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Fillon élu président pourra-t-il aplanir les divergences entre les États-Unis et la Russie pour mettre fin à la guerre civile en Syrie ?

par Medjdoub Hamed *

Comment comprendre le formidable déballage médiatique qui a frappé, à quelques mois d'intervalle, le candidat américain Donald Trump, devenu en novembre 2016 le 45ème président des États-Unis, et le candidat aux élections présidentielles françaises, François Fillon ?

Empêtré dans plusieurs affaires d'emplois fictifs, Fillon est mis en examen le 14 mars 2017 pour «détournement de fonds publics», «recel et complicité d'abus de bien sociaux» et «manquement aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique».(1) Pourquoi ce déballage n'a fait irruption que depuis qu'il a remporté la primaire de la droite et du centre en France, le 27 novembre 2017, avec 66,5% des voix. Et qu'il n'a commencé qu'après que sa nomination fut validée le 14 janvier 2017 par le Conseil national des Républicains. En effet, le 25 janvier 2017, le Canard Enchaîné révèle des affaires et controverses sur les emplois de sa famille comme assistants parlementaires. Les conséquences ont été désastreuses, l'image du candidat intègre a été abimée et a entraîné une diminution d'intentions de vote en sa faveur.

Comment comprendre ce déballage médiatique sur la famille de François Fillon et sa mise en examen à un mois des élections présidentielles ? Il est évident, pour qu'une campagne contre le candidat de la droite et du centre ait pris une telle ampleur que ce sont des intérêts majeurs qui sont en jeu en France et dans le monde. Et ces intérêts risquent d'être bousculés si le candidat Fillon est élu président de la république.

1. Etat des lieux au début du XXIe siècle. L'ouragan Katrina a évité des millions de morts

Le premier élément qui apparaît dans les élections présidentielles françaises est qu'il ne laisse pas indifférent le reste du monde, en particulier les grandes puissances. Pourquoi ? Par le rôle que la France joue dans les affaires du monde. Quatrième puissance nucléaire dans le monde, après les États-Unis, la Russie, la Chine, et cinquième puissance économique, après les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne -elle a surclassé le Royaume-Uni depuis le Brexit. D'autre part, elle est un pays très sollicité par les grandes puissances. Souvent, par ses prises de position, elle remet en cause l'équilibre de puissance dans le monde et, ce faisant, la stratégie de domination de la première puissance du monde. Et les équilibres géostratégiques remis en cause par la France remontent loin dans l'histoire. Une situation qui n'est pas nouvelle. Pour ne citer que quelques prises de position depuis un demi-siècle.

«L'engrenage implacable de la guerre et de ses interminables séquelles allait justifier, bien plus encore qu'on ne pouvait le penser, ses avertissements et ses appréhensions. Il parut alors emporté par une vague de pessimisme face à la tragique accumulation des conflits qui, du Vietnam au Proche-Orient, ébranlaient le monde, «l'esprit et le fait de la guerre s'étendent à nouveau sur le monde», dit-il à ses ministres au Conseil du 21 juin. Il diagnostiqua en tout cas l'affirmation pathétique du fait national palestinien et l'impitoyable engrenage auquel il allait être inévitablement conduit : «Israël ayant attaqué, s'est emparé en six jours de combat des objectifs qu'il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur le territoire qu'il a pris, l'occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s'y manifeste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme.» Ceci est révélateur du rôle que joue la France, à travers ce discours du général de Gaulle, en juin 1967, qui souvent montre quand elle rompt avec l'impérialisme, fait pencher la balance d'un côté ou dans l'autre, dans le sens qu'elle n'est ni aveuglément attachée à la politique souvent suicidaire de l'Amérique, ni solidaire dans la fuite en avant américaine pour le maintien de son hégémonie sur le monde. Une hégémonie qui se paie par millions de morts, hommes, femmes et enfants. Et des destructions terribles. (guerres de Corée, du Vietnam et en Irak...).

De même, lorsque la France rompt de nouveau avec l'impérialisme américain, en 2003, et devient le chef de file du «camp de la paix». Le président Jacques Chirac, le chancelier allemand, Gerhard Schroeder et le président russe Vladimir Poutine s'opposent à la guerre planifiée par les États-Unis contre l'Irak. L'histoire leur a donné raison. Les États-Unis sortirent comme en Corée, en 1953, comme au Vietnam, en 1973, et de nouveau de l'Irak, sans gains stratégiques ni économiques. Les troupes américaines, après leur enlisement en Irak, au point que les médias américains qualifièrent la guerre en Irak «de nouveau Vietnam», quittèrent le territoire irakien, le 31 décembre 2011.

