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Livres
Algérie. Textes et regards croisés. Etude de Anne Roche (préface de Afifa Brerhi). Casbah Editions, Alger 2017. 1.200 dinars, 387 pages. Il était fréquent, nous dit l'auteure, dans les années soixante (et cela dure encore, bien qu'il y ait un certain «découragement» face à la réalité du champ éditorial) d'entendre pronostiquer un dépérissement à plus ou moins court terme, de la littérature maghrébine d'expression française après les indépendances. On a même vu des grands écrivains abandonner la plume (exemple de Malek Haddad), s'avouant vaincus d'avance, ou alors changer de registre linguistique (pour ceux qui maîtrisaient l'arabe, à l'exemple de Rachid Boudjedra) pour élargir leur lectorat ou en conquérir un autre. Le pronostic ne semblant guère se vérifier (jusqu'à nos jours... 56 ans après l'indépendance de notre pays), une nouvelle et subtile façon de discréditer cette littérature consiste à affirmer que, malgré sa richesse quantitative et qualitative, ses écrivains sont incapables de projet -notamment social- et ignorent la dimension du futur. Rien que ça ! Il s'agissait, pour l'auteure, grande amie de le l'Algérie et spécialiste de sa littérature (francophone en particulier), non pas de démonter une façon de voir les choses mais surtout de démontrer la valeur et l'importance des «textes en français hors de France» (pas seulement au Maghreb, mais aussi dans bien des pays francophones: Canada, Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire, Suisse, Belgique, Vietnam, Haïti...) qui sont, «peut-être, la chance historique de la littérature française». Pour peu, bien entendu que, tout en étant «dans la gueule du loup» (emblématique désignation de Kateb Yacine), il faut savoir, tout en jouissant du délice de ses trésors, savoir et pouvoir se «dégager de la langue marâtre». «Etre dans la séduction et en souffrir» (Afifa Brerhi)... le projet littéraire par rapport à la question de la langue étant de gagner une souveraineté totale en déployant les ressorts de la désaliénation au plan de l'écriture qui ne peut, ne doit souffrir d'aucun monolithisme. Donc, analyse d'œuvres de onze auteurs: Dib, Mechakra, Farès, Kateb, Meddeb, Feraoun, Tengour, Lemsine, Mammeri, Djaout et Djebar... ainsi qu'une étude sur des «écrivains» français dans leur rapport à l'Algérie («L'Algérie vue par des Français»); surtout les «écrivains d'occasion» qui «n'ont écrit qu'une fois dans leur vie et n'ont en général pas trouvé, voire pas cherché d'éditeurs et qui ont écrit avant tout pour leurs enfants et petits-enfants». Des «non-écrivains», gens ordinaires... L'étude de trop ou la plus inutile... dans l'ouvrage ! Et, elle sera très intéressante, surtout pour les natifs de France, les «pied-noirs», les harkis et les «nostalgériques». Un autre ouvrage à part !? L'auteure: Professeure émérite à l'université d'Aix?Marseille, spécialiste de littérature française et francophone des XXe et XXIe siècles, auteure d'une vingtaine d'ouvrages de théorie littéraire ainsi que de fictions.Tout a commencé avec sa primo-lecture de la «littérature algérienne» (au sortir de la prime adolescence, évoluant dans le cercle des militants anticolonialistes en aide au FLN) ...«La Question» d'Henri Alleg. Extraits: «1962... La fin de la guerre. Des traces de tout cela, dans des romans ou des poèmes écrits plus tard. Ce n'était pas (encore) un objet de recherche. Des objets, il y en avait d'autres, mais l'Algérie, c'était une sorte d'ostinato (note: motif mélodique ou rythmique répété obstinément...), qui avait été nos vingt ans, la guerre était finie - est-ce que la guerre était finie ?» (p 18), «En règle générale, les écrivains qui ne sont pas francophones natifs, même et surtout parvenus à une parfaite maîtrise du français, enrichissent celui-ci par le jeu souterrain d'images, de métaphores, de tournures syntaxiques héritées de la langue mère». (p 49). Avis : Un ouvrage qui aide à mieux comprendre nos écrivains et leurs œuvres. La préfacière