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Le pôle technologique de Sidi Abdellah: Quelles solutions pour sortir de l'enlisement annoncé ?

par Mohand Tahar Belaroussi*

(Partie 1)



Le Conseil des ministres a tenu une réunion périodique le 18 avril 2021, lors de laquelle il a approuvé la création de l'Ecole nationale supérieure des mathématiques et de l'Ecole nationale supérieure de l'intelligence artificielle, en vertu de deux décrets présidentiels, lesquelles seront réalisées au niveau du pôle technologique de Sidi Abdellah. Cette information, qui a été largement relayée par nos médias, confirme l'importance qu'accorde le gouvernement à la politique de développement du niveau d'apprentissage et de formation poussée dans le domaine des sciences pour atteindre l'économie de la connaissance. Cependant, cette question de pôle technologique, bien qu'elle ait été déjà illustrée depuis trente ans dans nos précédentes contributions, demeure pour ainsi dire à peine perceptible aux yeux du public et des politiciens [1-3]. Elle mérite donc un véritable effort de clarification de notre part en prenant appui des orientations énoncées dans le communiqué de la Présidence de la République. Et elle est d'autant plus justifiée que l'expression ??Préserver le caractère purement scientifique et technologique du pôle technologique de Sidi Abdellah.'' employée dans ce communiqué, serait à l'encontre du concept même de pôle technologique.

L'expérience internationale démontre que la création réussie des pôles de technologie dépend non pas seulement de la mise en place de moyens immobiliers, mais également de l'existence préalable de plusieurs facteurs essentiels de succès : la participation active de tous les acteurs concernés, la définition des modalités de gouvernance et de fonctionnement du pôle, les dispositions en matière de suivi et d'évaluation,la définition d'une vision commune ancrée dans les objectifs stratégiques du pays, la définition du modèle de financement ad hoc, la qualité de l'environnement architectural, le potentiel de connaissance, l'articulation entre la formation, la recherche et l'innovation, etc. Cependant, de manière synthétique et simple d'un problème aussi sérieux et complexe, nous pouvons nous interroger si ce projet de pôle de Sidi Abdellah,avec la création de ces deux écoles, répond-il à une conception et à une mise en œuvre d'un ensemble d'actions ciblées, complémentaires et articulées, à intégrer dans la politique du gouvernement en faveur de l'économie de la connaissance ?On peut dire sans risquer de se tromper que la réponse est non au regard des points sur lesquels le président de la République insistait et qui sont énoncés dans le communiqué susmentionné.

Sans prétendre à l'exhaustivité, il convient donc d'abord de définir et de clarifier brièvement le concept de technopole ou technopôle afin de permettre une meilleure appréhension de la question et de parvenir à une meilleure compréhension des facteurs qui favorisent un développement viable ou qui, au contraire, multiplient les risques récurrents de dysfonctionnement. Ensuite, nous donnerons un bref aperçu historique de la politique de création des pôles en Algérie suivi d'un état des lieux de la situation en particulier dans les domaines des technologies avancées (TA) et des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC).

Enfin,nous proposerons une série de recommandations qui pourraient s'avérer utiles pour répondre aux préoccupations énoncées dans le communiqué.

Les pôles technologiques : définition

La technopole ou le technopôle est une organisation composite fondée sur le principe d'une collaboration étroite entre les entreprises, les universités, les organismes de recherche, les acteurs de l'accompagnement (incubateurs, accélérateurs de startup) et les collectivités localesfavorisant la constitution d'un système homogène, cohérent et continu allant de la recherche fondamentale à la production de biens et services, basée sur des hautes technologies dans un espace attractif sur tous les plans. Elle tire son origine du modèle américain si l'on se réfère à la SiliconValley dans le sud de San Francisco, près de l'université de Stanford et à la Route 128 à Boston, considérées comme des pionniers en la matière.

Cependant, au fil du temps, compte tenu des changements technologiques et des évolutions du marché dans le secteur des hautes technologies, cette organisation a pris d'autres formes en fonction de l'importance et le type d'activité qui, à mon sens,nous pouvons la classer en trois grandes catégories :

-La technopole (du grec polis signifiant cité) est un espace urbain concentrant des activités de haute-technologie et d'innovation capables d'entraîner un développement régional, voire national. C'est le cas, par exemple, de la SiliconValley, de Sophia Antipolis en France, de Tsukuba Science City, situé au Nord-Est de Tokyo, qui a coûté plus de 5 milliards de dollars et où vingt mille chercheurs travaillent dans vingt-neuf institutions d'enseignement et de recherche nationales et semi-publiques réparties dans une bande de 20 km sur 10 km. Pour rappel, le Japon, reconnaissant humblement la faiblesse de sa capacité créative, a rasé un tiers de ses centres de recherche nationaux trop dispersés pour les reconstruire dans cette cité des cerveaux, destinées à être le fer de lance de la recherche fondamentale et de la haute technologie japonaise.