Plus grave encore, ils subirent la plus grave crise financière en 2008 de leur histoire depuis 1929. Sans compter l'ouragan Katrina qui a plongé la Nouvelle-Orléans sous les eaux et la Louisiane dans la désolation, en 2005. A cette époque, il faut rappeler que l'administration Bush était à deux doigts de lancer une guerre contre l'Iran, avec usage d'armes nucléaires contre les sites d'enrichissement nucléaire. Une guerre qui aurait certainement pris des proportions immenses surtout si l'Iran avait passé le seuil nucléaire. L'humanité aurait, pour la première fois de son histoire, eu une guerre nucléaire à l'échelle apocalyptique. Une guerre qui aurait nucléarisé tout le Moyen-Orient et dont l'humanité s'en souviendra à jamais.

Et les humains que nous sommes ne peuvent savoir l'avenir de l'humanité. Par exemple, les puissances coloniales européennes avaient-elles su qu'elles allaient être entraînées dans deux conflits mondiaux, en 1914 et 1939. C'est arrivé parce que c'était nécessaire que cela devait arriver. Sans ces deux guerres mondiales, l'Afrique et une grande partie de l'Asie seraient probablement encore colonisées aujourd'hui. D'autre part, malgré la toute-puissance nucléaire que les Grands de ce monde détiennent en ce XXIème siècle, sauront-ils un jour que ces armements nucléaires seront utilisés. A voir seulement les menaces constantes de la Corée du Nord, le belliqueux voisin de la Chine et de la Russie. Evidemment, ils ne peuvent savoir parce que quand bien même les hommes agissent, ils restent toujours dépendants des contingences historiques. Et ce sont ces contingences qui donnent le sens du devenir du monde.

En revenant à l'ouragan Katrina, de nombreux Américains avaient crié que Dieu était contre l'Amérique. Et ils n'ont pas eu tort. Précisément, c'est cette peur des forces naturelles imprévisibles qui peuvent être immensément destructrices, tel que fut l'ouragan Katrina, et les catastrophes qui ont frappé plusieurs États américains en 2005, qui ont amené l'administration Bush à méditer sur sa politique au Moyen-Orient. Lancer une guerre contre l'Iran, c'était commettre l'irréparable avec des conséquences apocalyptiques. Et ce sont probablement ces craintes qui ont envahi leurs esprits et ont fait reculer leur détermination d'attaquer l'Iran. On peut sans l'ombre d'un doute dire que l'ouragan Katrina a joué un rôle déterminant dans l'éventualité d'une guerre nucléaire au Moyen-Orient. Et cette force naturelle a sauvé des millions d'êtres humains d'une mort certaine, des villes iraniennes, saoudiennes et israéliennes d'être rasées de la terre. Dire que l'Histoire avait décidé autrement est rationnel, sauf évidemment si on ne veut pas croire qu'il existe une Force au-dessus des hommes qui dirige le monde. Dès lors se poseraient les questions qui se posent sur l'essence et le sens de notre existence sur Terre: « Qui fait tourner la Terre ? Qui donne les saisons et leur merveilleuse régularité ? Qui donne la vie et la mort ? Ou pourquoi nous existons ? Est-ce simplement pour vivre et se reproduire ? »

C'est ainsi que le président Bush n'a pas cessé d'user de la rhétorique «Toutes les options sont sur la table» pour menacer, alors que tout était décidé ailleurs. Aujourd'hui, cette situation est dépassée. Les États-Unis ont quitté l'Irak, ne laissant qu'une petite force pour la formation des forces armées irakiennes. Mais le mal est fait, et la situation en Irak est restée conflictuelle entre les entités ethniques et confessionnelles. A laquelle se sont greffés les intérêts géostratégiques des grandes puissances et ceux des chefs de file régionaux. La situation s'est encore complexifiée jusqu'à l'irruption d'un autre événement contingent, le «Printemps arabe», qui est venu à son tour rebattre les cartes du monde arabe. Comme l'histoire ne cesse de nous étonner !