est assez sévère à l'endroit des écrivains et essayistes nationaux «qui boudent encore, à tort ou à raison, les maisons éditoriales locales». A chacun sa «harga», madame ! Citations: «Il n'y a pas de «langue propre», mais une langue d'écriture que chaque écrivant doit conquérir, quelle que soit sa situation linguistique initiale» (p 49), «La guerre, chantée pendant la lutte (de libération nationale) par une poésie clandestine en langue arabe ou berbère, se fige dans sa représentation, non à cause du passage de l'arabe au français, ni même de l'oral à l'écrit, mais parce que l'on est passé de la praxis à la commémoration» (p 59), «Qui dit mémoire dit aussi oubli, et l'oubli n'est pas uniquement le creux de la mémoire, il en est une sorte d'envers actif. La société organise la commémoration de certains événements, de certains faits, considérés comme fondateurs d'une identité nationale ou de groupe... Commémorer une chose, c'est toujours en occulter une autre». (p 327) Eloge de la belle-mère, à l'usage des gendres et belles-filles soucieux de préserver la paix de leur ménage. Essai de Ahmed Zitouni. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2016. 185 pages, 600 dinars. Côté jardin, toujours dans le désordre: Notre Sainte Mère l'Eglise, la mère patrie, la mère de Dieu, la mère du vinaigre, la grand-mère, la mère Tape-dur, la mémère, la mère supérieure, la mère adoptive, la maison mère, la belle-mère, la dure-mère, la fille-mère, la mère Machin-Chouette, la mère-grand, la mère de famille, la bonne mère, la joie d'être mère, la mère l'Oye, la reine mère, la mère gigogne, la mère poule, la mater dolorosa, la mémé, la mamma, la maman... Côté... cave, dans le désordre: petite mère, mère dénaturée, mauvaise mère, marâtre, belle-doche, puis se contempler en virago, carne, carogne, dame de la halle, dragon, forte-en-gueule, gendarme, grenadier, grognasse, harengère, harpie, poison, poissarde, pouffiasse, rombière, maritorne, mégère, ...tricoteuse... avorteuse... Le registre des appellations populaires est inépuisable. Des mères de toutes catégories, il y en eut... Mais si, pour les mères, la part est assez belle, pour les premières, la part semble maudite... et presque toute la littérature existante ne leur réserve aucune gloire. Les grandes oubliées et lorsqu'elles sont citées ou évoquées, c'est bien plus pour démontrer. Quelques pages en catimini, deux ou trois lignes jetées à la hâte. La belle-mère reste donc globalement frappée d'indignité littéraire, interdite de séjour sur les couvertures des livres... Elle est «la clandestine de toujours»... quand elle n'est pas décrite sous son plus mauvais jour. Un sondage (en France) datant de la fin des années 80... avait «découvert» que 80% des gendres et des brus pensaient que la belle-mère est «un agent hautement perturbateur»... 50% des brus estimaient que c'est «une vraie peau de vache» et 20% que c'est «un pot de colle»... Heureusement, 80% des gendres avouent avoir de bonnes relations avec leur belle-mère. Pris -théoriquement- entre «deux feux», lui-même gendre d'une (très) belle-mère, avec laquelle, dit-il il entretient de très bonnes relations puisqu'il lui dédie l'ouvrage (auquel elle a contribué «pour son sens de l'humour»), l'auteur va s'escrimer à montrer et à démontrer que la légende «noire» tissée ne repose sur rien de très sérieux. Seulement, dans toute mère, on a (volontairement) glorifié la bonne et accablé la belle... la transformant en bouc émissaire des échecs. Elle, la biche émissaire... qui a beaucoup œuvré à la paix dans les ménages en prenant, sur elle, haines et tensions... régulant les conflits, baby-sitter d'appoint, maman du mercredi (jeudi chez nous), conseillère conjugale à l'occasion... «L'enfer, ce n'est pas la belle-mère. C'est un monde sans belles-mères». Faut-il le croire ? L'auteur: Né en 1949 à Saïda. Ecole normale (Oran puis Alger). Enseignant de maths. Sciences Po' Aix-en-Provence. Ecrivain vivant dans le sud de la France, auteur de plusieurs ouvrages (romans et