les citoyens dont le total des impôts directs dépasse un seuil, variable selon l'humeur du moment, appelé cens, sont électeurs. Cette question est enchâssée dans une autre question qui lui sert de masque : la question des banlieues de la République. Au XIXème siècle, à l'époque de la révolte des Saint-Simoniens, on les appelait les « faubourg », là où s'entassait la misère et les « déchets » de la Révolution industrielle que décrivait l'entomologiste E. Zola. Les mêmes mots sont utilisés aujourd'hui pour décrire la discrimination urbaine qui se poursuit en France et en Europe. Nouvelle Révolution française Aujourd'hui, les pauvres, les prolétaires de naguère, les juifs des ghettos européens, les minorités religieuses, culturelles, sont surtout les étrangers et les descendants de plusieurs générations d'étrangers. Ce sont les nouveaux sans-culottes qui exigent d'être reconnus comme citoyens à part entière et que les lois de la République et de la démocratie soient indistinctement respectées. Le tour de passe-passe, à l'origine du succès (très relatif) du Rassemblement National, a été d'introduire un coin entre les indigents et de persuader les Français de condition modeste, exploités comme les autres (on a servi naguère le même discours aux « petits blancs » dans les colonies), qu'ils sont menacés par les « hordes de gueux », de « parasites » venus du tiers-monde qui veulent les dépouiller du peu de SMIC que leur concède leurs exploiteurs. C'est pour tout cela que le NFP et en particulier LFI sont repoussés comme « partis de l'étranger », mais en réalité comme acteurs de l'histoire pour la défense de la justice, l'égalité en droit et de l'équité. A ce titre, tous les Français sont indifféremment concernés. C'est évidemment le « programme » qui est en procès. Le NPF, chacun l'a compris depuis longtemps, n'est qu'un prétexte. Que vaudrait la démocratie sans la République ? - 15 août 1877, Gambetta lance à Mac-Mahon : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. » - Le 13 décembre Mac-Mahon se démet. Notes : 1- Cf. « Les derniers jours du Parti Socialiste ». Roman de Aurélien Bellanger, Seuil 2024, 480 p. 2- Le NFP, plus que quatre partis, regroupe 17 organisations de gauche de tailles diverses. Il est soutenu par plus d'une vingtaine d'autres. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouveau_Front_populaire) 3- Franceinfo, mardi 09/07/2024. 4- La collusion macroniste avec le RN ne date pas de ce jour. La présidente sortante de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet a été accusée d'avoir « pactisé avec le RN » pour conserver sa place au Perchoir. (AFP, S. 13/07/2024). Entre les deux guerres mondiales, les élites politiques et économiques allemandes (et européennes) avaient aussi pactisées avec les « monstres » pour ne pas perdre leurs privilèges. Cela avait coûté plus de 70 millions de morts. 5- Par exemple, aux Etats-Unis, les avocats représentent près des deux-tiers des élus du Sénat et de la moitié de ceux de la Chambre des représentants. |
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