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Comme beaucoup de
choses, la presse ne dépend pas que d'elle-même et interagit avec beaucoup
d'autres qu'elle. On peut dire que ce sont ses interdépendances qui la
définissent : «dis-moi de qui tu dépends, je te dirai qui tu es». Quand nous
parlons d'«indépendance» du quatrième pouvoir, c'est en vérité de l'autonomie
de la société vis-à-vis des pouvoirs qualifiés qu'il est question : la société
est-elle en mesure de se rendre compte de ce qu'elle fait, d'être informée de
ce que font ses différents pouvoirs ?
On oublie trop souvent que la division du pouvoir a pour fonction première non pas de limiter le pouvoir, mais de le multiplier. Elle spécialise ses pouvoirs pour accroitre son efficacité. Il suffit de rapporter la division du pouvoir à la division du travail pour que Montesquieu ne fasse pas oublier Adam Smith. Le développement de ses pouvoirs passe par la spécialisation et l'équilibre dynamique de ses parties. Autrement dit que le développement d'un pouvoir ne fasse pas régresser l'ensemble du pouvoir de la société. La presse est indépendante, signifierait alors qu'elle est en mesure de s'opposer à l'une des parties différenciées de la société qui porterait atteinte au pouvoir d'ensemble de la société. Elle ne signifie pas qu'elle est indépendante des autres pouvoirs, mais qu'elle entre en opposition avec l'un d'entre eux pour s'allier ou compléter un autre. Les différents pouvoirs d'une société sont interdépendants et dans leur dynamique de développement ils se différencient, se restreignent ou s'élargissent. Son autonomie à l'égard des différentes parties spécialisées du pouvoir tient donc dans un équilibre précaire. Elle ne manquera pas à un moment ou à un autre de pencher en faveur d'une partie ou d'une autre, de participer à la contrainte de l'un ou à l'appui de l'autre. Aussi peut-on dire que son autonomie tient d'abord dans l'équilibre d'ensemble des pouvoirs plus que dans sa position vis-à-vis de chacun des pouvoirs. Aussi être indépendante à un certain moment, signifiera pencher pour telle partie et non pour telle autre, car c'est une telle propension qui permettra à une différenciation efficiente de progresser et d'établir un nouvel équilibre de l'ensemble des pouvoirs. Il ne s'agit donc pas pour elle de tenir une égale distance avec tous les pouvoirs, mais de tenir la bonne distance qui permet à chaque pouvoir d'accomplir sa mission convenablement : accroitre le pouvoir d'ensemble de la société. Diviser le pouvoir pour le multiplier La division du pouvoir a donc pour fonction première non pas de limiter le pouvoir, mais de le multiplier. Il est très important de se rappeler ce principe dans notre contexte particulier. Lorsque Montesquieu parle de limiter le pouvoir, il s'agit du pouvoir du monarque et non pas de limiter le pouvoir en général qu'il s'agit au contraire de faire progresser. Limiter donc le pouvoir particulier qui limite « la » liberté et le développement du pouvoir en général. Quand le monarque limite le pouvoir des princes, il libère le pouvoir des villes. Quand le parlement anglais limite le pouvoir du roi, il libère les territoires. Diviser le pouvoir, comme le laisse sous-entendre l'opération oublieuse de la multiplication qu'elle doit impliquer, conduit à la réduction du pouvoir. Quand on appelle à la division du pouvoir, il faut donc impérativement se demander, s'il s'agit de diviser pour multiplier ou diviser pour réduire. Dans le cadre de la transformation marchande de la société, la limitation du pouvoir du Léviathan a été une condition d'une différenciation plus poussée du pouvoir, de l'émergence et du développement du pouvoir marchand. Pour que se développe le pouvoir de la société, il a besoin de se différencier, de se diviser. La biologie ici fournit la meilleure métaphore. Et si l'on veut diviser pour multiplier, il faut se rappeler qu'une telle opération doit procéder d'une différenciation du pouvoir lui-même et donc qu'elle ne puisse pas être dissociée d'une opération de multiplication. C'est la différenciation de la société qui doit commander à la division du pouvoir et non pas l'inverse. Dans le cas de l'Algérie, l'indépendance dont il est souvent question est celle vis-à-vis du pouvoir politico-militaire. On oublie alors qu'en tant que différenciation du