Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le
président de la République a démissionné dans des conditions dont le moins
qu'on puisse dire est qu'elles n'ont rien à voir avec la volonté de cet ex-chef
d'Etat, d'abandonner le pouvoir de son propre chef parce qu'il aurait
finalement reconnu son incapacité à l'exercer.
Une fin de règne sans dignité Ce n'est pas un sursaut d'honnêteté politique, ou de sens de l'honneur qu'il a choisi pour mettre fin à son mandat avant le terme échu du 28 avril 2019. Depuis juin 1962, avec quelques longues interruptions, cet homme a été un des piliers du système politique patrimonial qui gouverne le pays depuis si longtemps au point qu'il en a influencé tous les éléments, et qu'il semble l'incarner avec autant de puissance que le Djurdjura, les Aurès, les Monts de Tlemcen , les Hauts Plateaux, le Hoggar et le Grand Sahara caractérisent le relief de l'Algérie. On aurait souhaité que Bouteflika, dont on ne peut pas dire qu'il est un novice en politique, quitte le pouvoir avec la dignité qui sied, non seulement à son riche passé politique, mais également aux différentes responsabilités qu'il a assumées dans l'Etat algérien indépendant, sur une période de plus d'un demi-siècle. Lui, ou ceux, qui, au cours de ces sept dernières années, le manipulaient et agissaient, parlaient, écrivaient et décidaient en son nom, auraient pu donner, aux Algériennes et Algériens, une leçon de dignité et de sagesse politique qui aurait fait partie des traditions nobles pour les chefs d'Etat algériens du futur. Mais, lui et ses complices et comparses ont choisi de montrer jusqu'au bout leur petitesse morale, leur manque total du sens de l'Etat, leur égoïsme poussé jusqu'à la bêtise la plus primaire, leur absence de toutes convictions politiques ou de toutes visions autres que celle de défendre à tout prix leurs intérêts matériels, leur indifférence au sort du pays et leur attachement exclusif à la jouissance des privilèges qu'apporte le pouvoir suprême. On pensait que Bouteflika était un homme d'Etat mû, exclusivement, par un sens du devoir et d'attachement aux intérêts exclusifs du peuple algérien, qu'il a incarné pendant vingt années de suite, et de son propre choix. On sait maintenant qu'il n'avait rien des qualités qui font le vrai homme politique, que serait-ce le chef d'Etat à la hauteur de ses responsabilités morales envers son peuple. Il a fallu l'arracher littéralement de son siège et cette sortie, dans laquelle toute dignité de sa part était absente, il a, non seulement laissé une tache indélébile sur sa propre biographie, mais également sur l'histoire du peuple algérien. Il ne laisse ni l'exemple d'un homme d'Etat digne de passer en exemple pour les générations futures, ni un héritage politique sur lequel aurait pu être fondé le futur des institutions gouvernantes du pays, ni une économie ouvrant un horizon de prospérité et de dignité au peuple algérien. Même le niveau moral du pays est ébréché, et sa place parmi les nations du monde n'a rien d'enviable. Bouteflika a réduit l'Algérie en un vaste champ de ruines où tout exige d'être reconstruit totalement ou réparé. Même la société algérienne a perdu ses repères avec lui. Quels que soient les mérites qu'on lui reconnaît pour avoir pacifié le pays après la décennie noire, ils sont effacés par le lourd héritage qu'il laisse, après sa fin politique qu'on ne peut pas qualifier de digne. La classe politique aux abonnés absents Son départ n'a, cependant, rien à voir avec le « combat » de la classe politique actuelle, toutes instances confondues, depuis les institutions parlementaires, machines à palabres, à intrigues et à corruptions, en passant par les « personnalités et/ou partis politiques de l'opposition, » sans oublier les « partis présidentiels, » et les multiples organisations de la société civile. On constate, avec une grande angoisse, que cette multitude de « personnalités,» dont la moindre parole, le moindre geste sont largement diffusés sous toutes les formes médiatiques possibles, a eu, et continue d'avoir une influence nulle sur la marche des évènements qui a conduit à la déchéance de Bouteflika. Malgré leur présence médiatique forte, elles ne pèsent pas lourd dans la genèse du destin politique du pays, tel qu'il se dessine peu à peu. Elles existent, selon la fameuse distinction d'Avicenne, mais elles ne le sont pas. Elles ont une forme physique ; ces »acteurs » et « actrices » politiques maîtrisent la parole ; ils se distinguent, les uns des autres, par leur identité, leur personnalité, leurs penchants idéologiques, mais ils manquent, totalement, de substance ; leur présence physique et ses manifestations n'ont aucun effet sur la situation actuelle qui leur échappe totalement. Ils tentent de donner un sens à leurs interventions, à leur démarche, mais cela ne mène à rien. C'est comme s'ils étaient totalement absents de la scène politique, des sortes de