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Israël, le droit et les mots

par Sid Lakhdar Boumediene

Les mots se bousculent, s'entrechoquent et résonnent dans une explosion sémantique. Horreur, massacre, barbarie, chacun voulant rivaliser avec l'autre pour trouver la bonne échelle. L'acte innommable, celui qui n'a pas de nom, ne trouve pas sa place dans l'ordre humain, il le surpasse. Pourtant le droit pénal, national ou international, a besoin de mots précis pour qualifier l'acte d'Israël et en prononcer la sanction.

Camus nous avait avertis, ne pas nommer les choses rajoute à la misère du monde. La quasi-totalité des populations de ce monde sait qu'il faudra aux autorités judiciaires à en trouver un ou plusieurs mots qui sont déjà dans l'arsenal juridique international et des États. Ces populations savent qu'il en existe particulièrement trois pour la qualification juridique des actes d'Israël, soit le crime de guerre, le crime contre l'humanité et le génocide. Au départ, la confusion était dans toutes les bouches et les écrits des journalistes et des hommes politiques. Puis au fur et à mesure de l'obstination criminelle de l'État d'Israël, on s'est enfin accordé pour briser un tabou lorsqu'il s'agit de ce pays, c‘est à dire prononcer le mot ultime du droit international, le génocide. Nous assistons à un incroyable retour de situation historique.

Une confusion dans les annonces

Même pour les spécialistes du droit international, tout a ainsi débuté par une cacophonie sur la qualification juridique. La Commission d'enquête de l'ONU avait informé être dans la collecte des éléments étayant des « crimes de guerre perpétrés par les deux parties ». Il y a donc bien suspicion de crime de guerre mais elle est encore, à ce début d'enquête, dans la dénonciation des deux parties.

Pour l'ambassadeur palestinien, l'ONU doit tout faire pour empêcher un «crime contre l'humanité», voilà la seconde terminologie qui apparaît.

Joe Biden inverse la situation et déclare que le Hamas a «réveillé des souvenirs douloureux et rouvert des plaies creusées par des millénaires d'antisémitisme et de génocide du peuple juif» et que le Hamas a commis un « acte de terrorisme».

Mais pour la première fois le mot de génocide a été prononcé dans son aspect juridique par une décision de la Cour Internationale de Justice à l'encontre d'Israël. Cependant, seulement en termes d'avertissement, «Israël doit tout faire pour qu'elle arrête ses actions et éviter le génocide».

Le mot est enfin prononcé d'une manière formelle par une haute instance judiciaire internationale. Depuis, même si cela avait déjà été fait à travers les médias et les populations de la quasi-totalité du monde, les intervenants n'hésitent plus à prononcer le mot de génocide avec une plus grande sûreté. C'est le cas récemment et très fortement de l'Espagne.

Il faut comprendre que les trois qualifications juridiques sont en fait la conséquence d'un empilement de strates qui sont apparues selon les circonstances de l'histoire. Ce «fouillis» est parfois complexe à suivre par son accumulation mais on finit toujours par cerner sa pensée directrice.

Le plus important à retenir est que pour la première fois de son existence, Israël est confrontée au mot génocide, cette fois-ci à son égard. Son éternelle excuse de la douleur mémorielle vole en éclats.

Examinons les trois qualifications dans leur définition et dans les actes qui les constituent.

Le crime de guerre

Les Nations unies définissent un crime de guerre comme une action illégale qui viole le droit international humanitaire prévu pour protéger les civils. La définition trouve son origine à partir de plusieurs traités dont les plus importants sont les conventions de Genève adoptées entre 1864 et 1949, les conventions de La Haye en 1899 et 1907 ainsi que le Statut de Rome en 1998.

Un crime de guerre a toujours lieu en temps de conflit armé et doit être commis « intentionnellement », aussi bien à l'encontre des personnes ayant besoin de protection, comme les blessés ou les civils, les efforts humanitaires ou les opérations de maintien de la paix aussi bien que ceux qui ciblent des biens.

Les crimes de guerre peuvent aussi être des infractions aux «méthodes ou moyens de guerre interdits» comme les tortures, les meurtres volontaires, les mutilations ainsi que les actes commis intentionnellement contre la population civile.

Les accords de Genève ont ainsi pour but de protéger les populations civiles qui ne sont pas impliquées dans les combats. C'est la raison pour laquelle on qualifie l'ensemble des dispositions comme un «droit humanitaire».

Le principal organe chargé de traduire les individus responsables de crimes de guerre, le TPI (Tribunal Pénal International), a été créé en 2002 suite au Statut de Rome. Toutefois, certaines affaires sont parfois portées devant des tribunaux spéciaux créés par les Nations unies.

La conclusion irréfutable est que les actes d'Israël à Gaza relèvent au minimum de crimes de guerre, il est très improbable que la haute autorité judiciaire puisse le contredire. Mais ce ne serait qu'une première étape pour une lourde responsabilité qui n'est pas exclusive des deux autres qualifications que nous allons examiner.

