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L'accord entre
la vieille guérilla colombienne et le gouvernement vient de se concrétiser dans
une indifférence quasi planétaire au regard de ce qu'elle fut. Un demi-siècle
de maquis, des dizaines de milliers de morts, un pays meurtri par une guerre
civile interminable et, finalement, une fin moins médiatisée que le burkini ou le ravage des Pokemon.
C'est ainsi que meurent les révolutions nées de causes justes mais qui ont
basculé vers l'horreur de ce qui les a pourtant légitimées à combattre.
Les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) et le gouvernement colombien viennent de signer une paix que plus personne n'espérait. Les négociations ont abouti le 24 août, à La Havane, à un accord historique et définitif de cessez-le-feu. Mais pourquoi donc cette guerre civile aura-t-elle duré un demi-siècle ? C'est inimaginable mais plus personne n'en sait plus rien, un peu comme ces histoires de familles où tout le monde a un contentieux avec tous les autres pour des raisons qu'aucun ne saurait expliquer avec clarté. L'ennemi juré, c'est l'autre, et la raison de la bataille féroce s'est dissipée avec le temps autant que dans l'esprit du monde entier qui n'y prenait guère attention si ce n'est qu'à des moments très médiatisés. Ce fut le cas de l'enlèvement et de la séquestration en 2002 de la célèbre femme politique franco-bolivienne, Ingrid Betancourt, puis de sa libération en 2008. Quelles sont les raisons qui ont motivé des combattants à prendre le maquis autant de temps sans jamais espérer en voir un jour le bout ? Résumons l'historique de ce conflit et sortons du cliché habituel «guérilla contre dictature» qui, si sa pertinence du départ sautait aux yeux, a fini par aboutir à une guerre des obscurantismes, de part et d'autre. La «Violencia», genèse du conflit Il faut remonter à deux périodes lointaines de l'histoire colombienne pour trouver les racines des FARC, bien que cette organisation ne se constitue officiellement qu'en 1966. Les premiers groupes d'opposition apparurent lorsque des paysans se révoltèrent dans les années vingt pour revendiquer une réforme agraire. Puis, le pays se déchire de nouveau dans des années sombres. Ce fut le début de la «Violencia». Cette période, de 1948 à 1960, fut une atroce guerre civile entre un mouvement populaire d'opposition et un régime militaire sans concession. Elle se termina par l'échec du mouvement et l'installation durable d'une féroce dictature militaire. Son bilan fut de 200.000 morts, une véritable saignée du pays. La Violencia eut pour point de départ l'assassinat, le 9 avril 1948, du leader de gauche, Jorgé Elécier Gaitan. L'histoire est banale dans cette Amérique latine qui voit souvent émerger des leaders de gauche, dès les années trente, hommes charismatiques qui avaient le soutien des populations pauvres. La concentration des richesses, notamment par une appropriation foncière, déclenchait des soulèvements populaires et politiques très fréquents. Et lorsque l'armée fait barrage pour défendre ce qu'elle a toujours défendu (c'est dans sa nature), nous savons les suites, rien d'inédit pour cette contrée du monde qui n'était pas des plus stables. Ce qui va caractériser les FARC aux autres mouvements de guérilla est son installation dans le maquis jusqu'à nos jours, ce qui représente un cas unique de l'histoire des révolutions du XXè siècle. La cristallisation des oppositions et une suite de nombreux échecs dans les négociations vont plonger ce mouvement dans une longue nuit noire et interminable. Ses choix stratégiques vont le conduire non seulement vers une impasse mais également vers un comportement qui n'aura plus rien à avoir avec les objectifs du début. Le choix des FARC de l'impasse politique L'enracinement des FARC était initialement circonscrit dans le sud du pays mais l'implantation territoriale s'est considérablement élargie dans les années quatre-vingt. Le choix du contrôle économique les a rapidement menés vers les régions de matières premières et de culture de coca, un accès direct vers l'aventure de la drogue. Une erreur lourde de sens qui n'allait certainement arranger ni leur communication ni leur objectif de redonner de la pureté dans le combat politique. Mais l'autre erreur, beaucoup plus lourde, fut celle de la rupture avec le parti communiste qui était la base doctrinale et militante du mouvement populaire d'opposition. Elle s'était produite dès les premières années. Le choix s'était clairement dirigé vers une exclusivité de l'action militaire. Or, tous les groupes armés qui se sont éloignés de leur représentation politique ou qui n'en ont pas créé une se sont privés d'un lien stratégique fondamental qui a mené à leur perte. La guérilla va s'orienter vers une stratégie qui ne la conduira nulle part si ce n'est à renforcer un isolement qui nourrira sa