figurants dans ce grand épisode du film de l'histoire de l'Algérie, de nouveau en mouvement, qui sont là pour donner un peu plus de relief au décor choisi par le grand metteur en scène, invisible, de ces évènements. Personne de ceux qui jouent les rôles principaux, dans cette histoire ne fait attention à eux, car ils sont simplement hors du coup, réagissant à contre-courant des évènements qui se précipitent sans leur participation, concevant des plans dans Sirius, qui n'attirent l'attention de personne, bref invisibles, paradoxalement, malgré leur présence physique qu'on ne peut pas ne pas remarquer. Les deux seuls acteurs dans l'évolution de La situation politique : l'Armée et le peuple mobilisé Les deux seuls acteurs, dans ce drame historique, sont, qu'on le veuille ou non, d'un côté, l'Institution militaire, de l'autre, le peuple mobilisé. Certains de ces « marginaux de la politique » auxquels personne ne semble s'intéresser et à juste titre, ont poussé des cris d'orfraie à la suite du message fort adressé par la hiérarchie militaire aux intrigants de tout acabit qui tentaient, au sommet du pouvoir « officiel » de faire durer la comédie d'un chef d'Etat hors d'état de fonctionner. Ces marginaux ont même été jusqu'à adresser des leçons de morale politique à ce haut commandement. Le fait est que cette intervention, dont il faut reconnaitre qu'elle s'est effectuée en marge des institutions constitutionnelles, dont l'existence n'est plus avérée que comme encre sur du papier, tellement elles sont déconsidérées, a cependant permis de clarifier le paysage politique et de relancer le processus de transition. Sans l'intervention de l'Institution militaire, et vu la faiblesse, pour ne pas dire l'absence, de tout système de contrepoids pouvant avoir une influence sur le cours de l'Etat, le pays serait tombé dans le piège des complots et contre-complots stériles et dangereux, car animés par des gens plus ambitieux que mus par le besoin de défendre l'intégrité politique du pays, et pouvant conduire à l'intervention directe ou indirecte de puissances étrangères. L'institution militaire a agi par défaut L'institution militaire a agi par défaut, parce qu'aucune autre institution n'avait le poids ou la crédibilité nécessaire pour agir. Dans un pays à système constitutionnel solide, on aurait sans eux, l'intervention de l'Assemblée nationale, ou d'une institution similaire, ou l'auto-saisine du Conseil constitutionnel ou de la Cour Suprême, selon les différences institutionnelles. On aurait vu les partis au pouvoir, ou ceux de l'opposition monter au créneau et imposer la fin de cette absurde situation politique. Mais, hélas! tout cet appareil, qui fait contrepoids au pouvoir suprême dans les pays « normaux,» n'existe pas en Algérie. Et il fallait bien que quelque institution prenne l'initiative de faire bouger les choses et de débloquer une situation qui pouvait mener à la paralysie de l'appareil d'Etat et à l'anarchie. Une intervention légitimée par la mobilisation populaire Mais, cette intervention du Commandement militaire n'aurait nullement été envisagée , ou même envisageable, sans la mobilisation populaire contre le système politique. Il fallait une justification à la reprise en mains de la situation par la hiérarchie militaire. Cette justification, comme d'ailleurs l'a rappelée le communiqué comminatoire du ministère de la Défense, venait de la voix du peuple. On n'aurait pas imaginé ces autorités intervenir pour mettre fin au disfonctionnement des institutions de l'Etat causé par la paralysie à son sommet, sans la poussée populaire pour un changement. En fait, le Commandement, malgré lui, et devant l'absence tant d'institutions étatiques ou de classes politiques ayant le poids politique nécessaire pour peser sur les évènements, est intervenu, qu'on le veuille ou non, par défaut. Il a fait bouger les choses, et a remis le train de l'histoire en marche, en forçant l'accélération des évènements, et en enlevant de la voie le boulet d'un président incapable d'assumer pleinement ses responsabilités. En conclusion : Vers quel destin politique cette nouvelle donne va faire déboucher le pays ? Des trois acteurs dont dépend ce destin, l'Armée, le Peuple, les organisations politiques actuelles, quel est celui qui va jouer le rôle d'inspirateur et de guide ? Cela dépend du poids et des capacités de mobilisation de ces trois pôles de pouvoir. Mais, dans le contexte actuel, en dehors des deux premiers, tous les autres acteurs ne sont que des figurants qui n'arrivent pas à sortir de leur rôle marginal, et il semble bien que les deux acteurs principaux seront l'Armée et le Peuple en marche. Comment cette équation à deux inconnues sera-t-elle résolue ? Nul ne peut prétendre avoir la réponse à cette question, et toutes les options restent ouvertes et sur la table ! Qui vivra, verra ! Libre, évidemment, à tout un chacun d'interpréter à sa guise la présente analyse. |
|