-Le technopôle (avec un accent circonflexe) est un espace dédié aux secteurs applicatifs des hautes technologies dans une agglomération qui réunit des activités qui ont en commun de recourir à des technologies innovantes sur des thématiques communes (génie génétique et biotechnologies, informatique et communication, sciences de la matière, etc.). L'exemple le plus représentatif est celui de Technopôle Metz 2000 rebaptisé Metz Technopôle, lequel se développe sur un espace global de 400 ha. Il concentre ses activités sur trois zones d'actions majeures : Un espace industriel réservé aux entreprises de pointe : communication, logiciel, informatique, bureautique, électronique, etc. ; Un campus qui accueille l'Université, 4 Grandes écoles et de nombreux Centres de recherche ; Un centre d'affaires avec le World Trade Center de Metz-Sarrebruck et un Centre International des Congrès. L'ensemble se trouve au sein d'espaces verts et boisés (bois de la Maccabé, golf, lac Symphonie). De plus, ce regroupement est complété par un nouveau technopôle de 60 ha à l'horizon 2032.

-Le pôle de compétitivité, moins circonscrit spatialement que les technopôles en Europe, notamment en France, est l'application du modèle nord-américain du cluster (ou grappe industrielle). Cependant, contrairement à un pôle de compétitivité en tant que tel, les institutions membres du cluster sont regroupées en un même lieu géographique. Il s'agit d'un mode d'organisation du système productif à l'initiative des entreprises avec éventuellement la participation des entités de recherche. Il repose sur la mise en réseau d'entreprisesconstitué majoritairement de PME et de TPE sur un territoire autour d'un domaine d'activité précis considéré comme porteur (aérospatiale, agro-industrie, génie-mécanique, énergie, services, économie de la mer, pharmacie, etc.) et escomptant une synergie créée par leur rapprochement avec des lieux de formation et des pépinières d'entreprises (voir startup). Cette catégorie de pôle répond à une politique : celle de renforcer la compétitivité régionale dans des secteurs pour lesquels une région dispose déjà d'un potentiel.

Elle vise à développer, dans des secteurs d'activités porteurs, une masse critique et un niveau d'excellence permettant de générer une dynamique de croissance nouvelle et un positionnement sur le plan international autour d'une vision partagée de son développement et d'une stratégie commune, à traduire dans un programme d'action concret. Depuis les années 2000, les efforts publics européens, en particulier,ont davantage porté sur ce type de pôle.

Genèse de la politique des pôles technologiques en Algérie

L'idée de développer un pôle technologi-que à Sidi Abdellah,avec une superficie aménagée de 7000 ha, est apparue en Algérie vers 1997 à l'initiative du Ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Environnement et du Tourisme. Elle est inscrite au rang de priorité nationale du gouvernement dans le cadre d'une nouvelle définition de la politique globale d'aménagement du territoire.

C'est ainsi que le projet de ville nouvelle de Sidi Abdellah s'est inscrit dans le contexte du Schéma National d'Aménagement du Territoire 2030 comme ville d'appui au développement d'un pôle urbain durable et attractif, mais aussi un tremplin capable d'impulser le développement des TA, des TIC et des biotechnologies. La nouvelle ville de Sidi Abdellah, selon l'information fournie dans les documents remis par l'EPA-ANSA, est divisée en 4 quartiers structurants organisés autour des 5 centralités : - Cyberparc, Centre africain des TIC et des TA (CATICTA) et production pharmaceutique ; - Pôle des TA et de l'ensemble Innoparc ? Technoparc(Institut de Gestion de Grands Projets, Centre de recherche en Astronomie, Institut National Spécialisé de la Formation Professionnelle dans les TIC) ; - Parc à thème et Pôle Santépermettant de mettre en place des synergies multiples entre habitat, santé et loisirs ; - Pôle universitaire, le Parc des Sports et le Pôle commercial.

