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La planification est la solution

par Arezki Derguini

L'autonomie dans les conditions actuelles de la division internationale du travail que l'on caractérise désormais par une tendance à la régionalisation des chaînes de valeur mondiales avec la rivalité systémique sino-américaine est tout le contraire de l'indépendance, elle est dépendance et autonomie dans l'interdépendance d'un ensemble plus grand. Il faudra parler de systèmes d'interdépendances relativement autonomes quand on pourra distinguer des ensembles disjoints. Comme on ne peut dépendre de tous de manière sensible, on appartient toujours à un système d'interdépendances limité. Une communauté est relativement autonome si elle relève d'un système particulier d'interdépendances qui améliore sa position dans le système général d'interdépendances de l'économie mondiale. Son autonomie signifie une relative indétermination dans le système d'interdépendances et donc la capacité de s'y mouvoir de son propre chef. Ce qu'exprime l'image de remontée de filière, de progression dans les chaînes de valeur mondiales[1]. Une telle progression ne peut être le résultat que d'une stratégie de long terme qui ne peut pas être confiée au marché ou à la finance, mais à une planification.

Le modèle de Singapour aurait pu être pertinent pour une « île » comme l'Algérie afin de sortir de sa position subalterne de productrice de matières premières dans les chaînes de valeur mondiales si l'industrie occidentale avait souhaité lui faire une place dans ses chaînes de valeur comme elle le fit pour les sociétés est-asiatiques. Elle aurait pu progresser dans les chaînes de valeur mondiales en se défiant d'une trop forte dépendance envers la Russie, l'Europe et la Chine en transformant ses matières premières. Mais comme le soutient Pierre-Noël Giraud, à moins que les pays riches n'ouvrent véritablement et préférentiellement leurs frontières aux pays africains, il faudra attendre que les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Turquie etc.) qui se bousculent aujourd'hui à la « porte étroite du développement », se disputent les marchés des pays riches, développent leurs propres chaînes de valeur et aient besoin par l'augmentation de leurs coûts de faire de la place à l'Afrique. L'industrialisation de l'Afrique viendra à son tour, poursuit Pierre-Noël Giraud, à condition toutefois que l'Afrique « parvienne à construire et à stabiliser des appareils d'État soucieux du développement de leur territoire, capables de maîtriser les conflits qui fragmentent les sociétés et de trouver la voie hors des trappes où ils sont enfermés. »[2]

La propension que l'on peut constater chez les pays riches ne consiste pas à faire de la place aux Africains dans les chaînes de valeur qu'ils contrôlent d'un bout à l'autre (de la conception jusqu'à la vente), à intégrer préférentiellement l'Afrique dans leurs chaînes de production, mais plutôt à exploiter leurs divisions et à réduire leur pouvoir de négociation. En fermant leurs chaînes de valeur mondiales aux sociétés africaines, ils poussent davantage à l'effondrement de leurs États et aux guerres civiles. La France soutient le Maroc dans l'affaire du Sahara occidental et l'Espagne « soutient » sans en avoir l'air le camp opposé. Le Maroc concède ainsi à la France sans que celle-ci ait besoin de lui retourner. L'Espagne lui épargne un tel coût. L'Espagne qui reçoit en représailles les migrants marocains ne les laissera pas filer pour autant vers la France. L'intervention française en Afrique vise moins à soutenir des États défaillants qu'à entraîner la puissance militaire à laquelle elle ne veut pas renoncer[3]. L'Afrique devra donc attendre que s'ouvre « une porte non occidentale du développement ». Encore faut-il que ses sociétés puissent attendre, fassent preuve de résilience et que ses entreprises puissent développer une stratégie conséquente.

Pour construire et stabiliser un État soucieux du développement de ses territoires qui puisse progresser dans les chaînes de valeur mondiales occidentales et non occidentales, en se méfiant d'une trop forte détermination par son système d'interdépendances, l'Algérie doit pouvoir se fier à sa compétition sociale et à ses compétences : à ses compétences pour produire une stratégie à long terme, à la compétition sociale pour réaliser les objectifs d'une telle stratégie. En d'autres termes, il faut rétablir le rapport de l'État et de la société avec la planification, ce par quoi passera la confiance de la société dans ses compétences[4].

