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La création de
compagnies aériennes privées, en vue semble-t-il de faire concurrence à Air
Algérie, revient périodiquement comme un leitmotiv, depuis des années. En
attendant Air Algérie, Algérie Ferries et autres EPE, qui continuent de
naviguer à vue, avec parfois des manquements graves, de nature à soulever
maintes critiques de leur gestion et aux gestionnaires de subir des sanctions
de la hiérarchie... Cependant, on n'a pas apparemment tiré les enseignements de
la mauvaise gouvernance de l'entreprise algérienne, héritée du projet
?'socialiste'', des années 70 dont le modèle de gestion ne comportait à
l'origine : ni de business plan, produit par le candidat au management ; ni de
conseils de supervision ; ni de tableaux de bord, pour les prises de décision
de l'actionnariat de l'entreprise, confiées à des mandataires, responsables de
la création de valeurs, à partir d'objectifs financiers et physiques à atteindre...
De nombreuses entreprises algériennes sont gérées avec une dose d'Etat-patron à
la soviétique, un peu de cousinage à l'algérienne, un tantinet d'autoritarisme
bureaucratique, etc., où les intérêts particuliers se confondent avec ceux de
la collectivité nationale...
De la crédibilité d'Air Algérie et autres entreprises publiques Pour qu'il y ait concurrence, tel est l'argument avancé pour privatiser Air Algérie, une Cie nationale, placée en position de quasi-monopole local, ne faut-il pas d'abord s'interroger sur l'existence d'un marché réel (en dehors de celui induit par la manne pétrolière) et aussi des règles de concurrence claires et transparentes, entre secteur public et privé ? Même si des réponses efficientes à ces questions existent, sans être envisagées, il nous faudra admettre que nul n'est en mesure de se « frotter » à Air Algérie, dans un pays où le primat politique mine depuis les origines le volet économique, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une Cie de prestige, qualifiée autrefois de « vitrine de l'Algérie ». Air Algérie est décriée, certes, mais elle est toujours bien enracinée dans le système rentier qu'elle incarne à la perfection (gabegie, népotisme, piston à tous les échelons, etc.). On pensait à un moment qu'Air Algérie pouvait se faire hara-kiri avec sa propre sottise, entretenue par moments inconsciemment et souvent les yeux ouverts, par certains employés mal «rabotés», parmi lesquels des énergumènes osent lever la main sur des passagers en toute impunité... La toile grouille des frasques d'Air Algérie, jugée indigne de représenter le pavillon national, régulièrement écorné lors d'escales où son personnel s'offre en spectacle devant les regards hébétés de voyageurs des quatre coins du monde... Une comédienne, alias «Houria les yeux verts», réalise sur Youtube des sketchs caustiques, consacrés au vulgarisme du personnel commercial d'Air Algérie, faisant le buzz à chaque vidéo ; une dérision à vous tordre de rire, sur des sujets qui prêtent malheureusement à pleurer. Voilà une compagnie qui aurait dû, en situation de concurrence véritable et de règles transparentes de commercialité, disparaître il y a une quarantaine d'années déjà (et la Cnan et ses filiales depuis au moins 25 ans), n'étaient les opérations de sauvetage, appelées à tort «restructurations», régulièrement ordonnées, (environ tous les six à sept ans) par les gouvernements successifs, au nom du « prestige du pavillon national ». Entreprises publiques semblables à des éléphants blancs(1) Et au Trésor public de voler au secours d'entreprises, en état de faillite systémique, engendrée par une forme de congénitalité programmatique, dès lors qu'ici, grâce ou à cause de la manne pétro-gazière, la création d'activités obéit à des priorités politiques et sociales, prenant généralement le pas sur la rentabilité économique... Depuis les débuts des années 80, l'Etat algérien ne sait plus quoi faire de ces «éléphants blancs», reçus comme legs du «projet socialiste» des années 70, qui a tourné court. Alors, on s'emploie à changer les responsables et les dénominations d'entreprises (Société nationale, EPE, Holding, SGP, Fonds de participations et autres filialisations), pensant que de précaires replâtrages, soit autant de pansements sur des plaies purulentes, produiraient les miracles attendus, sans jamais se départir des restes éculés de l'économie administrée. Ainsi, le système remplace-t-il des ouailles du système par d'autres, sortis du même moule clanique, appelés à servir comme autant de fusibles destinés à sauter, avec cependant la certitude, pour le cadre dirigeant (et le ministre l'ayant copté), de ne rendre aucun compte managérial à la collectivité nationale et de partir libre de tout quitus (terme disparu de notre lexique) ! La «privatisation», que les gouvernants successifs ne désignent pas par son nom, lui préférant la formule soft d'«ouverture au secteur privé» est devenue un serpent de mer, se manifestant sous forme de promesses agréables à entendre, comme autant d'éléments de langage, mais dont l'aboutissement est continuellement différé. Les entreprises publiques, parmi lesquelles Air Algérie, la Cnan, etc., se caractérisent par un paradoxe absurde d'être quasi inutiles