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Donald Trump et la gâchette du second amendement

par Sid Lakhdar Boumédiene

Un gamin de vingt ans a tenté d'assassiner l'ancien président des États-Unis, Donald Trump, en meeting pour sa réélection, il a perdu la vie. Que faisait ce très jeune homme avec une arme de guerre et comment se l'est-il procurée ? C'est sous cet angle que je souhaiterais aborder la réflexion car elle est directement liée à l'événement. Il n'a échappé à personne que ce n'est pas la première fois qu'un personnage de pouvoir a été assassiné ou victime d'une tentative d'assassinat. Si César pouvait ressusciter, il viendrait témoigner à la barre de celui dont il fut victime par Brutus, son beau-fils.

Il n'y a pas de nombreux motifs qui mènent à l'assassinat autres que la vengeance, la démence, l'opposition politique ou les travers humains comme la cupidité. Quelles sont les raisons qui ont poussé ce jeune homme à exécuter un acte autant horrible qu'inexplicable ? Les premières investigations posent l'hypothèse d'une présomption de troubles du mal-être mais sans encore une certitude.

Comment ce jeune nouvellement diplômé du secondaire s'est-il procuré cette arme de guerre si terrifiante ? On sait combien le trafic d'armes alimente les délinquants et criminels de ce monde mais on peut affirmer avec certitude que ce n'est pas le fait de la quasi-totalité des citoyens car en ce domaine la législation est rigoureuse dans la plupart des pays.

Le cas des États-Unis est un cas à part car il est le seul État important dans le monde à avoir une législation qui permet aux citoyens l'achat et le port d'une arme sans appartenir à une force de sécurité ou militaire. Le second amendement de la constitution américaine en est le fondement juridique.

Mais avant de l'aborder, je dois faire part de mon opposition farouche à adhérer à la rapide explication (très partagée) de la violence comme inhérente à la société américaine.

Toutes les études ne pourront jamais me convaincre car de très nombreux autres pays dans le monde connaissent une violence par les armes d'une manière plus considérable et presque quotidienne.

Restons donc avec une explication objective par le second amendement. J'avais rédigé dans Le Quotidien d'Oran un article sur la même thématique le 19juin 2022, « Les larmes, la culture de l'arme et le blocage institutionnel des États-Unis », il sera modifié pour adaptation au cas d'actualité présent. Mais au préalable, un rapide rappel s'impose.

Donald Trump, un cas parmi d'autres

Les États-Unis ont connu quatre présidents assassinés si nous excluons de multiples tentatives d'assassinats. Le premier fut Abraham Lincoln en 1865, puis le président James Abram Garfield en 1881, en 1901 ce fut le cas du président William McKinley pour arriver au cas le plus retenu dans les mémoires car dans une période contemporaine, celui de John Fitzgerald Kennedy en 1963.

Quant aux cas de morts inexpliquées, ils sont nombreux mais il faut prendre en compte l'incapacité médicale de l'époque à en diagnostiquer les causes pour des personnes dont l'âge était relativement avancé. Nous voyons bien que l'attentat commis sur Donald Trump n'est qu'un épisode dans une longue histoire américaine d'assassinat des présidents.

Le second amendement du Bill of Rights

Tout repose sur ce fameux second amendement du Bill of Rights intégré dans la constitution américaine qu'on peut traduire par « déclaration des droits » :

« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé. »

La constitution américaine fut rédigée par les Pères fondateurs, à Philadelphie, un texte ratifié par beaucoup d'États.

Il est immédiatement apparu que sa rédaction n'avait tenu compte que des institutions et de leur mécanisme.

Certains États avaient réclamé l'introduction des droits à l'exemple du Bill of Rights anglais comme condition de rejoindre la fédération et reconnaître la constitution.

Tout avait commencé avec l'indépendance en 1776 d'un territoire gigantesque qui fut une colonie anglaise. Les nouveaux citoyens voulaient à jamais combattre la tyrannie d'un pouvoir dominant qui, disaient-ils « portait des armes même dans une période de paix ». Ces divers États et communautés, par suspicion envers le pouvoir fédéral, souhaitaient la possibilité d'une défense par tout citoyen.

Il faut rappeler que les colonies n'avaient pas leurs propres armées officielles, elles faisaient appel à des milices locales. Ce qui a donné une gloire à ces milices est qu'elles ont été la première force armée pendant la guerre d'indépendance. Cela explique pourquoi elles ont acquis une gloire qui justifiera ensuite en grande partie la culture des armes aux États-Unis.

Pour convaincre ces États au ralliement, dix amendements constituant le Bill of Rights ont donc été rajoutés sous la présidence du Président Washington en 1791. Inévitablement le rapprochement a toujours été fait avec la déclaration de l'Homme et du citoyen de la révolution française qui est antérieure. On y trouve une certaine parenté dans le fond même si elle reste assez lointaine dans son écriture, surtout en considération du second amendement.

Origine anglaise du Bill of Rights

Cette demande et ce nom de Bill of Rights comme de son objectif proviennent du souvenir de la « Glorieuse Révolution anglaise » entre 1642 et 1689 qui est restée incrustée dans la mémoire des colons américains.

