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Mekhloufi et le foot-politique

par Slemnia Bendaoud

L'ancien international auxerrois a, sans aucun doute, tenté un vrai coup de billard. Il l'a surtout bien réussi. Tout en intimant l'ordre d'une reprise de conscience, il a aussi mis l'accent sur les valeurs humaines. Le coup, bien que quelque peu tardif, a eu le mérite de remettre les choses au point.

Dans une vidéo de 26 minutes 28 secondes, Éric Cantona a fait paraitre récemment sous le titre «Des rebelles du foot» un portrait par l'image et le texte, du Roi du football de l'époque coloniale, l'algérien Rachid Mekhloufi. Une émission entrant dans «Portraits du Monde», que dirige le joueur de l'équipe d'Auxerre et de la sélection de l'équipe de France. Il aura fallu longtemps attendre, après un bref reportage qui lui a été consacré par le défunt Bernard Pivot, dans son émission qui lui est restée très chère, en tant qu'invité de marque, pour une fois dérogeant au protocole, puisque ne recevant que des prix Nobel de littérature.

Éric Cantona aborde cette vidéo par une question: «Qu'est-ce qu'on connait du football ?». Pour répondre immédiatement par la suite : «La ligue des champions, le montant des transferts, des tribunes qui sifflent, la violence, le business. Mais moi, dit-il, je vais vous parler des vraies valeurs du football, des Hommes.»

Il enchaine par la suite: «Croire en ce qui est juste et tout risquer. Abandonner la gloire pour défendre une cause. Oublier sa carrière pour rejoindre la Révolution. En 1958, Rachid Mekhloufi l'a fait. Avec 09 compagnons, il a porté les couleurs d'un pays qui n'existait pas encore. Son pays : l'Algérie ! Le sien, tout simplement.»

C'est au tour de Rachid Mekhloufi de citer à haute voix les noms des joueurs figurant sur une photographie qu'il tient entre ses mains. Il commencera par épeler le nom de Boumezrag. Viennent ensuite les noms des dix joueurs, lui y compris, qui avaient formé, à l'époque, la première équipe nationale du FLN.

Voici planté le décor d'une façon magistrale quant à la présentation de l'œuvre. Ce qui vient après n'a pour objectif que de faire connaitre le rebelle de la balle ronde, en l'occurrence Rachid Mekhloufi. Et c'est un autre monstre des lettres qui se chargera d'en faire le portrait. C'est un autre grand homme de lettres nommé Bernard Pivot qui le réalise d'une manière absolument fabuleuse, en se rendant côte à côte avec l'intéressé à la Marsa (Tunisie). Ils visiteront à Tunis l'hôtel de la ville (Le Majestic) où ils furent accueillis, le stade Zouiten et un tas d'autres lieux chers au pays d'accueil. Notamment la place où toute l'équipe fut reçue par Bourguiba, à l'époque.

L'occasion est donc offerte à cette haute personnalité littéraire de relever un tout autre volet de l'histoire de cet immense talent du football naissant Algérien qu'est Rachid Mekhloufi. Il dit en substance : «il est pour moi l'un des cinq plus grands footballeurs au monde que j'ai pu voir et apprécier. J'étais ébloui par sa talent, son élégance. Il n'était pas assez grand de taille, une petite moustache, beaucoup de prestance et un brin d'intelligence sur le terrain.»

Il sera relayé par Jean-Michel Larqué, son ex coéquipier à l'ASSE (Saint-Etienne) qui prit la parole pour signifier: «Il est de la race de ces joueurs qui entrent sur le terrain de jeu pour inventer quelque chose.» S'en suit alors, le commentaire du journaliste Michel Nait Challal affichant le geste politique du joueur, pour s'inscrire dans le climat de la Révolution, notamment les récents évènements du 8 mai 1945 et ses relents que ruminent encore le peuple algérien. Ce sont donc ces tares de la Révolution qu'il garde dans sa mémoire en rejoignant la France pour jouer au football.

Ainsi, lorsque le signal fut donné pour quitter la France pour la Tunisie via le poste frontalier de la Suisse, il n'hésitera pas une seconde. Blessé, il abandonne tout en France et part en compagnie de Arribi et de Kermali, joueurs originaires du même patelin que lui, en Algérie.

Le témoignage de Juste Fontaine, meilleur buteur de la France au Mondial avec ses treize buts, sur la question des Algériens est éloquent, il dit : «Qu'ils savait qu'ils (les joueurs algériens) allaient répondre par l'affirmative à l'appel du FLN.» À Reims, où ils jouaient en compagnie de Maouche, lui savait que le joueur algérien venait d'être convoité par les dirigeants du FLN ;il s'est toutefois abstenu d'en parler.

Rachid Mekhloufi, hospitalisé pour un choc à la tête, il est vite sorti par les deux émissaires pour être embarqué en Tunisie. En deux jours, la France s'est vidée de sa colonie de joueurs Algériens. Les 10 joueurs Algériens sont partis les premiers, le reste suivra quelque temps plus tard. Le mur de la peur a été franchi grâce au courage du groupe.

