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![]() ![]() ![]() ![]() Entre les frustrations de toutes sortes, le poids des tabous et de
la religion dans une société en perte de repères, la gloutonnerie sans limite
d'une élite corrompue qui suce le sang du peuple comme un vampire, la ritournelle
étouffante de la hogra qui siffle dans les tuyaux
putrides des administrations, la chape de plomb de la guerre civile avec ses
ombres fantomatiques et les rêves de l'exil, la jeunesse algérienne se retrouve
comme réduite à ramasser les miettes de l'espoir dans un désert d'illusions. Dans «les
Bienheureux», un film de la réalisatrice Sofia Djama
ayant reçu le prix de la meilleure interprétation féminine à la section Orizzonti du Festival de Venise en 2017, c'est tout ce vécu
de souffrance qui est raconté avec subtilité à travers le récit d'un couple
d'anciens militants de la révolte d'octobre 1988. Samir, l'époux, gynécologue
de son état, est en instance de divorce avec sa femme, Amal, une professeure
d'université complètement désabusée. Pris de dégoût quant à l'avenir incertain
de son fils unique qui poursuit médiocrement ses études à la fac, le médecin
passe, en compagnie de sa femme, le plus clair de son temps, sans crainte
d'attraper la cirrhose, à faire le tour des restaurants chics de la capitale et
à boire du bon vin de Mascara dans les beaux appartements de ses amis intellos.
Les « vieux » n'ont désormais qu'une seule chose en tête, sorte de rond-point
où convergent tous leurs rêves, ceux d'hier et d'aujourd'hui : tracer à leur
fils, coincé dans cette Algérie sans rêves dont ils ne supportent guère la
bigoterie, la corruption et l'hypocrisie religieuse, une route vers l'étranger,
vers l'exil. L'image du désarroi de ces parents est saisissante. Elle est
comparable en bien des points au supplice de Tantale, dans la mesure où,
disposant pourtant de suffisamment de moyens et d'argent, ils ne sont en mesure
d'offrir à leur fils que la solution du départ vers l'inconnu ! «Partir,
répétait Le Clézio dans son essai »l'extase
matérielle», il faut partir. Il faut quitter vite, disparaître vers les régions
de l'anonyme, vers le possible». Cet auteur français n'a-t-il
pas lu, par hasard, dans la boule de cristal pour tomber là où stagne le
cerveau du jeune Algérien d'aujourd'hui ? Ce jeune qu'on a humilié, qu'on a
forcé au désœuvrement, au silence, à la harga et à la
honte d'être gouverné par un homme assis sur un fauteuil ! On trouve quasiment
le même cri d'angoisse dans un autre film « Dans ma tête un rond-point » de
Hassan Ferhani. Une métaphore haute en couleurs qui
résume, à elle seule, la quadrature du cercle d'une jeunesse longtemps tenue à
l'écart du destin de la nation. Cette fois-ci, ce sont les tripiers du grand
abattoir d'Alger qui prennent la parole. Trimant baignés de sueur et de sang,
ces derniers ne songent au fond d'eux-mêmes qu'à se suicider ou s'exiler,
conscients qu'un chômage inévitable les attend juste à la sortie et que
l'avenir, le leur, « est sans avenir » ! L'horizon qui se bouche, les clôtures
qui se dressent, les rêves qui fanent, ne sont-ils pas les ferments du Hirak 2019 ? Décidément oui, quand on sait que le
rond-point de toutes les angoisses se situe dans les quartiers huppés des
décideurs !
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