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La fièvre des urnes

par El Yazid Dib

Des milliers de candidats, des partis mis sous cloche, un électorat mi-confiant, mi-soupçonneux dessinent le visage de cette édition électorale. Libre ou partisan ; chaque candidat est à la mesure de son ambition. Démesurée ou légitime ; celle-ci n'échappe pas à la convulsion due à la fièvre des urnes. Diagnostic.

A voir la multiplicité et l'overdose des listes et les centaines de figures qui les poinçonnent, cette frénésie électorale devient trop ridicule et se trouve scellée d'une dérision implacable. Cette folle et démesurée ambition qui tient en harnais un homme ou une femme voulant, comme ça, d'emblée, directement, sans passage de classes devenir député de la nation, ce n'est que de la folie des urnes. C'est du gros sel en fait. Lui qui n'a de nom qu'un pseudo vulgaire dans les réseaux sociaux, qui ne connaît même pas le chemin ni l'adresse de son espéré siège. Il n'a non plus essayé pour la représentativité son douar, son quartier ou sa bourgade et le voilà qui veut se télécharger par une loi faite en pur populisme sur un poste qui, par décence ne lui revient pas de logique ou d'évidence. Il aurait été judicieux que ce procédé d'offre de candidature soit possible lors des élections locales. Genre d'examen de premier cycle et non pas de la crèche au postuniversitaire. La politique n'est pas seulement un vœu et un dossier à déposer. Un cheminement long, parfois ardu et continuellement éprouvant. Révolutionnaire en somme. C'est la décantation du temps, la friction aux autres, le toucher quotidien d'une réalité qui n'est qu'amertume. Se lancer dans l'air du temps, empocher 30 millions, se rendre utile à charge, n'avoir connu que ses cousins et voisins ne peut faire de vous ce dont à besoin le pays.

Si une partie de la population tient à soutenir l'un ou l'autre des milliers de candidats, l'autre partie entretient mordicus un doute septique que rien ne va changer. Oui des gens vont voter, c'est une certitude, l'autre certitude est que rien ne va changer. Tous les slogans de partis ou de ces listes en abondance disent prôner le changement. L'on ne pense pas qu'ils aient la faculté sincère de pouvoir saisir le vrai sens du changement, dans son acception de rupture et non de reconversion. Que peuvent-ils faire, ces futurs parlementaires pour qu'il y ait lieu ? Rien. Le changement serait pris pour une nouvelle tangente de leur mode de vie oui, un virage heureux, un visage radieux, des rencontres, du protocole, certains privilèges, la proximité de la décision, le flirt avec l'Etat .l'ouverture de l'aisance, de la mondanité, parfois du modernisme.