Ce ne sont pas les élections qui vont « charger » les élus de la confiance sociale, ce sont les capacités de ces élus à réaliser les aspirations de la société. La question n'est donc pas idéologique, elle est pratique, car ce sera sur les résultats d'une telle planification que portera le jugement de la société. Il ne faut donc pas opposer élite (al-khâssat) et société (al-3âmmat) autrement que comme ce qui précède et ce qui suit. Ce qui précède et ce qui suit n'obéissant à aucune loi en particulier, si ce n'est celle de l'innovation, de l'ijtihâd. Et la planification ne s'oppose pas au marché, comme ce qui procède d'un centre ou de plusieurs, elle le complète, le coordonne dans la durée. Ils sont l'œuvre de mêmes acteurs soutenus par le travail indirect de la recherche et de la réflexion. La conception doit être dans l'exécution et l'exécution dans la conception, ils sont les moments ou phases d'une même pratique de transformation. Le marché et la finance sont court-termistes. Et la planification ne s'oppose pas non plus à la compétition sociale, elle la structure et la porte d'un objectif à un autre, d'une coopération à une autre. En prenant part à la définition des objectifs de la planification, la compétition des agents réalise des objectifs légitimes. Les objectifs de la planification doivent objectiver les désirs de la société. La planification sociale qui peut alors être dite démocratique mêle et accorde compétition et planification. S'insérer dans les chaînes de valeur mondiales n'a rien à voir avec la simple compétition marchande de producteurs individuels, elle ne peut être que le résultat de stratégies collectives.

On n'imagine pas suffisamment la portée d'un « retour » à la planification. On hésite à parler de planification aujourd'hui, car l'on sait qu'il est difficile d'en parler comme avant. Au lieu de chasser le terme du lexique, il faut le charger d'un nouveau sens. L'on ne peut plus imaginer la planification autoritaire, mais celle d' « autorités » multiples. La formule des différents « capitalismes » que peut connaître la planète peut se résumer dans la manière que chaque société a de planifier ses actions. Pensez à la codétermination allemande par exemple ou à la planification du parti communiste chinois. La planification dont il est question ici sera plus nettement sociale qu'elle n'apparaît dans les sociétés occidentales ou extrême-orientales où elle est confiée à de grands corps, administrations ou entreprises. Elle engagerait un nouveau rapport des compétences sociales et de la société, travail et formation ne seraient plus dissociés, la formation théorique importée d'une division étrangère du travail, pour rendre sa place à l'innovation sociale et technique. Ne serait compétence que ce qui serait en mesure d'engager une innovation, un ijtihâd, procèderait d'une performance sociale et opèrerait une différenciation sociale appropriée.

Il faut relever l'impact d'une telle planification démocratique sur ce qu'elle implique comme mise au travail, sur l'emploi qualifié et la politique de formation et d'innovation. Planifier consisterait à mettre en débat la société sur ses désirs, ses préférences, ses activités et ses capacités de réalisations. Ce serait libérer la société et son économie de son corsetage actuel et rendre à ses interactions tout le potentiel de ses ressources locales et expatriées. Quel est le brillant expatrié qui ne répondrait pas à l'appel de sa région, de son village et de sa famille ?

Dans une politique de la formation, la société se donnerait les ressources pour la formation des compétences nécessaires à la transformation à laquelle elle aspire. Elle pourrait se donner des raisons précises pour arbitrer ses choix de consommation collective et privée, ses choix d'investissement, de consommation présente et future. Pour ce faire, elle doit retrouver une certaine unité avec ses conditions d'existence, que la colonisation et l'État postcolonial ont contribué à séparer. Elle doit redevenir « propriétaire » de ses conditions de reproduction matérielles au travers de ses différentes formes de propriété pour retrouver prise sur sa production et sa consommation. Le « retour à la planification » rétablirait l'unité de la population avec ses conditions d'existence qu'elle pourrait alors transformer selon ses objectifs de progression dans les chaînes de production mondiales. Par unité de la population avec ses conditions d'existence, il faut entendre une identité relative de sa production et de sa consommation au travers des chaînes de production mondiales et de manière sommaire, un équilibre de sa production et de sa consommation, de ses désirs et de ses réalisations. Aussi la planification ne présente-t-elle pas de difficultés du point de vue de la société, elle fait partie de ses « propensions naturelles » qui ont été combattues par les États colonial et postcolonial et qui ont rompu l'identité de sa production et de sa consommation. Le désir de la société est de faire corps avec ses réalisations, elle combat et défait ce que la violence lui a imposé, parfois contre ses propres intérêts.

