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Un écosystème pour l'expansion de l'economie fondée sur la connaissance

par Tedjini Hadj-Slimane*

La connaissance, c'est partager le savoir qui nous fait grandir. Olivier Lockert

La «guerre mondiale», l'actuelle, est celle générée par la Covid 19, un ennemi invisible. Elle a surpris le monde et a révélé de nombreuses carences structurelles dans de très nombreux pays; elle a aussi remis en question les schémas actuels de l'économie mondialisée. Universelle, silencieuse, elle est plus bouleversante que les précédentes, parce que ses victimes, toutes désarmées, appartiennent à toutes les catégories de la société. Dans leur démarche défensive de survie, et offensive, les nations ont utilisé la seule arme validée, la «connaissance» au sens large du mot. Tous les prochains conflits, mondiaux ou régionaux, la croissance, le développement des nations, et la création de richesses de haute valeur ajoutée, feront appel au moteur des sociétés futures, la «connaissance»

L'épreuve de la pandémie de la Covid 19, a de nouveau révélé la fragilité de notre économie trop dépendante des aléas extérieurs et des recettes des hydrocarbures. Le développement d'une économie performante de «l'après pétrole» devient impérative face à la modification de la géographie économique mondiale. L'Algérie est à la croisée des chemins, sur les plans économique, sociétal et géopolitique. Aussi, un projet économique fiable et viable, ne laissant pas de place à l'improvisation, est une nécessité.

Pour être valide, un projet économique doit amener de la croissance, du développement et de la modernité. Pour être valide, un projet économique doit également aboutir à la sécurité sanitaire, la sécurité alimentaire et à la sécurité énergétique et technologique.

Ainsi, pour contribuer à la dynamique nationale et nous insérer sur l'échiquier économique mondial, l'option pour une économie de rupture, une économie fondée sur la connaissance (EFC), est incontournable.

Ce modèle économique, ayant déjà les faveurs du Président de la République, devient plein de promesses. La première expression de cette orientation économique, a été concrétisée par la configuration de l'équipe gouvernementale à travers la mise en place d'une instance exécutive dédiée à un type d'entreprises innovantes, les start-up. Cependant les objectifs des sécurités sanitaire, alimentaire énergétique et technologique ne peuvent être atteints sans la mise en place d'un écosystème spécifique, évolutif, générateur permanent d'entreprises innovantes.

Cette contribution sur l'EFC en Algérie, est le résumé, d'observations et de recherches étalées sur plus de 10 ans. Elle est exposée ci-après, dans ses grandes lignes, en évoquant en particulier ses fondements, ses missions, ses moyens, ses outils, ses défis, et les puissants arguments de sa faisabilité S'agissant de ses fondements, l'objectif est d'organiser dans un cadre adéquat d'expression, la valorisation du «Savoir», capital inépuisable. Ainsi, l'EFC répondra à l'attente de la communauté scientifique, par la mise en place de passerelles, actuellement totalement inexistantes, entre les universitaires, les chercheurs, les structures économiques et les Fonds d'Investissements.

Du point de vue de ses missions, l'EFC deviendra le levier d'émergence vers un développement durable et rationnel de haute valeur ajoutée. Sa mise en chantier permettra :

? la valorisation de nos ressources par la connaissance scientifique, l'ascension du niveau de compétitivité des entreprises actuelles et la genèse de nouvelles autres. Tous les secteurs de services et de productions traditionnels pourront et devront en bénéficier : agriculture, pêche, santé, T.I.C, industrie manufacturière et tourisme, ....

? l'ancrage de notre économie au processus de mondialisation

? la création d'un important capital de valeurs marchandes intangibles, immatérielles, utilisable dans notre pays et exportable (brevets, licences ...).

Se pose alors la question suivante : avons-nous un modèle de projet pour édifier cette économie de rupture. La réponse est précisément l'objet de cette contribution.

La première expression officielle de cette orientation économique a été concrétisée à travers la mise en place d'une Instance exécutive dédiée à un type d'entreprises innovantes, les start-ups. Cependant l'ossature, l'édifice, autour duquel l'émergence de ces entreprises doit graviter, en un mot l'écosystème, reste à construire. Cette option nécessite de la rigueur sans failles et une vision spatio-temporelle dynamique, tant ses considérables objectifs socio-économiques impliquent l'avenir de la nation.

