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Le
droit et la justice font rarement bon ménage avec les grandes affaires dites « poeple », très médiatisées. Une meute de loups hurle pour
faire valoir une moralité qu'elle estime être bafouée, ce qui est contraire à
la justice comme aux grands principes du Droit. De certaines, on peut cependant
trouver occasion à faire oeuvre de pédagogie en
profitant de la lumière qui s'est portée sur elles. C'est le cas de l'affaire
Bertrand Cantat qui a secoué une partie de la
population française.
Cette affaire pose l'une des questions les plus célèbres du droit, étudiée dès les premiers cours en Université puis reprise plus tard, en recherches et publications scientifiques. Le droit n'est pas la morale apprennent les étudiants débutants. Or cette actualité médiatique remet en cause une décision de libération et les droits qui sont attachés à tous ceux qui on purgé leur peine. Peuvent-ils se comporter comme tous les autres citoyens ? Ont-ils tous les droits, etc... Et tout cela au nom de la morale publique que brandissent certains. Le droit répond positivement à ces questions, à quelques exceptions que nous citerons très rapidement plus loin. La damnation éternelle n'existe que dans les religions, pas dans la justice des Hommes, lorsque les pays se donnent les moyens d'en organiser une qui corresponde aux normes modernes et évoluées de l'humanité. Il n'est absolument pas question de rédiger un traité de droit érudit car le but d'un média est de faire partager quelques notions simples sans que l'auteur n'ait à divulguer son opinion personnelle, inutile pour la neutralité du raisonnement. Il essaiera pour cela d'équilibrer le propos par les deux points de vue qui s'opposent. Commençons par rappeler cette affaire même si le lecteur en a largement été informé. Puis nous aborderons le fond du sujet avant de se poser la question sur l'erreur éventuelle du chanteur, si nous pouvions convenir qu'il y en ait une. Les faits et la question posée En 2003, au cours d'une dispute de couple, le chanteur Bertrand Cantat, leader du groupe connu Noir désir, lève la main sur sa compagne, Marie Trintignant, une actrice aussi connue par ses rôles que par le nom de son père. L'actrice tombe dans dans le coma et décède. L'intention de la mort n'y était pas mais les juges ont lourdement condamné le compagnon, notamment sur l'argument de violences conjugales dont il aurait été coutumier. Bertrand Cantat sort quelques années plus tard de prison, ce qui semble toujours être trop court et trop douloureux pour ceux qui ont perdu un fils ou une fille et également pour un public qui ne peut supporter que ce dernier reprennent des concerts publics. Et là se pose le débat en droit car des manifestations assez fortes empêchent le chanteur de continuer à honorer ses contrats tant la situation est devenue impossible. Dans cette montée de colère, les médias et les éternels chroniqueurs des chaînes à information continue ont alimenté la colère populaire par un lynchage médiatique sans précédent. C'est au nom d'une morale que le public a considéré inacceptable l'outrecuidance à vouloir continuer une carrière de spectacles, dans la lumière des concerts, alors que la pauvre Marie est encore vivante dans leur mémoire. Il y a donc deux revendications qui s'opposent, celle de l'acteur dans son droit puisqu'il a «payé sa dette à la société» et celle du public qui bloque ses concerts au nom de la «morale». La morale ne peut être une norme en démocratie La morale est considérée être le corpus des valeurs auxquelles le citoyen doit se conformer pour se plier à une convenance sociale. Jusque là, rien d'anormal si ce n'est que la morale, dans son acception la plus fréquente, fait référence aux valeurs religieuses. C'est cette acception que nous prenons comme hypothèse dans cet article car c'est le plus souvent elle qui est relevée lorsque la société s'offusque et demande la punition la plus élevée au nom de la morale. Or cette morale présente trois points absolument impossibles à concilier avec la démocratie. Le premier est qu'il y a autant de morales qu'il y a de groupes d'individus, de personnes isolées, de sociétés ou de religions. Laquelle peut constituer une référence ? Il serait alors dangereux que la règle majoritaire s'applique car la minorité serait dans un enfermement absolument totalitaire. Le second point est le contrôle impossible de cette application de la morale pour les raisons qui découlent du premier point. Qui sera en charge de vérifier la légalité de la morale, quelle institution et sous le couvert de quelles garanties ? Le troisième et dernier est que la morale se base sur le manichéisme du bien et du mal. Or la justice pénale, surtout en matière criminelle, a pour objet de remettre l'humanité de la personne dans son explication complexe. On voit ainsi la dangerosité de la morale si elle venait à s'ériger en règle de droit. Et ne parlons pas de celle des foules qui hurlent dans la rue et les manifestations. Le lynchage verbal et médiatique est tout sauf du droit et de la justice. Le droit n'est pas la vengeance Abordons maintenant un autre angle, celui de l'acceptation d'une décision de justice. Celle-ci n'est pas la vengeance et aussi horrible que soit la souffrance des familles des victimes, on ne peut déroger à ses règles lorsqu'elles sont démocratiquement établies. Ou alors il faudrait définitivement se plier à la pratique barbare qui consiste à répondre au crime par le crime. Ce n'est évidemment pas la solution, rejetée massivement par l'histoire et par l'évolution de certaines démocraties modernes. La justice pénale condamne un crime en punissant son auteur d'une longue peine d'incarcération. C'est déjà une dérogation importante au principe de la liberté, on ne saurait être plus sévère envers l'être humain. La barbare peine de mort a été bannie des législations européennes et on ne saurait revenir en arrière sur ce