La démocratie, le pouvoir du peuple, aujourd'hui n'a pas de sens en dehors de cette planification sociale qui restitue à la société une prise sur son devenir. Je préfère parler de planification sociale plutôt que de planification démocratique pour ne pas préjuger de la manière dont la société fera corps avec ses conditions d'existence, pour ne pas projeter d'institutions « démocratiques » sur l'appropriation qu'effectuera la société sur ses conditions d'existence. La démocratie occidentale confie la société au marché et la planification aux grandes entreprises et administrations. Elle stratifie la société en salariés, producteurs et capitalistes. Les grandes entreprises et les institutions financières par le marché et le marketing se chargent de diriger les producteurs et les consommateurs en les soumettant à une compétition qu'elles règlent. La démocratie pacifie la compétition sociale par ce qu'elle accorde de manière pacifique les désirs sociaux sur les moyens de leur réalisation. Quand les grandes entreprises et organisations financières ne sont pas au diapason des désirs sociaux, qu'elles n'accordent plus les désirs sociaux avec les moyens de leur réalisation, elles doivent recourir à l'autoritarisme pour exclure d'autorité une partie de la population de la compétition sociale.

Pour retrouver la proximité des compétences et de la société, pour produire des compétences sociales confirmées, pour mettre en œuvre une planification dont la société serait partie prenante, l'État doit redescendre au niveau de la région où subsiste et peut renaître un esprit de corps, où la société peut retrouver un « désir chevillé au corps », un désir d'innover. Il doit décentraliser sa gestion, non pas en multipliant les corps administratifs, mais en permettant aux populations de s'organiser, d'améliorer leur capacité d'action (empowerment).

Le Nord doit cesser de coloniser le Sud. Il faut redonner aux populations du Sud la possibilité d'avoir prise sur leur condition au lieu de les ensauvager. Car le Nord ensauvage le Sud, en lui refusant les conditions de transformer sa vie en vie décente. On ne peut pas embrayer sur les conditions léguées par la colonisation. Les acquis des populations du Nord qui font la différence ne doivent pas être considérés comme naturels. Les populations du Nord ont trop tendance à ignorer l'humiliation qu'elles font subir aux populations du Sud en leur refusant les moyens de les rattraper.

On peut dire aujourd'hui que deux modèles de gestion de la société s'affrontent. Un premier modèle qui confie la gestion de la société (donc le politique) à l'hégémonie du capital financier. Celui-ci met en concurrence les grandes entreprises qui à leur tour mettent en concurrence les territoires. Un second modèle qui refuse l'hégémonie du capital financier et confie la gestion de la société à de grandes organisations (codétermination allemande, parti communiste chinois, partis uniques de tout genre, grandes entreprises familiales japonaises ou coréennes). L'opposition des différents types de modèles se base sur la différenciation du capital politique et militaire, à la suite de la différenciation du capital militaire en capital culturel et économique, le capital politique réalisant l'unité de la société sous la tutelle de l'une ou de l'autre forme de capital. Ce qu'il importe de voir, c'est que le capital politique n'est pas une forme première du capital, il dérive des autres formes du capital, car entretenu par elles. Ensuite, le succès du modèle dépend de la capacité de la forme de capital hégémonique à faire l'unité de la société, à intégrer les autres formes de capital dans la compétition internationale. Ce qui importe, c'est moins le fait que cela soit telle ou telle fraction du capital qui réalise l'unité du capital dans son ensemble, que la capacité et la manière d'une telle fraction à réaliser l'unité des différentes formes. L'histoire de chaque société produira sa formule, l'ordre qu'il convient à la différenciation de son capital et au développement de ses différentes formes, qu'elle éprouvera dans la compétition internationale. Brièvement dit, le succès social, qui affecte et détermine le capital politique, dépend de la coopération des différentes formes du capital, capital militaire, capital économique et culturel sous la direction de l'une de ses formes. Le capital politique ne transcende pas les autres formes de capital, l'équilibre entre les différentes formes de capital, la place qu'accorde la société à chaque forme de capital, produit l'autonomie du politique.