pouvoir elle doit être au service du pouvoir en général ... qui ne peut être servi qu'au travers de ses pouvoirs particuliers. C'est en servant une dynamique de différenciation équilibrée des pouvoirs (militaire, politique et économique), du bon accomplissement de la mission de chacun, que l'information rend service à la société. Il faut admettre dans notre cas que la différenciation sociale a eu du mal à se mettre sur les rails, bref, qu'elle a eu du mal à accoucher d'une société civile. Il faut cependant se rappeler qu'on ne fabrique pas une société civile comme on fabrique une chaussure et que cela excède souvent les capacités intrinsèques d'une société. La nécessité et l'air du temps ont leur mot à dire. Nous avons eu deux sociétés civiles pendant la période coloniale, une de fabrication locale à l'horizon fortement limitée par le colonialisme et une autre qui en avait été émancipée. C'est avec cette dernière que les aspirations sociales ont fait jonction avec les aspirations internationales pour transformer le cours mondial. Nous aurons aussi la société civile qui libèrera la société de l'emprise néocoloniale. Je pense qu'elle commence à prendre forme et que la société est en mesure de poursuivre désormais sa différenciation. Il importe cependant d'être attentif afin de distinguer les différenciations qui s'accompagnent de multiplication des pouvoirs et des capacités de celles qui conduisent dans des impasses. Ainsi une « presse indépendante » ou une « justice indépendante » ne doivent pas conduire à une réduction du pouvoir militaire, mais à sa progression. Le développement de la bourgeoisie et la révolution industrielle ont permis au pouvoir militaire de porter au loin ses conquêtes. Les pouvoirs s'appuient les uns sur les autres pour se développer Opposer pouvoir militaire et pouvoir civil avant de voir leur complémentarité a été une erreur que nous avons commise dès l'indépendance et de part et d'autre. Le pouvoir militaire a opposé son ordre au désordre de la société. Il ne s'est pas rendu compte de l'ordre qu'il tendait alors à établir : un nouvel ordre d'inspiration féodale. Le pouvoir civil a opposé l'autoritarisme du pouvoir militaire à la liberté du pouvoir civil. Il ne s'est pas rendu compte que la liberté avait besoin de la discipline, que plus de liberté signifie plus de discipline et non pas l'inverse. Que c'est la discipline qui permet à la liberté d'aller plus loin ! Ainsi l'automatisation. Nous avons besoin de discipliner nos activités pour préserver nos priorités quand celles-ci se multiplient. Civils et militaires ont tous deux séparé discipline et liberté. Discipline sans liberté pour l'un, liberté sans discipline pour l'autre. Tout cela parce que nous n'avons pas vu que l'un était dans l'autre, que dans l'ombre de la liberté se tenait une discipline sociale, un dressage social. L'éducation est un dressage, mais un dressage consenti, un dressage qui accroit les forces. Toute société doit trouver son équilibre entre sa discipline collective et ses libertés individuelles. Trop de discipline tue la liberté (autant que la discipline), trop de liberté tue la discipline (autant que la liberté), condamnant la société à la régression. C'est la discipline collective qui porte les libertés individuelles, qui ménage leur espace. Il y a des libertés individuelles que la discipline collective ne peut pas supporter, qui peuvent rendre impossible la discipline collective. La liberté des importateurs rend impossible la discipline des producteurs. Il y a des disciplines collectives qui étouffent les libertés individuelles. Mais il n'est pas de la vocation de la discipline collective ou des libertés individuelles à s'opposer l'une à l'autre. Leur vocation est celle de s'appuyer l'une sur l'autre : elles avancent ou reculent ensemble. C'est l'intérêt de certaines catégories sociales dans le statu quo qui empêchant la différenciation sociale de progresser transforme la liberté individuelle en ennemi de la discipline collective. Leur liberté d'abord et avant tout, ne veut pas progresser avec celle des autres. La compétition entre l'Occident et l'est-asiatique met bien en contraste ce rapport entre liberté et discipline. Si la liberté a pu être longtemps la bannière de l'Occident, c'est qu'il était alors porté par un mouvement de différenciation social efficient