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Energie: l'Algérie a beaucoup plus de potentiels qu'on les lui prête

par Reghis Rabah*

Ce début du mois de janvier, on lit dans plusieurs journaux qui citent le magazine spécialisé Oïl& Gas Journal (01) des chiffres sur les réserves algériennes d'hydrocarbures notamment pétrole brut et gaz. (02). D'autres organisations internationales parfois l'accréditent d'une manière chiffrée carrément de 12,2 milliards de barils de pétrole, 4500 milliards de m3 de gaz naturel et 3,5 trillions de m3 de schiste. Quand bien même ces chiffres se rapprochent de ce que publient certaines revues spécialisées mais restent fallacieux par rapport à l'objectif qu'elles visent, à savoir faire passer le message de la fin des énergies fossiles. Ces allégations confusionnelles peuvent créer des quiproquos qui pourraient porter atteinte au mastodonte algérien réputé fiable auprès de ses partenaires et ses clients notamment européens.

L'Algérie par le biais de sa NOC, Sonatrach publie chaque année les chiffres dans ses rapports annuels qui sont publics, les découvertes et leurs résultats quantitatifs qui peuvent reconstituer ses réserves. Elle le fait depuis la prise en main de son secteur des hydrocarbures et en toute transparence sans aucun calcul. Ces sources de ces publicateurs elles-mêmes, si réellement elles ont donné ces chiffres s'appuient sur la fameuse Statiscal Revue of British Petroleum qui fait figurer ces chiffres en «prouvé» uniquement dans sa revue annuelle depuis plus de 20 ans sans les varier. Mais plus curieux c'est le chiffre des réserves de gaz de schiste dont Alnaft serait en cours d'évaluer le potentiel parce que le chiffre avancé déjà hypothétique, semble très réduit pour la 3ème réserve du monde.

Cette modeste contribution tente pour les uns et les autres de donner les précisions sur le contenu des réserves et leur inventaire selon la méthode réglementaire formalisée par un arrêté ministériel algérien et encore une fois en toute transparence.

1-d'abord sur la confusion entre ressource et réserve

Il faut rappeler pour l'exemple uniquement que favorisée par sa situation géographique, l'Algérie est classée comme étant le pays le plus ensoleillé au monde en matière de «ressource solaire» estimée par les experts du domaine début des années 2000 à 169 000 TWh (tonne watt heure) pour le solaire thermique et 13,9 TWh pour celui photovoltaïque. Les derrières estimation du Commissariat aux Energies Renouvelables et à l'Efficacité Energétique (CEREFE) sont beaucoup plus optimistes. Sur la base des cartes réalisées par le Centre de Développement des Energies Renouvelables (CDER), cet organisme national déclarait dans un de ses communiqués (01) que «l'énergie solaire globale reçue par jour sur une surface horizontale d'un mètre carré varie entre 5,1 KWh (~1860 KWh par an et par m2) au Nord et 6,6 KWh (~2410 KWh par an et par m2) dans le Grand Sud».

Avec toute cette ressource, de nombreuses tentatives sont entreprises pour aboutir à une installation très modeste d'environ 375 MW (Mégawatt). Pourquoi ? Parce que tout simplement cette gigantesque ressource n'est pas encore prête techniquement et économiquement pour être développée dans sa vitesse de croisière entre autres les prix actuels des ressources fossiles. En amont, c'est les coûts qui définissent l'exploitation d'une telle ou telle ressource et en aval, les prix de vente permettront de juger sur sa rentabilité. En ce qui concerne le niveau du prix, on peut situer celui moyen du baril des trois dernières décennies à 55 dollars le baril qui ne permet pas encore d'aller vers les autres ressources qui remplaceraient éventuellement celles fossiles (pétrole et gaz principalement). C'est l'une des raisons qui fait que l'Algérie n'arrête pas de se débattre en vain d'ailleurs pour trouver une parade à la croissance de la consommation interne effrénée du gaz au rythme de 7% par an afin de trouver une alternative pour approvisionner ses centrales de production d'électricité par un autre moyen que le gaz qu'elle compte réserver uniquement pour l'exportation.

Les réserves donc ne sont qu'une partie uniquement des ressources exploitable techniquement et économiquement dont le propriétaire peut en faire usage dans un délai immédiat ou raisonnable.

