«Si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et
meurs !», telle est la devise léguée à la postérité par le défunt Tahar Djaout. Aujourd'hui, la devise nationale est «Tu peux
parler jusqu'à ce que tu meurs». Dans un pays où le silence est érigé en mode
réponse, tu peux parler ton saoul jusqu'à extinction de voix que ça ne
dérangera personne outre mesure. Tu peux dénoncer, crier, vociférer, hurler à
la mort jusqu'à en crever, frapper à la porte de Ban Ki-moon
si l'envie te prend, que ça ne fera pas réagir grand monde. Tu peux écrire,
envoyer des lettres de doléances, rédiger trois tomes sur la hogra et avoir un prix Nobel en littérature que personne,
là-haut, dans les étages supérieurs de la République, n'entendra parler de toi.
L'écho viendra s'écraser en mille vagues contre tes côtes jusqu'à ce que tu
imploses et que le mauvais sang t'emporte vers le cimetière des causes perdues.
Aujourd'hui, le pays est devenu un immense terrain vague sans oreilles, une
bouche vorace qui mastique ses propres enfants avant de les recracher dans la
Méditerranée, un ventre ulcéré à force d'abus de tous genres et un bas-ventre
coupable d'enfants illégitimes. Une caricature dessinée par des gérontes pour
des enfants de 45 ans, une prison à ciel ouvert où les langues bien pendues
sont pendues. Aujourd'hui, la parole est gratuite mais on te fera payer le prix
de ta bravade. A la caisse ou au prochain tournant, mais tu finiras par la
cracher ta salive. Les exemples de ce silence tapageur sont aussi nombreux que
les fausses dents de notre politique. Le dernier en date, the last but not
least, comme disent les British, nous vient des Jeux olympiques de Rio. Makhloufi a eu beau crier sa colère, ses deux breloques
autour du cou, accusant des officiels de ne pas faire leur job. C'est vrai que
le monde entier l'a entendu mais en Algérie personne ne l'a écouté. Le ministre
s'est bouché les oreilles, a préféré regarder ailleurs, décidant que rien ne
s'est passé. Ni enquête ni demande de comptes. Rien, wallou,
nada, oulach smah oulach. Le pire c'est que ceux qui ont eu le courage de
dénoncer des pratiques qu'ils jugent délictueuses risquent d'être poursuivis
pour diffamation. Non loin de nous, le ministre du Tourisme qui découvre
horrifié qu'on a pris trois à quatre parts de la tarte
d'anniversaire derrière le dos du proprio. Nouri a
dénoncé un détournement du foncier à Dounia Parc, qui n'a jamais autant bien
porté son nom des Quatre vents que cette fois-ci, et que fait la justice ? Louh lui demande d'aller déposer plainte. Rien que cela.
C'est comme s'il s'agissait d'une vulgaire dispute de voisinage qu'on va régler
devant le commissariat du coin. Au lieu de s'autosaisir sur le champ et
d'ouvrir une enquête, on lui demande de se lever au petit matin et d'aller au
tribunal le plus proche. Heureux encore qu'il soit à son poste mais connaissant
les mœurs politiques du pays, son nom est déjà inscrit en tête de liste du
prochain et partiel remaniement gouvernemental. Un peu plus loin, Mellouk est devenu l'exemple à ne pas suivre. Un véritable
cas d'école d'une Algérie adepte du cannibalisme puerpéral. Dénonçant les faux
combattants dans la magistrature, sa vie a pris la couleur de l'enfer, entre
gris sombre et noir très noir. Son combat restera épique et devra constamment
inspirer les Algériens. Maintenant et pour toujours. Alors comme dit Djaout, parles et meurs, c'est la seule option vivante dans
ce pays sourd !