grâce à l'industrialisation et sa domination du monde. Les trente glorieuses ont mis les libertés sur une pente douce. On voyait la progression de l'Occident au travers de la progression de ses libertés et moins au travers de la mécanisation-automatisation de son activité, la multiplication de ses esclaves mécaniques et de ses ouvriers spécialisés au travers du monde. Mais maintenant que la mécanisation a gagné le monde, que ses externalités négatives se multiplient, que la stagnation et la décroissance menacent, que les libertés se trouvent sur une pente raide, on voit les disciplines collectives faire la différence. Ce sont elles qui ont permis aux nouvelles sociétés industrielles d'émerger, aux sociétés industrielles défaites militairement de revenir aux premiers postes. La progression des libertés individuelles s'est appuyée dans les deux cas sur une forte discipline collective. Opposer pouvoir militaire et pouvoir civil avant de voir leur complémentarité a donc été une erreur que nous avons commise dès l'indépendance et de part et d'autre. Le coup d'État militaire a inversé le rapport du civil et du militaire qui se trouvait acquis lors de l'indépendance : l'indépendance n'a pas été acquise suite à une victoire militaire interne, mais suite à une victoire diplomatique. De Gaulle n'a consenti à l'indépendance qu'après avoir défait la résistance militaire interne pour faire de la place à l'armée des frontières, pour imposer le militaire au civil. Dans notre société segmentaire, la différenciation sociale ne procède pas de la différenciation du civil et du militaire. La différenciation sociale en civil et militaire a été surfaite lors de la période postcoloniale. Il faut rendre à notre société ses principes de différenciation. Faire la guerre à la guerre ne doit pas procéder par l'érection d'une telle différenciation comme s'efforce de le faire faire l'Occident en Afrique. L'universalisation de la forme stat nationale qui a institué les armées nationales ne doit pas lui imposer les missions des puissances militaires, mais celles des puissances sociales. Non pas soumettre les populations à l'ordre militaire pour assurer la paix civile, mais développer les capacités sociales pour promouvoir la paix civile. Les diplomates ont été à la pointe du combat pour l'indépendance, ils le seront encore pour le combat dé colonial. C'est riches de leur expérience internationale qu'ils devront débattre avec la société de ses possibilités de développement. Si au cours de la période postcoloniale la société civile a pu être mal appréciée dans ses capacités, si l'on a pu accorder plus d'importance à ses tares qu'à ses qualités, c'est qu'on lui a trop demandée d'une part et qu'on n'a pas laissé la différenciation sociale opérer à son rythme d'autre part. La société par elle-même ne prend pas tous les débats que le monde voudrait lui imposer, elle a ses soucis. On ne peut pas lui imposer son ordre du jour, ses sujets, si elle fonctionne normalement. La société fabrique toujours la société civile dont elle a besoin. Ce n'est pas la quantité, sa majorité qui compte, c'est la capacité de mettre la société au diapason du monde, dans le mouvement du monde et pouvoir s'y conduire. Mais voilà, on avait une image de la société civile empruntée aux autres sociétés, et ce que nous avions n'y correspondait pas. On n'a pas laissé la société aller à la rencontre de sa société civile. Résultat : celle qu'on s'est efforcé de mettre en place n'a pas effectué sa mission : informer la société, la mettre à la hauteur du monde. Elle a servi d'autres maîtres et d'autres desseins. Et celle qui aurait pu aider la société à se mettre au diapason du monde a été marginalisée, maltraitée. Je soutiens donc que nous avons la société civile dont nous avons besoin. À condition de faire que personne ne puisse se substituer à personne pour définir ses droits et ses besoins. Chacun doit pouvoir se poser en face de chacun pour définir ses droits et ses obligations. Étant entendu que droit de l'un signifie droit sur l'autre. Un droit est une obligation à laquelle un autre a consenti. C'est en définissant les interdépendances auxquelles nous tenons et en nous mettant à la hauteur du monde, que nous définissons la société civile dont nous avons besoin à partir de nos droits et de nos devoirs et qui pourrait émerger