Le peuple anglais fut en colère contre la monarchie qui avait refusé d'entendre ses doléances. En réaction, la tyrannie du roi Jacques II fut sévère, il dissout le parlement et crée une milice royale pour réprimer les dissidents. La majorité de la population ne possédait pas d'armes et ne pouvait se défendre.

Mais ils finirent par évincer le roi et une nouvelle étape dans l'histoire anglaise commença. Un Bill of Rights fut adopté en 1689 et l'une de ses dispositions fut que les sujets «peuvent avoir des armes pour leur défense, adaptées à leur condition et autorisées par la loi ».

Aux États-Unis, pour leur part des États ont introduit des dispositions similaires. La Déclaration de Pennsylvanie énonce que « le peuple a le droit de porter des armes pour sa défense et celle de l'État ». La déclaration du Massachusetts pose un important principe soit l'interdiction de porter des armes pour une défense commune « en temps de paix », un grief que les colons avaient fait contre le comportement de l'armée coloniale. Voilà ce qui explique l'exigence par les États réfractaires d'un Bill of Rights et d'une mention d'un droit à la population à se défendre envers les autorités fédérales s'il y avait une raison à le faire.

Une question de virgule

Depuis cette période le débat est rude et semble interminable sur l'interprétation juridique du second amendement. Dans la première partie, l'interprétation est que le droit de porter des armes est un « droit collectif », celui de la milice (il faut entendre par ce mot une armée).

Il s'agit d'une justification légale tout à fait habituelle dans le droit de la plupart des pays qu'on pourrait interpréter comme équivalente à la notion de « violence légitime de la force publique ».

Mais l'affaire n'est pas si simple car l'écriture du second amendement repose sur une juxtaposition de deux propositions, séparées par une virgule. La seconde phrase, « le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé » crée une grande ambiguïté car elle semble accorder un « droit individuel ». Voilà pourquoi est né l'un des plus grands débats dans le droit américain.

Jamais les États-Unis n'ont pu sortir de cette controverse malgré plusieurs arrêts de la cour suprême. La jurisprudence de la haute Cour avance pas à pas en restreignant l'utilisation à certains cas puis revient par d'autres pas à un flou inextricable. En l'absence d'un consensus, les États-Unis essaient, bon gré mal gré, de naviguer entre ces deux doctrines. L'interprétation collective est celle de la sécurité militaire et policière, celle de l'individualisation, le droit de l'achat et du port des armes.

Donald Trump, grand défenseur de sa mort

Personne autant que Donald Trump n'a défendu publiquement le second amendement. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est la caricature de l'Amérique ultra-conservatrice, l'Amérique profonde, celle qui se sent exclue par un déclassement.

Celle qui s'accroche à un passé nostalgique en lui accordant des valeurs et droits mythiques en opposition avec la marche du temps.

C'est un comble pour un milliardaire qui doit tout au « système », totalement intégré dans le monde des affaires ouvertes au monde, et qu'il combat pourtant avec hargne en faisant de lui l'ennemi du peuple.

Cette population totalement hypnotisée par le discours de Donald Trump se sent, à travers son discours, l'héritière des valeurs historiques de l'Amérique. Nul autre que l'un des plus talentueux populistes n'aurait pu aussi bien saisir l'occasion et la galvaniser. Un populisme dont la doctrine première est de dénoncer « l'élite » comme l'ennemi intérieur. Le « deep state », le « négationnisme et le racialisme » sont le terreau de l'extrême droite américaine (comme tous les populismes dans le monde et dans l'histoire), Donald Trump est leur gourou.

Ainsi, on retrouve cette vielle revendication de la liberté de porter des armes parfaitement conservée par le second amendement. Il faut pouvoir se défendre contre le pouvoir de Washington, les nouvelles libertés sociétales qui remettent en cause les fondements de la religion et l'invasion des immigrants qui polluent le sang des américains (selon les termes de Donald Trump lui-même) et qui profitent de l'économie américaine à leur dépend.

À deux millimètres près, un très léger mouvement de la tête, et Donald Trump aurait perdu la vie. Quel extraordinaire destin d'un président dont la balle d'un jeune homme autorisé à se procurer une arme de guerre aurait pu tuer celui qui est l'un des plus grands défenseurs du second amendement.

Quant à ce jeune homme, il est la victime d'une histoire trouble que reprend à son compte Donald Trump. Nous l'avons déjà précisé, on dit qu'il était un garçon solitaire, très isolé, serait-il prisonnier de troubles mentaux ? Avait-il l'intention de sortir de l'anonymat que lui imposait sa solitude pour une exposition médiatique narcissique ? On dit également que le mobile ne semble pas être politique. On écarte avec raison une quelconque vengeance.

Au fond, qu'importe la raison, que faisait ce gamin avec une arme de guerre, c'est peut-être la vraie question à se poser, monsieur Trump.       Il vous a blessé une oreille et permis de profiter d'une extraordinaire image d'invincibilité auprès des adhérents de votre secte.

Lui, il a perdu la vie à vingt ans.