|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Beaucoup
d'experts considèrent maintenant le nucléaire comme une énergie propre, même si
dans le cas de la fission, il y a un problème de déchets radioactifs à gérer.
La fusion nucléaire, qui ne souffre pas tellement de ce problème, peut-elle aider à prendre le bon virage vers la transition énergétique et faire face au réchauffement climatique en réduisant l'émission de gaz à effets de serre ? En plus d'une radioactivité plus faible pour les déchets nucléaires, les avantages de la fusion sur la fission se rapportent à l'abondance de combustibles et une meilleure sûreté. Mais il reste un problème technologique majeur à résoudre. Alors que la fission a fait ses preuves dans les utilisations pacifiques depuis plus de soixante ans, notamment dans la production d'électricité, la fusion demeure encore à l'étape expérimentale et le sera pour un certain temps, sauf percée technologique majeure. Pour l'Algérie, le tarissement des réserves de pétrole et de gaz naturel prévu à la fin de ce siècle offre un sursis d'une cinquantaine d'années pour trouver des alternatives possibles, promouvoir l'autosuffisance énergétique et la transition vers des sources propres et durables. C'est dans ce contexte que le nucléaire qui s'inscrit sur le long terme, est retenu comme option importante. Notre pays envisage la production d'électricité par cette voie à côté de sources renouvelables comme le solaire, l'éolien, l'hydroélectrique et d'autres voies comme l'hydrogène ou la biomasse. Cette intention est motivée par la croissance rapide de la population et le développement socioéconomique qui nécessitent des capacités de production d'électricité d'un niveau plus élevé que celui disponible à présent, en plus des grandes ambitions d'exportation de l'électricité vers l'Europe via l'Italie ainsi que vers d'autres pays voisins, au Maghreb et en Afrique. Le nucléaire offre deux voies possibles qui diffèrent substantiellement dans le processus physique, la nature du combustible utilisé, les enjeux de sûreté vis-à de la radioactivité. Leur seul point commun est qu'il s'agit de réactions impliquant le noyau de l'atome, contrairement à l'énergie issue des hydrocarbures qui provient de réactions chimiques n'impliquant pas le noyau atomique. Dans ce contexte, est-ce que l'Algérie a un choix pour l'électronucléaire entre la fission et la fusion ? Cette contribution contient, peut-être, des éléments de réponse à cette question. La fission nucléaire a été découverte en 1938 par le chimiste allemand Otto Hahn, prix Nobel de chimie en 1945. Celle de la fusion nucléaire est quelque peu étalée dans le temps. En 1920, les astrophysiciens anglais A. Eddington et F.W. Aston ont suggéré que l'énergie des étoiles (dont le soleil) provenait de la fusion d'atomes d'hydrogène pour donner l'hélium. Mais ce n'est qu'en 1934 que le physicien néo-zélandais E. Rutherford a procédé à la première expérience de fusion d'atomes de deutérium. Les applications militaires des deux processus nucléaires ont rapidement suivi leurs découvertes, à quelques années d'intervalles puisque les premiers essais de bombes atomique (A) et à hydrogène (H) ont été réalisés par les Américains, respectivement en juillet 1945 (Trinity) et en novembre 1952 (Ivy Mike). Cependant, pour ce qui est des applications pacifiques, la fission est la seule option utilisée à l'échelle industrielle, principalement dans la production d'électricité. La première centrale électronucléaire est celle d'Obninsk (ex. Union Soviétique) lancée en 1954 avec une puissance électrique de 5 Mégawatts (MW). Elle était rapidement suivie par d'autres centrales en France (Marcoule, 40MW, 1956), au Royaume-Uni (Calder Hall, 55MW, 1956) et aux Etats-Unis d'Amérique (Shipping port, 90MW, 1957). L'activité électronucléaire est marquée par une amélioration constante pendant plus de soixante ans, surtout du point de vue de la sûreté vis-à-vis des risques d'accidents et de la gestion des déchets radioactifs. Il y a actuellement en opération dans le monde environ 400 réacteurs, d'une capacité moyenne de 1000 MW par réacteur. Les prévisions font état d'une augmentation significative des capacités de production électronucléaire dans un avenir proche. En effet, à la conférence sur les changements climatiques (COP28, Dubaï, 2023), parmi les recommandations faites, on trouve le triplement des capacités mondiales d'énergies renouvelables et de la production d'énergie nucléaire. Le premier sommet mondial de l'énergie nucléaire qui a eu lieu en 2023, à Bruxelles (Belgique), sous l'égide de l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), a recommandé le doublement de la production d'énergie nucléaire à l'horizon 2050, en conformité avec l'initiative de l'ONU Net4Zero' qui prévoit une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre à un niveau proche de zéro. L'uranium, le