schizophrénie. Ainsi, la guérilla ne profitera jamais de son extension territoriale et du renforcement de sa lutte armée. D'échecs en échecs, l'organisation armée a fini par s'engouffrer dans ce qui allait définitivement lui ôter tout soutien auprès des populations mondiales. Les FARC se sont orientés dans les années 2000 vers la plus lâche et la plus inefficace des politiques, celle des faibles, soit les enlèvements et les séquestrations. C'était le coup de grâce d'une action qui s'était résolument emprisonnée dans l'impopularité. Deux millions de Colombien ont manifesté dans les rues contre les FARC, la bataille politique était déjà perdue. L'élimination de plusieurs leaders des FARC ainsi que les tensions internes d'un mouvement sclérosé et à bout de souffle vont finir par lui faire jeter l'éponge définitivement. «Nous avions échoué dans notre combat», dira le leader des FARC au moment de la signature à La Havane. A ce niveau de boucherie humaine pendant cinquante ans, ce n'est plus une défaite, c'est un crime majeur. La révolution est dictature lorsqu'elle est certitude L'impasse dans laquelle se sont effectivement retrouvés les FARCS et leur insistance dans leur position intenable vont les mener vers des horizons qui ont dénaturé le projet révolutionnaire. Solidement ancrés dans leur certitude, les FARC se sont rigidifiés et sont devenus ce qu'aucun humaniste ni homme de gauche ne peuvent accepter. Au fond, il est arrivé aux FARC la même aventure que tous les mouvements de guérilla et de libération nationale des pays du tiers-monde (si nous reprenons l'appellation de l'époque). Tous, sans exception, ont abouti à la constitution d'atroces régimes totalitaires avec une armée et une police qui torturent, pillent la population et la réduisent à un silence absolu. Les FARC ont cette particularité de ne jamais être descendus du maquis mais la même transformation les a atteints. Que certains lecteurs ne s'offusquent pas, il n'est pas question dans cet article de remettre en cause l'origine légitime du combat. Les FARC se sont constitués en réaction à l'immonde, au pire des fascismes, celui des milices noires et des propriétaires terriens qui possédaient tout, y compris les âmes des populations. Le régime militaire de droite était totalement inféodé à la puissante Amérique et rien ne peut enlever aux FARC le bon droit de leur colère révolutionnaire. Les FARC sont la réaction à la brutalité mais, hélas, ils ont fini par adhérer à cette brutalité. Ils ont mis en place un système de commandement où le culte du chef n'avait rien à envier au régime fasciste contre lequel ils combattaient. La loi de la soumission et de l'endoctrinement était leur charte politique. Ils ont fait un pacte avec le diable, c'est-à-dire la drogue, dont ils avaient la main sur la production comme sur les bénéfices. Ils ont assassiné plus que de raison, s'il y a un sens à dire que la raison révolutionnaire pouvait se concilier avec les meurtres. Ils ont pris en otage des innocents et ont institué le fameux impôt révolutionnaire qui a bon dos pour justifier de tout. Non, la guérilla colombienne ne fut pas la pureté révolutionnaire. Nos aînés ont été bernés par l'image du révolutionnaire idéalisé jusqu'au mythe romantique. Che Guevara avec sa célèbre photographie, cheveux au vent, fut le symbole de tous les rêves de libération des peuples, alliant beauté du geste, légitimité de la cause et courage. Nous y avions cru par notre très jeune âge d'adolescents mais le régime de Mao et de l'Union soviétique allaient nous réveiller de cette hypnose passagère. D'autres sont restés dans le mythe et nous connaissons le douloureux réveil qui fut le leur, longtemps après la confirmation objective du bilan macabre de ces régimes. Pour les FARC, l'enfermement dans le maquis les a enfoncés dans une certitude idéologique qui était «leur vérité» et qui s'éloignait de toutes celles des autres. La population a fini par être lassée par l'embrigadement et le totalitarisme d'un mouvement sans lien avec la réalité d'un XXIème siècle qui avait oublié jusqu'à leur existence. La cause juste des FARC est morte avec la doctrine des mouvements de libération marxistes qui a montré au monde sa meurtrière face et justifié son écroulement historique. Mais les FARC ne semblaient avoir ni informations ni contacts avec le bouleversement de l'histoire qui s'est opéré au-delà de la jungle colombienne. Ou, du moins, ils savaient qu'il ne fallait pas se réveiller, au risque d'affronter un choc qui les détruirait. La révolution hybernatus L'histoire du maquis cinquantenaire des FARC me rappelle trois références que je tiens à conter au lecteur. Au-delà de l'humour apparent, il se rendra compte cependant de la réelle symbolique que l'on peut en tirer lorsqu'il y a une psychose profonde due à l'ignorance de la réalité (ou de son déni). Dans un film de Laurel et