Dans leur grande majorité, ces candidats venus, d'un monde le plus souvent éloigné des arcanes politiques croient y trouver dans ces élections un examen de passage vers une vie meilleure pleine de cravates et de pistaches. Le plus chanceux d'entre eux n'aurait connu dans son p'tit cosmos ni chef de daïra ni wali. Ils n'en voyaient que des appartements ou des postes de travail. L'élection n'est en fait qu'une extension autrement réaménagée pour l'Anem ou l'Ansej. Prendre et partir se divertir. Si cet avis pouvait paraitre négatif ou visant à réduire les ambitions de ces candidats apprentis, il ne serait en toute évidence qu'un aiguillage allant dans le sens du mérite et de la compétence es-matière. Ce n'est pas la détention d'un master en tel truc ou d'un quelconque diplôme d'études universitaires que l'on prétend pouvoir tout et bien faire. Un député est par essence une entité politique. Alors sans cursus ni expérience dans le militantisme, l'imprégnation de l'esprit des luttes de classes, la rhétorique dans le discours, la capacité de mobilisation des masses, le sens de l'organisation et la méthodologie, le crédit cumulé des valeurs sociales, la force de persuasion l'on ne fera qu'un fonctionnaire d'un rang supérieur toutefois élu. C'est pour cette raison que ce recours massif aux listes dites indépendante va déteindre une couleur de stagiaire sur le tissu de la future assemblée nationale, qui en finalité vêtira l'habit d'une grande société civile. Ce sont ces listes qui discréditent le travail partisan. Les partis ont perdu toute attraction suite à l'immense facilité de concocter une liste sur les bancs d'un café ou sur le mur de Messenger. Alors qu'il fallait pour le bien du paysage politique de demain assainir et aérer la loi sur les partis considérés (partis) comme pépinières naturelles du personnel politique, afin de dessiner adroitement la configuration des acteurs de demain. Cette profusion exagérée de listes dites indépendantes va-t-elle provoquer la disparition des partis? Non. Les partis restent toujours la plantation nécessaire du décor extérieur d'un régime. Cependant, nous assistons là à une volonté délibérée de vouloir les fragiliser et partant réduire, pour certains leur hégémonie du fait de leur moulage dans les couches mêmes de l'Etat. Ils étaient plus qu'appareils de levage et de tremplin. Des cylindrées aérodynamiques dans l'escamotage de l'opinion publique et la conscience nationale. Abreuvés tous de la source historique, par le discours, ils se sont érigés en faiseurs de personnalités incontournables. Heureusement qu'ils sont de la sorte mis, par la voie des listes indépendantes devant le pilori ou du changement ou de la décrépitude. Ainsi dans le subconscient citoyen, juste le fait de s'apparenter et se mettre sous la bannière de ces partis constitue déjà une déclaration de soupçon de fraude, de rapine et fausseté. Impossible donc à ces partis de récupérer la moindre once de crédibilité. Personne ne croit en leur légitimité. Même leurs propres adhérents ont mis sous cloche leur sigle pour aller se coller à toute autre liste non partisane. Un président d'assemblée élu sous un parti et en cours de mandat est repéré sur une liste indépendante. Est-ce là un retournement de veste juste pour l'occasion ou bien en cas de non élection comme député rejoindra t-il sa présidence ? Auquel cas, il n'a en face que la démission. C'est dire que La volte-face est un caractère d'humain, que la pirouette une seconde nature. Mayna ya khouya !

La convoitise des élections n'a pas cessé d'accoucher des fantasmes à tous les niveaux. La galanterie et l'apparence de civilisation qu'offre le ticket de l'estafette électorale a troublé les fêtes et détourner les têtes. Dans un p'tit village des hauts plateaux, les candidats sont de loin visibles. La cravate ici et en ces jours est un badge de candidature. L'ambition est matériellement affichée. Dans un autre, tout le monde pense pouvoir incarner le personnage du maire, du député ou du sénateur. Les élections sont ainsi à percevoir telle une voie apparemment plus aisée que celle qu'empruntent les grands commis de l'Etat. Lorsque l'on est dépourvu des attributs pouvant permettre de se coller ou d'être dans le sérail des seigneurs intellectuels mais malheureux, l'on se rabat sans scrupule, vers la voie de la cooptation et du parrainage, s'estimant de la sorte être des seigneurs tous heureux. Finalement, comme la nature, la démocratie ne peut avoir uniquement des vertus. Elle peut aussi, sinon elle produit également des excrétions. En fait le suffrage n'est qu'une étape. Et non un test.

Cette campagne n'a commencé que deux ou trois jours après son lancement. Ici dans ce bourg rendu pseudo-cosmopolite par l'effet visionnel d'arrivistes de toute part ; la vie du jour n'a plus la tête dans les listes. Non accrochées, de peur d'être cisaillées, ces affiches que crève un visage patibulaire au regard voulu bon enfant, n'ont pu éveiller le moindre clic chez les spectateurs, tous railleurs et riants. Dans les boulevards, les quelques colonnes en métal servant à l'affichage électoral ; restent debout et impassibles devant les commentaires des uns et la diatribe des autres. Beaucoup de gens, comme moi continuent à incarner le profil idéal de l'électeur indécis qui ne cherche qu'à être convaincu. La ville et ses murs sont moins salis que lors de la dernière élection. L'on n'aperçoit pas la sauvagerie dans le collage d'affiches. Celles-ci sont ordinaires et avec moins de luxe que ne l'étaient les précédentes. La pauvreté dans le sponsor se voit au grand jour. Le noir et blanc a remplacé les banners en couleur dimension grandeur nature. Seules quelques photos de candidats en mal de réclame gravitent autour des frontons de permanences indigentes. Les jeunes qui y assurent « la permanence » ne sont guère branchés. Il n'y a pas dans une seule permanence visitée, une personne qui aurait le sens de la conviction avec programme et argumentation en bout, face à des badauds, des curieux en quête de dissiper définitivement leur imprécision. Cependant certains fidèles à parenté ou amitié totalement apolitiques convaincus sont là en « permanence » sans être portés au vote. Il n'y aurait, en dehors de ces liens familiaux certifiés, qu'une clique de passeurs de temps et peu enthousiasmés. Un candidat n'aurait pas besoin d'un trio de « zernadjia », trottoir pris pour scène et enquiquinant carrément dans leur indifférence les passants et les flâneurs. La traque des voix, suppose-t-on est ailleurs que dans l'ennui tapageur que provoquent de telles situations dignes d'une kermesse, d'un souk ou tout simplement d'un désordre...voulu comme çà.

