Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La médecine libérale à la croisée des chemins

par Bouchikhi Noureddine*

« Le ministère de la Santé a annoncé que les professionnels de la santé libéraux dont l'activité s'est effondre à cause du confinement vont bénéficier d'une aide de l'état avec le versement d'un premier acompte début mai cette aide sera versée par l'assurance maladie afin que chaque professionnel puisse faire face à ses charges » (1)

Assurez-vous ce n'est pas une fake news ! Ni une blague non plus ! Mais en fait le communiqué n'émane pas du ministère de la santé algérienne mais bel et bien du ministère français de la santé ;

Effectivement même les médecins libéraux ont droit à l'aide et cela ne choque personne car la médecine libérale dans ces pays est considérée comme un véritable acteur de la santé publique qui a droit à une oreille attentive et au besoin à une protection de l'état.

Alors que nous en sommes encore au point où la médecine libérale est prise malgré elle sous les feux de la rampe critiquée par médias interposés et principalement sur les réseaux sociaux ; des plumes qui ne ratent aucune occasion pour exorciser de vieux démons dont ils n'arrivent pas à s'en démêler.

De tout temps le secteur libéral a évolué dans un environnement hostile ne trouvant répit ni auprès des décideurs ni encore moins auprès d'une certaine opinion publique conditionnée par des années de contre-vérités et d'égarement.

Un éclaircissement s'impose afin d'essayer d'analyser les facteurs qui continuent à assombrir injustement l'image du secteur médical privé et qui pourrait être utile j'espère et sans prétendre être toute la vérité à toute personne cherchant une autre version de celle adoptée jusque là et en particulier un jalon pour nos jeunes médecins qui n'ont pas pu vivre à une certaine époque pour pouvoir trouver explication à une triste réalité.

Facteurs historiques

Certains facteurs sont tributaires de l'histoire même d'une politique délibérée menée à l'origine d'une vision étriquée et qu'on peut résumer par la culture héritée du système du parti unique prétendument socialiste imposée au lendemain de l'indépendance qui a diabolisé dès son instauration l'initiative personnelle et l'activité libérale en général qualifiée de secteur parasite, de petite bourgeoisie et de contre-révolutionnaires galvaudée en cela par des slogans creux et démagogiques aux conséquences toujours désastreuses.

la médecine libérale de par même sa définition « l-i-b-é-r-a-l-e » porte une connotation de liberté qui s'oppose de principe à toute tentative d'enrôlement et dans le cas de l'Algérie ce sont ces organisations de masse affiliées et manipulées par le parti unique: UGTA, unfa, unpa et uma** satellites d'un système qui portait la suspicion envers toute corporation qui aspirait à l'émancipation en dehors de l'emprise des apparatchiks ; elle (la médecine libérale) a du en payer le prix pour son refus de soumission à une idéologie qui a fait par la suite faillite et a du subir à ce jour même les préjugés réducteurs qui dressèrent sciemment une multitude d'entraves afin d'empêcher ce secteur d'avoir la place qu'il mérite, d'être considéré à sa juste valeur ; de pouvoir librement s'organiser ou d'être un interlocuteur crédible et un véritable partenaire dans toute politique de santé, victime de stigmatisation à outrance et surtout d'indifférence ; il faut savoir que les médecins libéraux n'ont pu avoir un syndicat qui aspire à vouloir défendre leurs intérêts que très récemment et au décours de multiples acrobaties pour éviter les nombreux écueils dressés par l'administration sur injonction des différents pouvoirs politiques afin d'éviter à tout prix qu'ils puissent disposer d'une représentation syndicale réelle , authentique et indépendante ; une situation quasi unique puisque même dans les régimes autoritaires y compris arabes les médecins libéraux avaient toujours eu leurs syndicats ; la seule entité qui a pu voir le jour et très tardivement comparée même aux pays voisins est le conseil de l'ordre dont beaucoup de prérogatives ont été hélas largement amputées au profit du pouvoir administratif qui ne veut lâcher prise.

Et dans le contexte de grave épidémie on persiste toujours à le traiter comme un acteur mineur de la santé publique dont le rôle qu'on veut lui faire assigner se limite à l'exécution sans rouspéter des décisions d'administratifs qui ignorent totalement la nature même de l'activité médicale libérale et les contraintes du terrain.

Choix politique

L'autre facteur qui a contribué à entretenir une image négative et erronée de l'activité médicale libérale est le principe de « la médecine gratuite » dont l'essence même a été vidée et dénaturée pour devenir juste un aphorisme aux mains de politiciens de circonstances qui l'ont pervertit en un concept qui a largement contribué à dégrader l'image du médecin et de la médecine et qui a été malicieusement toujours utilisé pour l'opposer au secteur libéral rendu coupable aux yeux de personnes bernés par un populisme acerbe de monnayer ses actes ! On n'arrive pas, plus de trente ans après avoir décrété le principe de la libre initiative de se libérer d'idées incongrues et irréalistes ancrées et entretenues dans l'inconscient collectif et ravivées par les reliquats d'idéologies moribondes.