Depuis son déclenchement en janvier 2011, ce printemps, après avoir emporté quatre présidents (Tunisie, Egypte, Libye et Yémen), a mis à feu et à sang plusieurs pays arabes. Les plus touchés sont l'Irak, la Libye, le Yémen et la Syrie. Six années de guerre civile en Syrie, et aujourd'hui, le conflit est sans issue. Un pays qui est écartelée, la guerre s'est internationalisée. Malgré la libération des villes (Alep, Hama, Homs...), rien n'est acquis définitivement. Y compris en Libye, au Yémen et en Irak. Libérer Mossoul en Irak ne signifie pas la fin de la guerre, tant que les populations sunnites et chiites ne s'accorderont pas sur un minimum d'un vivre-ensemble. Et même en cas de chute du Daech, il y aura toujours des djihadistes sunnites qui fondent dans la population, cachant leurs armes en attendant de reprendre la lutte. Et qui est Daech ? Qui a créé Daech ? Depuis les années 1970, les États-Unis n'ont pas cessé d'utiliser l'islamisme pour détruire les régimes politiques arabes progressistes, alliés à l'Union soviétique.

D'autre part, il suffit de voir qui est derrière cette organisation islamiste, qui elle sert et contre qui Daech combat. Ses principaux ennemis sont le gouvernement syrien, le gouvernement irakien, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien. Il combat donc tous les ennemis des États-Unis et d'Israël. Il sert par conséquent les intérêts américains qui veulent avoir la mainmise totale sur les gisements de pétrole de la région, et Israël qui ne veut pas d'un pays musulman fort qui remettrait en cause le statu quo que l'entité sioniste a mis en place par les guerres et qu'elle cherche à tout prix maintenir. Enfin, il faut citer aussi le conflit entre l'Iran et Arabie saoudite qui s'opère par des guerres par procuration interposées (Syrie, Yémen...). L'Arabie saoudite d'ailleurs a été forcée de constituer une coalition des pays monarchiques du Golfe pour combattre les Houtis du Yémen soutenus par l'Iran. Une guerre civile au Yémen qui accentue encore plus la division du monde musulman.

2. La Syrie divisée en zones antagonistes. Des millions de réfugiés syriens éparpillés dans le monde par la guerre

La situation est aujourd'hui à la croisée des chemins au Moyen-Orient. Pourtant, malgré le soutien militaire du Hezbollah libanais et l'aide militaire iranienne aux forces loyalistes du gouvernement syrien que la Russie pourvoie en armements, la rébellion syrienne était sur le point de l'emporter à l'automne 2015, n'était-ce, à l'appel du président syrien, l'entrée de la Russie dans le conflit le 30 septembre 2015, qui a changé les donnes. Entre cette date et aujourd'hui, la situation militaire a complètement changé. La plupart des villes ont été reprises dont Alep, la capitale économique. Il ne reste que quelques zones comme Idlib, Raqqa...Il est évident que le conflit ne cessera pas tant que les deux grandes puissances ne s'accordent pas sur une solution conjointe pour tous les belligérants en Syrie et en Irak. Aujourd'hui, la Russie a remporté de grands succès sur le théâtre des combats en Syrie, permettant au gouvernement loyaliste de conquérir ce qu'on appelle la Syrie utile, laissant la coalition internationale menée par les États-Unis soutenir les Forces démocratiques syriennes, fer de lance de la bataille contre l'EI, pour la prise de Raqqa et, ce faisant, freiner la progression des troupes du régime de Damas dans cette direction.

Il est évident que les temps sont comptés pour l'Etat islamique. Dans quelques mois, la grande ville irakienne du nord, Mossoul, va tomber aux mains du gouvernement irakien. De même, la ville de Raqqa sera prise par les Forces démocratiques syriennes (FDS). Et l'Etat islamique en Irak et en Syrie cessera d'exister. Cependant, malgré ces succès, il y eut des failles délibérées dans la stratégie américaine et de leurs alliés dans l'éviction complète de l'Etat islamique. Si les Américains avaient lutté efficacement contre l'EI, ils n'avaient qu'à couper les voies d'approvisionnement. Mais une telle option aurait laissé le champ libre à l'axe Iran-Irak-Syrie-Hezbollah qui va en profiter pour renforcer ses positions dans le conflit. Précisément l'intrusion de la Russie dans le conflit a changé les donnes.

D'autre part, les Kurdes ont joué un grand rôle dans les conflits armés en Syrie et en Irak et ont beaucoup contribué aux succès obtenus contre l'EI. Ce qui pose un grand problème à la Turquie qui redoute d'avoir un Etat kurde dans le nord-est de la Syrie, et la peur de contagion sur les communautés kurdes de Turquie. D'autant plus que la Turquie a longtemps favorisé par le transfert d'hommes et de matériels et la vente du pétrole l'implantation de l'EI en Irak et en Syrie, en accord avec les États-Unis et leurs alliés.

