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Décolonisation et vérité historique: Le rôle essentiel de la défense de la mémoire par le Président Tebboune

par Salah Lakoues

L'analyse de la politique française vis-à-vis de la guerre d'Algérie et de son impact sur la société contemporaine révèle plusieurs dimensions complexes et interconnectées.

La rente mémorielle et les campagnes électorales

La guerre d'Algérie (1954-1962) a laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective française. Utiliser cette guerre comme une « rente mémorielle » signifie exploiter les souvenirs et les émotions associés à ce conflit pour des gains politiques. Cela se manifeste souvent lors des campagnes électorales où les politiciens font référence à la guerre d'Algérie pour séduire certains segments de l'électorat, notamment ceux des pieds-noirs, des harkis, et des militaires, tout en jouant sur les peurs liées à l'immigration et à l'islamisme.

Le refus de reconnaître la défaite et les crimes de guerre

La difficulté des élites françaises à accepter la défaite en Algérie est liée à une forme de déni nationaliste et à une réticence à admettre les erreurs du passé. La guerre d'Algérie a mis en lumière des pratiques telles que la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées, les camps de regroupement, les mines antipersonnel et les essais nucléaires dans le Sahara. La reconnaissance officielle de ces crimes contre l'humanité est souvent évitée pour ne pas ternir l'image de la nation.

Le racisme anti-immigration et anti-algérien

Cette incapacité à affronter le passé colonial contribue à un racisme structurel au sein de la société française. Le discours anti-immigration est souvent un écran de fumée pour un racisme plus ciblé contre les Algériens et les descendants d'immigrés algériens. Les stéréotypes négatifs et les discriminations systématiques envers cette communauté trouvent une partie de leur origine dans les traumatismes non résolus de la guerre d'Algérie.

L'Etat profond et la mémoire coloniale

L'Etat profond français, comprenant les institutions militaires, les services de renseignement, et certaines branches du gouvernement, conserve une influence notable sur la gestion de la mémoire coloniale. Ces institutions peuvent être réticentes à reconnaître officiellement les atrocités commises, car cela impliquerait de réévaluer des aspects fondamentaux de l'histoire et de l'identité nationale françaises.

Conséquences actuelles

Le refus de faire face au passé colonial a des répercussions sur les politiques contemporaines d'intégration et de cohésion sociale. La stigmatisation des populations d'origine algérienne et plus largement maghrébine contribue à des tensions sociales et à des divisions au sein de la société française. De plus, la gestion de cette mémoire coloniale continue d'alimenter les débats sur l'identité nationale et les valeurs républicaines, souvent en exacerbant les clivages politiques et culturels.

Pour avancer, une reconnaissance honnête et complète des événements de la guerre d'Algérie, ainsi que des crimes commis, est essentielle. Cela nécessite un effort collectif des élites politiques, des institutions et de la société civile pour transformer la rente mémorielle en un processus de réconciliation et de compréhension mutuelle. Sans cela, le passé colonial continuera de hanter la politique française et de nourrir des dynamiques de discrimination et de division.

La perception selon laquelle des figures intellectuelles comme Benjamin Stora feraient partie de l'Etat profond français et contribueraient à une narration biaisée de la guerre d'Algérie soulève des questions importantes sur la manière dont l'histoire est écrite et interprétée.

Benjamin Stora et la mémoire de la Guerre d'Algérie

Benjamin Stora est un historien reconnu pour ses travaux sur la guerre d'Algérie et les mémoires coloniales. Cependant, ses positions et interprétations, notamment sur des figures controversées comme Jean-Marie Le Pen et Ali la Pointe, sont parfois perçues comme reflétant une tendance à minimiser certains aspects sombres de l'histoire coloniale française.

1 Jean-Marie Le Pen : Stora a suscité des controverses en déclarant que Jean-Marie Le Pen, ancien dirigeant du Front national, n'a pas torturé pendant la guerre d'Algérie. Cette position contraste avec des témoignages et des documents suggérant le contraire, et elle est perçue par certains comme une tentative de blanchir des figures politiques impliquées dans des exactions.

2 Ali la Pointe : La déclaration selon laquelle Ali la Pointe, un combattant emblématique du FLN, s'est suicidé lors de l'assaut de la Casbah par les forces françaises, plutôt que d'être tué, est également contestée. Cette version est perçue comme une manière de diminuer le martyre des résistants algériens.