Tous sereins, ils ont franchi la frontière, complètement désemparés. Cependant, l'évasion était minutieusement organisée. Et presque tous ont laissé derrière eux un statut de haut prestige pour s'engager dans les ranges du FLN. C'est le pari d'un non-retour que tout le monde a fait. Ils sont partis en clandestin. Mekhloufi en déserteur de l'armée française. Un risque assumé pour jamais ne rien regretter après. L'image qu'on leur a fait miroiter était de « Devenir le symbole d'un combat » pour la Révolution. Ils ont servile football comme « une arme de propagande. » C'est le leitmotive des responsables du FLN.

En franchisant la frontière, ils étaient partis pour de bon. Le FLN avait, dès ce moment, une équipe nationale sous la main pour jouer à ce football-galla. Ils seront attendus à l'aéroport pour embarquer pour Tunis. L'attente durera une heure et demie. On ne pouvait savoir quelle durée allait prendre notre regroupement. Selon Rouai, c'est de la victoire politique qu'il est question désormais. Les 10 joueurs se sont divisés en deux groupes de cinq. Ils sont passés par les frontières suisse et italienne. Dans un intervalle de deux jours. Seul Bentifour était plutôt un homme politique connu.

Ce coup de tonnerre politique n'était guère envisagé. L'évasion de cette myriade de joueurs de talent faisaient le contraste avec les fellaghas que la France métropolitaine affichait d'ordinaire publiquement pour désigner la partie adverse. Ce genre humain poussait le colonisateur à trouver refuge dans d'autres expressions.

Pendant une période d'au moins quinze jours franc, la presse parisienne ne cessait de commenter «cette évasion spectaculaire». Les joueurs algériens évoluant en France avaient pris la clef des champs, refusant d'évoluer dans le championnat français.

Le premier match joué au stade Zouiten est inoubliable. Le drapeau Algérien somptueux flottait en l'air au coté de celui de l'équipe adverse. L'hymne national retentit dans l'arène du foot de manière solennelle. Le cadre d'exhibition était prêt pour la fête du football. Le football-propagande était né dans ce mythique stade. Le dividende à engranger est exceptionnel. Dans l'arène du foot était née une seconde Algérie. Le pays devait beaucoup gagner de ce football-prestige. La Révolution était boostée au plus haut point. C'est cette image qui défilait de pays en pays. Elle a fait avancer l'indépendance du pays.

De rencontre en rencontre, la sélection gagnait en confiance et surtout affichait publiquement ce beau football qu'elle pratiquait. À telle enseigne que beaucoup de sélections de pays affiliés aux organisations de ce sport eurent peur de la FIFA. Ils ne pouvaient que refuser de jouer contre elle des rencontres de football.

Elle trouvera son terrain de prédilection au sein des pays de l'Europe de l'est dominés par l'ex URSS, la Chine et la Yougoslavie. Le sport, facteur de rapprochement entre les peuples fut un tout autre déclencheur de la Révolution. La sélection nationale n'était pas très bien reçue, partout à travers ces pays qu'elle affrontait à tour de rôle, dans des situations parfois difficiles, il faut le reconnaitre. Ils ont par contre été reçus dans la maison du président du Vietnam, M. Hô Chi Min. C'est le général Giap qui devait prendre la parole selon Mekhloufi pour nous dire : «Nous, avons battu la France, mais vous, vous nous avez battus en football. Donc vous allez battre la France.»

Ces footballeurs Algériens, tous des vedettes dans leur club, ont mis quatre années de leur vie pour gouter à l'indépendance du pays. Leur apport propagandiste à la Révolution n'est plus à démontrer. C'est ce qui a accéléré le processus d'auto-détermination.

De retour à Saint-Etienne après l'indépendance, Rachid Mekhloufi avait rendez-vous avec le public de Geoffroy Guichard. Après un silence de mort dès l'entame du match, il fait un geste technique haut de gamme qui balaie tout. Et c'est l'ovation du public, Rachid est désormais dans son jardin. Bernard Pivot s'exclamera : «C'est ça le football. On avait oublié son départ, on avait oublié le FLN, l'Algérie-française. Il ne restait plus que le Mekhloufi dont on avait retrouvé l'élégance de M. but».

Cet épisode désormais clos, nous devons trouver les moyens pour redoubler d'efforts quant à la réussite de la Révolution palestinienne. Mais pourquoi les pays Arabes ne participent-ils pas activement à l'émergence d'une telle action ? Le foot Algérien n'a-t-il pas dans une large mesure boosté la Révolution ? Et pourquoi serait-il à l'écart au profit du combat palestinien ? Le mouvement de foule a besoin de la propagande populaire pour faire revivre et déclencher la fibre patriotique, notamment en ce qui concerne le combat palestinien.

Reporter le même combat au profit du peuple palestinien est une impérieuse nécessité, pour ce peuple privé des besoins élémentaires de la vie. Le monde Arabe a une carte à jouer. Ils doivent s'organiser pour mieux défendre ce projet d'envergure. Le monde Arabe a tout à gagner.