Depuis les revers de l'Etat islamique et les succès de l'axe Russie-Iran-Irak-Syrie-Hezbollah en Syrie, la Turquie a fait volte-face et, pragmatique, s'est ralliée à la Russie dans la lutte contre l'Etat islamique. Ce qui a amené l'EI à se retourner contre la Turquie, perpétrant des attaques terroristes sur les villes turques. Telle est à peu près la situation en Syrie et en Irak. Dès lors, on peut dire que la Syrie s'est trouvée divisée en plusieurs zones, et les graves conséquences qui pèsent sur le peuple syrien. En plus de 300.000 morts, des millions de réfugiés déplacés à l'intérieur et à l'extérieur attendent une issue à leur sort. L'UNHCR (Agence nationale des Nations unies pour les réfugiés) comptabilisait, en 2016, plus de 4,6 millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes. A l'intérieur du pays, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'Onu, l'Ocha, chiffre plus de 7,6 millions de Syriens déplacés. Au 7 février 2016, l'UNHCR répartit le nombre des réfugiés syriens par pays : 2503 539 réfugiés syriens pour la Turquie, 1 069 111 réfugiés pour le Liban, 635 324 pour la Jordanie, 245 022 pour l'Irak, 117 658 en Égypte, 28 027 en Afrique du Nord. En Europe, les médias font état de 1 million de réfugiés syriens.

3. Vers la baisse de la violence. Début des conférences pour la paix en Syrie

Cela étant, il reste qu'on ne peut penser que la guerre en Syrie va durer indéfiniment. Toute guerre a une fin. Comme il a été mentionné supra, toute guerre a un sens. De plus, on ne peut penser que l'intrusion de la Russie dans le théâtre syrien était dictée par le seul intérêt géostratégique de protéger sa base de Tartous. Il est clair qu'un changement de régime syrien favorable à l'Amérique et à Israël l'aurait obligée à évacuer cette base. Cependant, la Russie, qui a occupé et annexé la Crimée dans le conflit ukrainien, aurait pu choisir de rester sur ce succès et ne pas s'engager en Syrie. Ce qui était très possible, d'autant plus qu'elle ne s'est engagée en Syrie que lorsque le régime de Damas s'est trouvé dans une situation extrêmement difficile, malgré l'apport des forces extérieures régionales. Mais la marche du monde est compréhensive et compréhensible. Ce qui veut dire que l'intrusion de la Russie n'était pas seulement pensée par les stratèges russes, «mais était inscrite dans l'ordre même du devenir du monde». Le monde doit être compris comme une réalité intelligente, comme une rationalité historique. Pour comprendre, la guerre est un événement horrible, destructeur en vie humaines et en bien matériels.

Prenons l'Algérie et sa guerre de libération contre la France. Elle était nécessaire parce qu'elle a libéré le peuple algérien d'une tutelle colonisatrice immorale et amorale, et libéré le peuple français d'un fardeau douloureux. De même, l'intrusion des États-Unis contre l'Allemagne hitlérienne pour libérer l'Europe des nazis entrait dans cette réalité du monde qui est intelligente. De même l'intrusion de la Russie contre les groupes islamiques entrait aussi dans cette réalité intelligente du monde. Parce que ces intrusions sont nécessaires et concourent au progrès du monde. Si les États-Unis ne sont pas entrés en 1941 contre l'Allemagne nazie, on aurait eu alors une race aryenne qui va gouverner l'Europe, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Angleterre... puis le reste du monde. Le monde serait constitué d'hommes et de sous-hommes, d'esclaves pour d'autres hommes dits supérieurs. Et pourtant nous sommes créés identiques.

D'autre part, l'humanité a tellement évolué qu'il n'est plus possible à une partie du monde de l'emporter sur l'autre. Le monde a complètement changé, nous sommes à l'âge nucléaire, à l'âge de la physique quantique. L'intrusion de la Russie était nécessaire d'abord au regard de ses intérêts immédiats, mais surtout au regard de l'Histoire qui est l'essence même par laquelle est conduit le monde. Il est important de comprendre cet aspect métahistorique, pour comprendre l'évolution du monde. Précisément la Russie était le maillon qui manquait pour équilibrer les forces en présence. Et aussi le maillon qui a rendu la Turquie plus pragmatique.

