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Abdelmadjid
Tebboune a été élu président de la République
algérienne en cette fatidique date du 12 décembre 2019, décidée par le pouvoir.
Le jour même, des milliers d'algériens manifestaient dans les rues des villes du pays pour exprimer leur opposition à une élection controversée, jugée politiquement et moralement inconvenante et inappropriée dans un contexte de crise aigue, révolutionnaire vous dirons certains. Autrement dit, une course à l'échalote aux allures d'une forfaiture contre la souveraineté populaire. D'autres citoyens ont estimé, pour diverses raisons, que la solution idoine résidait dans les urnes et ils ont usé de leur droit et devoir en ce sens. Vu sous cet angle, le principe du libre choix démocratique est respecté. Il importe peu, maintenant que nous sommes, constitutionnellement parlant, devant un fait institutionnel accompli, de s'étaler sur les moyens et méthodes utilisés par les uns et les autres pour convaincre les gens de boycotter les joutes électorales ou de voter. Quant à la transparence et la régularité du scrutin, en termes de taux de participation et de résultats proclamés, l'avenir nous révélera des vérités difficiles à vérifier à l'état actuel des choses, bien que palpables à bien des égards. En revanche, au-delà le l'authenticité des chiffres officiels ou de leur tripatouillage, force est de noter que la légitimité d'un président élu de la sorte, aux forceps dirions-nous, est au départ boiteuse, entamée par un rejet populaire massif qui la fragilise aux yeux de l'opinion nationale et internationale. Par souci d'euphémisation que dicte une situation critique et hautement sensible, on va dire que le candidat n'est pas élu par la majorité du peuple. Une infirmité politique qu'il va falloir soigner et en effacer les séquelles à moyen terme. Se faire accepter par le peuple ou s'imposer à lui est une rude épreuve. C'est comme vouloir faire ingurgiter à quelqu'un une nourriture quasi-indigeste. Raisonnablement, il est extrêmement difficile de gouverner un peuple sans son approbation. Ceci étant, là n'est pas tout le problème. Il importe de savoir si le nouveau président sera en mesure de redresser la barre du navire Algérie, qui tangue périlleusement dans des turbulences intenses, sur le point de chavirer à tout moment. Arrivera-t-il à le stabiliser et le conduire doucement mais surement à bon port. A priori, il est face à de délicats choix cornéliens. Citons les plus urgents. Doit-il dialoguer, voire négocier, une sortie de crise avec le Hirak ou engager un bras de force avec ce dernier. Sera-t-il l'homme de la rupture ou une simple façade politique légale du pouvoir de l'ombre. Comme le dit l'adage populaire, d'un côté c'est très chaud et de l'autre c'est brulant. Il convient dès lors d'examiner l'état des lieux dont hérite l'heureux élu, avant de se perdre en conjectures. Le premier obstacle, pas des moindres, qui se dresse fermement face à l'exercice du pouvoir, au moins dans des conditions minimalement favorables, un tant soit peu normales, est la situation sociopolitique extrêmement tendue que vit le pays. Celle-ci se caractérise en particulier par un soulèvement populaire, d'une ampleur jamais égalée, apparemment inscrit dans la durée et charriant les ingrédients d'une probable explosion sociale. En somme, un cocktail explosif. Pour les citoyens du Hirak, jusque là intransigeants dans leurs positions, le refus de tout ce qui représente ou symbolise le système, en particulier sous le règne de Bouteflika, est irréversible et non négociable. Arrivé, selon bon nombre d'observateurs politiques, à un point de non retour, l'élan contestataire remet en cause tout ce qui émane du système banni. Il se trouve que Abdelmadjid Tebboune a fait belle carrière au sein de ce système, a longtemps fait partie de la nomenklatura. Un habitué des arcanes du pouvoir. Si l'on considère en sus le sentiment de mépris que ressentent ces milliers de citoyens, convaincus qu'on leur a imposé un processus électoral qui a accouché d'un président issu de ce même système, de la Issaba, pour reprendre les termes utilisés par les foules qui manifestent depuis presque dix mois, il y'a de quoi forcer le pessimisme. L'absence quasi-totale de vote dans des régions importantes du pays rajoute de l'épaisseur à la crise. Le lendemain des