à la collectivité nationale, en tant qu'entreprise publique économique : supposée être pourvoyeuse de richesses et régulatrice de marchés, notamment en tirant les prix vers le bas, d'autant qu'il s'agit de marchés à transferts de devises dont bénéficient à parts égales des concurrents étrangers d'Air Algérie, suivant des règles de réciprocité. Cependant, ces « pachydermes » budgétivores servent quand même à quelque chose : Air Algérie et les autres sociétés de transport public, délivrent des billets à tarifs réduits ou gratuits à discrétion, à des catégories d'Algériens (personnalités du sérail et leurs familles, etc.); recrutent une pléthore d'employés (AH environ 10.000 aujourd'hui, dans le cadre d'une gestion de 56 avions desservant 75 destinations ; les besoins de gestion réelle n'excédent pas, même en faisant du social, 3.000 agents entre sédentaires et navigants; autrement dit des ratios d'un (1) employé utile vs trois (3) superflus. Problématique de la privatisation d'activités génératrices de devises La privatisation d'activités économiques, œuvrant à l'international, serait un non-sens si elle n'avait pas pour finalité de générer des devises à l'Etat, dès lors que les dépenses à l'étranger, pour les services à rendre aux différentes activités, se feront en grande partie en dinars convertibles. Parmi ces frais, notons l'achat d'aéronefs, de navires, etc.; le recours aux bourses étrangères de l'affrètement pour noliser des engins circulants, que ce soit la location au temps ou au voyage de navires, conteneurs, avions, etc.; outre l'avitaillement : carburants, produits d'entretiens courants et denrées de bouches pour les passagers... Ces activités de transport de passagers et de fret, à forte intensité de capitaux et d'investissements, ne peuvent générer suffisamment de devises pour équilibrer notre balance devise, tant que notre pays n'a pas, à titre d'exemple, réuni les conditions d'attractivité du tourisme (pour booster le transport aérien et maritime), en dépit du potentiel tant vanté de ce secteur aux ressources fabuleuses non exploitées. L'Algérie n'a pas non plus amorcé les flux d'exportation nécessaires, à travers des hubs de service et/ou de produits, comme ceci est la tendance générale dans le monde, et dont les pays de la péninsule arabique excellent en matière de services, y compris ceux dont on parle peu, comme la Jordanie. En effet, le royaume hachémite, autrefois désertique, se positionne aujourd'hui, comme hub de Google et autres GAFAM, pour rayonner sur le Machrek et l'Afrique de l'Est, dans la foulée de la création d'une hyper zone économique spéciale, partant du port d'Aqaba et reliant tout le pays, grâce à un chapelet de zones franches intégrées, représentant autant de chaînes valeurs internationales, destinées à se fondre dans les routes de la soie, initiée par la Chine... En Algérie, les flux de transports (aérien ou maritime) sont charriés majoritairement par le marché algérien par lui-même et pour lui-même, tant en termes de valeurs liées au fret que de la billetterie des passagers algériens, exprimés principalement en dinars non convertibles... Dans ces conditions, quel est l'intérêt de l'Etat algérien d'encourager la création de compagnies aériennes, maritimes privées, si elles ne sont pas en mesure de créer des marchés extérieurs générateurs de devises? Le risque est même certain de provoquer davantage de sorties de devises dans le vide (tels les tonneaux des Danaïdes), sans compensation par des chiffres d'affaires potentiels, en rapport au moins aux dépenses effectuées en monnaies étrangères. Voilà où réside l'explication du déséquilibre structurel de notre balance des paiements, depuis au moins un demi-siècle. Par principe, dans le cadre d'un «investissement» lourd, le principal indice de rentabilité économique est certainement le fameux ROI «Return of Investment» d'une société d'un pays donné, pour des activités déterminées. L'investissement véritable (à ne pas confondre avec la dépense en devises fortes pour l'achat d'aéronefs et de navires aux déficits prévisibles, pour récolter finalement des dinars non convertibles), suppose non seulement un retour du placement financier mais aussi la production de plus-values, sans quoi cet acte devient une dépense à la soviétique... Un héritage dont l'Algérie ne s'est pas encore départie, depuis l'économie dirigée, portée uniquement par les recettes pétro-gazières... Enrichissement par la réduction du train de vie des organismes publics A défaut de créer de la richesse par le truchement d'exportations régulières de biens et de services, évertuons-nous au moins à réduire les dépenses publiques en devises, notamment les rémunérations du personnel algérien employé à l'étranger, dans des activités sans intérêts économiques pour le pays. Il s'agit de centaines de millions d'euros/an, constitués des : salaires des personnels ; location de biens immobiliers et achat de mobiliers, moyens de locomotion; dotations de représentation et autres frais divers de gestion... A l'ère des réservations de places et d'éditions des billets électroniques, via un simple smartphone, avec quels arguments peut-on justifier encore l'existence d'agences et représentations d'Air Algérie, d'Algérie