Portrait-robot
du parfait harrag algérien : Jeune, victime de la
déperdition scolaire, chômeur ou habitué des métiers précaires, apolitique,
aventurier jusqu'à la mort, mal dans sa peau, déteste le système et ses
symboles, aime sa mère, amoureux de la fille des voisins et rêve d'une vie
meilleure derrière un joint consommé. Ça c'était avant la crise, les
augmentations des prix, le chômage, la précarité au quotidien et l'envie
d'aller voir si la vie est plus clémente ailleurs devient contagieuse touchant
même les bons pères de famille. Parmi les harraga
interceptés ce week-end à Oran figurent des mineurs et une famille composée des
deux parents et de leurs trois gosses âgés de 3, 4 et 6 ans entassés dans une
barque de pêcheur avec moteur. Si le phénomène est connu des boat people
algériens en partance vers les côtes espagnoles ou italiennes, il est à se
demander comment une famille en est arrivée à une telle alternative. Que
s'est-il passé dans la tête de ce couple pour risquer sa vie et celle de ses
petits dans une telle aventure ? Comment en est-on arrivé à ces extrêmes où un
pays chasse ses propres enfants, les envoyant faire connaissance avec la
poiscaille de la Méditerranée ? Si la responsabilité est individuelle, les
causes ne sont pas à chercher au sein de cette famille algérienne qui doit tant
ressembler aux millions d'autres. Certainement, des gens sans histoire, avec
trois ventres à nourrir et qui n'ont trouvé d'autres solutions que ramer pour
s'en sortir. Ils ont dû probablement se dire que leur vie, à eux, est gâchée et
qu'il fallait penser à l'avenir de leurs enfants. Pas les moyens de les envoyer
à l'étranger faire leurs études, ils ne sont ni ministres ni dignitaires d'un
régime qui ne veut pas se consumer. Ils n'ont aucun lien de parenté avec Alger
et ne possèdent qu'un prénom sur leur carte d'identité. Ils n'ont pas
d'appartements à Paris ou à Londres, et si cela se trouve, même pas en Algérie
et comme comptes en banque, un prêt à rembourser. Ils ont dû se concerter,
parler du pour et du contre, avoir peur pour leur peau et celle des mioches,
ramasser les quelques économies mises de côté pour payer les charges, se
tourner vers la famille et les amis, mais la décision finale a été prise : Tout
risquer quitte à rencontrer leur Créateur sur la rive d'en face. Inconscience
ou désespoir, le geste de cette famille renseigne sur la joie de vivre dans un
pays carnivore qui continue de mâcher ses enfants avant de les cracher dans
l'oubli de la Méditerranée.