Cette campagne aurait également confirmé la naissance d'une nouvelle caste de professionnels éphémères. Les petits bailleurs de locaux. Ceux-ci (locaux) se cèdent au plus offrant. Sans engagement, ni idéologie, se sont les seuls (bailleurs) qui ont compris le fonctionnement des bas étages du système hors des règles budgétaires de l'Etat. La démocratie naît dans des conditions propres ou bien, elle risque la contamination virale des mauvaises mœurs politiques. Mais la chose qui ne peut, aisément s'admettre c'est qu'il est aussi fait état de nouveaux adeptes, scribes, merveilleux politiciens et qui ne savent, harnachement au cou ,œillère en bandeau qu'applaudir leur favori et insulter l'autre. Heureusement pour l'élite, les praticiens patentés de la politique et le pays que ces «occasionnels» candidats ne sont là qu'épisodiques que le temps que dure une campagne. Ils réintégreront leur dénuement spirituel et leur infortune habituelle. La politique peut parfois revêtir le caractère intrinsèque d'un véritable métier. Dans la politique subsistent deux acteurs essentiels : les producteurs et les consommateurs. Que chacun produit selon ses capacités Que chacun consomme selon ses besoins. Ces élections n'auront pas en finalité à changer le mode de vie des algériens. L'habitude électoraliste ne les tient plus en haleine. Exception faite cependant pour ceux qui continuent à en faire une fonction voire un métier. Etre candidat, pour certains, s'assimile à une requête de poste. Pour d'autre ce n'est qu'un challenge personnel, un vice quinquennal. Une certaine expression d'avantages et de privilèges. Malgré les remous, les dissidences, les scandales, les mises sous contrôle judiciaire...certains s'acharnent non seulement à se faire reporter sur des listes, à retenter leurs chances, ou à récidiver leur mauvaise expérience mais encore anticipent à crier leur succès et promettent (encore) de tenir leurs promesses. Pour les nouveaux candidats partis en campagne, notamment ceux intrus, repêchés du dernier quart d'heure, ils veulent exceller dans la description de l'état des lieux. L'un d'eux, voulant se faire voir ne manque aucune occasion pour décrier la gestion nationale précédente. Oubliant du coup que son lui aussi était partie prenante dans celle-ci. Donc co-gestionnaire et coresponsable.

Le ton d'une campagne s'est mal accompagné au seul son de la diversion qui mine les cellules organiques des partis en mal d'adhésion populaire. Trop de partis tue les partis, pour paraphraser l'impôt. Idem pour les listes dites indépendantes. Peu de partis réduit la démocratie. Les gens ne semblent pas avoir trop d'entrain pour aller voter. La faute n'est pas celle de l'Etat. Elle relève des partis et de la loi qui les régit et régit aussi le régime électoral.

