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«C'est à
Bijaya (la ville actuelle de Bejaia), écrit au XII siècle l'historien géographe
Al-Idrissi (1100-1165) dans un célèbre ouvrage «Nûzhat al-mu'shtaq fi khtirâq
al-afâq», traduit en 1983 par feu Mohammed Hadj Sadok, que sont entreposés des
ballots et que sont vendues des marchandises pour des sommes colossales. Dans
ses campagnes et exploitations agricoles, le froment, l'orge, les figues et
tous les autres fruits, sont cultivés en quantités suffisantes pour la
consommation de plusieurs pays». On peut s'arrêter juste à cette dernière
phrase pour la mettre directement en rapport avec notre triste actualité, où
les nôtres semblent confirmer tout à fait l'inverse, c'est-à-dire, ils
attendent que ces autres-là que leurs ancêtres approvisionnaient pourtant jadis
en toutes sortes de denrées alimentaires, les en approvisionnent à leur tour,
curieux ! Al-Idrissi n'en est pas resté là, puisqu'il a dressé presque le même
portrait d'Alger, la Mitidja, Jijel, Sétif, Miliana, la Calle, Oued R'hiou,
Relizane, Mazouna, Mostaganem, Mascara, Nedroma, Tiaret, les Oasis et les cités
du Sud (Biskra, Ouargla, Sedrata, Tolga, M'sila, etc.).
Dans une autre saisissante description de Cherchell par exemple, il ajoute, sur une note pleine d'admiration et de nostalgie, ce qui suit «?elle a de l'eau courante, des puits bien alimentés en eau agréable au goût, des beaux fruits en grande quantité, des coings de gros calibre, avec une encolure semblable à celle des courgettes et constituent une des étranges curiosités. Elle a enfin des vignes et certaines variétés de figuiers (?) les habitants élèvent du gros bétail, de nombreux ovins, beaucoup d'abeilles (?) ils ont du froment et de l'orge en quantités supérieures à leurs besoins». Quel extraordinaire monde ! Et parler encore ici de la Numidie qui fut, aux temps anciens, de l'aveu même des historiens romains tels que Salluste (86 av. J.-C. -35 av. J.-C.) et Tite-Live (59 av. J.-C.- 17 ap. J.-C.) lui-même «le grenier de Rome » et de cette Algérie qui exportait du blé vers la France de longues décennies durant avant d'être colonisée par cette dernière en 1830 parce qu'elle a dû lui réclamer ses dettes, ne nous fera, sans aucun doute, que pâlir d'envie et de jalousie! Bref, tout est résumé, à vrai dire, à propos d'un pays riche en terre mais laissé en jachère par ses propres enfants. J'avoue qu'il me fut très difficile de recopier ces lignes-là pour les transmettre aux lecteurs d'autant que cela me fait mal au cœur à ce moment même où les oranges et les pommes sont devenues un luxe pour les miens, où, si un bateau n'accoste pas au port de cette ville de Bejaia ou ailleurs à Alger ou à Jijel, on risque d'avoir des ruptures des stocks de semoule et des pénuries lourdes de conséquences aux quatre coins du territoire national, où l'austérité et la cherté de la vie chassent cet espoir d'opulence et de générosité de jadis ! Indubitablement, le gâchis du colonialisme est tel qu'il y a «cette silencieuse glissade de la paysannerie algérienne» -pour reprendre le mot de l'anthropologue Germaine Tillon (1907-2008)- et son déracinement vers les villes, puis la perte graduelle de la notion de la culture de la terre par la majorité des Algériens. C'est pourquoi, même de caractère agricole, l'Algérie post-indépendance s'est perdue dans les labyrinthes de politiques empoisonnées. Des chroniques de l'époque des années 1980 fourmillent de détails sur l'échec de la stratégie des plans calquées sur le modèle chinois et de la révolution agraire à cause de la bureaucratie d'une part, et, d'autre part, de la non-préparation du citoyen à l'aventure de l'agriculture. Il existe, de surcroît, ce problème de mécanisation, d'expertise et des cabinets d'études auquel on s'est peu initié. L'agronome Omar Bessaoud estime que l'agriculture est devenue une «science d'ingénieur» fortement consommatrice de techniques quantitatives. Autrement dit, il faut moderniser le travail de la terre et le soumettre aux exigences de la technologie. Un des défis que doivent lancer nos autorités aujourd'hui, sans doute ! |
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