Le crime contre l'humanité

Contrairement au crime de guerre le crime contre l'humanité n'est pas obligatoirement au moment d'un conflit armé. Il n'existe pas de codification car il n'existe pas de traités malgré toutes les tentatives jusqu'à présent.

Le TPI estime que les crimes contre l'humanité sont considérés comme des violations fondamentales du droit pénal international et «parmi les crimes les plus graves». L'article 7 du Statut de Rome (portant création du TPI) liste les actes constitutifs d'un crime contre l'humanité.

1. Meurtre ;

2. Extermination ;

3 .Réduction en esclavage ;

4. Déportation ou transfert forcé de population ;

5. Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;

6. Torture ;

7. Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;

8. Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;

9. Disparitions forcées de personnes ;

10. Crime d'apartheid ;

11. Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Mais pour que les éléments cités soient réellement constitutifs d'un crime de guerre, il faut que l'acte ait été « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile » et que celui qui en est l'auteur ait agi en connaissance de cause.

Il ne fait aucun doute qu'Israël a perpétré un crime contre l'humanité au regard des points énoncés dans l'article 7 et dans la connaissance de ce qu'impliquait son action systématisée à très grande échelle.

Après la qualification de crimes de guerre, Israël cumule celui de crime contre l'humanité. Mais comme cela ne suffit pas, nous en arrivons à l'échelon le plus élevé de l'atroce, le génocide.

Le génocide

C'est un crime en droit international reconnu pour la première fois par les Nations unies en 1946 et codifié en 1948 dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Le mot avait été inventé trois années auparavant, en 1943, par un avocat polonais, Raohael Lemkin, pour qualifier les actes des nazis. Il s'agit pour le préfixe, du mot grec « genos » qui signifie race ou famille et du mot latin « cide » qui signifie tuer.

L'article 2 de la Convention liste les actes qui qualifient le génocide.

Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

Le génocide s'assimile donc à peu près à un crime contre l'humanité mais avec une « intention consciente » de vouloir détruire ce que l'article 2 précise en son début. Le crime pouvant être perpétré pendant un conflit armé ou non.

Nous sommes face à un degré supérieur du crime contre l'humanité par son caractère systématique de barbarie. L'ONU a reconnu jusqu'à présent quatre génocides sur le plan juridique,

- Le génocide par les nazis, lors de la seconde guerre mondiale, dont la responsabilité génocidaire a été établie par le Tribunal militaire de Nuremberg.

- Le génocide commis par les Serbes à l'encontre des musulmans de Bosnie-Herzégovine et condamné définitivement en appel par le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, en 2004.

- Le génocide par les Hutus au Rwanda commis à l'encontre des populations Tutsi reconnu par l'ONU en 1994 lors de la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (suite à deux résolutions du Conseil de sécurité).

- Le génocide des Arméniens commis par l'Empire Ottoman reconnu par uns sous-commission des Droits de l'Homme de l'ONU en 1985.

Un incroyable renversement de situation pour Israël qui se retrouve face à ce mot terrible de génocide avec lequel le pays avait bâti un solide rempart à tous ses crimes de colonisation territoriale et de massacres des Palestiniens.

Nous l'avons précisé au début de cet article, si la communauté internationale avait hésité à le prononcer, il l'est maintenant par une très grande majorité et, surtout par la Cour Internationale de Justice dans son avertissement à Israël après une accusation portée par l'Afrique du Sud.

Chaque jour nous mène vers une généralisation mondiale de l'accusation de génocide. Le Nicaragua vient ces jours-ci de porter plainte devant la CI contre l'Allemagne pour complicité de génocide par la livraison d'armes. Nous l'avons dit, l'Espagne également.

Le faible nombre de génocides reconnus par l'ONU se justifie par l'immensité de la barbarie humaine dont on fait preuve les coupables. Israël est à un pas d'être affiché dans ce tableau d'horreur de l'humanité.

Un rappel pour le lecteur qui doit le savoir, il existe bien d'autres génocides reconnus par l'histoire pour des évènements très anciens. Et plus récemment, celui de l'esclavage aux États-Unis.

La sérénité du droit face à l'expéditive barbarie

Il faut toujours rappeler que le droit s'honore de ne pas connaître la vengeance mais seulement le prononcé d'une responsabilité et d'une peine proportionnée et rigoureusement prévue par des textes, internes et internationaux.

Israël ne sera pas jugé avec la même précipitation que les massacres qu'elle a commis. La justice exige du temps pour collecter les témoignages et les preuves d'implication ainsi que les relations de cause à effet. Elle doit procéder à des auditions et permettre la confrontation entre la défense et la partie accusatrice représentée par le procureur en charge du procès.

Cela peut être long et frustrant mais c'est le prix à payer pour s'honorer d'une justice rendue par le droit et le respect de la doctrine humaniste.

Si un jour les dirigeants d'Israël sont frappés du sceau de l'infamie, la leçon à retenir est qu'il ne faut jamais tomber dans la concurrence des excuses mémorielles aux fins d'une justification de l'innommable.

Tant de pays y ont recours, l'histoire finit toujours par leur rappeler que les larmes de son passé douloureux ne justifient en rien qu'on les fasse couler chez d'autres, y compris à l'intérieur de leurs propres nations.