de nos différenciations, spécialisations. Cela étant, on ne peut donc comparer les ressources des sociétés émergentes à celles des anciennes sociétés industrielles. Notre société civile n'a pas les ressources de l'ancienne puissance coloniale. On ne pourrait pas faire face avec elle à toutes les polémiques, sinon en nous résignant à des défensives élémentaires. Ainsi, nous ne pouvons pas prétendre participer à tous les forums, à toutes les compétitions que le monde peut nous proposer. Certain(e)s peuvent être à notre mesure d'autres pas du tout. Mais il est des débats auxquels on ne peut se soustraire ni s'avouer vaincu. Dans les sociétés impérialistes, il n'est pas rare que presse, opinion, militaire, argent et politique soient dans le même camp. En général l' « indépendance de la presse » renvoie à son autonomie vis-à-vis des velléités d'hégémonie des différents pouvoirs et à la qualité de sa relation avec l'opinion. Dans une société où un pouvoir est hégémonique, on parlera d'autonomie de la presse dans la mesure où elle rend un service spécifique qui ne peut lui être dicté sans être corrompu. Le pouvoir économique a besoin d'une information « objective » qui lui permette d'avoir une image correcte du monde sur lequel il veut agir. Dans une société démocratique plurielle, l'autonomie consistera à bien informer l'ensemble des pouvoirs, à informer la société du bon fonctionnement des pouvoirs de sorte qu'elle puisse arbitrer leur compétition. En dernière instance, ce n'est pas en termes d'indépendance qu'il faut aborder la question, mais en termes d'interdépendance. Et les interdépendances équilibrent les termes ou tirent d'un côté ou de l'autre jusqu'à réaliser un équilibre d'ensemble. La presse américaine, quatrième pouvoir, s'opposera à la justice quand il s'agira de rétablir un équilibre entre les différents pouvoirs de sorte que, si les électeurs le souhaitent, la République ne se transforme pas en république des juges. Un pouvoir s'opposera à un autre, quand la société, l'opinion, investira ce pouvoir pour conserver son autonomie face à un autre pouvoir qui aspire à l'hégémonie. C'est le cas minoritaire des sociétés démocratiques. Quand l'opinion consentira à l'hégémonie d'un pouvoir, la presse ne pourra se mettre qu'à son service. C'est le cas des régimes capitalistes (hégémonie de l'argent) communistes (hégémonie du savoir), théologiques (hégémonie de la religion) et militaires (hégémonie de la contrainte physique). Aucun de ces régimes n'est pur, mais à dominante. Il y a alors asymétrie entre les différents pouvoirs réels (militaires, économiques et politiques), l'équilibre n'étant qu'une stabilisation de l'asymétrie, la presse servira une opinion qui a renoncé à arbitrer la compétition entre les différents pouvoirs. La compétition sera arbitrée par le pouvoir hégémonique. La presse ne pourra se constituer qu'en tant qu'organes autorisés de défense d'un pouvoir, instruments officiels du pouvoir hégémonique ou vitrine de son régime et organes d'expression d'une opposition autorisée. Regardons l'exemple US dans la question du financement de la campagne électorale. Le pouvoir judiciaire a pris fait et cause pour le pouvoir financier. Plutôt que d'indépendance du pouvoir judiciaire, il faudrait parler de configuration générale des rapports de pouvoirs. Dans un système démocratique, ce n'est pas l'indépendance des pouvoirs qui est visée, c'est leur équilibre : le pouvoir de l'un limitant l'autre pour servir le pouvoir en général. Équilibre qui permet à la société de progresser et de préserver sa liberté de choix. Et la société peut pencher à un moment ou à un autre en faveur d'un pouvoir particulier : le militaire, le financier ou le religieux pour s'opposer à un autre, le freiner, le limiter ou le réduire. Le problème n'est pas qu'elle puisse pencher d'un côté ou de l'autre, il est dans sa capacité à s'attacher et à se détacher des différents pouvoirs, à s'y investir et se désinvestir, pour les équilibrer et les rééquilibrer dans la configuration qu'elle souhaite. Il est dans la capacité de la société à ne pas être captive d'une configuration qui livrerait le pouvoir en général à la domination d'un pouvoir particulier. Pour les questions extérieures, de compétition internationale, l'exemple US dans sa confrontation avec la Chine, un pouvoir ne s'opposera