plutonium et le thorium sont les trois combustibles généralement utilisés dans les centrales de production d'électricité par la fission nucléaire. L'uranium et le thorium existent à l'état naturel en abondance, surtout pour le second tandis que le plutonium n'existe pas à l'état naturel et doit être obtenu à partir de l'uranium. Lors de la fission de ces atomes lourds, le noyau se scinde en deux parties, produisant deux éléments nouveaux en plus d'autres particules (neutrons, alfa, béta) et une grande quantité d'énergie (environ un million de fois celle correspondant aux réactions chimiques impliquant les hydrocarbures). Par contre, le recours à la fusion dans la production d'électricité est toujours à l'étape expérimentale, et le sera probablement encore pour un certain temps puisque ce recours nécessite plus d'avancées sur le plan technologique. Et pour cause, il faut reproduire sur terre des conditions extrêmes, proches de celles régnant au cœur du soleil pour faire fusionner des atomes légers, le deutérium et le tritium, des isotopes de l'hydrogène, respectivement deux et trois fois plus lourds. Pour déclencher le processus de fusion, il faut ioniser les molécules de deutérium et de tritium, c'est-à-dire libérer les électrons de chaque atome en chauffant. Ensuite, il faut rapprocher les noyaux par confinement et vaincre leur répulsion électrostatique par un choc thermique obtenu à très haute température, dans un court laps de temps. Ce processus se déroule en permanence, spontanément, au sein des étoiles, mais sur terre il faut réunir une bonne dose d'ingéniosité de la part de chercheurs, ingénieurs et techniciens, de gros moyens en infrastructures spécialisées et financiers, une volonté sans faille et beaucoup d'efforts et de patience. On y arrive lentement mais sûrement. Le deutérium peut être extrait de l'eau en quantité presque illimitée tandis que le tritium est radioactif et a une demi-vie d'une douzaine d'années. Il n'existe pas à l'état naturel mais peut être produit au sein du réacteur en présence de lithium qui subit une fission au contact avec un neutron rapide. La fusion de l'atome de deutérium avec celui du tritium donne un atome d'hélium (ou particule alfa) et un neutron rapide. Cette réaction dégage une énergie qui dépasse de loin celle d'un événement de fission. La fusion est-elle donc la solution de l'énergie du futur ? Un regard sur les projets ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor, ou réacteur thermonucléaire expérimental international) et NIF (National Ignition Facility, ou installation nationale d'allumage) permet de jeter un éclairage sur cette question. Ils correspondent à deux voies de confinement différentes. La première est magnétique, communément appelé tokamak, en référence aux savants russes qui l'ont initié, la deuxième voie est inertiel utilisant des faisceaux lasers. Les projets ITER et NIF diffèrent complètement du point de vue technologique, même s'il s'agit du même processus de fusion nucléaire. Ils restent encore au niveau de la recherche expérimentale dans le but de réunir les conditions optimales de température, densité et confinement et améliorer le gain d'énergie, c'est-à-dire le rapport de l'énergie dégagée par la fusion sur celle consommée pour la produire. Le projet ITER a été lancé en 1990 sur un accord entre les Russes et les Américains, auquel se sont joints d'autres pays. En tout, 35 pays y sont associés dont l'Union européenne, la Grande-Bretagne, les USA, la Russie, le Japon, l'Inde, la Corée du Sud, la Chine et la Suisse ; il s'agit du plus grand projet de coopération scientifique à l'échelle internationale. Le réacteur est en cours de montage et d'expérimentation à Cadarache, en France. Parallèlement à ITER, il y a un autre projet européen à Abington, en Grande-Bretagne, le tore commun européen, connu sous l'acronyme JET (Joint European Torus). Sa construction a débuté en 1979 mais la fusion du mélange deutérium/tritium n'a pu être réalisée qu'en 1991, après des années d'essais plus ou moins fructueux. Depuis cette date, les performances de JET n'ont cessé d'être améliorées, même si l'on est encore loin d'atteindre les conditions nécessaires pour envisager la production d'électricité. Il y a une sorte de complémentarité avec les activités d'ITER qui bénéficie de moyens beaucoup plus importants. Cette complémentarité se manifeste également à travers l'installation internationale d'irradiation des matériaux de fusion (IFMIF pour International Fusion Materials Irradiation Facility) lancée en 1994, au Japon. Dans cette installation, des faisceaux de neutrons rapides proches de ceux résultants de la fusion nucléaire sont reproduits en vue de tester les matériaux susceptibles d'entrer dans la conception du réacteur. D'un autre côté, le projet NIF est conduit en Californie (USA), au laboratoire national de Laurence Livermore (LLNL pour Laurence