2-Le potentiel de gaz de schiste en Algérie n'est pas encore connu pour être une réserve

Pourtant, les responsables du secteur de l'énergie continuent de vendre cette illusion à l'opinion publique, une telle approche qui vise de rassurer serait-elle dans l'intérêt général ? Ainsi, lors de son passage à la télévision nationale en octobre 2022, le premier responsable du groupe public Sonatrach Tawfiq Hakkar avait déclaré que «les «réserves» de gaz non conventionnel de l'Algérie sont très importantes. Elles peuvent couvrir les besoins intérieurs de 150 ans de consommation.»(03) Aurait-il inclut le Tight lequel gaz est lui-même comptabilisé dans le portefeuille des réserves des ressources conventionnelles. Parfois même on trouve des gisements comme celui situé au Sud-Ouest : Ahnet qui devrait être exploité en Tight et le gaz sec conventionnel. En effet, les réservoirs du niveau géologique Dévonien sont de type conventionnel, tandis que ceux du Cambro-ordovicien sont compactes (Tight) et fissurés. Sur les 40 puits qui ont été forés par Sonatrach, 30 forages ont mis en évidence des productions significatives de gaz sec estimées la première fois à 3,5 TCF (99,12 milliards de m3) réévaluées en 2000/2007 après une fracturation hydraulique «soft» à 20 TCF (566,4 milliards de m3). Le Plan de Développement du permis d'Ahnet prévoyait de produire au plateau de 12,5 millions de m3/j de gaz brut, 350 jours par an, pendant près de 17 ans à partir de 50 puits producteurs répartis sur les 3 structures de Bahar El Hamar, Garet El Gueffoul et Complexe En Bazzene pour des broutilles d'investissement global (CAPEX) évalué 2650 millions de dollars. Confié le 17 janvier 2010 à l'operateur TotalEnergies pour 49% sur lesquels il cède 2% à Partex avec une mission précise de forer les puits nécessaires à son développement installer les équipements de surface pour produire 4 milliards de m3 de gaz sec destinés à la vente sur un plateau de 15 ans. Le premier gaz aurait dû être produit au plus tard en 2015.

Profitant des événements de protestation de la population d'In Salah contre le projet d'Ahnet Shale gas (2 puits pilotes), le géant français a créé sciemment une confusion pour se retirer en catimini de ce projet alors qu'il n'a rien à voir avec le gaz de schiste. Il a refusé en même temps de payer la pénalité de 100 millions de dollars due à son désistement unilatéral. Cette société, très française aurait-elle manqué de vision car au prix actuel du gaz dans les hubs européens, même réduits ces derniers temps, tous ces gisements qui exigent des techniques «Hard» ainsi ceux marginaux peuvent être exploités rentablement.

4-Situation des réserves pétrolières et gazières algériennes

Concernant les réserves, le portefeuille actuel comprend l'ensemble des périmètres en exploitation en effort propre et en partenariat ainsi que l'ensemble des projets aussi bien en conventionnel qu'en»Tight gas». Cet état des réserves de Sonatrach a été également certifié en 2012 pour l'année 2010 par le consultant DeGolyer and MacNaughton (DM&N). La totalité des périmètres en exploitation et en développement, et le Tight gas notamment au Sud-Ouest, sont pris en compte dans l'offre hydrocarbures pétrole et gaz, actualisées et communiquées au Conseil des ministres lors de sa réunion du 06 octobre 2015. Réactualisées en 2023 par le retrait de la production annuelle et l'ajout des fruits des nouvelles découvertes au rythme d'une douzaine par an, ces réserves «prouvées» sans compter les «probables» et les «possibles» toute forme à produire pourraient être rapprochés comme suit :

Produit-----Volume prouvé-----Taux de récupération en %-----Réserves récupérables-----Réserves consommées-----Réserves restantes

Brut en106 T-----11478-----32-----3673-----2333-----1340

GN en 109 m3-----7316-----73-----5341-----2973-----2368

Condensat en 109 T-----1567-----54-----846-----586-----260

GPL en 106 T-----1095-----40-----438-----283-----155

Total en 106 TEP        -----21212-----      -----9842-----5742-----4100

Ces réserves d'hydrocarbures toute forme confondue en tonne équivalent pétrole sont réparties comme suit : 22% Hassi Messaoud, 22% Hassi R'mel, 11% Berkine, 8% au Sud-Ouest du Sahara, 8% Rhourde Nouss et les 29% restantes sont à partager entre les gisements producteurs dont TFT, Gassi T'ouil, Ohanet, Tinhert, etc. Si l'on compte les réserves reconverties en Tonne Equivalent Pétrole (TEP) toutes formes et positions techniques et commerciales confondues, on devrait donner 100% des prouvées (P1) + 50% des probables (P2) + 5% des possibles (P3). Chiffres actualisés et reconvertis en millions de tonnes équivalent pétrole (MMTEP), on aura : 4100 + 50% 1500+ 5% 1700= 4935 MMTEP. Limité au gaz et pétrole qui intéressent plus ces organisations. Avec une unité la plus utilisée dans la sphère commerciale soit le baril (1 TEP= 7,89 barils) et le m3, on aura en arrondi: 16 milliards de barils de pétrole et 3300 milliards de m3 de gaz. Concernant le gaz de schiste, au-delà du débat stérile qu'il a suscité jusqu'aujourd'hui, il y a zéro réserves : pas de réserves «commerciales», mais uniquement des volumes «techniquement» récupérables (Technically recoverable) tel que défini dans la cartographie de l'agence américaine d'information en énergie (EIA). Toutes les études, et tous les rapports aussi bien internes que les études internationales, d'organismes internationaux, s'accordent à dire que les «ressources sont importantes» mais pas de resserves encore commerciales.