à un autre pouvoir que dans la mesure ils s'opposent dans l'opposition à la Chine. La différenciation interne des pouvoirs s'estompe pour mettre en relief la disposition d'ensemble des pouvoirs vis-à-vis de la compétition chinoise, la presse recherche la bonne distance vis-à-vis des différents pouvoirs qui conforte le positionnement de la société dans cette compétition internationale : compétition militaire et/ou économique et/ou idéologique. Tous les pouvoirs sont d'accord pour défendre la suprématie américaine. Nul besoin pour la société de préserver son autonomie vis-à-vis des différents pouvoirs, elle s'y implique. Tous activent en faveur de sa suprématie. Ils se différencieront quant à la manière. Qui informe qui ? Nous avons commencé par traiter de l'indépendance de la presse, c'est ainsi que le ministre des affaires étrangères français a répondu au rappel de l'ambassadeur algérien en France. Rentrons maintenant dans le détail de cette émission française sur le Hirâk, produite par une chaîne publique et réalisée par un journaliste franco-algérien. Il s'agit d'une émission destinée à la consommation française, mais relayée par une chaîne internationale débordant sur un public francophone donc algérien. Apparemment, un Franco-Algérien veut parler d'un mouvement algérien à des Français, avec la coopération d'acteurs algériens. Ayant choisi des sujets particuliers (sexe, alcool, libertés individuelles), on peut dire qu'il veut parler de ce qui les sépare, lui et ses acteurs (ami.e.s, complices ?) d'autres Algériens. Il n'a pas conçu son documentaire pour rendre compte du mouvement politique, pour représenter différentes sensibilités, ni fait œuvre collective avec ses intervenants. Les intervenants acteurs du Hirâk dans le documentaire sont juste des acteurs, ils perdent leur statut de politiques. Le documentaire leur échappe, il ne dit pas ce qu'ils ont dit ou voulu dire. Mais juste ce que le réalisateur a voulu en faire. On peut s'interroger sur le statut de ce documentaire [1]. Pas étonnant qu'il ait retenu certains sujets plutôt que d'autres. Pas étonnant non plus que beaucoup d'Algériens ne se soient pas reconnus dans les points de vue émis. L'algérien dans le franco-algérien autorisait le français à parler de l'Algérie à un public français ... aux yeux de l'Algérien. En tant que franco-algérien il pouvait parler de l'Algérie aux Français, car il tient de la France et de l'Algérie. La France mon amour, aurait pu être un titre plus mérité. Journaliste, il peut être même sommé de le faire : franco-algérien que veut dire pour toi l'Algérie ... et la France ? Qui choisis-tu ? Le réalisateur ne pouvait pas s'oublier face à une commande publique. Aussi peut-on dire que le documentaire a plus parlé du réalisateur que du point de vue de ses acteurs ; qu'il positionne davantage le franco-algérien quant à la France et l'Algérie plutôt qu'il ne rend compte du Hirâk ou de l'Algérie ou de la situation d'une partie des Algériens dans leur pays. Si l'on prend en compte ensuite le fait que le documentaire destiné à informer le public français (sur un mouvement social qui a beaucoup fait parler de lui avant la crise du covid-19,) a été ignoré par le public français et a fait surréagir un public algérien qui ne s'y est pas reconnu, on peut se demander si dès le départ le public visé n'était pas celui qu'il a atteint. Il s'ensuit le double constat suivant : le public français n'était pas intéressé par ce que pouvait dire un Franco-Algérien des Algériens et de la France, que le média public français n'a finalement pas confié l'opinion publique française à un Franco-Algérien pour l'informer [2]. Ensuite que les Algériens n'ont pas voulu que la France dise l'Algérie et surtout par le biais d'un franco-algérien mal aimé du public français qui aurait mieux fait d'intituler son documentaire la France mon amour pour interpeller la France quant à son rapport à l'Algérie. Aussi peut-on dire au réalisateur que ni la France ni l'Algérie n'ont voulu de son témoignage. C'est à des Français que l'on prête l'oreille pour parler de l'Algérie (ou du monde) en France. C'est un peu normal, mais on l'oublie trop souvent et ce n'est pas toujours « objectif ». La France laisse ainsi filer le monde sans elle. Le problème c'est que chez nous les militaires n'ont pas encore suffisamment