Livermore National Laboratory). Il est basé sur le confinement par lasers, dit inertiel. Les lasers peuvent chauffer soit directement la capsule, contenant le mélange deutérium/tritium, placée au centre, soit une chambre creuse (appelée communément hohlraum') qui émet des rayons X chauffant la capsule. Sous l'effet de la chaleur, la capsule implose comprimant le combustible. Malgré toutes les difficultés rencontrées, les chercheurs américains ont réalisé une avancée majeure en décembre 2022 après plusieurs essais concluants permettant de produire une énergie de fusion dépassant nettement celle fournie pour la déclencher. Ce résultat a nécessité la mise à feu de 192 lasers puissants, chauffant une cible minuscule dont la forme et la taille rappellent celles d'une gomme de crayon. L'énergie déposée sur la capsule a été estimée à 2,05 Mégajoules (MJ), celle produite par la pluie de neutrons rapides s'est élevée à 3,15 MJ, offrant un gain substantiel. Ce succès ouvre, d'après les promoteurs du projet, de grandes perspectives à l'utilisation pacifique de la fusion nucléaire par confinement inertiel. Il s'agit effectivement d'une prouesse de créer sur un petit volume de gaz des conditions de température et de densité proches de celles du soleil, obtenir un gain d'énergie nettement supérieur à l'unité et répéter cette expérience plusieurs fois avec le même résultat. Cependant, d'autres défis doivent encore être relevés dont celui d'améliorer le gain d'énergie le mieux possible, augmenter le temps de confinement extrêmement court pour être en mesure d'assurer une continuité dans le processus de production de chaleur et envisager la génération d'électricité. Il faut assurer la capture de l'énergie dégagée par la fusion dont une grande partie est libérée par les neutrons rapides. Dans la technologie tokamak, les neutrons rapides ne sont pas soumis au confinement magnétique, étant électriquement neutres. Une conception technologique consiste à les capturer à l'aide d'une épaisse couverture de lithium qui entoure le réacteur et qui, refroidie par un fluide, pourrait servir à produire de la vapeur d'eau pour entrainer un turbogénérateur d'électricité, comme dans une centrale à fission. La fission du lithium par les neutrons rapides produit du tritium, une partie du combustible. Mais il y a un souci pour les neutrons rapides susceptibles de provoquer une dégradation des matériaux utilisés dans le réacteur. Sans vouloir diminuer de l'importance de la percée technologique de NIF, il n'est peut-être pas inutile de relever qu'il s'agit là d'un projet américain qui n'implique pas d'autres pays comme dans le cas d'ITER. De plus, il est difficile de concevoir, même à long terme, la dissémination de centrales de production d'électricité utilisant des dizaines de lasers puissants dirigés sur une minuscule cible, une petite enceinte où le plasma est porté à une température proche de celle du centre du soleil. Il faut aussi rappeler que ce projet a été conçu pour une double application, à la fois civile et militaire. Celle-ci consiste à simuler les effets des engins explosifs après l'interdiction des essais nucléaires et le traité de non prolifération des armes nucléaires. En parallèle, il y a un projet similaire, français, appelé Laser Mégajoule (LMJ) dont les expériences servent aussi à la validation des résultats de simulations sur ordinateurs dans le cadre de la force de dissuasion nucléaire française. Le LMJ, qui est domicilié au centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine, comprend 176 lasers puissants pointés sur une petite cible contenant 1mg du mélange deutérium/tritium. Le but est de déposer sur la cible une énergie de 1,8 MJ, moitié de celle atteinte récemment dans NIF. Il faut noter qu'ITER n'a pas d'implications militaires directes et engage plusieurs pays d'une grande disparité dans les orientations politiques. L'intelligence artificielle est fortement présente dans ces travaux de recherche. Elle peut précipiter les choses, changer les prévisions faites, permettre de relever les défis et atteindre les conditions optimales de production d'électricité. En combinant l'apprentissage automatique et l'apprentissage par renforcement (deep reinforcement learning), on peut améliorer la performance des bobines magnétiques, mieux gérer le plasma chaud et assurer un bon contrôle du réacteur. L'un des problèmes de recherche est de savoir comment gérer les instabilités dans le plasma. Effectivement, un gaz comprimé dans une enceinte minuscule à une densité plusieurs fois celle du plomb, porté à des températures entre 100 et 150 Million de degrés, est inévitablement soumis à diverses instabilités qui perturbent son fonctionnement. La moindre poussière peut bloquer le processus de fusion et il est donc crucial de contrôler ces instabilités. L'intelligence artificielle est d'un apport indéniable pour résoudre ce problème. Elle