élections, le 13 décembre 2019, des milliers de citoyens sont sortis pour clamer haut et fort qu'ils ne reconnaissent pas un président jugé illégitime, incarnant un système éculé et en fin de vie. Autrement dit, ils affichent clairement leur intention de ne pas reconnaitre l'autorité présidentielle, perçue comme un retour à l'ordre établi, sous lequel ils ont été gouvernés des décennies durant. A moins d'une prouesse politique exceptionnelle pouvant ramener les citoyens à de meilleurs sentiments, l'impact sur le plan national serait catastrophique. On s'interroge alors sur les conséquences en matière de relations de l'Algérie à l'international. Forcément attentifs à l'évolution du bras de force entre le pouvoir et le Hirak, les Etats étrangers, notamment les démocraties occidentales, restent dans l'expectative; ce qui a pour effet de tendre l'atmosphère et gêner les échanges et les éventuelles initiatives de collaboration avec la nouvelle équipe dirigeante. A noter que la fragilité d'un président pas bien élu est généralement sournoisement exploitée par les partenaires étrangers soucieux de leurs seuls intérêts. La situation économique déplorable, s'empirant de jour en jour, s'enlisant en toute vraisemblance vers une crise difficilement surmontable, est un autre gros écueil saillant sur lequel risque de se briser les meilleures volontés. A titre illustratif, des milliers d'emplois sont menacés de disparition suite à l'arrêt de nombreuses entreprises, pour certaines en raison de l'emprisonnement de leurs patrons. Selon monsieur Sami Agli, président du Forum des Chefs d'Entreprise (FCE), ?'500000 postes d'emplois ont été perdus ces derniers mois''. Il parle carrément d'une économie en panne. L'investissement et la création de nouveaux emplois sont en berne. A ce train, on assisterait, impuissants, à une augmentation exponentielle du chômage, prélude à des turbulences sociales fatalement préjudiciables. D'où l'urgence de réserver une attention particulière aux revendications d'un peuple qui manifeste pacifiquement, en nombres impressionnants depuis des mois. Les manœuvres dilatoires ne payent plus. Tant que la situation politique n'est pas assainie, aucune issue apaisée n'est envisageable. Par ailleurs, seul un gouvernement de compétences avérées, soigneusement choisi pour appliquer un programme bien pensé, s'appuyant sur des expertises reconnues, animé d'un haut degré de responsabilité, est à même de contourner le danger et nous éviter une grande détresse économique, si ce n'est l'effondrement, voire un triste naufrage. Il s'agit dès lors de répondre à un impératif qui reste avant tout lié à la volonté du président de se départir des anciennes méthodes et de s'affranchir du pouvoir de l'ombre, contrairement à ses prédécesseurs qui se sont pliés à ses caprices, ont répondu favorablement à ses injonctions ou ont composé avec lui. La mise à jour, au moment des dures épreuves, fait apparaitre les hommes tels qu'ils sont au fond d'eux-mêmes. En termes clairs, pourrait-on attendre du nouveau président de la bonne volonté, de la force de caractère, du charisme et de la pugnacité, nécessaires pour asseoir son autorité suprême, que la constitution lui confère au demeurant. Condition sine qua non pour qu'il puisse imposer sa vision et exécuter un quelconque programme, en demeurant comptable uniquement envers le peuple et sa conscience. Nonobstant la légitime défiance, endémique, vis-à-vis du pouvoir, on pourrait faire l'effort d'inscrire favorablement à l'actif du nouveau président l'invitation au dialogue lancée au Hirak. On ne peut certes préjuger des intentions que pourrait cacher l'initiative, mais les entourloupes auxquelles nous ont habitués les hommes du système nous autorisent à être très dubitatifs. La rupture de confiance est malheureusement largement consommée pour des pans entiers de la population. En forçant l'optimisme pour aller au-delà des limites de notre imagination, avec en sus une bonne dose de candeur, on pourrait croire qu'un dialogue sérieux et constructif est envisageable. Par delà les aspects politiques et économiques peu reluisants, la personnalité de l'homme président importe beaucoup dans une équation si complexe. Si ce n'est pas trop lui demander, il doit faire preuve de capacités persuasives inouïes, de doigté et de dextérité politiques pour recycler les évènements à son