confiance dans les civils pour parler de leur pays, le défendre, pour répondre à un documentaire par un documentaire. Cette défiance est en partie justifiée, mais le tamis d'un débat ordonné et public peut facilement en venir à bout. Les militaires n'en veulent pas encore. Et on continuera de leur reprocher d'apporter des réponses autoritaires à des questions publiques. Ils auront beau avoir raison, ils auront simplement mal défendu la cause de leur société. Avoir raison et pouvoir convaincre : faire valoir notre société civile Mais maintenant que notre environnement immédiat est déstabilisé, nous ne pouvons plus nous contenter d'avoir raison en aparté, nous devons convaincre nos voisins d'un ordre collectif souhaitable. L'un de nos problèmes c'est que nous n'avons pas encore accédé au débat public serein et ordonné. Nous avons soif de nous exprimer, le tout n'est pas de tout dire comme le prétendait le poète inspiré des Lumières, c'est nous prêter une intention que nous ne partageons pas, mais plus simplement de nous dire, parce que nous avons perdu nos assemblées où nous apprenions à soigner nos propos. Il nous faut les retrouver et trouver le temps de débattre et de nous exprimer afin que l'on puisse nous écouter mutuellement et que certaines voix et paroles puissent acquérir de l'autorité. Et si nous donnons parfois le sentiment de vouloir tout dire, c'est parce que le fonds de notre propos a disparu, ce que nous pourrions partager et accepter de partager n'est pas dit. Nous continuons à nous chercher [3] et à nous définir négativement et par opposition à ce que l'on peut dire de nous. Il faut donc enregistrer le fait que la société civile algérienne est maintenant suffisamment différenciée pour se révéler être à la hauteur des défis que le monde pose à la société algérienne. Dans la société civile non économique, on peut distinguer trois pôles. Les anciens élèves de l'ENA devraient pouvoir livrer un compte rendu de leur expérience de l'administration de la société en tenant compte de l'expérience du monde. Ce pôle s'est attiré les ressources les plus importantes. Le deuxième pôle de la société civile algérienne est celui de la diaspora algérienne qui a réussi à faire ses preuves sur le marché mondial à la différence du troisième pôle, le plus faible, mais dont on ne peut faire abstraction, car le plus représentatif de la société. L'autoritarisme du régime tient un peu dans le rapport entre ces trois pôles de la société civile algérienne. La situation actuelle est comparable à celle de l'indépendance, elles sont des situations de rupture. La diaspora correspond à la société qui vit à l'heure du monde, comme celle de la dernière moitié du XX° siècle qui a su capter l'esprit d'indépendance politique qui gagnait alors le monde entier. C'est une partie d'entre elle qui a réuni la connaissance du monde et de la société, qui a fait jonction avec la jeunesse algérienne, pour donner une nouvelle vie à la société algérienne. La volonté de vaincre Les intérêts avancent toujours masqués. Mais cela ne fait pas de leur partie visible un faux-semblant. Les intérêts ont besoin d'être fixés, les grandes puissances s'efforcent de fixer ceux des autres nations. Celles-ci s'efforcent d'être en retour les moins possibles transparents. Souvent, elles n'arrivent pas à mettre en cohérence les deux parties visibles et invisibles de leurs intérêts. Car une telle cohérence suppose une cohérence de leur action avec le milieu qui les accueille, milieu qui leur échappe largement à la différence des grandes puissances. On ne reprochera pas une certaine incohérence entre les deux parties, la distorsion dans laquelle elles évoluent, ce que les grandes puissances ne cessent pas de leur reprocher pour leur faire avouer leur infériorité ou leurs intérêts cachés. On évitera donc l'erreur de vouloir attribuer une cohérence à priori aux parties visibles et invisibles. Par contre, c'est ce que l'on exigera et pourrait obtenir des grandes puissances : l'analyse est en mesure de restituer la cohérence de la démarche des grandes puissances qui se disputent l'hégémonie. Les traces sont nombreuses. Il s'agit simplement de rendre les pointillés qui unissent les deux parties visibles et invisibles sur le plan et l'histoire du monde où les démarches hégémoniques concurrentes trouvent nécessairement