permet d'anticiper sur les conditions d'instabilités suffisamment à l'avance pour aider à les corriger et maintenir la réaction en marche. Dans ce contexte, quelle vision doit-on avoir en Algérie et quelles sont les perspectives dans un futur plus ou moins proche? Notre pays a des atouts qu'il peut exploiter et entrer, par la grande porte, dans le cercle des pays utilisant l'énergie nucléaire dans toutes ses applications pacifiques. Il s'agit là d'un sujet sensible au niveau international, nécessitant une vision claire, ambitieuse, projetée sur le long terme, portée par des experts qui maitrisent bien le sujet et la science de communication. La diaspora compte des experts dans le nucléaire qui peuvent aider à établir des liens avec les instances et forums internationaux spécialisés. Notre pays s'est déjà lancé dans la fission nucléaire à travers les deux réacteurs de recherche, NUR à Draria et ESSALAM à Ain Oussera, tous les deux gérés par le commissariat à l'énergie atomique (COMENA) dans le cadre de la mission qui lui a été assignée par les autorités. Les universités algériennes recèlent de compétences avérées dans les différents domaines de physique nucléaire, physique atomique, physique des plasmas, d'astrophysique, entre-autres, et qui peuvent être mises à contribution pour guider le pays sur le chemin de la réussite dans ce domaine. Une sorte d'association de nos organismes de recherche dans le cadre de projets internationaux comme ITER est possible et peut faire bénéficier nos chercheurs des dernières avancées des technologies nucléaires dont celles des confinements magnétique et inertiel. Pour ce qui est de la fission, on remarque actuellement des tendances dans le monde qui semblent privilégier la piste des petits réacteurs modulaires (PRM, en anglais SMR pour Small Modular Reactor) ayant une puissance qui varie entre 10 et 300 MW, comparée à 900-1700 MW pour les réacteurs conventionnels. Les PMR offrent une opportunité pour la cogénération et plus de flexibilité pour réserver l'excédent de chaleur à d'autres usages, au lieu de le rejeter dans la nature. Ils nécessitent des investissements moins lourds, des délais de réalisation plus courts, une plus grande adaptation aux besoins, un niveau de sûreté plus élevé. Le forum international génération IV lancé par les américains (GIF pour Generation IV International Forum) va dans ce sens et vise le lancement de ces petits réacteurs, à l'échelle industrielle à l'horizon 2030-2040. Il y a là une piste intéressante à explorer. Le nucléaire dans toutes ses options s'inscrit sur le long terme, et une réflexion avec un débat aussi large que possible n'est pas de trop pour éclairer les décideurs. Il s'agit d'une dette que nous avons envers les générations futures. Il y a des prémisses favorables qui autorisent un certain optimisme dans l'émergence d'une vision éclairée dans ce domaine. L'Algérie a été élue au conseil de l'AIEA pour la période 2025-2027, une occasion pour faire entendre sa voix et nouer une relation forte avec cette grande agence onusienne. Récemment, le ministère algérien de l'énergie et des mines a signé avec la société nationale russe de l'énergie atomique, Rosatom, un mémorandum d'entente de coopération pour l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire comprenant une feuille de route pour les années 2024 et 2025. La société Rosatom est leader mondial dans le nucléaire et possède une grande expérience dans la construction des centrales nucléaires. Elle a beaucoup de projets en Russie et dans le monde. Pour ce qui est de l'uranium, des données fournies il y a quelques années par les autorités algériennes font état de réserves avérées de 29000 tonnes dans la région de Tamanrasset, un peu moins de 1% des réserves mondiales. Cette quantité offre une certaine garantie pour la disponibilité du combustible et permet, d'après ces données, d'alimenter deux réacteurs de 1000 MW chacun, pendant 60 ans. D'autre part, notre pays a choisi d'ériger la formation et la recherche en intelligence artificielle au rang stratégique, et a pris des mesures décisives dans ce sens, comme l'atteste la création d'une école nationale supérieure de l'intelligence artificielle au pôle technologique de Sidi Abdallah, à l'ouest d'Alger. La création d'une école supérieure du génie nucléaire en interaction forte avec celle de l'intelligence artificielle pourrait aider à former une élite capable de conduire le pays sur la bonne voie, celle du progrès et du bien être. Ce serait en hommage à celui dont le nom, Abdelhafid Iharddaden, est attribué au pôle technologique de Sidi Abdallah. Pour rappel, cet algérien, premier diplômé en génie nucléaire, se trouvait avec huit autres camarades dans un avion abattu par l'armée coloniale française, en juillet 1961. Tous étaient diplômés de l'université de Tchécoslovaquie, spécialistes en génie nucléaire, mines et électronique. |
|