Je soutiens depuis longtemps à partir de P. Bourdieu que le capital est « l'arme » de la compétition, l'accumulation des différentes formes de capital n'est pas indépendante. Il n'est donc pas étonnant que ce soit le capital militaire qui se retrouve au cœur des autres formes du capital et que l'on retrouve dans les sociétés dominantes le capital militaire dans la généalogie du capital. À la base du progrès économique et technique occidental et extrême-oriental, c'est le capital militaire qui « s'est armé » d'un capital culturel et économique. Par ailleurs la compétition sociale, économique ou culturelle (idéologique ou religieuse), est prompte à retrouver son noyau dur quand les circonstances l'exigent, à se transformer en guerre, en compétition militaire. Les compétitions militaire, économique ou culturelle ne sont que les aspects que la compétition prend dans des circonstances particulières. Et n'allez pas ériger la paix indépendamment de la guerre. Au cœur de la compétition, il y a la compétition de la guerre et de la paix, au sein de la paix, il y a la compétition de l'économie et de la culture. Pour faire respecter la paix, il faut être en mesure de partir en guerre. Guerre et paix ne sont que des moments de la compétition sociale, à la manière du Yin et du Yang du Taijitu taoïste, la guerre contient la paix et la paix contient la guerre.

Il faut faire ici une place à la question de la légitimité sur laquelle s'arrêtent beaucoup trop d'analyses sociopolitiques. La question de la légitimité a été maltraitée par la sociologie politique, si l'on excepte Juan Linz[5]. Je disais plus haut que ce ne sont pas les élections qui « chargent » les élus de la confiance sociale, mais leurs réalisations. La légitimité a toujours été une légitimité d'exercice. La légitimité démocratique ou la légitimité dite historique, ne sont rien d'autre que des façons différentes de nommer la légitimité d'exercice. C'est l'exercice du pouvoir qui légitime ou délégitime et non pas la procédure qui prétend contrôler l'accès à son exercice. À commencer par le charisme où « élection » et « pouvoir » ne sont pas deux temps ou termes séparés : c'est le pouvoir qui élit. La légitimité électorale que l'on confond abusivement avec la légitimité démocratique est aujourd'hui à nouveau contestée par les insuccès des démocraties occidentales et le succès de la Chine. La légitimité démocratique est la légitimité que confère la société à l'exercice du pouvoir et de l'autorité. Est légitime ce qui satisfait aux désirs de la société. Il y a abus de langage lorsque l'on considère qu'un élu est légitime parce qu'il a été consacré par des élections formellement libres. Les élections ou la désignation sont les procédures par lesquelles on accède à l'exercice de pouvoirs, elles ne résument pas l'exercice du pouvoir ni n'enferment sa légitimité. C'est la confiance sociale produite par l'exercice du pouvoir qui mesure sa légitimité. Est légitime un pouvoir investi de la confiance sociale. Il faut donc rapporter la légitimité à la pratique du pouvoir et pas simplement à la procédure censée charger de la confiance. La société ne veut pas d'élections, ne veut pas de représentants, parce qu'elle considère que les dés du jeu sont pipés. Elle ne veut pas d'une compétition électorale qui tourne la compétition contre elle.

Est donc légitime ce qui satisfait aux désirs, à la confiance de la société. Mais la société réalise-t-elle toujours ses désirs ? Est-elle toujours en accord avec elle-même ? Ses désirs et ses réalisations peuvent ne pas s'accorder quand entre eux s'immisce ce qui peut les empêcher faire corps. Comment venir à bout de leurs écarts ? Un enfant ne peut pas réaliser ses désirs, ses désirs ne se réaliseront pas si on lui prête de faux désirs, des désirs qui n'émanent pas de ses réussites. Quand on « prête » de « faux désirs » à l'enfant ou à la société, les résultats ne sont pas au rendez-vous des attentes. Un « faux désir » est un affect qui finit par nous rendre tristes au lieu de nous rendre joyeux, un désir qui finit par nous échapper au lieu de se raffermir, par nous épuiser au lieu de nous rendre plus forts. Quand on prête de faux désirs à la société, quand on l'empêche de confronter ses ressources et ses réalisations, de faire corps avec ses désirs, on épuise son énergie. La société doit pouvoir mettre en regard ses désirs, ses ressources et ses capacités de réalisation de sorte que ses désirs puissent se réaliser, sa capacité d'agir augmenter. Les faux désirs décervèlent la société, ils lui font perdre ses marques, et finissent par la livrer à des exactions.

