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Dans
la structure complexe, et parfois opaque, des institutions algériennes, la
diplomatie occupe depuis longtemps une place à part et, pouvait-on dire
jusqu'il y a peu, une place de choix. Déjà, durant la Guerre d'indépendance, ce
fut l'un des principaux moteurs de la Révolution, peut-être même le plus
efficace en raison de sa capacité à internationaliser la cause algérienne et à
mobiliser des soutiens conséquents sur tous les continents. Par la suite, elle
fut à la hauteur de l'ambition de faire de l'Algérie un acteur autonome et
singulier sur la scène internationale. Au-delà de ses compétences, ce corps de
métier avait l'obsession de se distancier à tout prix des passions populaires
et de veiller à véhiculer la meilleure image possible du pays. Une volonté,
parfois exagérée, de garder la tête froide dans les moments les plus chauds et,
surtout, de ne pas céder à notre inclinaison berbéro-arabo-méditerranéenne
(l'Afrique subsaharienne, elle n'a rien à voir avec cela) de donner libre-cours
à un tempérament impétueux où l'invective et le gnon prennent le pas sur la
raison et le dialogue.
Autrement dit, ce qui a longtemps caractérisé cette diplomatie, c'est une retenue, certes parfois sourcilleuse mais toujours sobre. Un souci évident de faire sérieux, sévère, limite revêche, et d'être toujours prompt à chapitrer l'agité qui userait d'un langage trop direct ou susceptible de paraître inconvenant. Cette ligne de conduite a façonné la fameuse période d'âge d'or de la diplomatie algérienne (1962-1981 *) auquel les temps actuels, et ce qu'ils génèrent comme accablement et nostalgie pour un passé magnifié, ne cessent de nous renvoyer. Il est vrai que lorsqu'on agit pour faire du pays l'un des leaders du tiers-monde ou que l'on promeut un nouvel ordre économique international, on peut user d'une « diplomatie à arêtes vives » mais l'on ne s'abaisse pas à insulter telle ou telle nation. Reste que les temps changent, les ambitions internationales de l'Algérie ont été révisées à leur niveau le plus insignifiant et s'en prendre de manière triviale à nos voisins est ce que vient de commettre Abdelkader Messahel, le ministre des Affaires étrangères. Prenant la parole lors de l'université d'été du Forum des chefs d'entreprises (on est prié de réprimer tout sourire), ce responsable s'est livré à quelques malencontreuses divagations à propos de l'Egypte, la Libye, la Tunisie et, bien entendu, le Maroc accusé, entre autres, de blanchir, via ses banques, l'argent du haschisch en Afrique. Voilà donc où nous en sommes? La construction maghrébine est déjà bien mal en point, utopique disent même certains, mais cela ne semble pas être assez. Pour occuper les deux peuples et les distraire des vrais problèmes politiques et économiques, faut-il provoquer un conflit entre l'Algérie et le Maroc ? Car tous les ingrédients sont réunis depuis longtemps mais l'on pensait que la retenue diplomatique jouerait le rôle de pare-feu. De part et d'autre de la frontière, il y a des pyromanes qui adorent jeter de l'huile sur le feu (on notera, que cette fois, ce n'est pas un obscur nervi du Makhzen qui décroche la palme du propos inconsidéré). Comme partout dans le monde, les réseaux sociaux sont devenus de formidables caisses de résonnance pour celles et ceux qui véhiculent les pires discours de division. Et contrairement à ce qui peut s'écrire ou se dire, le contentieux du Sahara n'explique pas tout. Au fil des années, les jeunesses algérienne et marocaine ont été peu à peu conditionnées à se détester, à se défier. On ne leur sert que l'affrontement comme perspective. D'habitude, le football sert de catalyseur à ces mauvaises passions mais, dans le cas présent et pour ce qui concerne l'Algérie, le wanetoutrisme fait très bien son boulot. Ce nationalisme mortifère enlève toute lucidité et désigne à la vindicte populaire toute personne appelant à la retenue à l'intelligence et, osons ce mot galvaudé, à la fraternité. Algériens et Marocains peuvent perdre leur temps en mettant en exergue les tares de l'autre. Chacun peut aussi faire preuve de mauvaise foi en réfutant les (rares) réussites du voisin. Ainsi, que M. Messahel le veuille ou non, les banques marocaines ont un degré de professionnalisme et de technicité inexistant en Algérie. Et il est vrai que l'Afrique subsaharienne est un terrain de croissance pour nombre d'entreprises du royaume, on pense notamment aux télécoms et à l'immobilier. De même, TangerMed n'est pas une simple zone-franche où quelques Marocains trouvent un emploi. C'est un beau pari industriel et logistique ou, du moins, c'est une tentative concrète de penser une politique économique de développement régional à l'aune du XXIème siècle. Mais, à dire vrai, faire un tableau comparatif entre les deux pays n'est guère utile. Car si l'on prend un peu de hauteur, la bisbille algéro-marocaine ressemble surtout à une rivalité entre cancres. Sur les réseaux sociaux, il a été beaucoup été question du classement « Doing business » de la Banque mondiale où les trois pays maghrébins sont en queue de classement, l'Algérie étant le pays le moins bien noté. Oublions cette classification d'essence néolibérale et intéressons-nous à d'autres considérations. Prenons, par exemple, le classement de 2016 en fonction de l'Indice de développement humain (Idh). Cet indicateur conçu par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) est basé sur trois éléments principaux : l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le niveau de vie. Là aussi, en 2016, comme pour les éditions précédentes, l'Algérie (83°) comme le Maroc (123°) (ou la Tunisie, 97°) ne brillent guère. Dès lors, on comprend, si besoin est, que c'est la nécessité de faire oublier cet échec, cette incapacité à améliorer la vie des Algériens (ou des Marocains) qui explique maintes manœuvres dilatoires et chauvines. (*) Ardavan Amir-Aslani, « L'Âge d'or de la diplomatie algérienne », Editions du moment, Paris, septembre 2015, 237 pages, 19,95 euros. |
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