Cependant, l'espace réservé au pôle d'Innoparc-Technoparc constitué d'instituts de recherche dans les domaines de l'agriculture et des énergies renouvelables a été dévié de sa vocation initiale pour réaliser les programmes de logement afin de réduire la congestion routière à Alger et de maîtriser l'expansion urbaine, qui constituent l'une des priorités des autorités. C'est dans ce contexte que s'inscrit la création de l'Agence Nationale de Promotion et de Développement des Parcs Technologiques (ANPT) en 2004.Celle-ci répond à la volonté politique du Gouvernement de diversifier le secteur industriel, en s'appuyant notamment sur la contribution des PMEet des Startup à une économie fondée sur la connaissance en tant que pourvoyeurs de croissance et d'emplois.

Les exemples donnés par nos voisins en la matière tels qu'El Ghazala de Tunis et Technopark de Casablanca ont encouragé nos autorités à suivre ce modèle. Le concept de technopôle représentait dès lors comme un moyen privilégié d'y parvenir par le fait de l'interaction et de la synergie escomptéesentre les différents acteurs producteurs et consommateurs de connaissance. C'est également dans ce contexte que la Cité des TIC dénommée Cyberparc, placée sous tutelle du Ministère de la poste et des télécommunications, fût lancée au sein du pôle technologique de Sidi Abdellah et censée développer des activités liées aux TIC comme moteurs de compétitivité et d'innovation.

L'autre projet est celui du pôle universitairedes sciences et technologies de 20 000 places pédagogiques, qui est conduit par le Ministère de l'Enseignement Supérieuret de la Recherche Scientifique, dont la réception est prévue en septembre 2021, et au bord duquel un grand pôle sportif est en cours de réalisation. Quant au projet CATICTA, il reste en suspens, son lancement était prévu en 2008 et sa réalisation rentrait dans le cadre d'un partenariat stratégique signé en 2006 entre l'Algérie et la Corée du Sud pour promouvoir la recherche et le développement dans le domaine des TIC et des TA.

Bref état des lieux du pôle technologique de Sidi Abdellah

Cependant, depuis près de deux décen-nies du lancement du pôle technologique de Sidi Abdellah, la question légitime que nous sommes en droit de poser est la suivante : qu'est-il advenu de ce projet de grande envergure conçu pour être un pôle d'excellence et d'attractivité ? Après une visite des lieux et les informations fournies dans les documents qui nous ont été remis, et au regard des thématiques redondantes et la confusion considérable des rôles et des responsabilités de chacun, de la dégradation de l'environnement et de l'absence d'un milieu des affaires favorisant l'épanouissement des entreprises souhaitant s'installer,en résumé, il ressort très clairement que la définition des zones d'activité du pôle technologique repose sur des considérations politiques sectoriels et des intérêts particuliers plutôt qu'à une organisation en un ensemble cohérent et à une véritable stratégie économique, concertée et coordonnée, bâtie autour d'un véritable programme d'action pour l'ensemble du territoire.La réalité sur le terrain reflète tout à fait cet état d'esprit qui ne peut qu'entraîner la frustration et le découragement de la part des acteurs potentiels.

Dans ce décor, la nouvelle ville de Sidi Abdellah présentée à l'époque par les autorités comme une Smart cityet une ville entièrement consacrée à la science et technologie, n'est, hélas, aujourd'hui qu'une immense cité-dortoir avec ses grands immeubles à perte de vue dans laquelle le pôle technologique semble noyé !Cet état de choses s'explique, selon les parties prenantes, par le fait du changement de la tutelle du Ministère de l'Aménagement du Territoire à celle du Ministère de l'habitat.

Décidément en Algérie, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1980, leurs tratégie relève bien plus de l'improvisation et de l'urgence que de la planification stratégique5. La création de deux écoles nationales supérieures des mathématiques et de l'intelligence artificielle mentionnées ci-dessus et la création, par ailleurs, de l'accélérateur des Startups ??Algeria Venture''basé au niveau du Parc des Grands Vents de Ouled Fayet (Dounia Parc) en constituent des exemples concrets.

(A suivre)

*Directeur de recherche

Références

1. Recherche et Développement en Algérie M.T. Belaroussi,El-Moudjahid, 11 décembre 1990

2. Agonie ou Renouveau du Système de Recherche et Développement en Algérie M.T. Belaroussi, El Watan, 25-28 février et 1 mars 1995

3.Le technopole de Sidi Abdellah et le système de R&D national: Idéal et Réalité El Watan 05-06 juillet 2005 M.T. Belaroussi,

4.L'expérience technopolitaine en Algérie, Méditerranée Linda Gardelle,Josselin Droff and Aziz Nafa

5. Place de la Science et de la Technologie dans un plan de développement véritable pour une économie nouvelle, Le Quotidien d'Oran, 9 septembre 2020