essais). Extraits: «La solitude. Cette misère des êtres supérieurs, cultivée depuis comme une fleur rare. Unique, parce que choisie et non subie» ( p 23), «A ma connaissance, Mussolini est le seul chef d'Etat qui demanda la main de sa femme en menaçant sa future belle-mère d'un révolver. C'est aussi l'un des rares privilégiés à avoir fait exécuter son gendre. Ce qui explique son aversion pour la belle-mère?» (p 51), «Si la contraception est affaire de femmes, de mères et de belles-mères, elle n'est guère le souci dominant des hommes. D'ailleurs, la plupart d'entre-eux songeaient plus à rendre les femmes enceintes qu'à leur éviter de le devenir: n?était-ce pas la preuve vivante d'une virilité qu'il fallait sans cesse confirmer ?». (p 101) Avis : Un livre bien écrit (avec un -trop ?- grand souci d'un exercice de style réussi), dans lequel on trouve du sérieux et beaucoup d'humour. A lire... par les brus et les gendres, pour mieux connaître leur autre «maman». Déconseillé aux belles-mères susceptibles et/ou acariâtres. Citations: «Le dictionnaire est une maison dans laquelle on entre pour s'informer et de laquelle on sort sournoisement déformé» (p 32), «Et si l'histoire de l'humanité n'était pas l'histoire de la lutte des classes, mais celle de la lutte des sexes» (p 53), «On ne naît pas femme, on ne naît pas mère, on naît encore moins belle-mère, on le devient» (p 53), «Qu'est-ce qu'un couple, sinon deux individus qui se débattent entre deux fantômes: ce qui reste de leurs mères, le noir miroir de leur inconscient». (p 84) Démographie et/ou développement Actes du séminaire (Alger, 4 mars 2017) en hommage à Abdelhamid Benzine sous la direction scientifique de Fatma Oussedik.Editions Association Les Amis de Abdelhamid Benzine, Alger 2018, 93 pages, 400 dinars. Un sujet de débat qui n'est qu'apparemment nouveau... puisqu'il était posé, dans les mêmes termes, affirme Fatma Oussedik, la directrice scientifique du séminaire... dans les années 1970, associant démographie et développement. C'est dire qu'il n'est pas encore résolu, se retrouvant posé, peut-être même avec bien plus d'acuité.On parle aujourd'hui (article de presse en janvier 2015) de «bombe à retardement»... avec, bientôt, une progression de la natalité dépassant le cap du million de naissances par an, l'Algérie occupant, ainsi, le «haut du pavé» mondial en la matière. A vrai dire, une démographie «déraisonnable» étant donné un développement économique «insuffisant» (en raison, la plupart du temps, sinon toujours, de mauvaises politiques, de mauvaises lois et de mauvaises institutions). Un débat (le 7e du genre... le premier ayant eu lieu en 2005... tous ayant fait l'objet de publications sous forme d'«Actes», donc, s'articulant autour de cinq interventions introduites par Fatma Oussedik, chercheure associée au CREAD qui n'est plus à présenter et qui avait tenu à replacer les enjeux auxquels est confronté notre pays dans un cadre plus large, celui du continent africain auquel il appartient: Celle de Ahmed Mokaddem qui a livré une histoire des politiques démographiques en Algérie et des réflexions qui aident à répondre à la question: y a-t-il eu une doctrine algérienne de la démographie ? Youssef Courbage, lui, replace les variables de la démographie au cœur des enjeux culturels et sociaux des populations et présente les contre-transitions démographiques dans les pays arabes. Felwine Sarr, pour sa part, plaide pour une nouvelle approche de ce qui ne s'appellerait pas forcément le «développement», mais plutôt le «bien-être» ou le «bien vivre». Nacer-Eddine Hammouda, de son côté, présente une «analyse de la fécondité». Quant à Mustapha Omrane, il se penche sur le dividende démographique en Algérie... et la précision des concepts qui nourissent le débat. Les auteurs : Fatma Oussedik (professeure de sociologie, chercheure au CREAD), Ahmed Mokkadem (ancien DG de l'ONS et ancien chef de cabinet du ministère de la Planification), Youssef Courbage (démographe, directeur de recherches à l'INED/Paris), Felwine