Cette contribution expose un modèle structurel, pour édifier un écosystème économico-sociétal de rupture. C'est ce que nous avons dénommé, «RIVAL» (acronyme de Recherche, Innovation, VALorisation). L'environnement national des entreprises innovantes (Start Up) est actuellement peu performant. Certes, celles-ci répondent à de nombreux besoins, en particulier en mettant en place des modèles de plateformes; celles-ci déjà explorées dans de nombreux pays, sont pour leur majorité, non ou très peu exportables.

L'expression économique de ces startups est une réponse horizontale aux besoins. Horizontale, parce que n'ayant pas les capacités de servir de support à l'émergence d'une gerbe d'autres entreprises innovantes. La capacité génératrice d'entreprises innovantes originales, diversifiées et performantes ne peut se concrétiser qu'autour d'un environnement structuré de recherche innovante nationale. Ainsi les objectifs stratégiques ne peuvent être atteints sans la mise en place d'un écosystème, évolutif, générateur permanent d'entreprises innovantes. Le modèle d'écosystème «RIVAL» se propose de répondre à ce besoin structurel essentiel, destiné à insuffler une dynamique verticale à la genèse d'entreprises innovantes.

Cet écosystème, reposera sur la mise en place de 3 pôles de «recherches innovantes» de très haut niveau dédiés exclusivement à la valorisation scientifique. Il sera un générateur permanent d'entreprises innovantes de très forte valeur ajoutée.

Ces pôles, seront le centre de gravité de «knowledge clusters», dont l'objectif final est la valorisation des fruits de la «recherche innovante». Ces pôles sont appelés à réunir et fédérer sur leur site, un ensemble de structures dédiées, dans un environnement relationnel, destinées à rapprocher et fertiliser recherche scientifique et opérateurs économiques. Ils développeront aussi, autour d'eux, une dynamique relationnelle avec les pouvoirs publics et les fonds d'investissements.

Les Entreprises Innovantes bénéficieront de cet écosystème pour mieux émerger, et maturer vers des valorisations économico-financières plus importantes, exportables. Par cette dynamique environnementale, les ?'Start-up'' pourront évoluer par exemple en «Scale-Up» voire en «Licornes»'.

Le modèle ''RIVAL'' se décline en une série de moyens à mettre en œuvre, sur les plans organisationnel, de la réalisation et institutionnel.

Au plan organisationnel, il s'agira de la mise en place de 3 pôles, un Biopôle, un Technopôle et un Agropôle, dédiés à la valorisation scientifique et technologique. Ils permettront la création intensive de produits et services innovants et leur valorisation, et favoriseront le développement et la genèse à grande échelle d'entreprises innovantes : Start Up, Spin-off, Spin-out....

Ainsi, le Biopôle serait une réalisation nouvelle, dédiée particulièrement mais non exclusivement aux biotechnologies. Il mettra en place l'environnement nécessaire pour la maturation et l'émergence d'entreprises innovantes, et contribuera ainsi à la promotion de la SECURITE SANITAIRE

Le Technopôle existe déjà. Il s'agit du technopôle de Sidi Abdallah. Mais celui-ci est trop confiné aux T.I.C. Il faudra nécessairement en élargir le spectre de centres d'intérêt pour embrasser la valorisation de notre patrimoine minier, notamment les «terres rares», et étendre l'éventail des activités à d'autres domaines où les Algériens résidents et expatriés excellent comme la physique du solide, les nanotechnologies, la robotique, le spatial et les énergies renouvelables (l'hydrogène en particulier), l'industrie connectée 4.0, ... . Le développement de l'Intelligence Artificielle et l'informatique quantique, sont également des axes et des enjeux essentiels qui convergeront à moyen terme vers la promotion de la SECURITE ENERGETIQUE et TECHONOLGIQUE.

L'Agropole sera une création similaire au modèle du biopôle, avec 3 thématiques prioritaires mais non exclusives qui permettraient de consolider notre SECURITE ALIMENTAIRE. Il s'agit de l'agriculture saharienne, des hauts plateaux et du développement de plantes peu hydrovores, dans un contexte de changements climatiques et de raréfaction des ressources en eau. Il s'agira également du développement de technologies de l'économie de l'eau dans l'agriculture, dans le souci de préservation de cette ressource stratégique. D'autre part la valorisation des ressources existantes à travers la préservation et le développement du patrimoine génétique agricole et animal, ainsi que la promotion des ressources spécifiques (dattes, plantes aromatiques, etc.) seront des préoccupations prioritaires.