Rôle des caisses de sécurité sociale

Le citoyen n'arrive pas à concevoir et c'est justifié de devoir débourser pour sa santé sans qu'il soit compensé à la hauteur de ses dépenses et au lieu de disposer d'un véritable choix dans son parcours de soins sa décision se trouve prise sous la contrainte ; et bien qu'on pourrait reconnaitre le fait qu'il existe des praticiens et ce n'est heureusement pas le cas pour la majorité qui exagèrent leurs honoraires quoique sans tenir compte de la particularité de l'exercice libéral qui tolère l'existence comme par tout ailleurs du concept de dépassements d'honoraires dans le cadre de règles bien définies ; mais en fin de compte il devait être du ressort du seul patient et ses préférences à opter librement pour la manière de se faire soigner.

La problématique est que cette situation voile une réalité complètement étrangère aux médecins libéraux et dont les véritables acteurs qui tirent les ficelles sont les caisses de sécurité sociale qui tentent d'occulter cette vérité sous prétexte de la préservation de « l'équilibre budgétaire » qu'ils définissent eux-mêmes selon des critères du moins non consensuels et sans jamais faire de prime abord le ménage dans leur propre gestion interne qui aggrave et entretient le déséquilibre en raison de la pléthore de salariés, de la structure même des salaires, de la gestion des prises en charge à l'étranger en terme de critères de choix des partenaires , des cahiers de charge, de priorités, d'indications, c'est des millions sinon des milliards en devises fortes qui ont alimenté les budgets d'établissements hospitaliers étrangers et qui pouvaient bien servir à construire des hôpitaux modernes , les équiper et à former des compétences locales et si les caisses ont toujours honoré leur engagement jusqu'au dernier centime en devises fortes vis-à-vis de leurs partenaires étrangers qui ne font pas dans le social ; elles sont par contre au niveau national restées complètement déconnectés de la réalité de l'évolution des prix , de l'inflation et du coût de la vie pour devoir prendre en charge les actes médicaux et leurs taux de remboursement à leur juste valeur générant ainsi une concurrence déloyale avec le secteur privé et faisant porter de facto le fardeau aux seuls assurés et le chapeau aux médecins libéraux qui naturellement refusent et ne peuvent se permettre d'exercer pour des honoraires dérisoires eu égard à la réalité des prix, aux sacrifices et aux investissements consenties qui malgré tous les reproches auxquelles ils font face leurs honoraires demeurent parmi les plus bas même à l'échelle régionale et pour illustrer cette réalité nos compatriotes qui se font soigner à l'étranger ou même en Tunisie peuvent bien en témoigner; en fait il s'agit d'une façon de détourner le problème et d'alimenter la grogne des assurés dont beaucoup se trompent hélas de coupable et ne se privent pas à l'occasion de jeter l'opprobre sur le secteur libéral accusé de s'enrichir illégalement sur le dos des malades, une fable entretenue par cette politique négationniste et relayée par des médias à sensation et des responsables incapables de faire face à la faillite finalement reconnue de la gestion du secteur public.

Perception du secteur libéral à l'heure de l'épidémie

Aujourd'hui nous traversons une période extrêmement difficile avec cette épidémie qui a eu le mérite de mettre à nu les insuffisances et les incohérences de nombreux systèmes de santé dont le notre et que certains par réflexe pavlovien et pour se dédouaner empruntent le plus court chemin en faisant porter une grande responsabilité au médecin privé.

les médecins libéraux ne savent plus à quel saint se vouer et au lieu de trouver compréhension et soutien eux qui sont dans la gueule du loup et qui commencent déjà à compter leurs morts ; ils doivent en plus faire face aux nombreux détracteurs dont malheureusement certaines corporations qui par pur égoïsme n'ont pas hésité à inciter les autorités à prendre des mesures coercitives à l'encontre des médecins libéraux sous prétexte qu'ils fuient leur responsabilité en fermant leur cabinets et pour prétendre dénoncer « ce qu'ils qualifient un état de fait qui pénalise les pauvres malades !! Sic...». nonobstant les réserves formulées par la corporation médicale dès le début de cette crise sanitaire afin d'exercer dans les meilleurs conditions de sécurité mais c'est la charrue devant les bœufs ; l'administration s'est empressé de décréter une circulaire qui non seulement décrédibilise les médecins libéraux en les présentant comme des déserteurs sans âme ni conscience et en les infantilisant sournoisement comme égoïstes ne se souciant que de leur intérêt et qui méritent donc les châtiments les plus sévères allant des poursuites judiciaires jusqu'à la radiation à vie pour abandon de poste ! Des commissions comprenant tous les représentants des services de sécurité et de l'administration ont été mises à pied illico presto pour vérifier uniquement la présence des médecins dans leurs cabinets sans se soucier des conditions d'exercice! Au moment même où des activités de diagnostic et de consultations spécialisées ont été suspendues au niveau du secteur public lui même ,des décisions hâtives prises sans avoir pris en compte les avis des principaux concernés ou leurs représentants ni même celui des conseils de déontologie mieux placés pour évaluer la situation quasi invivable de l'exercice en conditions d'extrême dangerosité.