L'Algérie ne peut en aucun cas s'engager sur des exportations de gaz de schiste à court et moyen terme, étant donné que le projet est encore loin de la limite économique. C'est pour cela que le programme du premier gouvernement Djerrad avait demandé aux structures de surseoir à l'exploitation des ressources non conventionnelles qui nécessitent une fracturation hydraulique hard poursuivre leur évaluation, étudier leur rentabilité aux conditions économiques actuelles et perspectives et son impact sur l'environnement et les eaux souterraines.

3- Une remarque sur la forme

Cette remarque de forme est sans aucun doute relative à la méthode réglementaire pour révéler ces réserves. Chaque pays dispose de sa méthode. L'Algérie en a une édictée par un arrêté ministériel du 11 juillet 1988 relatif à l'inventaire périodique des ressources nationales d'hydrocarbures liquides et gazeux. Cet arrêté fait obligation dans son article 01 lui-même se référant à l'article 14 de la loi 86-14 du 19 août 1986, toujours en vigueur pour les contrats de partage de production à toute personne morale exerçant des activités d'exploitation d'hydrocarbures de procéder à un inventaire des réserves contenues dans le périmètre du titre minier d'exploitation. Dans ce cadre justement, il fait obligation de donner d'abord «les réserves en place» qu'il faudrait scinder suivant leur probabilité de production en réserves «prouvées à 100%», «possibles 50%» et «probables à 5%». On remarque ici que le législateur ne voulait rien négliger car plus on avance dans le progrès techniques et les conditions économiques plus on reconvertit les deux dernières en «prouvées». Parmi ces dernières justement et là où les chiffres avancés ne sont pas clairs, il y a la partie «récupérable» et celle «non récupérable». Pour les récupérables justement il y a les «développées» et celles «non développées».

Donc si on sort de cette forme d'inventaire, nos réserves possibles sont beaucoup plus que ce qu'avancent certains experts mais on devra se référer à la méthode réglementaire pour parler le même langage au lieu de dérouter les lecteurs intéressés. Pourquoi ? Parce que cette façon de faire l'inventaire des réserves, cache l'essentiel.

Entre décembre 2015 et fin 2028, la Sonatrach a dépensé et continue à le faire en effort propre 5592 millions de dollars pour 221 découvertes qui pourraient ajouter aux réserves 1647 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en probables suivant la classification réglementaire. C'est-à-dire leur exploitation est envisageable soit on peut raisonnablement compter les exploiter dans les conditions économiques actuelles avec une approche probable de 50%. Ce qu'il y a en volume en place dans le sous-sol algérien qui occupe à peine 4% du domaine minier évalué 1750000 km2, est énorme. Il suffit uniquement d'utiliser des techniques de stimulation et elles sont nombreuses pour reconvertir ce qui est possible en probable puis en prouvé dont une partie importante sera récupérée en boostant le taux de récupération. Les chiffres des ressources conventionnelles donnent le vertige que malheureusement les lobbies des sociétés de services détournent les responsables qui les écoutent vers les non conventionnelles car elles sont très rémunératrices pour elles dont l'objectif est la recherche d'un plan de charge.

*Economiste pétrolier

Renvois

(01)-https://www.cresus.dz/?p=97135

(02)-https://www.algerie360.com/nouveaux-puits-de-gaz-et-de-petrole-voici-toutes-les-decouvertes-de-lalgerie-en-2023/

(03)-https://www.aps.dz/economie/114724-energies-renouvelables-l-algerie-possede-l-un-des-gisements-solaires-les-plus-eleves-au-monde

(04)-https://ebourse.dz/hakkar-les-reserves-algeriennes-couvrent-lequivalent-de-150-ans-de-consommation/?fbclid=IwAR1MQNNnwW1C1ZTTpBcMn7umCLtbZLUDTLSX9uZ_uXu-NUg7EzEFeXrEew