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Et la consommation de la drogue sauva la tête de l'assassin

par Mekideche Abdelkader*

Les noirs, la drogue et la justice en Occident, voici un bon sujet à traiter en raison de son côté dramatique et de l'actualité dont il fait l'objet dans certaines des plus grandes démocraties. Mais, comme ce sujet est un vrai casse-tête, mieux vaut reporter cette peine aux jours où il sera possible d'user pleinement de ses neurones, chose que ne permettent pas ces moments de ventres creux et de têtes étourdies. Contentons-nous pour le moment d'annoncer la couleur.

La couleur est noire. Noir comme le sont la peau et l'horizon devant les deux malheureux Kobili Traoré et George Floyd, l'un assassin en France, l'autre victime en Amérique.

Kobili Traoré est ce franco-africain de confession musulmane, qui, en 2017, assassina Sarah Halimi, retraitée française de confession juive. Accro au cannabis qu'il prend depuis l'âge de 15, assimilant les juifs au mal, se sentant menacé, délirant, il ôta la vie à la vielle dame. Et comme lui est noir et qu'elle est juive, la France, qui vit une profonde crise à la fois identitaire et raciale, s'émeut et crie vengeance. Mais, grande surprise, grande déception ou grand soulagement (c'est selon), la vieille dame du quai des horloges (ainsi nomme-t-on aussi la cour de cassation française) vient de déclarer que, pour irresponsabilité pénale, Kobili Traoré ne sera pas jugé pour le crime à caractère antisémite qu'il a commis contre Sarah Halimi. La raison qui motive décision de cette haute juridiction et qui fera certainement jurisprudence est la suivante: au moment de la commission de l'acte assassin kobili Traoré était victime «d'une bouffée délirante aiguë» due à l'usage excessif du cannabis.

La très puissante communauté juive française, privée d'un procès, d'une condamnation et d'une vengeance qu'elle considère légitime, crie au scandale et accuse la justice française d'avoir peur des communautés violentes et de laxisme. Elle montre les dents. Et, la voyant furieuse, la sphère politique tremble. Le président Macron en premier. Ils savent, il sait, qu'une carrière politique peut être compromise si elle se met à dos les toutes puissances financières et médiatiques dominantes faiseuses de rois. C'est pourquoi, en prompte réaction, le lendemain de l'arrêt de la cour de cassation, Emanuel Macron, mettant en cause de manière à peine voilée la décision des sages, a déclaré à la presse vouloir changer la loi au motif que « décider de prendre des stupéfiants et devenir alors comme un fou ne devrait pas à (ses) yeux supprimer votre responsabilité. Sur ce sujet (il) souhaite que le garde des sceaux présente au plus vite un changement de la loi ». Au plus vite. Les godillots de l'assemblée légiféreront dans l'urgence, sous la dictature des sondages et de l'opinion publique, comme c'est devenu l'usage dans cette ancienne puissance qui chavire et qui a désormais peur de ses propres démons.

Pourtant, en statuant dans l'affaire Halimi-Traoré comme elle l'a fait, la cour de cassation est hors d'atteinte puisqu'elle n'a opéré aucun revirement relativement à la question qui lui a été soumise et qui fait désormais débat. En effet, à la question « lorsqu'elle est à l'origine d'un trouble psychiatrique, la consommation de produits stupéfiants constitue-t-elle une faute qui exclue la responsabilité pénale ? », elle a répondu, en cohérence avec sa jurisprudence antérieure « que la loi sur l'irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l'origine du trouble mental qui a fait perdre à l'auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer ». Et de conclure « Qu'une personne qui a commis un acte sous l'emprise d'une bouffée délirante abolissant son discernement ne peut pas être jugée pénalement même lorsque son état mental a été causé par la consommation régulière de produits stupéfiants. En effet, la loi ne prévoit pas de distinction selon l'origine du trouble psychique ».

La justice a ses raisons que la raison politique ignore. Telle est la leçon que l'on peut tirer de cette affaire. Un noir venu d'ailleurs qui tue une vieille juive dans un pays qui se déchire entre race, racisme, racialisme, universalisme, souverainisme, islamophobie, antisémitisme. Cet assassinat révèle le choc, dans un espace réduit, des cultures au sein d'une culture qui prétend leur être supérieure et qui veut les intégrer toutes, sans y parvenir. Et au milieu de la haine et de la fureur que produit ce choc dans la société, la justice, grande, reste sourde et aveugle et s'entête à ne dire rien d'autre que la loi dans l'état ou elle se trouve. Pour elle, malgré toutes les pressions, et même si son crime est infâme, lâche et antisémite, Kobili Traoré n'est pas responsable de ses actes parce qu'au moment du crime il était sous l'influence d'une bouffée délirante.

Heureux donc Kobili Traoré. Les bouffées de cannabis qu'il s'est offert pendant longtemps ont finalement sauvé sa tête. Quant à la bouffée délirante aiguë, elle n'est que passagère, comme toutes les bouffées, et elle finira peut-être par se soigner au grand bonheur de l'assassin. Cette conséquence peut, il est vrai, faire le bonheur des avocats pénalistes, donner de mauvaises idées et permettre à des criminels délirants de se sortir d'affaire. C'est le revers de la médaille.

Au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique se tient le procès Derek Chauvin l'assassin de Georges Floyd. Là-bas la justice est différente, on a l'habitude de tirer du noir et d'acquitter ses meurtriers. Confiants, pour la défense de l'assassin de Floyd ses avocats s'évertuaient à prouver que la mort n'est pas causée par l'étouffement du au genou qui écrasa le cou de Floyd pendant de longues minutes mais à un arrêt cardiaque dû à l'usage excessif de la drogue. Certains pariaient sur le fait que cet argument pouvait convaincre les jurés. Auquel cas la drogue qu'aura consommé la victime sauvera son assassin. Mais, la aussi surprise, les jurés ont déclaré D.Chavin, le policier au passé raciste, coupable du meurtre de G.Floyd.

Tel est l'effet de consommation de la drogue: il arrive qu'elle sauve aussi. La vie? Une loterie.

*Avocat