Et ce n'est qu'après l'entrée en scène de l'aviation russe et les succès remportés sur le théâtre des combats, que le pouvoir loyaliste de Damas commença à regagner les villes perdues, et qu'enfin la raison a fini par l'emporter en Occident. Et débute, après l'intrusion de la Russie dans le conflit, un cycle de négociations parrainées par le secrétaire d'État américain John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. La première conférence débute à Munich, sur invitation du ministre allemand des Affaires étrangères, Frank Walter Steinemeier, avec l'envoyé spécial de l'ONU pour le règlement du conflit en Syrie, Staffan de Mistura, des représentants du groupe international de soutien à la Syrie, et des représentants des pays impliqués. Un premier succès, un accord sur l'approvisionnement humanitaire de plusieurs zones touchées par les combats et à l'étude d'un cessez-le-feu le 1er mars 2016 sort ce cette conférence.

Le 22 février 2016, une deuxième conférence parrainée par les États-Unis et la Russie qui présentent les modalités d'un cessez-le-feu entre les forces loyalistes et les rebelles, mais qui ne concerne pas l'État islamique, le Front al-Nosra et les groupes «considérés comme terroristes par le Conseil de sécurité de l'ONU». Les parties en conflit acceptent le cessez-le-feu, bien entendu avec des difficultés qui sont somme toute naturelles. Toujours est-il que le cessez-le feu est déjà une approche pour régler la crise syrienne, sur des bases équitables pour toutes les parties. Il y a des accords pour la libération de prisonniers, pour la livraison d'aides humanitaires, et d'autres points encore même s'ils ne sont pas tenus. Le cessez-le-feu entre en vigueur le 27 février à minuit. Ce succès a fait diminuer fortement la violence, ce qui est sans commune mesure avec les années précédentes. On est loin des tractations menées par le médiateur algérien Lakhdar Brahimi. Non pas que Lakhdar Brahimi a échoué, il a pris des risques, il a fait tout son possible, mais il était confronté à une impasse. Les pays occidentaux rejetaient tout compromis pour résoudre la crise syrienne parce qu'ils étaient convaincus qu'ils allaient faire tomber, via les djihadistes, le régime syrien. Les médias occidentaux rapportent que Laurent Fabius, à l'époque, ministre français des Affaires étrangères, tenait des propos «Al-Nosra faisait du bon boulot en Syrie». Mais c'était sans compter avec la marche de l'histoire.

Le 14 mars 2016, la conférence internationale s'élargit. Les rebelles syriens et les émissaires de Damas se retrouvent pour la première fois depuis la mise en place du cessez-le-feu à Genève pour 10 jours de pourparlers. Le secrétaire d'État américain John Kerry, pour appuyer la conférence, déclare : «Le niveau de la violence a été réduit de 80% à 90%». De son côté, Vladimir Poutine, le président de la Russie, annonce le début du retrait d'une partie des forces russes engagées en Syrie. Mais malgré la trêve, les combats vont reprendre. Il est évident que chaque partie se prépare à avoir les meilleures cartes pour la négociation finale. Et c'est ainsi que les forces loyalistes avec la Russie s'efforcent de conquérir toutes les villes aux mains des djihadistes. De leur côté, les djihadistes cherchent à conquérir des villes prises par l'armée loyaliste. Les États-Unis s'efforcent, avec les FDS, de conquérir Raqqa, capitale de l'EI. Les forces kurdes cherchent à consolider leur position dans le nord de la Syrie.

4. Le processus vers la fin de la guerre civile en Syrie désormais engagé. Les défis qui attendent la Syrie

Cependant la marche vers la paix est désormais engagée, quand bien même des affrontements persistent entre les différentes forces sur le terrain. Le plus difficile est passé. La situation commence à se décanter. Le 10 septembre 2016, un nouvel accord de trêve est conclu entre les États-Unis et la Russie. Il prévoit des corridors sûrs pour les opérations humanitaires. L'accord est salué par l'ONU et par les grandes puissances et les puissances régionales (Turquie, Arabie saoudite...). La fin du conflit se rapproche. Une course contre la montre est engagée par les forces en présence. La trêve est rompue. Les forces loyalistes passent à l'offensive sur la ville d'Alep qui est reconquise le 22 décembre 2016. Les insurgés qui ont capitulé sont évacués vers la zone proche d'Idlib, aux mains des rebelles.