Sarr (économiste, professeur à l'université de Saint-Louis/Sénégal), Nacer-Eddine Hammouda (statisticien, économiste, chercheur au CREAD), Mustapha Omrane (socio-démographe, chercheur au CREAD). Extraits : «Ce n'est pas les chiffres de la population qui causent la pauvreté, mais les mauvaises politiques économiques, les mauvaises lois et les mauvaises institutions (Nicolas Eberstadt, 2009, p 7), «La révolution démographique a entraîné des bouleversements des hiérarchies familiales traditionnelles et a eu une forte portée dans la sphère sociale et politique. D'où le cycle des «printemps arabes» avec leurs hauts et leurs bas et les déboires actuels». (Youssef Courbage, p 46) Avis : Haute teneur scientifique pouvant intéresser aussi bien les chercheurs, les universitaires enseignants et/ou étudiants en démographie... que les simples citoyens car... tous concernés. Citations: «Le développement est un mot-valise dans lequel on met toutes les aspirations vertueuses de l'humanité. Ce concept tel qu'il est né est devenu idéologique et on peut le critiquer pour bien des raisons: il implique un retard des pays en développement par rapport aux pays développés, ainsi qu'un mimétisme, une voie toute tracée qui n'est pas la panacée» (Felwine Sarr, p 11), «Si la démographie est une psychanalyse, les comportements des sujets s'inscrivent toujours dans une histoire des personnes et de la société» (p12), «Ce sont les décideurs qui décident, ils ont le pouvoir. Ils doivent prendre conscience de l'importance de la population parce que c'est elle qui est l'objet du développement. Un pays se développe pour sa population. Il faut avoir un regard continu sur elle, il faut la considérer dans la problématique du développement». (Mustapha Omrane, pp 92-93) PS: Difficile pour la rubrique la plus francophone du journal (la quasi-totalité des ouvrages, présentés in Médiatic, sont de langue française... mais édités en Algérie) de ne pas évoquer le 20 mars, Journée internationale de la francophonie (qui n'a rien à voir avec la francophilie), d'autant que, malgré bien des obstacles naturels ou/et artificiels, l'Algérie reste tout de même le troisième pays francophone au monde après la France... et le Congo. Comme contribution, le Conseil économique et social français (CES) et l'Institut de France ont mis les petits plats dans les grands: dictées, tables rondes, expositions, plateaux TV et radio... et une floppée d'invités (écrivains et chercheurs dont beaucoup d'origine nord-africaine). Une véritable grande offensive menée par, entre autres, la grande écrivaine Leila Slimani, Franco-Nord-Africaine (conseillère de E. Macron sur la francophonie, chargée, entre autres, de préparer le sommet de la francophonie qui se tiendra en... Arménie, en octobre prochain). Objectif: étendre le poids de la langue française au sein des institutions internationales pour en faire la deuxième langue la plus parlée dans le monde dans les trente prochaines années... La croissance démographique en Afrique va certainement y aider pour ce faire. Pour notre part (car le Maroc a déjà un des plus grands réseaux des écoles françaises dans le monde et le monde arabe, surtout les pays du Golfe et l'Egypte, sont en train de s'y mettre sans complexe), il faut seulement, pour emprunter à Nacer Kettane («Beur Fm») , «dépolitiser l'usage du français et le dissocier du passif colonial»... seules voies pour se débarrasser de notre «attitude schizophrénique» qui a fait qu'un «tribut de guerre» se soit, peu à peu, transformé. De «trésor», à exploiter ou, au moins, à entretenir, il est devenu un «boulet» dont les clefs du cadenas sont toujours entre les mains des autres... avec, ici, nos «coupeurs de jambes» (ou de têtes) à l'affût ! Pour mémoire, Tahar Ouettar disait, dans une interview à «The Middle East Magazine», en avril 1984: «La langue française est un acquis pour l'Algérie. C'est une fenêtre ouverte sur le monde moderrne et c'est une arme qu'on doit utiliser» |
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