Hardy, «Tête de pioche», ce brave Hardy, militaire de son état, est prié de se replier dans une tranchée de la Première Guerre mondiale et en prendre la défense. Vingt années passèrent et le pauvre bougre fut retrouvé au même poste de combat, ignorant totalement les événements du monde et la fin du conflit. Il y a plus fort, car la réalité dépasse toujours la fiction dans le domaine de l'absurde. En 1974, le monde fut stupéfait d'apprendre qu'un soldat japonais, Hiroo Onoda, envoyé aux Philippines en 1944, lors de la Seconde Guerre mondiale, a ignoré la fin de celle-ci durant trente années. L'officier de renseignement, spécialiste des techniques de guérilla, avait été envoyé sur l'île de Lubang avec ordre formel de ne jamais se rendre et de tenir la position jusqu'à l'arrivée des renforts. L'officier avait à ses côtés trois autres soldats. Leur présence avait été découverte en 1950 lorsque l'un d'eux sortit de la forêt et rentra au Japon. Les autorités gouvernementales ayant été mises au courant, plusieurs largages de tracts avaient été organisés pour avertir les soldats qui n'ont jamais cru à la bonne foi de l'information et la prirent pour une opération de subversion. En 1972, le commando décida d'attaquer un campement de militaires Philippins. L'affaire devenait sérieuse, on envoya le frère pour tenter de les arrêter mais en vain. Il a fallu que son ex-commandant pénètre dans la jungle et lui intima l'ordre de se rendre. Hiroo Onoda mourut paisiblement à l'âge de 94 ans dans son lit, convaincu de sa loyauté envers l'empereur et les ordres militaires qu'il reçut. Si nous modérons le syndrome ainsi raconté car il s'agit d'une fiction pour le premier et d'un fait isolé pour le second, il est cependant très aigu lorsque c'est toute une population qui entre en hibernation. Les FARC ont été à bonne école puisqu'ils ont eu comme parrain, Cuba, et la signature du cessez-le-feu s'est déroulé dans l'un des exemples les plus caricaturaux de vitrification temporelle de la société comme ceux de Pompéi et de la Corée du Nord. Cuba est un maître en la matière et a emmuré ses citoyens dans une épouvantable société contrôlée jusqu'à la moindre parole. Le pays a gardé sous formole des voitures américaines, des façades d'immeubles des années cinquante et sa célèbre révolution que l'on chante et loue du matin au soir comme les moines dans les couvents entament leurs prières. Tout a été figé et ce pays a assassiné, torturé et mutilé des millions de citoyens en plusieurs générations. De temps en temps, on nous exhibe le grand dictateur grabataire avec son survêtement Adidas sorti tout droit des vestiaires des athlètes de l'Allemagne de l'Est des années soixante. Son frère Raoul, le nouveau président, car dans les révolutions marxistes ont recrée la dynastie monarchique héréditaire et familiale, le rassure de quelques mensonges que l'on dit aux vieux séniles pour leur bien. Krouchtchev est en pleine forme et lui envoie ses amitiés, le Mur de Berlin est aux portes de Washington et la statue de Marx a remplacé celle de Lincoln au mémorial qui fait face au Capitole. Et de lui taper sur le dos pour lui dire «le peuple cubain attend ton retour, camarade Fidel, nous te préparons un bon vieux discours de quinze heures sur la place de la Révolution ! ». Cette révolution qui a assassiné tout un peuple et l'a mis sous congélation du temps. En conclusion, je m'aperçois que j'étais encore enfant au moment des premières organisations qui menèrent à la constitution des FARC. C'était la période de la plume Sergent Major avec son encrier, de Ben Bella et du cadeau Bonux. Et je m'imagine avoir été plongé dans une hibernation qui me fera retrouver le siècle au moment de la signature des FARC, en août 2016. Le réveil serait probablement très dangereux car on m'apprendrait que l'Homme a marché sur la Lune, que les jeunes envoient des SMS et que le téléphone n'a plus ce long et gros fil qui le relie au mur. Le médecin verrait immédiatement le risque de choc cérébral et se précipiterait vers un journal pour me le tendre. Il avait compris que la seule thérapie était de revoir des images de ma vie précédente et lointaine, comme un effet calmant. Il y avait deux photos à la une, celle de Abdelaziz Bouteflika et d'un général en Ray-Ban. Le cerveau revoit les images habituelles, retrouve son équilibre et se rassure, tout est revenu dans l'ordre naturel des choses. La Colombie va avoir un besoin considérable de cellules psychologiques car le choc du retour à la réalité sera terrible, à l'image du retour des combattants américains du Vietnam. Surtout lorsqu'il se rendront compte que leur combat marxiste d'un demi-siècle a produit la même jeunesse que partout dans le monde, celle qui rêve des Q7, de la carte de crédit Gold et du compte offshore. C'était bien la peine ! *Enseignant |
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