La planification sociale qui est régionale d'abord, est ce qui permet à la société d'ajuster ses ressources, ses manques et ses réalisations. Elle est ce qui permet de redonner à la production et à la consommation une unité que la différenciation sociale a tendance à séparer. La planification régionale ou territoriale est ce qui permet à la société de faire corps avec ses ressources et ses désirs, de faire corps avec les ressources et les désirs d'autres territoires ou de faire face à leur compétition. Une société qui ne fait pas corps avec ses ressources et ses désirs est une société dépossédée de son énergie, une société désarmée.

La planification sociale au départ régionale, est seule capable de faire croire à la société qu'austérité est réduction de son pouvoir d'achat présent, mais pas futur, parce qu'il accroit son pouvoir social, est récupération de ses « marques », restauration des conditions préalables à une progression assurée. Une démocratie sans planification sociale, en favorisant le court terme sur le long terme, ne peut être que contreproductive. L'État jacobin postcolonial a creusé l'écart entre les désirs et les réalisations de la société. Il a monopolisé la capacité d'agir qu'il a étouffée au lieu de la libérer. Il a libéré les désirs de consommation en se réservant sans les accroître les capacités de réalisation. La région doit rétablir l'unité des ressources, des désirs et des réalisations de sa population. Il n'y a pas d'unité sociale, d'accord des ressources, des désirs et des réalisations, qui puissent se concevoir qui ne soit pas d'abord régionale. Pourquoi nos élites occidentalisées continuent-elles d'être subjuguées par l'État jacobin ?

L'opposition est obnubilée par la question démocratique. Se voit-elle au-delà des problèmes que rencontre aujourd'hui la classe politique tunisienne ? Le consensus apparait comme irréalisable avec les clivages idéologiques qui structurent la classe politique. Elle ne voit pas non plus que la question démocratique n'est plus ce qu'elle était. Elle n'est plus une affaire de démocratie politique, mais de démocratie économique, d'institutions économiques inclusives. Il ne s'agit plus de diviser la société en propriétaires et non-propriétaires pour rendre possible l'accumulation. La démocratie ne peut plus se soutenir d'une classe ouvrière et de ses organisations pour faire l'unité de la production et de la consommation (keynésianisme). Nous sommes toujours en retard d'une guerre depuis l'indépendance. Nous n'avons pas été à la hauteur de l'autogestion avec notre conception de l'État jacobin. Nous avons confié les ressources à ceux qui ne pouvaient pas les valoriser par crainte d'une différenciation de classes héritée de la colonisation. Nous sommes allés chercher une autre différenciation de classes que la société n'arrive pas à digérer parce qu'elle apparaît inefficace. C'est la planification qui est la solution, la planification et la mobilisation sociales que la région rend possibles. Tout le monde peut être égal dans la région, les croyances ne sont plus des à priori, mais le point de départ de réalisations qui les justifieront en retour. Le capital symbolique accumulé n'est pas voué à se concentrer mais à être diffusé, ni à être transformé en capital matériel pour s'accroître dans les mains d'une classe.

Notes :

[1] Mention particulière aux travaux de notre brillant compatriote El Mouhoub Mouhoud sur la question des chaînes de valeur mondiales dont « Les nouvelles logiques de décomposition internationale des processus productifs », Philippe Moati, El Mouhoub Mouhoud. Revue d'économie politique 2005/5 (Vol. 115), p. 573-589 et Mondialisation et délocalisation des entreprises, La Découverte, coll. Repères, 2006.

[2] Pierre-Noël Giraud. La mondialisation : émergences et fragmentations. Chapitre VI. Stagnation, fragmentation, défis et espoirs en Afrique. Sciences Humaines Éditions, 2012.

[3] « L'engagement militaire et diplomatique en Afrique justifie encore le siège de la France comme membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. ... Le Sahel est un laboratoire grandeur nature pour nos armées ... » Pascal Airault Antoine Glaser. Le piège africain de Macron. Du continent à l'Hexagone. 2. La logique militaire imposée au Sahel. Fayard. 2021.

[4] Le terme de compétences est préférable à celui d'élites.

[5] Darviche Mohammad-Saïd, « Sortir de l'État-nation : Juan Linz avec et au-delà de Max Weber », Revue internationale de politique comparée, 1/2006 (Vol. 13), p. 115-127.