point. Bertrand Cantat a été jugé et condamné. Il a purgé sa peine et recouvre donc pleinement sa liberté de vivre. Rappelons-le, la justice c'est aussi le droit à la réinsertion sociale, une marque fondamentale qui nous vient de la morale religieuse, les croyants devraient s'en souvenir car c'est le plus souvent eux qui sont les adeptes de la peine de mort. Il peut donc recouvrer sa pleine capacité juridique puisque les juges n'ont assorti la peine d'aucune prolongation de privation d'un quelconque droit. Il est parfois des cas, comme l'obligation de se soigner, d'éviter de vivre sur un territoire proche de la victime, de voir ses droits civiques limités, comme le droit à l'éligibilité ou celui du vote, et ainsi de suite. Bertrand Cantat n'est lesté par aucune de ces privations légales, et donc peut continuer à vivre de sa passion et de ses compétence, soit la musique et les représentations en concerts. Le droit serait-il donc immoral ? Absolument pas, car la morale, notamment dans sa version religieuse, est profondément ancrée dans le droit laïc des sociétés modernes et civilisées. Lorsque la légende biblique décrit Moise brandissant les tables de la Loi à son peuple vautré dans la luxure et la déviance durant son absence, on y lit « Tu ne tueras point ». Qu'est-ce donc que cette prescription sinon la règle de droit inscrite depuis longtemps dans le Code pénal des civilisations modernes ? Le droit est le fruit d'une émanation directe des valeurs d'une société, de son évolution et de son système de gestion sociale. C'est une évidence profondément comprise par les juristes et il ne peut en être autrement. Alors pourquoi affirme-t-on le contraire en prétendant que le Droit n'est pas la morale ? La réponse est évidente si le lecteur veut prêter attention un petit instant. La morale qui est incluse dans le droit a été, de longue date, introduite avec une certaine « laïcisation » c'est à dire avec deux filtres fondamentaux. Le premier est qu'elle ne fait absolument plus, pour la majorité des pays, référence à un système de valeurs religieuses. Le second filtre est certainement tout aussi fondamental. Avant de transposer la règle morale dans le Code pénal, on s'est assuré de l'existence d'un contrat social qu'on appelle tout simplement la démocratie et sa règle majoritaire. Pour que cette dernière soit exempte de nullité absolue, il faut que la liberté de conscience, de choix et d'expression ne soient pas entachées de vices graves comme la terreur, le monopole de l'information et la propagande à travers les médias et l'éducation nationale. Et enfin, corollaire du point précédent, cette morale est rédigée d'une façon neutre qui identifie un crime selon des critères choisis par lesquels le consensus social accorde le pouvoir de sanction à une institution, elle même contrôlée par des écrits sans autres référence que ceux de la république. C'est en cela qu'on peut dire, sans risque de contradiction, que la morale, même religieuse, forge le système de droit mais, en même temps, que la morale n'est pas le droit. Elle devient une règle socialement acceptée, en toute liberté et dans une version républicaine. On ne peut pas dire que la remise en liberté accordée à Bertrand Cantat est immorale face à la douleur des familles. Cependant, l'argumentaire juridique n'arrivera jamais à éviter que la société soit choquée par le fait qu'un criminel retrouve la scène, la célébrité et chante ostentatoirement son bonheur retrouvé. C'est qu'il y a un chaînon manquant dans le raisonnement, il nous faut l'aborder. Où est donc l'erreur condamnable ? Dans son obstination à vouloir recouvrer son droit légitime à la réinsertion, Bertrand Cantat a oublié qu'il était devenu un mythe, un symbole. Et face à un mythe ou un symbole, ce n'est plus la raison qui l'emporte. Il y a une globalisation aveugle du jugement qui ne peut être substitué par un raisonnement serein et éclairé. Personne n'a obligé Bertrand Cantat a choisir la voie de la célébrité. Personne n'est responsable si le patronyme de sa défunte compagne est très célèbre. C'est son choix, il en résulte qu'un « certain public» ne peut faire facilement la part des choses. Certes, les grandes affaires qui retiennent l'attention du public et qui amènent certains à hurler en meute, relèvent le plus souvent de crimes effroyablement abjects dans leur exécution, parfois avec une récidive monstrueuse. Pour l'affaire Bertrand Cantat, ne l'oublions pas, il s'agit du caractère violent de la personne qui a entraîné le drame et non la volonté de tuer. Nous sommes loin des grandes affaires criminelles même si le comportement du chanteur devait être puni de la plus sévère des sanctions pénales. Mais, malgré tout, Bertrand Cantat a commis une double erreur de jugement. Il ne s'est pas rendu compte que sa célébrité le portait au rang de symbole et, surtout, que sa méthode de réinsertion était pour le moins des plus contestables car très voyante, comme une provocation, même si ce n'est pas l'objectif. Bertrand Cantat avait le droit de reprendre le chemin de ce qu'il sait faire, la musique, mais n'y avait-il pas d'autres moyens pour retrouver une vie sociale et professionnelle proche comme écrire des chansons, proposer des mélodies, participer à l'organisation de concerts etc. ? Là apparaît la limite de l'argument de défense, c'est certain. Mais il ne s'agit plus de droit sinon d'une responsabilité de comportement de celui qui a voulu outrepasser la sensibilité populaire en faisant strictement usage de son droit sans se préoccuper du reste. Or, ce reste, c'est aussi la justice des Hommes car l'âme et le ressenti ne se conforment pas toujours exactement au règles de droit. Bernard Cantat a tous les droits mais il doit faire preuve d'humilité et de responsabilité. C'est peut-être dans cet équilibre que se trouve la réponse à la question, tellement posée aux étudiants en Droit. *Enseignant |
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