L'architecture de chaque «Pôle» repose sur deux grandes composantes : une partie «Aval» et une partie ?'Amont''. La partie ?'Aval'' englobe les incubateurs, les pépinières et les zones d'implantation dédiées ; ils sont financés, animés, orientés et alimentés par les résultats de recherches innovantes de très haut niveau, générés par les structures «Amont» des pôles composées d'une Fondation, d'un Institut et d'une Agence Nationale de Valorisation.

Dans ce qui suit, sont esquissées les principales missions des différentes structures d'un pôle.

La «FONDATION» sera l'interface morale et financière du pôle ; elle participera à l'orientation des thèmes de recherche et au financement de toutes les autres structures. «L'INSTITUT», structure animée par des chercheurs de très haut niveau, définira quant à lui et animera thèmes de recherche et disposera de plateaux techniques de pointe. «L'AGENCE NATIONALE DE VALORISATION» aura pour mission la labellisation des projets, la promotion de nouveaux projets, la sensibilisation et la mobilisation des universitaires et chercheurs.

Dans ce dispositif, les «Incubateurs» auront pour rôle l'émergence, l'hébergement et l'assistance personnalisée des futures entreprises innovantes ainsi que la prise en charge et l'accompagnement de leur projet, du 1er jour au 1er tour de financement. Les «Pépinières d'entreprises» auront la charge de la maturation et l'expansion des entreprises. En fin de parcours, les projets opérationnels seront implantés dans des zones dédiées.

En termes de «Moyens de réalisation», le Biopôle qui sera une création nouvelle, pourra mettre en place ses lots de premières unités matures et opérationnelles de très haute valeur ajoutée, dans un délai maximal de 2 ans.

Pour le Technopôle de Sidi Abdallah, l'amélioration de son rendement est un objectif. Ainsi il deviendra plus compétitif et plus opérationnel dans le domaine des TIC. Il génèrera des unités matures et opérationnelles de très haute valeur ajoutée et élargira l'éventail de la valorisation à d'autres activités telles que cités plus haut. Un délai d'une année est nécessaire à cette mission. Tandis que pour l'Agropole, le modèle structurel et le processus de mise en place sont similaires à ceux du Biopôle ainsi qu'un timing opérationnel similaire.

Abordons maintenant la question des Moyens Institutionnels et de Gouvernance nécessaires pour compléter le schéma organisationnel et fonctionnel du modèle «RIVAL».

Pour une célérité, une efficacité et une flexibilité vitales à des projets d'une telle envergure, la mise en place de deux structures institutionnelles, collaborant en «binôme», permettra d'atteindre rapidement les objectifs assignés. La première structure sera une institution ne relevant pas de l'Exécutif. Elle aura pour mission essentielle de mettre en place et manager les 3 pôles, dont l'objectif est de favoriser la genèse et l'émergence d'entreprises innovantes (E.I), et les implanter une fois matures, dans un espace spécifique qui leur est dédié.

La seconde serait une institution de l'exécutif, dont la mission sera d'accompagner ces entreprises valorisées, implantées et opérationnelles, vers une expansion tout en les préservant des lourdeurs structurelles et administratives.

En résumé, la première institution de ce binôme, aura pour mission la genèse et l'émergence des E.I, non encore actives économiquement, la deuxième ne s'occupera que de celles, matures, en exploitation dans les zones dédiées.

Les Outils nécessaires à la mise en œuvre du modèle «RIVAL» seront les entreprises innovantes (E.I.), avec leur cluster multidisciplinaire d'accompagnement. Ces E.I, sont l'expression entrepreneuriale d'une innovation identifiée pour un ou des besoins exprimés. Ces entreprises innovantes, seront des Start-Ups, Spin-off, Spin-out ....Ces entreprises impacteront positivement les performances des activités traditionnelles et développeront leurs propres objectifs à très forte valeur ajoutée.

Lors de leur création, les capacités des entreprises innovantes sont insuffisantes pour affronter la jungle économique. Les incubateurs les hébergeront pour leur émergence, les pépinières pour leur maturation, et les zones d'implantation dédiés, pour leur mise en exploitation et expansion. La mise en place au niveau des incubateurs et pépinières, d'un cluster multidisciplinaire d'accompagnement, technique, financier, juridique, managérial, ... est incontournable pour leur fécondation et à leur métamorphose.

Le modèle ?' RIVAL'' a identifié un certain nombre de défis à relever ; ils sont à sa portée si les conditions idoines sont réunies.

Le premier défi est STRUCTUREL ; il concerne la mise en place de pôles de recherches innovantes et de valorisation scientifique, compétitifs, de niveau très élevé sur le plan international.