avantage, et user subtilement de la force de l'argument afin de convaincre les citoyens de sa sincérité et dissuader par la même occasion les plus récalcitrants de camper sur des positions radicales. Si l'appel au dialogue n'est pas suivi de mesures d'apaisement concrètes, il sera appréhendé comme une énième fourberie qui ne fera qu'élargir le fossé qui sépare les deux parties et attisera la flamme de la contestation. Au moindre signe de filouterie ou de pratique insidieuse, ce qui n'est pas à écarter vu la nature profonde du système, les positions se radicaliseront d'avantage. Dans sa prétendue compagne de réconciliation nationale, le pouvoir évolue sur une corde raide. Admettons que le peuple algérien se singularise par une certaine mansuétude. Serait-il pour autant crédule au point d'accorder du crédit aux tenants du pouvoir dès qu'ils montrent patte blanche. Ceux-là mêmes qui l'ont si souvent et si longtemps roulé dans la farine. Ne dit-on pas : chat échaudé craint l'eau chaude. Et puis, qui fait deux fois naufrage, ne doit s'en prendre à la mer. Il va sans dire que des préalables, incontournables, sont à concéder dès l'entame du mandat présidentiel. Il s'agit d'abord de libérer les détenus d'opinion, en gage de bonne foi. En second lieu, cesser toute forme de répression et d'entrave aux libertés et autres droits fondamentaux. Ensuite, ouvrir le champ médiatique, assurer aux citoyens la liberté de s'exprimer, le droit de manifester pacifiquement et de s'organiser politiquement. Ouvrir un débat national sans exclusion, sans conditions contraignantes et surtout sans feuille de route imposée, pourrait œuvrer judicieusement en faveur de l'apaisement et peut être de l'adhésion à l'idée de la recherche d'une solution concertée qui pourrait être majoritairement consensuelle. Cependant, au regard de la complexité de la situation et de la rigidité du pouvoir face à la détermination du Hirak, l'œuvre s'avère relever du titanesque, difficilement réalisable. On n'a pas besoin d'être grand clerc pour comprendre la difficulté extrême d'engager un dialogue entre la logique de la continuité et celle de la rupture radicale et définitive. Il reste qu'en politique il n'est pas impossible de relever les défis les plus homériques. Agir en homme de pensée, penser en homme d'action, serait la bonne devise. Reste à savoir combien en sont capables et où se trouvent-ils ? Premier couac politique, déconcertant hélas, est cette étrange et maladroite déclaration du président fraichement élu, selon laquelle il nommerait des ministres de moins de trente ans d'âge. On a l'impression qu'il y'a confusion entre service administratif, où un jeune serait promu pour faire carrière pouvant le mener à de hautes fonctions, et un gouvernement où l'on traite les affaires d'un Etat. On aurait souhaité l'entendre dire que les critères d'ascension sociale et de désignation aux postes de responsabilité soient désormais la compétence, le mérite, l'expérience, la probité et autres qualités de ce registre. Encourager les jeunes et promouvoir leur progression en tout domaine est très louable. Verser dans ?'le jeunisme démagogique'' est contreproductif en matière de gouvernance. Si d'aventure tel est le genre de politique hasardeuse et populiste qui sera adoptée, bonjour les dégâts. A dieu ne plaise qu'on plonge encore dans le sempiternel ballet affligeant des erreurs, des lourdes méprises, sanctionnés immanquablement par de terribles échecs. Ma foi, on ne sortirait guère de l'auberge malfamée. Nous sommes aujourd'hui témoins et acteurs, chacun dans son rôle, d'une période cruciale qui va inexorablement projeter le pays dans une phase nouvelle de son histoire. On s'acheminerait vers un avenir prometteur si la raison et le bon génie président nos pensées et nos actes. L'heure est grave. Elle dicte et met en demeure d'affronter pragmatiquement la réalité par la vérité, aussi dure soit-elle, et par les actions concrètes, non par l'illusion et le discours creux, soporifique, qui a atteint son paroxysme sous Bouteflika. Jouer le rôle du directeur de pensée, du guide des consciences, du donneur de leçons en patriotisme, n'est plus de bon conseil. Si la crise venait à s'aggraver, puisse dieu nous en préserver, personne ne sera épargné. *Professeur Ecole Nationale Supérieure de Technologie. |
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