Cette victoire réduit à néant les plans américains. Les rebelles sont divisés et lâchés par leurs soutiens sur le plan militaire. En réalité, la guerre a assez duré, plus de 10 millions de Syriens sont déplacés à l'intérieur et à l'extérieur. Pourquoi ? Parce que la situation est à la fois complexe sur le plan régional et entre les grandes puissances, en particulier le couple israélo-américain qui veut toujours maintenir son diktat sur le Moyen-Orient, depuis la disparition de l'URSS en 1991. On comprend l'importance de l'Iran et de la Russie dans le conflit.

Si pour la Russie, son intrusion est comprise, comme contrepoids réel à la superpuissance américaine, on ne peut oublier que l'Iran et la Syrie ont joué aussi de contrepoids à la puissance américaine dans la guerre menée contre l'Irak, en 2003, en apportant leur soutien à l'insurrection irakienne. Et c'est ce soutien constant qui a poussé à la fin les États-Unis d'évacuer l'Irak en 2011. Et cette victoire, bien que le couple Iran-Syrie ne constitue pas une superpuissance mondiale, est à attribuer surtout à la cause juste. Poursuivre une cause juste signifie avoir avec soi les forces de l'Histoire. On comprend dès lors l'importance du rôle de l'Iran et de la Syrie dans l'équilibre géostratégique au Moyen-Orient. On comprend dès lors que la guerre civile en Syrie apparaît à la fois comme une revanche américaine à l'échec enregistré en Irak et un prolongement de la guerre des États-Unis contre l'Irak. Donc une tentative de regagner ce qu'ils n'ont pu obtenir contre les Irakiens.

Mais c'est là où entrent les forces de l'histoire qui, pour un camp, parti vainqueur, se retrouve contré par un nouvel adversaire, la Russie, et de nouveau perdant. Toujours est-il que l'évolution même des forces dans le théâtre des combats montre que le processus vers la fin de la guerre civile en Syrie est engagé. Et cette donne est importante au regard de l'histoire, aux nécessités de l'histoire. Ce qui signifie que les mobiles qui ont donné la guerre sont en train de s'épuiser, comme d'ailleurs le système qui l'a générée. Il demeure néanmoins que la Syrie, eu égard à cet accouchement dans la douleur, va inévitablement être confrontée à une nouvelle page de son histoire.

Un nouveau pas dans l'histoire du monde nécessite une nouvelle direction mondiale. D'autant plus que la Russie de Poutine n'a pas attendu et s'est attelée avec la Turquie pour résoudre ce conflit régional. C'est ainsi que le 29 décembre 2016, prenant de court les Occidentaux, la Russie et la Turquie annoncent à Astana, au Kazakhstan, l'instauration d'un nouveau cessez-le-feu dans l'ensemble de la Syrie. Celui-ci est reconnu par le régime de Damas et une partie de l'opposition, il entre en vigueur dans la nuit du 29 au 30 décembre. Evidemment, les affrontements continuent mais baissent d'intensité.

De nouveau, face au vide diplomatique américain, la Russie avec la Turquie et l'Iran organisent une conférence pour la paix à Astana, au Kazakhstan. Elle s'ouvre le 23 janvier 2017. Plusieurs pays sont invités dont les pays arabes, les États-Unis qui sont représentés par leur ambassadeur au Kazakhstan. De nombreux groupes rebelles y participent. Les négociations sont positives. Un mois après, le 23 février 2017, s'ouvre une nouvelle conférence pour la paix, Genève IV. La Russie a appelé le Parti de l'Union démocratique kurde de Syrie à participer aux pourparlers. La veille, le 22 février, Staffan de Mistura déclara que la conférence de paix serait basée sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies.Une résolution qui demandait la fin des attaques contre les civils, l'exclusion de l'Etat islamique d'Irak et du Levant et le Front al-Nosra, la création d'une société multiethnique comprenant tous les groupes religieux et ethniques en Syrie, la création d'une nouvelle constitution de la Syrie et la tenue d'élections libres et équitables dans un délai de 18 mois. Les négociations se terminent le 3 mars 2017.

Une troisième série de réunions tenues à Astana du 14 au 15 mars 2017 donne lieu à un nouvel accord entre toutes les parties sur l'accord de cessez-le-feu en vigueur. L'Iran rejoint la Turquie et la Russie comme un État garantissant l'accord du cessez-le-feu. Cependant, les violations de l'accord se multiplient. Il y a une course contre la montre. Chaque partie cherche à gagner du terrain pour se conforter dans les négociations à venir. La ville de Palmyre est prise par les loyalistes, Raqqa est encerclé par les Forces démocratiques syriennes, aidés par les Américains. L'EI est dans ses derniers retranchements. L'armée turque cherche à progresser sur le territoire syrien pour annihiler les forces kurdes qui font partie des FDS. Une situation complexe mais qui est en train de se décanter progressivement.