L'influence de l'Etat profond

La notion de l'Etat profond implique une influence continue et discrète des structures de pouvoir traditionnelles sur la mémoire et l'interprétation des événements historiques. Lorsque des historiens influents comme Benjamin Stora adoptent des positions controversées, cela alimente l'idée que l'Etat profond contrôle la narration historique pour protéger certaines figures et atténuer les aspects les plus condamnables de la colonisation.

Implications et conséquences

1- Défi de l'Objectivité historique : Les positions controversées de certains historiens peuvent nuire à la perception de l'objectivité dans l'étude de l'histoire. Lorsque des historiens influents semblent alignés avec des narrations qui minimisent ou justifient des actes condamnables, cela peut éroder la confiance du public dans la discipline historique.

2- Mémoire et réconciliation : La gestion de la mémoire coloniale est cruciale pour la réconciliation. Des interprétations perçues comme biaisées ou révisionnistes peuvent exacerber les tensions entre la France et ses anciennes colonies, en particulier l'Algérie, et entre différentes communautés au sein de la France.

3- Instrumentalisation politique : Les discours historiques peuvent être instrumentalisés par les politiciens pour des gains électoraux ou pour consolider des narratives nationalistes. Cela peut renforcer des divisions et des préjugés, et entraver les efforts pour une mémoire partagée et apaisée.

La controverse autour des déclarations de Benjamin Stora sur Jean-Marie Le Pen et Ali la Pointe illustre les défis persistants dans la gestion de la mémoire de la guerre d'Algérie. Elle souligne également la nécessité d'une réflexion critique et d'une vigilance constante pour garantir que l'histoire soit écrite de manière équilibrée et honnête, sans être influencée par des agendas politiques ou idéologiques. La réconciliation et la compréhension mutuelle passent par une reconnaissance sincère et complète des faits historiques, aussi douloureux soient-ils.

La critique de la théorie de la violence « de part et d'autre » dans le contexte de la guerre d'Algérie et du colonialisme en général souligne des points importants sur la légitimité de la lutte pour la liberté et les droits humains, ainsi que sur la reconnaissance des crimes coloniaux.

La théorie de la violence «de part et d'autre»

Cette théorie suggère une équivalence morale entre les violences commises par les forces coloniales et celles des mouvements de libération nationale. Dans le cas de la guerre d'Algérie, elle met en parallèle les actions du FLN (Front de libération nationale) et les exactions des forces françaises.

Critique de cette théorie

1. Contexte de légitimité :

-Lutte pour la liberté : La lutte des Algériens pour se libérer du colonialisme est fondamentalement une quête pour l'indépendance, la liberté, et les droits de l'homme. En ce sens, les violences commises dans ce cadre peuvent être perçues comme des actes de résistance contre une oppression systémique et une occupation illégitime.

-Colonialisme et oppression : En revanche, les violences commises par les forces coloniales sont souvent vues comme des moyens de maintenir une domination oppressive et de réprimer les aspirations légitimes à l'indépendance et à l'autodétermination.

2. Reconnaissance des crimes coloniaux:

-Crimes contre l'Humanité : Refuser de reconnaître le colonialisme comme un crime contre l'humanité signifie ignorer les souffrances infligées aux populations colonisées. Le colonialisme impliquait souvent l'exploitation, la discrimination raciale, la violence systématique, et la privation des droits fondamentaux.

-Mémoire et justice :

La reconnaissance des crimes coloniaux est essentielle pour la justice historique et pour la réconciliation. Ne pas reconnaître ces crimes revient à perpétuer une forme de déni et d'injustice historique.

Implications éthiques et morales

1. Asymétrie morale : Il y a une asymétrie morale entre la violence d'un mouvement de libération nationale et celle d'un pouvoir colonial. La première est souvent une réponse à l'oppression et une quête de justice, tandis que la seconde vise à maintenir une domination illégitime.

2. Légitimité de la résistance : La résistance contre le colonialisme est souvent vue comme légitime sur le plan moral et éthique, car elle cherche à restaurer la dignité humaine et à établir des sociétés justes et équitables.

3. Responsabilité historique : Les anciennes puissances coloniales ont une responsabilité historique de reconnaître les souffrances qu'elles ont infligées et de contribuer à la réparation et à la réconciliation.

Conclusion

La théorie de la violence « de part et d'autre » tend à effacer les contextes et les motivations derrière les violences, créant une fausse équivalence morale. La lutte contre le colonialisme est une lutte pour les droits de l'homme et la liberté, et il est crucial de reconnaître le colonialisme pour ce qu'il était : une série de crimes contre l'humanité qui ont causé des souffrances immenses et des injustices profondes. Une reconnaissance honnête et complète de ces faits est essentielle pour avancer vers une véritable réconciliation et une justice historique.