Les candidats, toutes listes confondues auront à eux seuls le mérite d'obtenir ou des gains de voix ou c'est à la disgrâce de les poursuivre. En fait d'élections, un phénomène est en phase d'installation dans nos mœurs politiques qui fait dire à chaque électeur qu'il n'est pas obligé de voter parti mais aura la possibilité de jeter son choix sur des personnes. Sa voix ira, quelque soit la bannière politique, vers le candidat le mieux estimé, le moins connu (dans les affiches électorales) et le plus apte par expérience et formation à s'acquitter parfaitement des taches qui lui incomberont à l'avenir. Ainsi les ténors, les éternels, les caciques et les carriéristes ne feront pas perdre le parti jadis héros et toujours vainqueur. Juste, continueront-ils à l'encrasser, le barbouiller. Ils auraient perdu la face en forçant la main aux commissions de classement, d'entériner leurs prétentions malencontreuses. La perte de voix et l'érosion du capital-confiance qu'avait pu engranger quelque part l'élan législatif, resteront de la responsabilité du candidat. S'il perd il doit périr. Car en pareilles circonstances, le parti est largement dépassé sinon dévoré par ses propres condisciples. C'est pour cette raison que les nouveaux ne feront pas long feu. La braise est trop ardente pour ne pas attiser ce feu dévorant. Les caciques du FLN et du RND se sont par mirage réintroduits dans des listes à part. Ils estiment ainsi éviter d'être flagellés par l'antipathie et le rejet que subissent ces partis tout en oubliant que ce sont eux qui ont provoqué la colère du peuple, ce sont eux qui outragé la probable sainteté, ce sont eux qui ont fait vomir tout électeur. Malgré ca, ils persistent avec jabot à venir s'afficher sous une autre étiquette. La bassesse, la vilenie font d'eux les plus vils «personnages» de leur cité. Avoir une opinion, la défendre et accepter l'autre opinion dans toute sa contrariété n'est pas chose aisée. Ceci n'est pas l'apanage des campagnards. Il est un trait de civilité et de tolérance. Un honneur pour ses afficheurs. C?est ainsi que cette campagne aurait démontré toute la difficulté de pouvoir être un démocrate, un bon démocrate. La campagne se termine tel un labour en une saison précoce dont les semailles ne seront qu'une récolte précaire.

Le code électoral, y a pas de gros changements dans le socle fondamental de l'acte d'éligibilité ou celui d'élire. Dans l'ancien en termes d'âge, on apportait des têtes de liste sans nul parcours politique et qui venaient ainsi inaugurer leurs premiers pas de militantisme à plus de 60 ans. L'on puisait des retraités de la fonction publique, des oligarques, des chevronnés dans l'habitude des candidatures, et on a vu ce que cela à produit. Des rentiers, des bouffe-tout, des faux dévots. Il y a aussi cet ancrage d'un système d'identification professionnelle en usage jusqu'à présent dans les joutes électorales. C'est dire chef d'entreprise économique pour un façonnier de parpaing et de buse, directeur d'établissement pour un moniteur d'auto-école, journaliste, écrivain pour un assidu facebookeur. Alors que l'autre arnaque est de ne pas dévoiler précisément le métier ou la fonction du candidat, pour se contenter de dire titulaire d'une licence en x ou y alors que l'intéressé est soit en chômage, exerce un commerce à la sauvette, agent de sécurité ou autre job dont l'on ne veut qu'il se sache. C'est vrai qu'il y a énormément de docteurs, d'ingénieurs d'architectes, d'enseignants supérieurs, mais sur le plan politique c'est du néant. Nada. Pour les retraités, lés « politiciens « on s'enorgueillie a s'identifier sous ancien président ou membre d'une assemblée populaire, ancien cadre de l'état alors qu'on a quitté cet État juste à la limite de chef de service ou chef de daïra pas plus. C'est dire l'imposture des mentions et des qualifications. Rien n'est à l'endroit, tout est de travers. L'esbroufe, la nudité les tiennent tous en haleine de mal sainteté.

Il est malheureux de constater cette inquiétante méfiance qui emplit l'expression citoyenne face à toute élection. La confiance en ces urnes O ! Combien de fois violées n'arrive plus à se faire recouvrer malgré la bonne intention de la loi. Qui en est responsable ? D'abord le pouvoir qui sans cesse ne cherchait qu'obédience aveugle en enjolivant de toute abjection sa façade la faisant faire passer impérativement pour un gage de démocratie. Ensuite ces courtisans, la pire espèce de l'opportunisme spécifique qui ont eu à jouer hypocritement le rôle de béquilles au régime. Ces députés désignés préalablement à l'acte électoral, n'avaient de soucis qu'agrandir la petitesse de leur personne et améliorer par l'à-plat-ventrisme la médiocrité de leur aura. Il est donc difficile de recomposer cette confiance perdue par ceux-là même qui osent encore se représenter.

L'on espère donc, puisque ces élections sont décidées, les milliers de candidats à cheval ; qu'il y aura non seulement du nouveau c'est sur, mais de la nouveauté dans l'approche, dans le traitement des affaires publiques et que l'on ne vienne pas pour apprendre le comment être député ni passer sa période d'essai ou prendre du goût contagieux pour un autre mandat. Il faut être tout chaud au four.