Et pour revenir à ces porte-voix dès le début de l'épidémie ils n'ont pris aucune initiative vis à vis des médecins libéraux quant à la mise en place d'une stratégie dont l'objectif est de les faire bénéficier prioritairement de leur stock en matière de produits de désinfection, de masques chirurgicaux et de haute protection (FFP2) bien au contraire excepté quelques initiatives limitées et personnelles la majorité sont restés dans une logique purement mercantile et pour certains spéculative ; et contrairement aux médecins qui n'ont pas la possibilité de voir leur activité se poursuivre sans leur présence effective ils ne peuvent donc comprendre les risques de l'exercice dans un cabinet sans moyens de protection ; les accusations portées à l'encontre des médecins libéraux en font croire qu'ils sont irresponsables et dénués de tout humanisme au point de laisser leurs patients livrés à eux même !

Si beaucoup de cabinets ont fermé c'est qu'ils y ont été tous sans exception contraints de le faire non par plaisir ou désertion mais par l'absence de toute perspective à proposer par les pouvoirs publics qui n'ont pris aucune mesure de protection sanitaire afin de rendre l'exercice médical sécurisé pour le praticien et ses patients , ni encore moins des aménagements de la réglementation en matière de couverture sociale ou toute autre mesure jugée rassurante ; bien au contraire les praticiens ont en pâtit encore plus suite à des décisions prises dans le feu de l'action tel la suspension des transports publics sans distinction des priorités et nombreux sont les personnels exerçant au niveau des cabinets qui se sont retrouvés dans l'impossibilité de joindre leur lieu de travail y compris les malades qui ne disposent pas de leurs propres moyens de locomotion pénalisant de fait l'activité dans les cabinets et en absence de solutions pour pallier à cette pénurie certains se sont résigné en fin de compte à fermer dans « l'illégalité » car il leur est impossible de gérer leur cabinet sans assistance ; le médecin ne peut être au four et au moulin.

et contrairement aux analyses qui prévoyaient un afflux de patients aux cabinets sous l'effet de la panique et pour éviter les structures publiques de crainte d'être contaminé bien au contraire le flux de malades a brusquement chuté pour des raisons évidentes et indépendantes de la volonté des médecins ; bien sûr il y a le risque de contagion mais aussi la difficulté de trouver un moyen de transport et de circuler, et pour beaucoup c'est surtout le tarissement pur et simple des ressources suite à la fermeture de nombreux commerces et l'arrêt d'activités; cette situation non seulement ne semble pas du tout préoccuper les pouvoirs publics mais elle renforce plutôt le sentiment d'abandon et de discrimination dont sont victimes les médecins libéraux ; beaucoup de cabinets ont vu leur activité amputée brutalement au point de ne plus pouvoir assurer les charges salariales ,fiscales et sociales aggravée pour certains par l'obligation de rembourser les crédits et prêts contractés pour s'équiper et qu'ils ne peuvent plus honorer en absence de mécanisme d'aide comme c'est le cas dans d'autres pays ; l'activité a été fortement réduite ; les cabinets aussi sont des victimes collatérales de cette épidémie et malgré les apparences très peu ont pu tirer leur épingle du jeu.

Conclusion

Les médecins libéraux tout en étant conscients des enjeux du moment sont toujours aptes à contribuer pleinement à panser les souffrances des citoyens leur contribution dans le renforcement et l'amélioration de la qualité des soins est réelle , dans la création d'emplois stables, le soulagement de la pression sur les structures publiques et le comblement des insuffisances en équipement de haute technologie surtout dans les régions sous médicalisées ,l'économie de devises en prenant en charge des pathologies jadis systématiquement transférées vers l'étranger , mais refusent en même temps d'être pris systématiquement pour des bouc-émissaires d'une situation dont ils ne sont pas responsables et ils refusent aussi d'être sacrifiés sur l'autel de la démagogie ; ils sont souvent les premiers concernés par les soucis de santé du citoyen et à l'avant-garde dans la lutte contre les épidémies à la seule condition d'avoir le minimum nécessaire pour le faire et ce n'est pas trop demandé.

Les pouvoirs publics ont un rôle primordial pour faire évoluer le regard dégradant dont la société et les institutions n'ont pu se défaire à l'égard de l'exercice médical privé à cause de préjugés erronés hérités et d'une politique belliqueuse qui les prenne constamment pour cible.

La situation est à la conjugaison des efforts de tout le monde surtout des professionnels de toutes les catégories en relation avec la santé du citoyen qui sont aux premières lignes du front. Et qu'à l'occasion ; l'épidémie à clairement mis en exergue leur importance dans la sauvegarde de la santé de la population.

*Dr

1- communiqué du 29-04-2020 (l'assurance maladie caisse nationale)

-UMA : union des médecins algériens

-UNPA : union des paysans algériens

-UNFA : union des femmes algériennes