ferries, de Sonatrach, etc., dans nombre de villes françaises et ailleurs en Occident, alors qu'il existe des agences de voyages agréées, dont la vocation est de vendre des places, moyennant commissions, sur toutes les compagnies aériennes et maritimes ? Stratégies d'économie des transports et du commerce extérieur En matière d'échanges extérieurs, l'Algérie compte environ 40.000 importateurs (vs 400 «exportateurs» dont beaucoup d'occasionnels), représentant le taux d'importateurs le plus élevé au monde per capita ; a contrario le taux d'exportateurs est le plus faible de la planète... Il faudra inverser le rapport du mode de gestion des activités exportatrices hors hydrocarbures, avec des stratégies appropriées. Voir chez Algex ou à la bibliothèque nationale mon « Guide de l'exportateur et des auxiliaires du commerce extérieur », où est expliqué l'axiome économique suivant : ?'production nationale + importation = consommation + exportation'', équation contraire à la réalité prévalant aujourd'hui en Algérie, ainsi établie : ?'production nationale (limitée) + importation (parfois inappropriée) = consommation... Au plan transport, il me plaît de citer, quelques succès story d'armements (suisses, français, danois, chinois, etc.), servant aujourd'hui de cas d'école. S'agissant de la France, pays qu'on connaît le mieux, celui-ci comptait à la fin des années 90 une multitude d'armateurs privés de fret et une Cie publique (CGM). Depuis lors, le gouvernement français ouvrit résolument le capital de CGM, à des entrepreneurs privés, à leur tête le Franco-Libanais, Jacques Saadé, patron de CMA (Cie maritime d'affrètement). Dès lors, la France passera de la 33e position mondiale, occupée dans les années 90, à la 3e place en matière de trafics conteneurisés, au milieu des années 2000. De cette fusion est né le Groupe CMA/CGM qui absorbera d'autres petits armateurs publics et privés, menacés de faillites, pour faire face à la massification actuelle des transports, entre les mains de gros transporteurs associés dans la gestion de ces géants des mers, transportant des capacités de 20.000 conteneurs, avec des bénéfices de l'ordre de 75 millions d'euros/jour... Avec ces nouvelles annonces de privatisation des activités de transports (alors qu'il faut privatiser les compagnies publiques) le bâtiment Algérie ne craint-il pas les écueils que le pavillon français a su adroitement éviter? (Cf., mon interview accordée au quotidien El Watan économie du 07/10/2019. Le Quirat, comme solution et modèle de développement des entreprises Le Quirat (terme arabe, ayant donné en français, après la renaissance européenne, le mot quirataire) est une forme de prise de participation au capital social, de firmes à créer ou existantes, par exemple celui de la CNAN, Air Algérie, etc., dans le cadre d'un partage d'une part de propriété, par exemple dans un moyen de locomotion (navire, aéronef, etc.), ou de plusieurs en indivision ; lequel bâtiment ou service sera divisé en quirat, en fonction des parts d'actions achetées par chaque associé ou quirataire (souscripteur)... En matière d'ouverture d'activités en Algérie, l'Etat devrait, me semble-il, inciter Air Algérie, la Cnan, la Sntf, les ports, etc., dans le sens de l'ouverture, en toute transparence de leur capital social, à tout investisseur qui prendrait des parts dans le fonds de commerce de ces entreprises publiques, dans le cadre de partenariat (public-privé). En sorte que les managers ne seront plus comptables devant un ministre, mais devant l'assemblée des actionnaires (publics et/ou privés), où l'Etat disposerait au moins d'un tiers du portefeuille et par conséquent autant de voix, représentant la minorité de blocage. Cette forme de gestion, permettant à l'Etat d'être présent dans la sphère économique et sociale, aura pour effet de : (1) vendre les 2/3 du capital privé de l'Etat, constituant autant de richesses pour renflouer le Trésor public ; (2) annihiler le piston et ses corollaires le favoritisme, le clientélisme, le douarisme, etc. ; (3) remettre au goût du jour les règles de commercialité et de compétitivité ; (4) tendre à la réduction du gaspillage et déficit d'avions et de navires qui partent ou reviennent à vide ; (5) Le management ne reviendrait qu'à celui qui présenterait aux actionnaires un business plan satisfaisant ; en sorte que les entreprises moribondes ne soient plus secourues par le Fonds national d'investissement dans des dépenses à fonds perdus. Ceci dit, il n'est pas interdit aux privés de battre pavillon (aérien, maritime, etc.), dont le souscripteur finance son investissement, à ses risques et périls, sur : fonds propres ; levées de fonds sur le marché financier, notamment auprès de la Bourse d'Alger (organisme au chômage technique, faute de marchés encouragés par l'Etat), ou en faisant appel à son banquier, avec des garanties de l'Etat si le projet est jugé solvable et pérenne... 1- éléphant blanc : animal sacré en Inde, comme la vache, qui consomme sans rien produire. *Auteur essayiste, spécialiste dans les échanges internationaux, les transports et logistique; ancien consultant expert auprès d'organismes internationaux (Onu, UE, etc.). |
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