Le second défi est HUMAIN par la mobilisation, la motivation et la fixation de nos scientifiques résidents (brain drain), par la participation active, même dématérialisée de nos scientifiques expatriés (reverse brain drain) et par la participation en Investissements Directs (ID) de nos cadres expatriés (brain gain).

Le troisième défi est ECONOMIQUE. Il concerne la création d'un important capital immatériel et intangible par la conquête à moyen terme d'une petite partie des grands marchés mondiaux. Rappelons par exemple, que le marché mondial des biotechnologies est évalué à 2.300 Mds USD (milliards USD), dont près de la moitié est dédié à la sous-traitance et que le marché mondial de l'univers R&D de l'Industrie 4.0, (industrie connectée) et des technologies propres est estimé à 1.800 Mds USD. Ces chiffres sont appelés à augmenter régulièrement.

Le quatrième défi est STRATEGIQUE ; il vise à consolider nos sécurités stratégiques, à savoir alimentaire, sanitaire, technologique et énergétique, et à donner les moyens de positionner l'Algérie parmi les puissances émergentes.

Enfin, le cinquième défi est SCIENTIFIQUE ; il ambitionne de donner de la visibilité à nos scientifiques, et de valoriser leurs nombreux travaux.

Le dernier point abordé ici concerne la FAISABILITE d'un tel projet. Pour les motifs exposés ci-dessous, nous estimons que le modèle «RIVAL» est réaliste et réalisable.

Il l'est par l'importance des ressources humaines nationales disponibles : en effet, l'Algérie compte plus d'une centaine de structures d'enseignement supérieur*(chiffres DGRSDT 2018), accueillant près de 2.000.000 d'étudiants en 2019 et ayant produit à ce jour plus de 3.000.000 diplômés. *

L'Algérie compte également près de 54.000 chercheurs permanents et enseignants chercheurs, au sein de 1.440 Laboratoires et dont le volume des publications internationales est passé de 524 publications en 2000 à 6.544 en 2016, soit une progression de 1.125% ! Le nombre de brevets déposés en 2018 est de 257. En termes de ratio, l'Algérie compte 492 chercheurs par million d'habitants.*

Le modèle «RIVAL» est également réaliste et réalisable par l'importance des ressources humaines expatriées disponibles. Nombreux sont ceux parmi notre diaspora, qui souhaitent collaborer sur un projet identifié, en présentiel et/ou par la dématérialisation des tâches, effaçant ainsi les contraintes spatio-temporelles. Rappelons que l'Algérie compte plus de 500.000 cadres, managers, expatriés, dont 50.000 chercheurs œuvrant dans les universités et centres de recherche mondiaux, et 10.000 décideurs d'envergure internationale et que près de 3.000 brevets déposés en 2018 l'ont été de fait de chercheurs nationaux expatriés.** Il l'est enfin par l'importance des ressources capitalistiques susceptibles d'être mobilisables par les hauts cadres expatriés et qui sont estimées à 50 milliards USD. En résumé, nombreux parmi eux souhaitent investir, dans leur pays d'origine, leur triptyque : capital expérience, capital financier, et capital réseau.

*Docteur

SOURCES :

* chiffres DGRSDT 2018

** chiffres 2019/10/21/ Fateh OUAZZANI Président du Reage, VS/ S.HACHEMI- émission radiophonique ?'Alger Chaine 3''

https://www.algerie-eco.com/2019/10/21/diaspora-600-000-cadres-algeriens-etranger/

Annexe : glossaire :

RECHERCHE

Ensemble des travaux de création entrepris de façon systématique en vue d'accroître la somme des connaissances pour de nouvelles applications.

RECHERCHE FONDAMENTALE

Concourir à l'analyse des propriétés des structures de phénomènes physiques et naturels en vue d'organiser des théories interprétatives, sans application immédiate.

RECHERCHE APPLIQUEE

Discerner les applications possibles d'une recherche fondamentale, Trouver des solutions nouvelles permettant d'atteindre un objectif déterminé à l'avance. Le résultat consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode.

INNOVATION

Ensemble des démarches scientifiques, technologiques, organisationnelles, financières et commerciales qui aboutissent à des produits ou des procédés technologiquement nouveaux ou améliorés

Innovant, qui apporte une solution créative, plus efficience que les précédentes, à un problème partagé par un grand nombre d'individus, d'entreprises ou de collectivités.

VALORISATION

Traduction des connaissances en nouveaux produits, procédés et services exploitables et commercialisables.