consistance. S'élever à ce niveau d'intelligence, le plan du monde et la concurrence des intérêts hégémoniques, pour discerner les espaces de liberté que leur conserve le monde et que ne peuvent se réserver les grandes puissances, voilà ce qui permet aux autres sociétés de disposer de quelque autonomie. Bien sûr, on ne pourra pas échapper à une certaine gravitation autour de ces intérêts, on sera attentif au fait qu'une telle gravitation ne soit pas synonyme de déperdition, comme c'est le cas aujourd'hui avec notre dépendance extérieure. Un pays ne peut plus construire sa défense sur la base de ses seules frontières nationales, sa défense exige une base plus large. Il ne peut plus par conséquent se réserver la connaissance de ses intérêts. Il doit réussir à les mettre en cohérence avec d'autres nations voisines. L'Algérie impuissante assiste depuis un certain temps aux interventions militaires étrangères dans son environnement immédiat. Une telle situation ne peut pas être soutenue longtemps. Sans un investissement de la société dans cet environnement, l'investissement militaire ne pourra pas en faire son affaire. L'heure est vraiment arrivée pour disposer d'une société civile performante qui soutienne et libère l'armée de certaines tâches. L'heure est arrivée pour affirmer à nouveau clairement les intérêts du continent africain à la face du monde. Que des organisations non gouvernementales puissent bénéficier d'un financement extérieur ne peut les soustraire à la surveillance de la loi. De telles organisations font partie de la transparence du monde aux yeux de notre société. À la longue refuser d'accueillir le pluralisme du monde c'est se condamner à l'hypertrophie, à ne pouvoir composer qu'avec nous-mêmes, un nous-mêmes réduit à quelques aspérités. Dans la conduite de ces ONG, nous pouvons lire leurs intérêts et les intérêts de ceux qui les financent. Nos secrets ne tiennent plus seulement dans notre intérieur national, ils tiennent dans notre camp et nos liens rapprochés. Nous devons pouvoir les tenir en respect pour pouvoir mouvoir. Nous sommes dans le monde et le monde est en nous, la question est seulement de savoir dans quelle proportion. Pour le moment il nous faut bien admettre qu'un certain ordre intérieur n'a pas suffi pour équilibrer le rapport. L'administration centrale doit apprendre à concéder ses anciennes responsabilités à des autorités locales si elle veut élargir son rayon d'action. La nouvelle Constitution va élargir le champ d'intervention du pouvoir central. Il a jusqu'à présent refusé de se laisser impliquer à l'extérieur de ses frontières. Il avait des principes en opposition aux principes des puissances colonialistes. Plus récemment nous avions en tête l'expérience de Saddam et Kadhafi qui en s'investissant à l'extérieur ont dégarni leur front intérieur. L'élargissement du champ d'intervention qui est appelé est nécessaire, mais il ne doit donc pas distendre jusqu'à rompre le pouvoir de la société. Il est nécessaire, car j'aimerai rappeler que les puissances européennes n'ont pu conquérir le monde que grâce à leurs armées civiles et militaires conquérantes, que les nouvelles sociétés industrielles ou les anciennes défaites par la guerre n'ont pu émerger ou réémerger qu'avec leurs armées civiles. Je le répète donc, ce n'est pas la différence entre civil et militaire qui importe le plus, mais la volonté de combat de la société qui la porte et les moyens dont elle peut disposer à la différence des autres. L'Afrique a ses moyens, mais ses fins qu'elle emprunte aux autres les détruisent au lieu de les valoriser. arezki derguini Notes : [1] Comme le fait élégamment Yazid Ben Hanet dans son article : «Au-delà de «Algérie mon amour» : tant de naïveté (réelle ou feinte) ne peut qu'interpeller» du 31.05.2020 http://www.lequotidien-oran.com/?news=5290272 [2] Des intellectuels algériens pourraient témoigner de la difficulté qu'ils ont eue pour informer l'opinion publique française de la réalité de l'émigration auprès des médias. [3] Alain Marie. « Y'a pas l'argent » : l'endetté insolvable et le créancier floué, deux figures complémentaires de la pauvreté abidjanaise [article]. Revue Tiers Monde Année 1995 142 pp. 303-324 https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1995_num_36_142_5764 |
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