5. Fillon pourra-il aplanir les divergences entre les États-Unis et la Russie pour mettre fin à la guerre civile en Syrie ?

Mais comment va-t-elle se décanter cette situation de guerre qui arrive à sa fin ? Précisément encore par l'histoire ! Et comme on l'a dit, l'histoire du monde nécessite une nouvelle direction mondiale, surtout du côté occidental. Et c'est ce qui se jouait aux États-Unis et en France. Alors que pendant que l'axe Russie-Iran-Irak-Syrie-Hezbollah activait au Moyen-Orient, les États-Unis et la France étaient en pleine campagne présidentielle. La classe politique de ces pays en ébullition contre deux candidats.

En Amérique une campagne hystérique a pris les classes politiques pour discréditer un candidat qui se prévalait de son «America first» (l'Amérique d'abord). Un slogan qui traduisait dans un certain sens ce qui était en puissance dans la nouvelle orientation de l'histoire de l'Amérique. Et le retour de l'Amérique vers elle-même passait par mettre d'abord fin aux conflits qu'elle a provoqués dans le monde. Pour cela, il faut un sang nouveau, précisément, un milliardaire que personne n'attendait. Donald Trump, qui se disait antisystème, s'est jeté dans la mêlée pour la magistrature suprême. Il fut l'objet d'une campagne de dénigrement médiatique incroyable. Jamais président américain n'a eu ce traitement des médias qui l'ont affublé de tous les noms. Le terme le plus usité est le «clown» ou le «bouffon» Trump. Tout a été mis pour le discréditer jusqu'aux accusations de femmes pour attouchements et agressions sexuels malgré le démenti catégorique du candidat. Tous les poids lourds du parti y allaient au point que Paul Ryan qui se disait «écœuré», était contre lui. (Voir article «Qui sera le nouveau président américain ?», par Medjdoub Hamed. www.agoravox.fr et www.lequotidien-oran.com)

Le «Je me battrai pour vous et je gagnerai pour vous», qu'il a crié, lors de son discours devant la convention républicaine réunie à Cleveland, s'est réalisé. Il est devenu le 7 novembre 2016 le 45ème président des États-Unis. Qu'aujourd'hui Donald Trump fasse des erreurs, c'est dans l'ordre des choses. Qu'il interdise aux musulmans l'entrée aux États-Unis, dont d'ailleurs le décret présidentiel a été rejeté pour atteinte aux religions universelles, dénote simplement qu'il ne veut plus suivre la politique aventureuse de ses prédécesseurs dans le monde musulman. Et au-delà des officines secrètes qui dirigent l'Amérique, en réalité, c'est l'histoire qui a retenu Donald Trump. Parce que l'histoire doit se réaliser non pas comme l'homme le décide, mais comme les forces qui sont en jeu doivent mener le monde vers où il doit être mené. Car, quoique l'on dise, l'histoire a toujours le dernier mot. L'homme croit qu'il décide, en réalité, il y a d'autres forces extérieures qui décident de son avenir. Comme ces Forces qui l'ont amené à la vie. Si cela n'est pas vrai, la question se poserait alors pourquoi Donald Trump, décrié par pratiquement tout le système américain, tous les médias, est-il devenu président de la première puissance du monde ? Et il se déclare l'homme antisystème, et «déclare ouvertement sa sympathie pour le président russe, reconnaissant ses qualités de grand politicien dans les affaires du monde. Et qui a gagné dans le conflit moyen-oriental».

En réalité, ce n'est pas Poutine qui a gagné, même si on peut le prendre ainsi, mais c'est l'histoire qui en a décidé ainsi, en optant pour la cause la plus juste. Reste cependant que Donald Trump ne peut l'emporter sur le système qui est très puissant et cherche encore à perdurer la guerre en Syrie. Et c'est là où entre un autre Donald Trump en Europe, plus précisément en France. C'est François Fillon contre qui tous les coups sont permis pour qu'il n'arrive pas à présider la France. Le seul reproche qui n'apparaît pas est que lui aussi est un candidat antisystème, et qu'aucun média français n'en fait état. Parce que François Fillon veut aller contre le système pro-guerre qui, lui, est pour la continuation de la guerre en Syrie et dans tout le Moyen-Orient. Parce que cette guerre ne se fait pas au motif démocratique ou au motif de libération du peuple syrien de l'autoritarisme du régime loyaliste de Syrie. Elle se fait pour le pétrole, et seulement pour le pétrole, ce qu'on peut appeler le «Bretton Woods-pétrodollar», le pétrole ayant remplacé l'or-métal. Et que les autres grandes monnaies de réserve, affiliées au pétrodollar, qui sont l'euro, la livre sterling et le yen, lui sont solidaires et forment avec lui le système monétaire international qui régit le monde.

