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Hors norme

par Brahim Chahed

« Quand tout semble aller contre vous, souvenez-vous que l'avion décolle contre le vent pas avec lui. » Henry FORD. (1863 ? 1947. Père du fordisme).

Je ne peux m'empêcher de me demander qu'aurait été le monde sans AlbertENSTEIN, sans la deux fois nobélisée Marie CURIE. Qu'aurait étéla vie sans Thomas EDISON, sans Graham BELL.

Je ne peux m'empêcher de me demander qu'aurait été le football sans Eric CONTONA, sans Paul BREITNER et sans le maitre à jouer Diego Armando MARADONA.Je ne peux m'empêcher de medemander qu'auraitété le cinéma sans le plusieurs fois oscarisé, l'anobli par la reine d'Angleterre, Sir Anthony HOPKINS. Qu'aurait été le symbolisme, ou même l'expressionnisme sans Vincent VON GOGH.

Enfin, je ne peux m'empêcher de me demander qu'auraient été nos vies sans Bill GATES, sans Mark ZUKERBERG. Un acteur, un peintre, deux hommes d'affaires, trois sportifs et quatre scientifiques. Que peuvent-ils partager pour honorer cette chronique ?

Tous sont ce qu'on peut appeler idiosyncrasiques. Tous sont exceptionnels. Chacun d'eux a marqué son époque et sa discipline en cultivant sa différence, en ne ressemblant à personne. Ce sont des anticonformistes.

Si les uns se prétendent étendards de l'insoumission, d'autres se croient chantres de la rupture et d'autres encore se réclament maitres de la subversion. Ces nantis, aujourd'hui, le temps de cette chronique,ont fait de la transgression leur marque de fabrique, de la résilience leur moteur, du risque leur allié et de l'avènement du neuf leur seule raison de vivre.

Evoluant dans des univers codés, sous influence du groupe, soumis au diktat de la norme, l'individu est dépouillé de son libre arbitre. Dans le cadre d'un conformisme applaudi en chœur, on assiste à la sacralisation de la pensée de la majorité sans gage de vérité, sansmise à épreuve, sans test et sans critique. Ainsi l'individu, à la recherched'approbation de la masse,est déresponsabilisé, est dépersonnalisé et est invité, ou pire, contraint, à approuver ou carrémentà couvrir des actes légalementrépréhensibles et moralementincompréhensibles. Les expériences de Milgram, d'Asch ou de Moore ont bien révélé, ont aussi confirmé, les dangers d'une trop grande soumission à l'autorité, d'une trop grande recherche de l'approbation du groupe. Le mimétismeest une arme massive et fatale d'intégration : toujours comme, jamaisdépasser, être au diapason, ressemblant à, et la domestication est une stratégiegagnante de survie.

Nos personnages se sont différenciés, ont su faire de leur distance avec les normes, leur distance avec la moyenne, une force. Nos personnages ont identifié des besoins, des talents et d'autresfaçons de faire avant les autres et ont su,en rupture avec l'existant, proposer de nouvelles méthodes, remettre en question des fonctionnementsinadéquats devenus inopérants.

Nos personnages, bien que parfois critiquables pour leur marginalité, ont refusé le suivisme comme culture, en exerçant pleinement, courageusement, leur esprit critique, des fois maladroitement, mais tout le temps avec la même sincérité, la même lucidité et le même engouement, comme si c'était la première fois à chaque fois. Ils se sont gardés de ce qui est fait juste par habitude, de ce qui est fait par les autres, par la majorité. Ils se sontforgé leur propre opinion en toute libertéloin de toute influence.

Le but de l'influence sociale en fait, n'est pas l'uniformisation sous le poids de la majorité, qui s'apparenterait à un contrôle, à une domination, mais la modification des rapports au sein d'un groupe par l'utilisation de toutes ses ressources y compris minoritaires. L'influence minoritaire dénoteraitainsi, non la soumission mais l'innovation. L'influence minoritaire ne se centre pas sur la dépendance au nombre, elle se reconnait à la nouveauté et réussie à la faire advenir par la persistance à vouloir questionner les acquis et défier le consensus apparent.

Contrer l'attitude négative à sanctionner l'écart, à diaboliser la différence, à chasser la moindre sortie de route est unlong combat entremisonéisme et misantéisme, cette haine de l'ancien, ce refus du nouveau, entre massification et individualisation, entre pensée unique et libre arbitre, entre opinion du tout et opinion propre à une partie. A chaque fois que l'individu, qu'une minorité, s'est sentie menacée dans sa liberté, dans son expression ou, contrainte par le poids de la majorité, elledéploie une sorte de mécanisme, appelé réactance en psychologie, tendant àrestaurer cette liberté.

Si la sélection naturelle semble favoriser le fonctionnement de la majorité, le conformisme, afin de maintenir, globalement, l'harmonie du groupe, elle demeure attentive aux individus hors normes, aux minorités plus disposées à maitriser des situations inhabituelles, plus enclines à l'innovation.

La diversité des personnalités qui se côtoient en milieu professionnel, en entrepriseparticulièrement, où la compétition est plus marquée, met en opposition ceux qui se conforment sans efforts, à ceux qui ne peuvent s'affirmer qu'hors cadre, en dehors des sentiers battus. Ceux-là savent que ce n'est qu'en empruntant des chemins différents qu'on arrive à voir autre chose, différentes choses. Ceux-là posent des regards différents pour proposer des solutions différentes et se protègent de reproduire les mêmes erreurs.

Les entreprises elles-mêmes ont changé de logiciel dans un environnement volatil, de plus en plus incertain, de plus en plus risqué et complexe, et ne veulent plus recruter des gentils dociles, des neutres adaptables qui, par unprocessus d'acculturation, sont clonés pour servir et faire exactement ce qu'on leur demande sans se poser de question.

Les entreprises veulent des esprits neufs, originaux, créatifs et exceptionnels. Elles imaginent même des modes de fonctionnement visant l'intégration et la protection de personnalités hors normes, capables de contradiction, de réfutation et de reconsidération : les atypiques constructifs.

Ainsi des dirigeants, eux-mêmes anticonformistes, ont, en rupture totale avec les modes de fonctionnementclassiques et éprouvés, imaginésles espacescollaboratifs, le travailà distance, les bureaux partagés. Ont proposés les congés illimités, la dé-hiérarchisation et les relations horizontales, pour permettre à ces atypiques de produire l'excellence, de faire le choix de l'excellence.

Que vous soyez travailleurs, étudiants, chercheurs ou, mieux, citoyens, souvenez-vous, nous avons toujours le choix pour bannir la banalité de notre existence, pour chasser la médiocrité de nos vies. Nous avons tout le temps le choix. Les plus lucides, les plus sincères d'entre nous, vous diront qu'ils sont devenus ce qu'ils ont choisi àdifférentsmoments de leur vie et ce qu'ils ont fait devait les conduire exactementlàoù ils sont, pas autrement, ni ailleurs. Nous ne pouvons pas nous autoriser à confondre réalité et représentation. Nous ne pouvons pas nous permettre de confondre un homme avec l'image d'un homme. Nous ne pouvons pas nous dédouaner en acceptant d'être ce qu'on n'est pas, en choisissant d'être juste dans la moyenne.