Et qui détient la monnaie détient le monde. Précisément «détenir la monnaie du monde passe par détenir le pétrole du Moyen-Orient. Le couple dollar-pétrole, et étendu à l'euro-livre sterling-yen, est le vrai nerf de l'économie mondiale, le vrai nerf de la guerre qui fait rage dans le monde arabo-musulman. Le yuan est en train de talonner les grandes monnaies occidentales. Et si lui aussi devient pétroyuan, il porterait un coup terrible à la puissance financière et monétaire occidentale. Diminueront fortement le financement des déficits américains et européens. Et on comprend pourquoi Donald Trump prône l'isolationnisme et veut faire payer à l'Europe le prix de leur sécurité contre les grandes puissances.

Et c'est la raison pour laquelle François Fillon, comme Donald Trump, par son programme électoral qui énonce le rapprochement avec la Russie, nouer des liens avec l'Iran, et en plus, «il est déjà un ami de Poutine lui-même, pour avoir été invité à plusieurs reprises par le président russe», comme le rapportent les médias européens, montre pourquoi il y a une véritable campagne médiatique et politique contre lui pour qu'il n'arrive pas au pouvoir. Car s'il arrivait, avec Donald Trump, il remettrait en cause toute la stratégie occidentale menée jusqu'à aujourd'hui. Dès lors, grâce à François Fillon, il va se créer un trait d'union entre les États-Unis et l'Europe sur nombre de problèmes. Aussi, pose-t-on la question : «François Fillon, élu président, pourra-t-il aplanir les divergences entre les États-Unis et la Russie ?» Sans aucun doute. Bien plus, le système du monde étant dual, le couple Fillon-Trump contrebalancerait les forces occidentales pro-guerre. Par conséquent, il va s'opérer un grand tournant dans la géostratégie mondiale.

Là encore, il ne faut cesser de le répéter, c'est l'histoire du monde qui est en marche. Tous les conflits armés dans le monde arabo-musulman, après épuisement des mobiles de guerre, en Syrie, au Yémen, en Libye, et dans d'autres pays, en contact avec la réalité, vont progressivement trouver une solution, dans les années à venir. Ou plutôt le plus dans les mandatures de Donald Trump et de François Fillon. Par ce seul fait, on ne pose même pas la question si François Fillon sera élu ou non, c'est l'histoire qui aura à répondre.

Le XIXème siècle était le siècle de l'esclavage et de la colonisation, le XXe siècle de la décolonisation et la bipolarisation, le XXIe siècle sera celui de la mutipolarisation dans le sens que les grandes puissances ne seront plus maîtresses du monde, mais doivent compter avec les ex-dominés devenus de grandes puissances régionales.

Sur un plan essentiellement musulman, la guerre civile syrienne deviendra un cas d'école pour les gouvernements arabes pour œuvrer au bien-être de leurs peuples. D'autre part, l'islamisme qui est une doctrine politique et non une religion comme l'est l'Islam qui est de portée universelle, aura probablement atteint ses limites. Et il est peu probable que les puissances occidentales continueront à l'instrumentaliser dans les décennies à venir. De plus, le monde arabo-musulman aura à se moderniser, à se relever sur le plan politique, économique, scientifique, technologique..., et ne plus compter sur la seule ressource fossile, le pétrole, qui ne va durer qu'un temps. L'avenir est aux énergies renouvelables.

Evidemment, la marche du monde sera encore balisée de conflits qui deviendront plus complexes et d'un nouveau genre. Mais il faut d'abord dépasser ce monde musulman aujourd'hui en crise. Telle est la vision métahistorique du monde.

*Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective.

Note :

1. «Fillon mis en examen pour détournement de fonds publics et recel d'abus de biens sociaux», Le Point.fr. 14/03/2017

http://www.lepoint.fr/presidentielle/soupcons-d-emplois-fictifs-francois-fillon-a-ete-mis-en-examen-14-03-2017-2111750_3121.php